MM. Yves KRATTINGER et Dominique DE LEGGE, rapporteurs spéciaux

DEUXIÈME PARTIE : UNE HAUSSE DES DÉPENSES D'ÉQUIPEMENT FINANCÉE PAR DE NOUVELLES ÉCONOMIES

I. L'ACCENT MIS SUR LES ÉQUIPEMENTS, AU PROFIT DU REDRESSEMENT DE L'ACTIVITÉ OPÉRATIONNELLE

A. LA HAUSSE DES DÉPENSES D'ÉQUIPEMENT

La programmation 2014-2019 privilégie les dépenses d'équipement, qu'elles soient d'acquisition ou de développement, et prévoit une hausse progressive, de 51 % en 2013 à 56 % en 2019, de leur part dans les dépenses totales de la mission « Défense ».

Dépenses d'équipement LPM 2014-2019

(en milliards d'euros)

LFI 2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Total LPM

Équipement

16

16,5

16,6

16,7

17,1

17,4

18,2

102,4

Total mission « Défense » hors pensions

31,4

31,4

31,4

31,4

31,6

31,8

32,5

190

Part de l'équipement

51 %

52 %

53 %

53 %

54 %

55 %

56 %

54 %

Source : ministère de la défense

Les dépenses d'équipement augmentent ainsi de 3 % en 2014 par rapport à l'année précédente.

Compte tenu de la stabilité globale des ressources de la mission « Défense », cette hausse est compensée par la baisse de tous les autres agrégats de dépenses (masse salariale, OPEX, fonctionnement), selon la répartition suivante :

Évolution des crédits de paiement 2013 et 2014 par agrégats

(hors CAS Pensions, y compris REX)

(en milliards d'euros)

LFI 2013

PLF 2014

Variation

en valeur

en %

Masse salariale hors OPEX

11,16

10,98

-0,18

-1,6%

Équipements

16

16,48

0,48

3,0%

Fonctionnement

3,59

3,48

-0,11

-3,1%

OPEX

0,63

0,45

-0,18

-28,6%

Total

31,38

31,38

0

0,0%

Source : ministère de la défense

Le programme d'acquisition de matériels a été revu dans le cadre du projet de loi de programmation militaire 2014-2019, pour le mettre en adéquation avec la nouvelle analyse stratégique, le nouveau modèle d'armée et la contrainte budgétaire. On pourra utilement se référer à cet égard au rapport pour avis établi par votre rapporteur spécial Yves Krattinger sur ledit projet de loi.

La hausse des dépenses d'équipement permet également un effort particulier en matière de recherche et technologie (R&T), pour le financement d'études amont.

La R&T est l'activité qui permet d'acquérir l'expertise scientifique et technique nécessaire au lancement de nouveaux programmes même si elle n'est souvent pas directement reliée à l'élaboration d'un matériel particulier.

Le présent projet de loi y consacre 740 millions d'euros, conformément à la nouvelle programmation, qui prévoit une dépense annuelle moyenne de 730 millions d'euros de recherche et technologie (R&T), sous forme de subventions en direction d'entreprises et d'organismes scientifiques.

Le ministère de la défense met ainsi en oeuvre le programme ASTRID (accompagnement spécifique des travaux de recherche et d'innovation défense), en partenariat avec l'Agence nationale de la recherche (ANR) et en remplacement du dispositif de « recherche exploratoire et innovation » (REI). ASTRID fonctionne sur appel annuel à projets. Le soutien des projets se traduit par l'attribution d'une subvention. Ce dispositif a pour but de stimuler l'ouverture des voies nouvelles de recherche et l'identification de ruptures technologiques.

Le « pacte défense PME » comporte également des actions destinées à soutenir les PME-PMI-ETI innovantes.

Ce pacte prévoit par exemple le renforcement, repris dans la programmation, du dispositif RAPID (régime d'appui aux PME pour l'innovation duale) qui subventionne des projets spontanés à fort potentiel technologique portés par une PME ou une entreprise intermédiaire indépendante et présentant des applications sur les marchés militaires et civils. Les crédits qui y sont consacrés seront augmentés de 50 millions d'euros (soit 25 %) à l'horizon 2015, dont 45 millions d'euros dès 2014.

Par ailleurs, le programme 191 « Recherche duale (civile et militaire) » de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » sera doté de 193 millions d'euros en 2014.

B. LE NÉCESSAIRE RÉTABLISSEMENT DE L'ACTIVITÉ OPÉRATIONNELLE

1. Une préparation des forces insuffisante...

Le PAP indique que l'objectif pour 2014 est une stabilisation, par rapport à la prévision pour 2013, « des indicateurs représentatifs des activités majeures que sont les jours de préparation opérationnelle de l'armée de terre, les heures de vol des pilotes de chasse de l'armée de l'air et les jours de mer des bâtiments de la marine ».

Il précise cependant que, « dans d'autres secteurs d'activité, les efforts consentis en 2014 au profit de l'entretien programmé des matériels, ne permettront pas d'inverser dès cette année la tendance baissière des indicateurs, une inflexion qui ne pourra intervenir que dans les années suivantes ». Il s'agit notamment des hélicoptères, de l'aviation de transport, de la patrouille maritime et des avions de chasse de la marine.

À moyen terme, « la mise en oeuvre du nouveau modèle d'armée, des réformes qui seront engagées dans le domaine du soutien conjugué à l'effort financier consenti sur la période 2014-2019 doivent permettre au niveau d'activité de tendre vers les normes d'activité reconnues dans le cadre UE/OTAN, à partir de 2016, au fur et à mesure de la réalisation du nouveau modèle ».

En attendant, les ressources limitées obligent à faire des choix dans l'entraînement des personnels. Il s'agit notamment pour l'armée de l'air de conserver une capacité à remonter en puissance en veillant à ce que les compétences les plus complexes soient maintenues au moins par un socle restreint d'équipages. Le PAP souligne ainsi la nécessité d'une « gestion très fine des équipages » et que « le maintien de l'équilibre, déjà fragilisé, entre préservation des compétences et formation des jeunes équipages sera un enjeu majeur ». Pour l'armée de terre, les opérations extérieures ont des conséquences significatives sur l'entrainement des équipages des forces en métropole, car la priorité est donnée aux mises en condition avant projection. Le PAP précise qu' « un écart se creuse entre les pilotes projetés et les pilotes non ou peu projetés (notamment les jeunes pilotes) ». Il ajoute que « les prévisions 2013 et 2014 sont estimées sous réserve d'une disponibilité suffisante des aéronefs après leur retour d'OPEX. La situation reste préoccupante (seuil plancher de 160 HdV atteint). Les effets s'en feront ressentir sur plusieurs années ».

Le programme 178 comporte l'objectif (n° 5) « Assurer la préparation des forces dans les délais impartis pour permettre la montée en puissance maximale des capacités militaires prévues par le Livre blanc ».

L'indicateur 5.1 porte sur le « niveau de réalisation des activités et de l'entraînement ».

Indicateur 5.1 : Niveau de réalisation des activités et de l'entraînement

Source : PAP 2014

2. ... dont le redressement est conditionné par le maintien en condition opérationnelle des équipements

Le maintien en condition opérationnelle (MCO) peut être défini comme l'ensemble des moyens (matériels, techniques, humains ou financiers), procédures et prestations nécessaires pour qu'un matériel reste, durant sa durée d'utilisation, apte à l'emploi qui lui est assigné.

Comme l'expose la Cour des comptes dans un rapport public particulier publié en décembre 2004 relatif au « maintien en condition opérationnelle des matériels des armées », cette notion recouvre « deux types deux types de fonctions :

La première est le soutien technique qui regroupe trois grandes catégories d'opérations :

« - la maintenance proprement dite, comprenant les actions visant à maintenir (ou rétablir) un équipement dans un état spécifié (telles que les carénages pour l'entretien des coques des bateaux, la reconstitution du potentiel d'heures de vol d'un aéronef ou le changement de moteur d'un char) ;

« - la gestion de configuration des équipements qui permet de suivre l'évolution de la définition technique des matériels au long de leur vie opérationnelle ;

« - la tenue à jour des référentiels techniques, mais aussi l'analyse du retour d'expérience issue de l'exploitation des faits techniques.

« La deuxième fonction est le soutien logistique. Elle comprend les opérations d'approvisionnement des rechanges, la maintenance de ceux-ci, leur magasinage (stockage) et le ravitaillement en pièces de rechange des unités, des structures de soutien (ateliers industriels) voire, dans certains cas, des industriels ».

La méthode de calcul du coût du MCO par appareil prend en considération les dépenses en personnel (rémunérations et charges sociales - RCS), les dépenses d'entretien programmé des matériels (EPM), ainsi que les dépenses de soutien.

Les dépenses d'EPM subissent une dynamique haussière en raison :

- du vieillissement des matériels en service ;

- l'arrivée de matériels plus sophistiqués, dont le coût d'entretien est plus élevé ;

- une augmentation du coût des facteurs de production supérieure à celle de l'inflation.

Les OPEX pèsent également en accélérant l'usure des matériels projetés. Entre 2010 et 2012, les dépenses d'EPM ont été insuffisantes. Et l'on constate que le manque de disponibilité technique des équipements existants est un des principaux facteurs limitant de la capacité des forces à maintenir un niveau d'activité et d'entraînement adéquat et à remplir leurs contrats opérationnels.

La cohérence du nouveau modèle d'armée défini par le Livre blanc 2013 nécessite que ses capacités, moindres, soient pleinement opérationnelles. À ce titre, un enjeu essentiel de la bonne mise en oeuvre de la programmation sera la maîtrise des coûts de maintien en condition opérationnelle (MCO) dont on a pu, dans de nombreux cas, constater le caractère excessif.

Dans son rapport 2013, la Cour des comptes recommande ainsi notamment que le ministère de la défense réorganise ses processus d'achats de MCO, « en renforçant les compétences de ses acheteurs et de ses équipes d'enquête de coûts, afin de bénéficier de prestations identiques à moindre coût à l'occasion de remises en concurrence ou de renégociations ». Le potentiel d'économie est estimé à 300 millions d'euros à horizon 2015.

Même si, comme cela est souhaitable, les armées parviennent à mieux contenir la facturation des prestations des industriels, il n'en reste pas moins que le coût et la sophistication croissante des équipements pèsera mécaniquement sur les besoins en MCO. Cette tendance doit être prise en compte par la programmation. Celle-ci doit également intégrer les coûts de MCO liés aux nouveaux matériels dont la livraison est prévue sur la période. La direction générale de l'armement s'est engagée dans cette voie en privilégiant désormais des stratégies contractuelles globales, portant aussi bien sur l'acquisition que sur le MCO.

Vos rapporteurs notent avec satisfaction que cet aspect de l'équation budgétaire n'est pas négligé par le présent projet de loi qui prévoit une hausse de 5,5 % par rapport à 2013 des crédits de paiement dédiés à l'EPM, qui représenteront 3,1 milliards d'euros en 2014. Cette hausse correspond à l'orientation donnée par le projet de loi de programmation militaire, qui prévoit une hausse moyenne annuelle de 4,3 % des crédits consacrés à l'EPM (en moyenne 3,4 milliards d'euros courants par sur la période), afin de redresser une activité opérationnelle qui est descendue ces dernières années sous les normes OTAN. Cette relance doit permettre de retrouver progressivement, à partir de 2016, des niveaux d'activité adéquats.

Vos rapporteurs exerceront une vigilance particulière quant à la réalisation de cet objectif, qu'ils estiment essentiel pour la garantie de la sécurité nationale et le maintien de la capacité d'intervention de nos forces.

Il faut à cet égard souligner les difficultés liées à l'exécution de la LPM précédente, qui ont conduit à constituer un report de charges important, estimé à trois milliards d'euros (relevant pour les deux tiers du programme 146), soit environ 10 % des crédits annuels.

Ce report est susceptible de perturber l'entrée dans la nouvelle programmation et d'en menacer la bonne exécution, particulièrement pour ce qui concerne les dépenses d'équipement. Il serait souhaitable de le réduire progressivement à un niveau plus soutenable, qui pourrait s'établir à un milliard d'euros d'ici 2019.

Le budget 2013 a subi un gel de crédits de près 1,536 milliard d'euros au titre de la réserve de précaution et du surgel, essentiellement sur les programmes 146 « Équipement des forces » et 178 « Préparation et emploi des forces ».

Ces crédits ne sont pas encore débloqués à la date de rédaction du présent rapport.

Le maintien de ces gels de crédits risque d'accroître le report de charges, dont le niveau est déjà excessif, ou, à tout le moins, empêcher d'en réduire le montant. Il pourrait également, en retardant certaines opérations de maintenance (en particulier la « métropolisation » des matériels de retour d'OPEX), compromettre le rétablissement du taux d'activité opérationnelle, qui est indispensable à la bonne préparation de nos forces.

Les dépenses d'équipement, notamment pour la MCO, avaient déjà servi de variable d'ajustement entre 2010 et 2012, lorsque qu'il est apparu que les orientations définies par la LPM 2009-2014 n'étaient pas soutenables, du fait des difficultés financières de l'État et de la dérive des dépenses de personnel du ministère de la défense.

Il convient de ne pas répéter les mêmes erreurs, qui se révèlent aujourd'hui très couteuses.