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DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR LA PLANIFICATION

Mardi 11 mai 1999

- Présidence de M. Joël Bourdin, président.

Instruments économiques et fiscaux visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre - Examen du rapport d'information

La délégation a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Serge Lepeltier sur les instruments économiques et fiscaux visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre.

Dans son exposé liminaire, M. Serge Lepeltier,rapporteur, a tout d'abord souligné que la France s'était engagée, lors des sommets de Rio (1992) et de Kyoto (1997), à maîtriser ses émissions de gaz à effet de serre, mais avait pris, à ce jour, peu de mesures à cet effet.

Il a rappelé l'état des connaissances scientifiques, selon lesquelles l'accumulation des émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère avait accru les températures moyennes de la planète de 0,3 à 0,6 ° C depuis un siècle, et se traduirait par un réchauffement supplémentaire de 1 à 3,5 ° C d'ici l'an 2100. Il a souligné que ce phénomène était d'une ampleur et d'une rapidité telles qu'il ne permettait pas aux écosystèmes de s'adapter. Il a ajouté que ce changement climatique s'accompagnerait aussi d'une élévation du niveau de la mer de 50 cm d'ici un siècle, ainsi que d'une augmentation de la fréquence et de l'intensité des catastrophes climatiques (tempêtes, cyclones, sécheresses), avec des conséquences particulièrement dommageables pour les pays en développement, qui sont plus vulnérables et plus dépendants du climat. Il a précisé que le changement climatique se traduirait a priori pour la France par une détempérisation du climat, qui serait plus chaud et plus sec en été, et plus humide au printemps, mais qu'il existait aussi un risque d'affaiblissement du Gulf Stream, entraînant, à l'inverse, un retour de la France aux températures de la dernière glaciation. Au total, il a souligné que le principe de précaution nous invitait à agir dès aujourd'hui pour mitiger le changement climatique.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a ensuite indiqué que la théorie économique n'offrait aucun instrument miracle pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Il a exposé les avantages des écotaxes, parmi lesquels la simplicité et l'efficience économique, même si leur efficacité écologique était incertaine. Il a ajouté que la mise en oeuvre d'une écotaxe était difficile à coordonner à l'échelle internationale, tout en pénalisant la compétitivité d'un pays qui l'instaurerait unilatéralement. Il a donc regretté que les États-Unis aient refusé une taxation coordonnée des émissions de CO2 ; puis il a préconisé de limiter le recours à la taxation aux activités abritées de la concurrence internationale (bâtiment, transports intérieurs) et aux émissions de CO2 diffuses. Enfin, il a précisé que la mise en oeuvre d'une écotaxe, compensée par des allégements de charges sociales, pourrait présenter un double dividende - c'est-à-dire simultanément la baisse des émissions polluantes et la hausse de l'emploi -, mais que cette mesure risquait aussi de produire un choc inflationniste, de sorte que le résultat était très incertain.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a ensuite rappelé que le protocole de Kyoto s'était conclu par un accord, non pas sur le principe d'une taxe, mais sur celui de quotas d'émissions pour six gaz à effet de serre à partir de 2008, pour les pays industrialisés, ainsi que sur la possibilité d'échanger ces quotas. Il a indiqué que ces échanges favoriseraient la bonne allocation des ressources à l'échelle mondiale, mais que leur fonctionnement soulevait des problèmes de contrôle et de sanction. Il a précisé que la France avait pris position contre les échanges de permis pour des raisons éthiques légitimes, mais que la France et l'Europe seraient les premiers bénéficiaires des échanges de permis. Il a donc préconisé davantage d'ouverture vis-à-vis des échanges de permis, et il a indiqué que l'Union européenne aurait intérêt à mettre en place, dès avant 2008, son propre système de marché de permis, ouvert aux entreprises qui émettent beaucoup de CO2 et qui sont exposées à la concurrence internationale, afin que l'Union et ses entreprises bénéficient d'une expérience avantageuse.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a ensuite exposé certaines de ses préconisations pour les politiques françaises de lutte contre l'effet de serre : continuer à défendre le principe d'une écotaxe, mais ne plus s'opposer aux marchés de permis ; réduire les distorsions fiscales et réglementaires en faveur du charbon et au détriment de l'hydroélectricité ; rééquilibrer la fiscalité des carburants ; promouvoir la filière bois ; mieux contrôler la réglementation relative à l'isolation des logements ; simplifier et renforcer les normes relatives aux bâtiments tertiaires ; prendre en compte les émissions de gaz à effet de serre dans l'ensemble des choix publics ; développer la cogénération ; mieux gérer l'éclairage public ; et, au total, revenir à la notion d'économie d'énergie.

En conclusion, M. Serge Lepeltier, rapporteur, a précisé qu'il n'avait pas souhaité rentrer dans le débat relatif au nucléaire, mais que l'avenir du nucléaire et la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre étaient étroitement liés, la sobriété de la France en matière d'émissions de CO2 s'expliquant notamment par l'importance de son parc électronucléaire.

Un large débat s'est ensuite ouvert.

M. Jean-Pierre Plancade, vice-président, a tout d'abord félicité le rapporteur pour avoir bien traduit l'urgence et l'importance du changement climatique. Il s'est ensuite inquiété de ce que des politiques de maîtrise des émissions inadaptées n'exercent un effet défavorable sur la croissance économique. Il s'est interrogé sur les marges de manoeuvre de la France et de l'Union européenne, et sur l'opportunité de mettre en oeuvre une écotaxe de manière unilatérale.

En réponse, M. Serge Lepeltier, rapporteur, a précisé qu'une écotaxe ne devrait concerner que le secteur protégé ou être coordonnée à l'échelle internationale. Il a ajouté que la France et l'Union européenne devaient s'efforcer de lutter contre le changement climatique au moindre coût, tout en donnant des signes tangibles de leur volonté de maîtriser leurs émissions de gaz à effet de serre, afin d'infléchir les choix de long terme des pays en développement, en particulier la Chine et l'Inde, dont les choix énergétiques de long terme conditionnent l'évolution des émissions mondiales de CO2.

M. Alain Vasselle a souligné l'interdépendance des risques en matière d'environnement. Il a notamment cité l'exemple de l'incinération des déchets, qui contribue à la maîtrise des émissions de CO2, mais entraîne des rejets de dioxine. Il s'est ensuite interrogé sur le bilan écologique des carburants agricoles, d'une part ; sur la pertinence relative, au regard de l'effet de serre, de l'incinération des déchets et de leur enfouissement, d'autre part.

En réponse, M. Serge Lepeltier, rapporteur, a précisé que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques présenterait prochainement un rapport sur les différentes filières de traitement des déchets.

Enfin, M. Joël Bourdin, président, a interrogé M. Serge Lepeltier sur les méthodes d'estimation des dommages liés au changement climatique, sur l'assiette d'une éventuelle écotaxe et sur les enchaînements macro-économiques induits par l'instauration d'une écotaxe.

En réponse, M. Serge Lepeltier, rapporteur, a tout d'abord précisé que les estimations du coût du changement climatique procédaient de l'agrégation de coûts microéconométriques (comme les dégâts des tempêtes), qui étaient parfois très difficiles à évaluer en raison des incertitudes scientifiques, ou de problèmes éthiques (par exemple pour les pertes de vies humaines ou les atteintes irréversibles à la biodiversité). S'agissant de l'assiette d'une écotaxe, il a indiqué qu'il s'agissait là d'un débat sensible à l'échelle de l'Union européenne, la Commission européenne ayant notamment proposé, non pas une taxe assise sur les émissions de CO2, mais une taxe mixte CO2/énergie, afin de ne pas trop avantager l'électricité nucléaire et, par là même, la France. Il a ajouté que l'idée d'une écotaxe séduisait en raison du double dividende qui en était souvent attendu, mais que ce double dividende était très aléatoire, de sorte qu'il convenait de fonder une écotaxe non pas sur d'hypothétiques effets favorables pour l'emploi, mais sur le principe pollueur/payeur et sur la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre.

La délégation a alors adopté le rapport d'information présenté par M. Serge Lepeltier sur les instruments économiques et fiscaux visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre.