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DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR LA PLANIFICATION

Mardi 29 octobre 2002

- Présidence de M. Joël Bourdin, président.

Evaluation des politiques publiques et pacte de stabilité et de croissance - Audition de M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan

Sous la présidence de M. Joël Bourdin, président, la délégation a, tout d'abord, procédé à l'audition de M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, sur les perspectives du commissariat général du Plan, l'évaluation des politiques publiques et les questions posées par le pacte de stabilité et de croissance.

M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, a d'abord évoqué les perspectives de travail du commissariat général du Plan en expliquant que, faute de nouvelle lettre de mission transmise à lui par le nouveau Premier ministre, il s'attachait à remplir les missions fixées par le précédent, à savoir l'animation de l'analyse stratégique et prospective, celle de la concertation socioprofessionnelle et la programmation et l'évaluation des politiques publiques. Il a indiqué que les travaux en cours se poursuivaient donc, mais que cette situation n'était pas optimale, le rôle du commissariat général du Plan n'étant pas d'être un organisme de réflexion économique parmi d'autres, mais de travailler sur des sujets fortement articulés avec les orientations gouvernementales.

Il a considéré que cette situation serait probablement transitoire compte tenu de la volonté exprimée par le Premier ministre de renforcer la capacité de réflexion d'un Etat stratège, fonction à laquelle le commissariat général du Plan est naturellement appelé à contribuer.

A ce sujet, il a précisé que les méthodes de travail du commissariat général du Plan étaient utilisées dans tous les pays développés pour préparer les réformes structurelles, qu'elles soient mobilisées par des organismes permanents ou par des organismes ad hoc.

Puis, M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, a évoqué le développement des procédures d'évaluation des politiques publiques animées par le commissariat général du Plan. Il a indiqué que, et la procédure d'évaluation interministérielle, et la procédure d'évaluation des contrats de plan Etat-régions, connaissaient un essor satisfaisant. Il a toutefois estimé que des efforts importants devaient encore être entrepris, d'abord pour mieux placer l'évaluation en phase avec les prescriptions de la nouvelle loi organique sur les lois de finances, même si l'évaluation des politiques publiques est spécifique et ne se confond pas avec le contrôle de gestion nécessaire à l'application de la loi organique.

Puis il a mentionné la nécessité de poursuivre la montée en régime des évaluations vers des processus moins artisanaux, notamment en dégageant des moyens suffisants et en assurant la formation à l'évaluation.

Enfin, il a jugé souhaitable que soit assurée une meilleure prise en compte des suites des évaluations, considérant qu'il convenait de mieux vérifier la mise en oeuvre des recommandations et de mieux populariser la démarche évaluative en lui conférant une plus grande lisibilité auprès du public et des décideurs.

Enfin, M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, a abordé les questions posées par le pacte de stabilité et de croissance. Ayant observé que le principe d'une discipline budgétaire avait été reconnu dès le début du processus d'union monétaire, sous une forme parfois très exigeante comme dans le rapport Delors de 1989, il a relevé qu'il existait un consensus sur la nécessité de concilier en la matière l'autonomie, la coordination et la discipline, les débats portant, en réalité, sur le degré souhaitable de chacun de ces principes. Il a estimé que si ce consensus lui apparaissait raisonnable, il n'allait pourtant pas de soi de polariser la surveillance multilatérale sur les dettes publiques, puisque les dettes privées ont un impact analogue sur les conditions monétaires. Il a, toutefois, sur ce point, fait valoir que les disciplines de marché étaient plus efficaces pour contenir les dettes privées que les dettes publiques.

Rappelant que l'autonomie des politiques budgétaires nationales était notamment justifiée par l'éventualité de la survenance de chocs asymétriques, il a rappelé que le principe d'une coordination était, quant à lui, théoriquement fondé sur la supériorité d'une définition collective de l'optimum sur une définition décentralisée.

Il a alors estimé que, malgré ce consensus, le besoin de clarification apparu ces derniers temps était réel et, citant le rapport Quermonne élaboré au commissariat général du Plan en 1999, il a précisé quels étaient, selon lui, les termes du problème. Sur ce point, il a souligné que si la régulation par des règles, à laquelle obéissent les mécanismes du pacte, pouvait se justifier dans la phase préalable à l'union monétaire, il convenait aujourd'hui de lui substituer une régulation plus discrétionnaire. Estimant qu'une simple réforme du contenu du pacte ne suffisait pas, il a cependant fait observer que l'adoption d'un pilotage plus discrétionnaire des politiques budgétaires en Europe se heurtait à l'inexistence d'une autorité jugée légitime pour le conduire.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Serge Lepeltier, soulignant l'anomalie constituée par l'absence de nouvelle lettre de mission adressée au commissariat général du Plan, s'est interrogé sur le lien entre cette carence et l'ancrage, peut-être trop exclusif, du Plan sur l'exécutif. Il s'est, en outre, demandé si le commissariat général du Plan ne pourrait pas contribuer davantage à évaluer les problèmes de gestion rencontrés par les collectivités locales et, enfin, si la règle du déficit nul, posée par le pacte de stabilité et de croissance, n'était pas d'autant plus critiquable qu'elle s'accompagnait d'une absence de clarté de la politique monétaire de la Banque centrale européenne.

En réponse, M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, ayant d'abord insisté sur la nécessité pour l'Etat de disposer d'un organisme de préparation des réformes structurelles, a indiqué que, dans des pays développés de traditions institutionnelles différentes, comme la Belgique ou les Etats-Unis, il arrivait qu'un tel organisme soit plus ou moins commun à l'exécutif et au législatif. Observant qu'en France cette tradition n'était pas établie, il a toutefois estimé qu'il serait souhaitable que le Parlement soit mieux outillé en matière d'expertise économique et sociale et précisé, qu'à défaut de saisine directe du commissariat général du Plan, le Parlement avait toujours la possibilité de réclamer sa collaboration auprès du Premier ministre.

M. Marcel Lesbros ayant salué la qualité des travaux du commissariat général du Plan et souhaité qu'il contribue davantage à la mission du Parlement, le commissaire au Plan a complété sa réponse aux questions de M. Serge Lepeltier en faisant valoir que l'absence de spécialistes en gestion dans les équipes du Plan s'opposait à ce que celui-ci assure une mission de conseil en ce domaine.

Ayant jugé que, sans être incongrue, la règle de l'équilibre budgétaire était sans doute trop mécanique, il a souligné les difficultés de conception d'une politique monétaire européenne face à l'hétérogénéité des situations nationales, en illustrant ses propos par le constat de la coexistence actuelle, en Europe, de situations inflationnistes et, dans le cas de l'Allemagne, quasi-déflationnistes.

Mme Evelyne Didier, après avoir observé que l'un des obstacles à la popularisation des débats portant sur les politiques publiques tenait à l'absence d'intérêt des médias pour ces sujets, a plaidé pour que, dans l'approche de la politique budgétaire, l'Europe s'attache à mieux soutenir la croissance.

M. Joël Bourdin, président, s'étant demandé si une publication plus systématique des recommandations faites au Premier ministre par le commissaire au Plan, à la suite des travaux d'évaluation, ne serait pas souhaitable, le commissaire au Plan a reconnu que ce point pouvait être débattu mais qu'il fallait préserver la capacité du politique à faire ses propres choix.

Enfin, M. Joël Bourdin, président, s'étant fait l'écho des critiques portant sur la qualité de l'outil statistique français et ayant souhaité recueillir le sentiment du commissaire au Plan sur le fonctionnement du Conseil national de l'information statistique (CNIS), celui-ci a d'abord témoigné des améliorations récentes apportées au fonctionnement du CNIS puis, ayant observé qu'il arrivait au commissariat général du Plan de rencontrer des problèmes d'accès à des données fiables, il a jugé que l'appareil statistique devait probablement s'efforcer de mieux suivre les évolutions de la demande sociale.

Economie - Déterminants de l'investissement - Examen du rapport d'information

M. Joseph Kerguéris, rapporteur, a, en guise de remarque liminaire, rappelé que la vocation de la délégation pour la Planification était d'envisager des problématiques de long terme, trop souvent occultées par des préoccupations conjoncturelles. L'analyse de l'investissement des entreprises françaises s'inscrit dans ce projet. En effet, au-delà des variations conjoncturelles de l'investissement, on observe une faiblesse persistante de l'investissement productif en France depuis une dizaine d'années. Ainsi, le taux d'investissement des entreprises françaises a été sensiblement plus faible dans les années 1990 qu'il ne l'était dans les années 1970 ou 1980. Cette situation pose problème en raison des liens étroits qui unissent croissance et investissement. Une progression insuffisante de l'investissement bride le potentiel de croissance de l'économie française.

On pourrait craindre que les entreprises françaises privilégient l'investissement étranger de préférence à l'investissement sur notre territoire. Il est vrai que les entreprises françaises investissent beaucoup à l'étranger ; mais on observe que, sur longue période, les flux d'investissement entrants et sortants sont presque équilibrés.

La faiblesse de l'investissement productif dans notre pays s'explique plutôt par le retard français en matière d'investissement en nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC).

Puis M. Joseph Kerguéris, rapporteur, a indiqué que l'analyse économique distinguait quatre grands déterminants de l'investissement. Il s'agit, en premier lieu, de la demande anticipée : les entreprises adaptent leur outil de production pour répondre à l'augmentation de la demande qui leur est adressée. Il s'agit, en second lieu, du coût des facteurs de production ; la baisse des taux d'intérêt réels ces dernières années a permis d'alléger le coût du capital. Il s'agit, ensuite, de la profitabilité, qui mesure le différentiel entre le rendement d'un investissement et son coût. Enfin, l'investissement est déterminé par la capacité des entreprises à trouver les financements nécessaires à la réalisation de leurs projets. De ce point de vue, les petites et moyennes entreprises (PME) sont placées dans une position bien plus défavorable que les grandes entreprises. Leur accès au crédit bancaire est souvent restreint en raison de la faiblesse des garanties qu'elles peuvent offrir à leurs créanciers.

M. Joseph Kerguéris, rapporteur, a ensuite abordé les problématiques de politique économique. Les pouvoirs publics disposent de plusieurs instruments pour agir sur l'investissement : politique des revenus, politique budgétaire, politique monétaire et politiques structurelles. La politique des revenus permet d'agir sur le partage de la valeur ajoutée. Le partage de la valeur ajoutée doit garantir une rémunération convenable du capital. Une progression des salaires plus rapide que les gains de productivité réduit les marges des entreprises, et rend plus difficile le financement des investissements. Une reprise de l'investissement dans les années à venir suppose donc une progression modérée des salaires.

Dans le domaine budgétaire, il convient d'agir sur la fiscalité, et sur la dépense publique. Des comparaisons internationales, réalisées par la Commission européenne, suggèrent que l'imposition supportée par un investissement réalisé en France serait supérieure d'environ six points à la moyenne européenne. Les pays qui connaissent un investissement dynamique en Europe (Royaume-Uni, Irlande) sont ceux où la fiscalité des entreprises est modérée. Une diminution de la fiscalité des entreprises, permettant de se rapprocher de la moyenne européenne, encouragerait l'investissement sur notre territoire.

Différentes études indiquent que l'efficacité des mesures fiscales temporaires est modeste : elles ont pour effet principal d'avancer dans le temps des projets d'investissement, qui auraient, de toute façon, été menés à bien. On leur préférera donc des mesures d'allègement fiscal plus pérennes. Ainsi, le crédit d'impôt-recherche, en vigueur depuis une vingtaine d'années, a contribué à soutenir l'effort d'investissement en recherche et développement des petites et moyennes entreprises. Cela dit, des aménagements pourraient être apportés à ce dispositif pour en améliorer l'efficacité.

En matière de dépense publique, M. Joseph Kerguéris, rapporteur, a indiqué souhaiter que les stratégies de réduction des déficits publics portent prioritairement sur les dépenses de fonctionnement, et non sur l'investissement public, qui est souvent complémentaire de l'investissement privé. Il a cité le rôle positif, notamment, de l'investissement public en infrastructures, et de l'investissement public en recherche.

La politique monétaire exerce un effet sur l'investissement via les variations des taux d'intérêts. M. Joseph Kerguéris, rapporteur, a rappelé que la politique monétaire relevait aujourd'hui de la Banque centrale européenne. Mais les autorités françaises peuvent encourager une nouvelle baisse des taux d'intérêt par une politique de réduction des déficits publics.

Les pouvoirs publics peuvent également agir, par la réglementation, sur le fonctionnement des marchés. Afin de faciliter l'accès des PME au crédit, l'Etat s'est doté d'un instrument d'intervention, la Banque de développement des petites et moyennes entreprises, qui propose des prêts venant compléter ceux obtenus auprès du système bancaire classique. Par ailleurs, une concurrence plus grande sur les marchés de biens et services est de nature à encourager l'investissement des entreprises. En effet, si les marchés sont fortement concurrentiels, les entreprises doivent veiller à investir en permanence pour lancer de nouveaux produits, ou pour améliorer leur productivité. Le marché du travail influence également les conditions de l'investissement des entreprises. Un marché du travail rigide, avec des procédures de licenciement complexes et coûteuses, comme c'est le cas en France, rend difficile le désinvestissement, c'est-à-dire la réduction des capacités de production. Les entreprises hésitent à investir si elles considèrent que leurs investissements sont difficilement réversibles.

M. Joseph Kerguéris, rapporteur, a enfin conclu son intervention en évoquant les phénomènes de surinvestissement, citant le cas du secteur des télécommunications. Il a indiqué que son rapport ouvrait des pistes de réflexion pour un meilleur suivi, et une meilleure prise en compte, de ces phénomènes par les autorités monétaires et de contrôle bancaire.

M. Joël Bourdin, président, a remercié M. Joseph Kerguéris, rapporteur, pour la clarté de son exposé. Il a rappelé la controverse doctrinale qui oppose de longue date économistes classiques et keynésiens sur le thème de l'investissement, les premiers mettant en valeur le rôle du coût des facteurs de production, les seconds insistant sur le rôle de la demande. Il a approuvé les observations du rapporteur relatives à l'importance des investissements en recherche et développement. Il a souligné les conséquences sur l'emploi de l'effet de substitution entre capital et travail, et a demandé quelles étaient les données disponibles en la matière.

M. Joseph Kerguéris, rapporteur, a indiqué que diverses études économétriques mettaient en évidence un effet de substitution entre capital et travail, différencié toutefois selon les secteurs. Il semble cependant que les variations de l'emploi et de l'investissement soient surtout sensibles aux variations de la demande adressée aux entreprises, et donc aux variations de leur production. L'effet de substitution apporte un tempérament à cette relation causale dominante.

M. Joël Bourdin, président, a insisté sur les conséquences négatives, pour l'investissement, de la récente baisse des cours boursiers. Elle rend, en effet, plus difficile le financement de l'investissement des entreprises.

Après cette remarque conclusive, la délégation adécidé d'adopter le rapport relatif aux déterminants de l'investissement.