Travaux de la délégation pour la planification



DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR LA PLANIFICATION

Mardi 29 juin 2004

- Présidence de M. Joël Bourdin, président.

Economie - Evaluation des politiques publiques en France - Examen du rapport d'information

La délégation a tout d'abord procédé à l'examen du rapport d'information de MM. Joël Bourdin, Pierre André et Jean-Pierre Plancade, sur l'évaluation des politiques publiques en France.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a d'abord indiqué qu'il était naturel que la délégation pour la Planification s'intéresse à l'évaluation des politiques publiques puisque celle-ci était devenue le coeur de métier du Commissariat général du Plan, à côté de la prospective, à la suite des évolutions profondes de la planification à la française. Il a ajouté qu'il s'agissait d'un sujet politiquement important, comme le montraient les propos du Président de la République et du Président du Sénat plaçant l'évaluation des politiques publiques au centre de la problématique de la réforme de l'Etat et des missions du Parlement. Il a enfin relevé qu'au cours des travaux des rapporteurs, une série d'événements étaient intervenus, contrastant fortement avec la volonté exprimée de développer l'évaluation : le quasi-abandon, par le Commissariat général du Plan, du champ de l'évaluation et la lente agonie du Conseil national de l'Evaluation, clef de voûte du dispositif national, créé en 1998.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a estimé que ces derniers événements appelaient une analyse afin d'en comprendre l'origine et d'identifier les solutions pour satisfaire un besoin d'évaluation de plus en plus présent au Parlement et auprès des citoyens.

Ayant évoqué la pluralité des définitions de l'évaluation des politiques publiques, il a insisté sur son rôle au service de décisions publiques plus pertinentes et d'actions publiques plus performantes, ainsi que sur sa nature de démarche participative. Il a jugé que la place accordée à l'évaluation des politiques publiques était un enjeu essentiel de la gouvernance d'un pays sous deux aspects : l'un, technique, l'évaluation étant un élément améliorant la fonction de production des actions publiques, l'autre, pleinement politique, car l'évaluation est essentiellement pluraliste et participative et a vocation à se traduire dans des décisions publiques.

Sans doute est-ce parce que les enjeux de l'évaluation des politiques publiques sont aussi forts, a-t-il estimé, que le système politico-administratif français ne lui a pas fait toute la place souhaitable. Si celui-ci connaît des mécanismes de contrôle de régularité développés de longue date, en particulier dans le domaine financier, l'évaluation des politiques publiques, en tant que processus singulier devant être nettement distingué, dans les esprits, des activités de contrôle, est une démarche nettement plus ambitieuse, mais aussi beaucoup plus complexe. De fait, il existe une technique de l'évaluation qu'il convient de s'approprier et respecter. Elle suppose, notamment, une pluralité d'approches qu'il faut organiser. Le rapport identifie plus globalement les principes et les grandes règles de l'évaluation des politiques publiques et recommande de les énoncer dans le droit positif.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, ayant particulièrement insisté sur la nécessité d'une évaluation indépendante, pluraliste et transparente, a suggéré que ces adjectifs pouvaient expliquer pourquoi l'évaluation des politiques publiques est si difficile à acclimater dans un pays marqué par le déséquilibre entre les pouvoirs publics et l'existence d'une administration réputée sans autonomie, mais dont les attributions sont, en réalité, considérables. Toutefois, a-t-il remarqué, l'évaluation rencontre aujourd'hui un contexte plus favorable : les réformes de l'administration vont souvent dans le sens d'une meilleure identification de ses responsabilités ; la crise de la gouvernance impose de réconcilier les citoyens avec la chose publique en dissipant le sentiment de confiscation qu'ils ressentent parfois ; le Parlement, notamment avec la nouvelle loi organique sur les lois de finances, qui est d'origine parlementaire, et qui met l'évaluation des performances en majesté, manifeste un désir de renouvellement de son action ; enfin, le pouvoir exécutif est de plus en plus en situation de justifier ses politiques et de démontrer la qualité de sa gestion.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a alors exposé les grandes lignes du bilan des ressources réunies pour répondre au besoin d'évaluation présenté dans le rapport.

S'agissant des moyens dont dispose l'exécutif, il s'est félicité de leur enrichissement, mais a remarqué qu'il existait des besoins de rationalisation et, plus encore, la nécessité d'assurer un meilleur partage des ressources d'expertise des ministères. Il a jugé que cet objectif devait être reconnu et que des réformes devraient intervenir, le rapport proposant que des « Chartes de service public » soient adoptées afin d'en consacrer le principe, et, dans l'hypothèse d'une inertie des ministères ou pour quelques cas particuliers, recommandant que des mesures soient prises pour donner plus d'autonomie aux services d'études des ministères. Il a estimé que la perspective de tels réaménagements était d'autant plus légitime que les rares évaluations effectuées au sein des ministères ne pouvaient être considérées comme respectant les grands principes de l'évaluation, du fait de leur fréquente opacité et de leur nature de travaux d'auto-évaluation.

Insistant sur l'extrême déséquilibre dans la distribution des moyens d'expertise des politiques publiques, M. Joël Bourdin a constaté que les capacités d'évaluation extérieures au gouvernement étaient, soit sous-dimensionnées, soit très difficiles à mobiliser, situation regrettable puisque l'évaluation des politiques publiques ne peut se passer de telles capacités. Il a indiqué que le rapport contenait plusieurs préconisations, parmi lesquelles celle de faire évoluer la Cour des comptes de sorte que sa fonction de contributeur à l'évaluation des politiques publiques soit pleinement reconnue, comme chez ses principaux homologues étrangers, et de promouvoir une capacité d'expertise indépendante, objectif déjà consacré à la fin des années 70.

Sur ce dernier point, il a estimé qu'une institutionnalisation réussie de l'évaluation devrait créer une demande qui permettrait de susciter une offre d'évaluation plus abondante et de meilleure qualité.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, partant des leçons de l'échec des tentatives successives d'institutionnalisation de l'évaluation, a alors exposé les recommandations du rapport pour que l'évaluation prenne enfin son plein essor. Il a rappelé que l'insuccès des formules essayées jusqu'à présent pouvait être attribué à deux catégories de problèmes, relevant, les premiers, du fonctionnement, les seconds, des schémas institutionnels adoptés. Il a jugé que ces derniers avaient une responsabilité particulière dans l'échec de l'évaluation et que les résoudre permettrait d'éviter les dysfonctionnements observés : des délais excessifs, le défaut fréquent de lisibilité des travaux et de leurs suites, le choix de sujets secondaires et, même, diagnostic du Conseil National de l'Evaluation (CNE), le détournement de la procédure par les administrations à des fins étrangères à celle de l'évaluation.

Il a jugé que ces dysfonctionnements avaient été engendrés par un système d'évaluation trop peu participatif qui, ainsi, avait manqué du dynamisme indispensable.

Il a remarqué que le schéma institutionnel de l'évaluation avait été dessiné selon deux lignes de force notables : l'attribution d'un rôle de clef de voûte à un organisme central unique ayant les caractéristiques d'un collège de sages ; un droit de saisine très mal distribué.

En ce qui concerne ce dernier aspect, il a jugé qu'il suffisait de rappeler que le Parlement n'est pas attributaire de ce droit. Il faut remédier à cette grave lacune et aller plus loin en organisant un droit de saisine ouvert aux citoyens sous des conditions de représentativité.

S'agissant de la distribution des rôles entre les acteurs de l'évaluation, il a estimé qu'elle ne permettait pas de donner à l'évaluation la dynamique qui lui est indispensable.

Il a expliqué que, pour le comprendre, il fallait au préalable rappeler que la doctrine relative à l'évaluation des politiques publiques insiste sur quelques principes d'organisation de l'évaluation, l'indépendance et le pluralisme notamment, et préconise une séparation des rôles entre les acteurs de l'évaluation : les commanditaires, l'organe de pilotage du dispositif et l'organe de réalisation de l'évaluation, appelée généralement instance d'évaluation. Chacun a un rôle particulier à jouer et chacun des acteurs doit lui-même être marqué par l'indépendance et le pluralisme.

Si le système en place est globalement satisfaisant au regard du critère d'indépendance, il ne l'est pas du point de vue du critère du pluralisme, ce qui est un premier facteur d'asthénie de l'évaluation. En outre, celle-ci doit, outre respecter certains principes fondamentaux, s'attacher à observer quelques recommandations pratiques. L'évaluation doit être utile et elle doit être efficace. Ces considérations, qui peuvent sembler triviales, ne le sont pas puisqu'à partir d'elles, certains choix d'organisation s'imposent comme supérieurs à d'autres.

Pour que l'évaluation soit utile, il faut que le système d'évaluation permette à la demande naturelle d'évaluation de s'impliquer pleinement. Pour qu'elle soit efficace, il faut que l'évaluation puisse surmonter les réticences qu'elle rencontre du fait de ses enjeux et que lui soit assurée une réelle audience.

Ces différentes considérations doivent trouver des prolongements dans l'architecture institutionnelle de l'évaluation. Il faut tourner le dos aux formules qui, comme tel est le cas actuellement, placent l'évaluation en marge du processus de la décision publique, dans des instances trop technocratiques. Aujourd'hui le couple de l'évaluation est constitué par deux organes, l'un permanent, le Conseil national de l'évaluation, l'autre « ad hoc », les instances d'évaluation, qui sont tous deux des sortes d'aréopages de sages. Il manque un échelon où seraient représentés les demandeurs naturels d'évaluation, dont le Parlement. En outre, le système est aujourd'hui excessivement centralisé et le CNE est trop loin du coeur des politiques publiques. Il est souhaitable d'organiser l'évaluation en toile d'araignée afin que le système d'évaluation des politiques publiques puisse se déployer au plus près des centres de décisions et d'actions publiques et, qu'ainsi, l'évaluation puisse s'imposer comme une composante à part entière de la gestion publique.

Les recommandations institutionnelles du rapport découlent de ces réflexions. Le CNE disparaîtrait et ses fonctions seraient scindées en deux. Une Haute Autorité de l'Evaluation exercerait la mission de développement de l'évaluation entendue au sens de sa promotion, de l'exercice d'une surveillance de sa déontologie, et du recensement des travaux disponibles. Le rôle de pilotage de l'évaluation serait confié à des commissions de l'évaluation, dessinées pour épouser les grands domaines de l'action publique et permettant de traduire l'objectif d'une pleine implication des demandeurs d'évaluation. Ces commissions seraient pluralistes, indépendantes et transparentes. Elles ne réaliseraient pas elles-mêmes les évaluations, qui continueraient à être confiées à des instances d'évaluation respectant ces mêmes principes. En revanche, elles seraient chargées de déterminer le programme des évaluations dans le domaine de l'action publique couvert par chacune d'elles et exerceraient un suivi des travaux d'évaluation et de leurs suites. Elles seraient dotées des moyens financiers, administratifs et juridiques nécessaires à leurs missions.

Concluant, M. Joël Bourdin,président, rapporteur, a souligné que, levier de la réforme de l'Etat, l'évaluation des politiques publiques devait être dotée des caractéristiques idéales de l'Etat, et, ainsi, être démocratique et efficace, à défaut de quoi, elle continuerait à ne pas être.

M. Pierre André,rapporteur, a alors insisté sur les développements du rapport consacrés à des illustrations concrètes des problèmes rencontrés par l'évaluation. Evoquant un précédent rapport de la délégation sur les contrats de plan Etat-régions, il a rappelé qu'en cette occasion, déjà, il avait pu être regretté que l'évaluation de ces contrats se heurte trop souvent à une attitude non coopérative de l'exécutif, les régions, quant à elles, jouant le jeu de l'évaluation. Il a alors souligné la nécessité absolue de doter les évaluateurs des prérogatives nécessaires et de garantir l'indépendance des acteurs de l'évaluation.

Mentionnant son expérience de rapporteur du budget de la Ville, il a indiqué que l'évaluation qu'il avait entreprise du dispositif des zones franches urbaines (ZFU) avait été l'occasion de recenser nombre des écueils que doit contourner l'évaluation des politiques publiques. Le premier d'entre eux fut, à nouveau, le mauvais-vouloir du gouvernement, la délégation interministérielle à la ville ayant reçu l'instruction de ne pas répondre aux questions du rapporteur. Le second prit la forme de la réalisation, par l'Inspection générale des affaires sociales, d'une évaluation des ZFU, dont la finalité était, dès l'origine, de démontrer l'inutilité du dispositif des ZFU. Cette dernière initiative souligne que, dès qu'elle n'est pas entièrement indépendante et ouverte, l'évaluation encourt le risque d'être un instrument au service d'une volonté politique préexistante plutôt qu'un processus d'appréciation rigoureuse et impartiale d'une politique publique.

Il a enfin indiqué que, grâce à l'évaluation réalisée par le Sénat, le dispositif des ZFU avait non seulement été préservé, mais encore amélioré, en particulier sous l'angle précis de son accompagnement par un système d'évaluation permanent et pluraliste.

M. Pierre André,rapporteur, après s'être félicité que les recommandations du rapport prennent clairement parti pour que soit institutionnalisée une évaluation pluraliste, indépendante et efficace, a souhaité souligner qu'en dehors même du dispositif que les évaluateurs appellent de leurs voeux, il était nécessaire que le Parlement consacre beaucoup plus de temps et de moyens à l'évaluation des politiques publiques.

M. Jean-Pierre Plancade,rapporteur, ayant été empêché, M. Joël Bourdin, président, a indiqué en son nom que le rapporteur souhaitait particulièrement mettre en évidence deux aspects du rapport : l'accent mis par lui sur la dimension politique de l'évaluation ; les enjeux d'une meilleure distribution des capacités d'expertise sur les politiques publiques en France.

Sur le premier point, il est assez étonnant de devoir rappeler que l'évaluation des politiques publiques est un enjeu politique, puisque, ce dont il s'agit, relève précisément de politiques publiques. Toutefois, compte tenu des modes d'organisation de l'évaluation, la réputation d'une évaluation finalement assez technocratique s'est formée. Cela a pu nuire à l'intérêt porté à l'évaluation par les parlementaires et il est judicieux de montrer clairement que l'évaluation n'est technocratique que par son organisation. Cela dit, il faut aussi concilier l'affirmation que l'évaluation est politique avec le respect des principes essentiels d'indépendance et de pluralisme. Il faut, à cet effet, mettre en place les garanties nécessaires.

Sur le second point, chaque année, en votant la loi de finances, le Parlement permet le fonctionnement de services mettant en oeuvre des capacités d'expertise, qui sont presque exclusivement rattachés à la sphère du pouvoir exécutif. Une certaine dérive est intervenue. Si les textes définissant les compétences de ces services respectent le principe républicain selon lequel les administrations exercent des missions d'intérêt général, leur soumission au principe hiérarchique fait, qu'en pratique, ils sont, culturellement, considérés comme des moyens au service du seul ministre. Le point de vue du rapport selon lequel, puisque l'évaluation suppose l'accès à des données et à des savoir-faire monopolisés par l'exécutif, il faut créer les conditions d'un meilleur équilibre, est, par conséquent, entièrement justifié.

M. Gérard Bailly a surenchéri sur les propos des rapporteurs. Il a fait part de son expérience des évaluations réalisées en région, qui sont souvent peu conclusives faute de prendre en considération la demande d'évaluation des usagers et des responsables politiques locaux. Il a estimé que l'évaluation devait sortir d'une sorte de « trou noir » où elle est souvent aspirée, tournant à vide, au seul bénéfice d'un respect formel des procédures et des cabinets d'audit qui la mettent en oeuvre, plutôt mal que bien.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a alors mentionné qu'une partie importante du rapport était consacrée à exposer les voies et moyens pour traduire dans les faits la double nécessité du pluralisme et du professionnalisme de l'évaluation. Il a acquiescé pleinement à l'idée que l'évaluation devait être utile aux décideurs et qu'elle ne devait pas être pervertie en un simple fonds de commerce pour les cabinets d'étude. Il a relevé que le rapport proposait que la Haute Autorité de l'Evaluation puisse noter les évaluateurs.

M. Pierre André, rapporteur, a ajouté que l'évaluation rencontrait un certain succès auprès des collectivités territoriales, non seulement parce qu'elle est plus simple à mettre en oeuvre à ce niveau, mais encore parce que les responsables locaux lui accordent un réel intérêt. Ayant observé qu'une telle situation ne se vérifie pas souvent au niveau national, il a insisté sur l'intérêt des propositions du rapport relatives à la mise en place d'institutions permettant, à la demande d'évaluation, de s'exprimer pleinement.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a souligné que les progrès de l'évaluation seraient aussi tributaires d'une capacité à s'approprier une culture, répandue aux Etats-Unis, ainsi que l'a montré le rapport consacré par la délégation à l'information économique dans ce pays, mais peu développée en France.

La délégation, après avoir adopté le rapport relatif à l'évaluation des politiques publiques en France, a alors procédé à l'examen du rapport relatif aux incidences économiques d'une augmentation des dépenses de recherche.

Economie - Recherche - Incidences économiques d'une augmentation des dépenses de recherche - Examen du rapport d'information

La délégation a ensuite procédé à l'examen du rapport d'information de M. Joël Bourdin, président, sur les incidences économiques d'une augmentation des dépenses de recherche.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a tout d'abord rappelé que les chefs d'Etat et de Gouvernement avaient fixé, lors du Conseil européen de Barcelone en 2002, un objectif pour l'Union européenne : parvenir en 2010 à une dépense totale de recherche équivalente à 3 % du PIB, l'augmentation de cet effort devant être financée pour deux tiers par les entreprises et pour un tiers par le secteur public.

Il a souligné qu'aucune évaluation n'avait été menée à ce jour sur l'impact économique de cet objectif et que telle était la raison qui avait conduit le Service des Etudes économiques du Sénat à commander une simulation sur ce sujet. Cette étude a été réalisée par une équipe d'économistes de haut niveau de l'Ecole Centrale de Paris, à l'aide d'un modèle macroéconomique.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a ensuite évoqué quelques aspects méthodologiques de ces travaux. Leur finalité n'est pas de dire si l'augmentation des dépenses de recherche a un effet certain sur l'amélioration de la productivité et de la croissance, même si cette relation positive semble bénéficier d'un faisceau de présomptions aussi bien théoriques qu'empiriques.

En revanche, cette simulation permet de répondre aux deux questions suivantes : si l'on admet, à partir d'un certain nombre de travaux « solides », que les dépenses de recherche accélèrent le progrès technique, quel est l'ordre de grandeur des gains de croissance ou en emplois que l'on peut en espérer et quelles sont les politiques d'accompagnement qu'il faudrait mettre en place ?

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a ainsi considéré que ces travaux pouvaient constituer des outils d'aide à la réflexion, à un moment où la question de l'effort de recherche prend une place très importante dans le débat public et à un moment également où l'Europe s'interroge sur la meilleure stratégie économique dans une économie mondialisée.

Avant de présenter les résultats de cette simulation, M. Joël Bourdin a commenté un certain nombre d'indicateurs sur l'effort de recherche en Europe et en France et sur la position technologique, mesurée par le nombre de brevets.

Ces indicateurs mettent ainsi en avant le retard de l'Europe, et à un moindre degré, de la France, par rapport aux Etats-Unis et au Japon en matière d'effort de recherche, l'accentuation de ce retard au cours des dix dernières années et la faiblesse relative de la recherche privée.

Par ailleurs, la compétitivité technologique de la France, mesurée par le nombre de brevets, se dégrade dans tous les secteurs technologiques, sans aucune exception. Dans le même temps, l'Allemagne stabilise ou améliore légèrement sa position.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a ainsi estimé que l'objectif de Barcelone constituait certes un objectif pertinent, mais représentait aussi un défi très ambitieux, puisque l'Europe devra inverser une tendance très défavorable.

M. Joël Bourdin a ensuite présenté les principaux résultats de la simulation macroéconomique. Il a indiqué que ceux-ci dépendaient étroitement d'hypothèses préalables, en particulier sur les modalités de financement de l'augmentation de l'effort de recherche et qu'il était donc plus prudent de donner des fourchettes d'estimation :

- le taux de croissance du PIB à l'horizon 2030 serait supérieur de 0,4 à 0,6 point par an pour l'Europe, de 0,2 à 0,3 point pour la France ;

- l'emploi serait supérieur, en 2030, de 8 à 14 millions en Europe, d'1 million environ en France ;

- en France, 350 000 emplois environ seraient créés dans la recherche.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a ensuite apporté plusieurs commentaires :

- l'emploi ne progresserait pas aussi vite que le PIB, en raison de l'accélération de la productivité. Mais ceci est cohérent avec les perspectives de vieillissement démographique et de raréfaction de la main-d'oeuvre en Europe. Le supplément de croissance engendré par l'effort de recherche correspondrait ainsi au déficit de l'Europe en potentiel de croissance à long terme avec le vieillissement et le ralentissement de l'évolution de la population en âge de travailler. L'augmentation de l'effort de recherche serait donc de nature à permettre la progression du niveau de vie par habitant en Europe, malgré le vieillissement démographique ;

- la dynamique qui se met en place en Europe, grâce à l'augmentation des dépenses de recherche, telle qu'elle est décrite par le modèle, s'apparente, en bien des points, à la dynamique vertueuse de l'économie américaine depuis le début des années 90 : un choc de demande classique de type keynésien dans un premier temps, puis, à la fin du délai de maturation de la recherche, les effets de l'innovation se diffusent dans l'économie, à partir des secteurs à fort contenu technologique, et contribuent, par une augmentation de la demande, au soutien de l'activité des secteurs à fort contenu en emplois, comme les services aux particuliers ;

- atteindre l'objectif de Barcelone supposerait la création d'un nombre important d'emplois de chercheurs. Il faudrait ainsi que le système éducatif et universitaire français en forme 10 à 15 000 chaque année, ce qui, en l'état de ses moyens, de son efficience aussi, paraît très difficile ;

- avec une stratégie de développement fondée sur la recherche, l'innovation et la technologie, la structure de l'emploi va se transformer : hausse de l'emploi dans les secteurs de haute technologie et dans les services à la personne, mais baisse de l'emploi dans l'industrie manufacturière traditionnelle. Cette transformation suppose une politique de formation ambitieuse, pour éviter les risques de chômage, d'inadaptation et, finalement, de blocage du processus ;

- ces simulations montrent que l'investissement des entreprises dans la recherche leur rapporte peu au début, pendant la période de maturation de la recherche ; en revanche, cela les pénalise en termes de compétitivité. Il convient donc de renforcer les dispositifs de financement, de capital-risque, de protection des brevets, de manière à mieux encourager les entreprises dans cette période transitoire d'investissement dans la recherche ;

- parmi les modalités de financement de la recherche qui ont été testées dans ces simulations, celle qui fait le plus appel aux commandes publiques a les effets les plus favorables.

Dans les simulations, en effet, concentrer les commandes publiques sur quelques programmes et secteurs de haute technologie permet de dégager des gains de productivité élevés, qui se diffusent à l'ensemble de l'économie. Il a rappelé que les Etats-Unis et le Japon menaient ce type de stratégie, là où l'Europe considère que la croissance résulte de l'extension des marchés et de la pression concurrentielle.

M. Joël Bourdin, rapporteur, rapporteur, a enfin estimé que la nécessité d'atteindre des tailles critiques, de mutualiser les moyens, de coordonner les actions afin d'éviter les démarches concurrentes, justifiait un pilotage de la recherche au niveau européen.

Il a porté, à cet égard, un jugement réservé sur la politique européenne de recherche : d'abord, le budget communautaire de la recherche est trop modique pour que l'Union ait une véritable politique intégrée dans ce domaine ; par ailleurs, cette politique européenne de recherche reste principalement inspirée par un objectif de solidarité, au profit des pays les plus en retard, et non par un objectif de compétitivité.

M. André Bailly a rappelé que les indicateurs disponibles montraient que la position de la France en Europe en matière d'effort de recherche était plutôt favorable. Il a également considéré que, seul, un regroupement des moyens au niveau européen permettrait d'affronter la concurrence et d'éviter une déperdition des moyens.

M. Pierre André a estimé que les relations insuffisantes entre les universités françaises et les entreprises constituaient un obstacle au développement de la recherche. Il s'est interrogé, par ailleurs, sur les liens entre recherche, productivité et emploi, la recherche menée au sein des entreprises pouvant se traduire par une plus grande efficacité dans l'utilisation des facteurs de production et par des destructions d'emplois. Certes, dans un second temps, ces gains de productivité se diffusent dans l'économie, mais cela suppose des politiques d'accompagnement - politique de l'emploi et politique de formation notamment - adaptées.

La délégation a adopté le rapport relatif aux incidences économiques d'une augmentation des dépenses de recherche.