MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE DE DRESSER LE BILAN DE LA DECENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMELIORATIONS DE NATURE A FACILITER L'EXERCICE DES COMPETENCES LOCALES
Table des matières
Mercredi 24 mars 1999
- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président. -
Audition de Mme Martine Buron, vice-présidente de l'Association des petites villes de France (APVF), de M. Claude Haut, membre du Bureau, et de M. Adrien Zeller, vice-président
La mission commune d'information a tout d'abord procédé à l'audition de Mme Martine Buron, vice-présidente de l'Association des petites villes de France (AFVF) et de M. Claude Haut, membre du bureau, puis de M. Adrien Zeller, vice-président de cette association.
Mme Martine Buron a présenté l'association des petites villes de France (APVF), qui, regroupant les villes de 3.000 à 20.000 habitants, représente l'échelon public le plus proche des citoyens. Elle a jugé que les petites villes offraient l'accès à leurs services et équipements non seulement à leurs résidents, mais aussi à la population environnante, ce qui occasionnait pour elles une charge supplémentaire dite de " centralité ".
Mme Martine Buron a fait part de l'attachement que l'APVF porte au principe d'un aménagement équilibré du territoire, qu'il s'agisse du maillage des territoires ruraux par les villes ou de la répartition des services dans les grandes agglomérations. Elle a considéré que l'APVF s'inscrivait en faux tant contre la désertification que contre une métropolisation excessive.
Evoquant le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, elle s'est déclarée attentive aux schémas de services collectifs qui consacrent, à son sens, une reconnaissance de la présence des services publics dans les petites villes. Elle a évoqué les dispositions de ce projet de loi relatives à la contractualisation entre collectivités et particulièrement entre les régions et les petites villes.
Mme Martine Buron a jugé que le développement de l'intercommunalité, dans le cadre de la discussion actuelle au Sénat du projet de loi sur le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale, permettait d'aborder la question des " charges de centralité ". Elle a considéré que la France avait eu, de longue date, une démarche volontariste en matière d'intercommunalité, qui devait être poursuivie.
Elle a estimé que la nécessaire polyvalence de fonctions assumées par les petites villes les rendait particulièrement attentives à la notion de " chef de file " du projet de loi sur l'aménagement du territoire, pour organiser les actions communes aux différents niveaux de collectivité, au lieu d'une clarification, par blocs, de la répartition des compétences. Jugeant toutefois nécessaire une évolution de la répartition de ces compétences, Mme Martine Buron a illustré son propos de deux exemples :
- alors que la compétence en matière d'action sociale est dévolue au département, le projet de loi sur la coopération intercommunale propose une intervention en la matière des communautés d'agglomérations ; cette compétence pourrait également être partagée par les petites villes et les pays ;
- pour l'application des normes environnementales et sanitaires, la compétence des communes en la matière est, pour les plus petites d'entre elles, peu cohérente avec leur manque de moyens humains, techniques et financiers, et constitue un facteur d'insécurité juridique.
Mme Martine Buron a ensuite abordé le sujet du statut de la fonction publique territoriale. Souhaitant que les principes régissant la fonction publique territoriale ne soient pas mis en cause, elle a considéré que leur application à des employeurs tels que les petites villes conduisait souvent à des difficultés de gestion du personnel. En matière de recrutement, elle a évoqué les problèmes posés dans les filières sociales et culturelles, ainsi que la difficulté des collectivités pour créer des postes à horaires réduits ou variables. Jugeant que les petites communes étaient souvent appelées à former les jeunes fonctionnaires territoriaux, elle a souhaité qu'une durée minimale d'emploi dans la collectivité de première affectation leur soit imposée. Elle a enfin évoqué les problèmes posés, pour la gestion des carrières, par le système des quotas d'avancement, qui créent des blocages, dans les petites villes, à la promotion des agents.
Mme Martine Buron a également évoqué le problème de la formation des élus et de leur statut.
En matière de finances locales, Mme Martine Buron a jugé indispensable une meilleure stabilité des ressources des collectivités locales et une sécurité accrue quant à leur évolution. Elle a considéré, à titre personnel, que la spécialisation de l'imposition locale pour chaque niveau de collectivité n'était pas un corollaire indispensable à leur autonomie. Evoquant l'exemple danois, elle a estimé que les ressources des collectivités pouvaient, à condition d'être déterminées de façon claire et concertée, provenir, pour l'essentiel, de l'Etat, sans que l'autonomie des collectivités dans l'utilisation de ces deniers ne soit remise en cause. Elle a, par ailleurs, jugé indispensable la mise en oeuvre rapide de la révision des valeurs cadastrales servant d'assiette à la taxe d'habitation.
Mme Martine Buron a considéré qu'une meilleure concertation entre l'Etat et les collectivités locales était nécessaire. En particulier, elle a jugé que les collectivités territoriales devraient être systématiquement consultées, voire associées, à la préparation des textes législatifs et réglementaires ayant un impact financier ou juridique sur la gestion locale. Elle a considéré l'exemple autrichien comme particulièrement intéressant à cet égard, et évoqué la disproportion de moyens entre les associations d'élus françaises et certaines de leurs voisines mieux dotées en la matière, comme au Royaume-Uni.
Mme Martine Buron a condamné l'inflation législative actuelle, ainsi que la multiplication des outils juridiques de contractualisation entre les collectivités. Elle a souhaité une plus grande homogénéité, sur le territoire, de l'application du contrôle de légalité et du contrôle financier de l'Etat sur les collectivités. A cet égard, elle a souhaité accroître la concertation entre, d'une part, ces collectivités, et, d'autre part, les services préfectoraux, les chambres régionales des comptes et les tribunaux administratifs en vue d'une aide à la décision pour les élus locaux, à condition d'un renforcement de leurs moyens humains. Elle a condamné le recours croissant au droit pénal en matière de gestion locale, qui entraîne une confusion entre les responsabilités politique, civile et pénale des élus.
M. Claude Haut, membre du bureau de l'APVF, a souligné l'intérêt que portent les petites communes à l'intercommunalité, qui leur permet de travailler ensemble sur des projets d'aménagement rural ou urbain. Il a regretté que le projet de loi du Gouvernement propose des seuils, en termes de population, ne permettant pas de prise en compte des petites villes. Jugeant que les communes-centre de 3.000 à 20.000 habitants supportent d'importantes " charges de centralité ", il a souhaité que leur soit allouée une aide financière plus importante que ne le prévoit le projet de loi du Gouvernement.
Répondant à une question de M. Jean-Paul Delevoye, président, Mme Martine Buron a indiqué qu'elle souhaitait, plutôt qu'une clarification des compétences entre les différents niveaux des collectivités, leur meilleure articulation, jugeant que, si la spécialisation des compétences pouvait être adaptée aux collectivités territoriales plus éloignées des citoyens, il n'était pas opportun d'exclure les petites communes de tel ou tel domaine d'intervention.
Répondant à M. Jean-Paul Delevoye, président, sur l'éventualité d'un transfert de compétences en matière de police, Mme Martine Buron a considéré que le maire d'une petite ville ne pouvait assumer les risques -dont la réalisation se concrétise par une mise en cause de sa responsabilité- liés à des incidents tels que le dysfonctionnement d'un abattoir ou d'une station d'épuration.
Un échange de vues s'est alors instauré entre M. Jean-Paul Delevoye, président, Mme Martine Buron et M. Claude Haut sur l'autonomie fiscale des collectivités et les dotations budgétaires de l'Etat à ces collectivités.
M. Jean-Paul Delevoye, président, a estimé que, depuis les lois de décentralisation, un transfert de charges s'était opéré, de l'Etat aux collectivités, au détriment de ces dernières.
Mme Martine Buron a considéré que, malgré l'expérience, parfois décevante, des collectivités territoriales françaises en la matière, les exemples étrangers montraient qu'il était possible d'instaurer, par la loi, voire par une inscription dans la constitution, de meilleures règles pour la définition des dotations de l'Etat aux collectivités.
M. Paul Girod a évoqué la récente réforme de l'assiette de la taxe professionnelle, tendant à en faire disparaître la part salariale. Il a regretté que la compensation prévue, dans le cadre de la loi de finances, par l'Etat, ne permette pas de tenir compte de l'incidence de futures créations d'entreprises. Il a jugé lourde la procédure de constitution des pays prévue par le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.
Evoquant des exemples de constitution de pays, Mme Martine Buron a souhaité que la loi conserve une certaine souplesse, afin de tenir compte de la diversité des territoires concernés. M. Claude Haut a corroboré ce point de vue.
M. Adrien Zeller, vice-président de l'APVF, a indiqué que les régions étaient désormais capables d'assurer certaines missions mal exercées par l'État, par exemple les politiques en direction des PME et PMI, de l'environnement, du patrimoine ou du tourisme. Il a estimé que les collectivités locales étaient en mesure de rendre un service de meilleure qualité que l'Etat, à coût identique, et qu'il était nécessaire d'éviter les " doublons ". Constatant que l'Etat sollicitait constamment le financement de ses compétences par la région, il a considéré qu'un nouveau transfert de compétences permettrait un meilleur usage des fonds publics, puisque les collectivités agissaient sous le double contrôle de légalité et financier.
Puis il a fait part des inquiétudes des petites villes, confrontées au développement des métropoles, à la tertiairisation de l'économie et à l'exigence de rationalisation des services publics, citant l'exemple de la suppression par l'Etat de postes de policiers nationaux, sans concertation avec les collectivités concernées.
M. Adrien Zeller a estimé que de nombreuses politiques, comme celles de l'emploi et de la formation, seraient pertinentes au niveau du " pays ". Il a souhaité que le rôle de centralité des petites villes soit mieux reconnu et que les régions, lors de la négociation et de la signature des contrats de plan avec l'Etat, prennent davantage en compte le rôle des villes " relais ".
Il a préconisé une clarification de la répartition des compétences, qui admette l'existence de compétences variables d'une région à l'autre, au lieu d'un modèle uniforme. Il a observé que deux voies étaient envisageables, une répartition des compétences à géométrie variable, ou le développement des délégations de compétences, la seconde solution permettant à la région, demeurant compétente en matière de soutien aux entreprises, de déléguer cette compétence au département.
Il s'est prononcé en faveur de la délégation de compétences à titre expérimental, à l'image du secteur des transports ferroviaires, à condition que la démarche s'appuie sur un contrat et prévoie l'évaluation en cours de réalisation et un bilan.
S'agissant du débat sur l'autonomie des collectivités locales, M. Adrien Zeller a affirmé que l'augmentation des dotations de l'Etat au détriment de la fiscalité directe locale ne signifiait pas une perte d'autonomie pour les collectivités, comme le montraient les nombreux exemples européens, à la condition que les dotations tiennent compte des charges imposées aux collectivités par l'Etat. Pour répondre à cette condition, a-t-il indiqué, il conviendrait que la dotation globale de fonctionnement soit indexée sur l'évolution de la masse salariale des collectivités locales, en incluant les effets du glissement vieillesse technicité (GVT), selon le principe " qui décide paie ", puisque les rémunérations dans la fonction publique territoriale dépendent de décisions de l'Etat s'imposant aux employeurs territoriaux, et que les rémunérations représentent 45 % des dépenses des communes.
En conclusion, M. Jean-Paul Delevoye, président, s'est félicité qu'ait été posée la question de la répartition des compétences, à géométrie variable ou déléguées, et a pris acte des points de vue exprimés sur le débat opposant fiscalité locale et dotations de l'Etat.
Audition de M. Frédéric Néraud, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des maires ruraux
La mission d'information a ensuite procédé à l'audition de M. Frédéric Néraud, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des maires ruraux.
En préambule, M. Jean-Paul Delevoye, président, a souhaité que M. Frédéric Néraud présente à la mission sa lecture des lois de décentralisation et de leur application.
M. Frédéric Néraud a indiqué qu'il partageait le sentiment général et qu'il considérait que la décentralisation était une réussite incontestable. Il a distingué trois acquis majeurs de la décentralisation : une contribution essentielle des collectivités à l'équipement du pays et à l'amélioration du cadre de vie, une meilleure efficacité des politiques publiques grâce à l'atout de la proximité, une gestion des finances locales globalement très sage.
Il a reconnu toutefois que la décentralisation était limitée par certaines faiblesses et par des facteurs de blocages. Ainsi, la décentralisation est restée aux yeux de nombreux citoyens une réforme technocratique et complexe : ils ne savent toujours pas exactement qui fait quoi. D'autre part, l'abondance et la sévérité des normes applicables, élaborées sans concertation et sans prendre en compte les contraintes financières des communes conduit, selon lui, à une recentralisation insidieuse.
M. Frédéric Néraud a également fait remarquer que les transferts de charges s'étaient poursuivis depuis 1982 sans être compensés par le transfert de ressources correspondantes, en contradiction avec l'esprit et la lettre des lois de décentralisation. Il a noté que les disparités de développement entre les collectivités s'étaient aggravées durant les dix dernières années en raison de l'insuffisance du rôle péréquateur de l'Etat.
Enfin, M. Frédéric Néraud a regretté que la réforme des finances locales qui aurait dû logiquement accompagner la décentralisation ne soit pas intervenue et il a dénoncé l'accroissement de la pression fiscale locale dont la responsabilité ne doit pas incomber entièrement aux collectivités locales.
M. Frédéric Néraud a déclaré que la décentralisation, facteur de démocratie et d'efficacité, devait être relancée. Dans une France entièrement décentralisée, l'Etat pourrait recentrer son action sur certaines missions stratégiques : aménagement du territoire, arbitrage, application des lois.
M. Frédéric Néraud a défini six orientations :
- développer les solidarités, par une péréquation financière plus efficace et une stabilisation des dotations de l'Etat ;
- rechercher une meilleure efficacité dans l'exercice, par les collectivités locales, de leurs compétences, et notamment désigner une collectivité chef de file pour chaque compétence partagée à plusieurs niveaux ;
- renforcer la concertation pour l'élaboration des normes, et différencier leur application selon les collectivités ;
- réformer la fiscalité locale, et d'abord réviser les valeurs locatives, prélude indispensable à une péréquation plus efficace ;
- améliorer les conditions d'exercice de leur mandat par les élus, et notamment assouplir les règles de la fonction publique territoriale pour permettre aux élus de recruter les collaborateurs dont ils ont besoin ;
- enfin, mieux associer les citoyens à la vie locale.
Il a souhaité, en conclusion, que l'approfondissement de la décentralisation fasse l'objet d'une réflexion d'ensemble, préférable à l'accumulation de désengagements sectoriels de l'Etat.
M. Jean-Paul Delevoye a demandé à M. Frédéric Néraud de préciser ses propositions concernant la péréquation.
M. Frédéric Néraud a indiqué qu'il préconisait un renforcement de la péréquation de la taxe professionnelle dans le sens d'une plus grande efficacité. Il s'est étonné que 30.000 communes sur 36.000 soient éligibles au fonds de péréquation de la taxe professionnelle. Opposé à une nationalisation de la taxe professionnelle, qui priverait les collectivités de la nécessaire maîtrise de leurs moyens, il s'est prononcé en faveur du développement de la péréquation entre collectivités.
En réponse à M. Jean-Paul Delevoye, président, il a souligné l'isolement des communes rurales et regretté l'insuffisante déconcentration des moyens de l'Etat.