Table des matières
- DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Mercredi 26 mars 2003
- Présidence de Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente.
Retraites - Egalité entre les hommes et les femmes- Audition de M. Robert Buguet, président de l'Union professionnelle artisanale (UPA) -Audition de M. Eric Pardineille, directeur général de la Caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse des artisans (CANCAVA)
La délégation a tout d'abord procédé à l'audition de M. Robert Buguet, président de l'Union professionnelle artisanale (UPA).
Mme Danièle Pourtaud, présidente, a rappelé que la délégation aux droits des femmes avait souhaité, en amont du dépôt d'un éventuel projet de loi portant sur la réforme des retraites, procéder à des auditions sur l'égalité entre hommes et femmes dans ce domaine.
M. Robert Buguet a rappelé les circonstances historiques de la mise en place des régimes de retraite des artisans : institué par la loi du 17 janvier 1948, le régime obligatoire d'assurance vieillesse des artisans non-salariés a été aligné sur le régime général des salariés par la loi du 3 juillet 1972.
Il a ensuite souligné que les conjoints jouaient un rôle déterminant dans la réussite de l'entreprise artisanale et s'est félicité de leur intégration dans les réflexions et les structures de l'artisanat, tout particulièrement au sein de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB). Du point de vue juridique, il a précisé que le conjoint collaborateur pouvait se substituer à l'artisan dans tous les actes d'administration courante nécessaires à la bonne marche de l'entreprise.
M. Robert Buguet a également noté l'existence de nombreuses femmes chefs d'entreprises artisanales, notamment dans le secteur des services ; cependant, le nombre important de conjointes d'artisans explique la place importante des réversions en ce qui concerne leurs avantages de vieillesse.
Il a fait observer que le secteur de l'artisanat était mal connu statistiquement, l'INSEE ne recensant qu'imparfaitement les données relatives aux entreprises de moins de dix salariés.
Puis M. Robert Buguet a évoqué la problématique de l'intégration du régime de retraite des artisans dans le régime général et la nécessité d'une réflexion sur une éventuelle fusion des caisses de retraite des artisans, notamment pour permettre la réalisation d'économies d'échelle dans le coût de la collecte.
Il a précisé que 40 % des artisans relevaient du régime général de la sécurité sociale en raison de leur installation sous forme sociétaire : en effet, les gérants minoritaires d'une SARL et les gérants d'une société anonyme ont le statut de salariés. Il a ensuite fait observer que le droit français favorisait, fiscalement et socialement, l'exercice de l'artisanat sous forme de société et que l'UPA prônait une réduction des distorsions de traitement entre les diverses formes juridiques d'exercice de cette activité avec, en particulier, la simplification du statut de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL).
M. Robert Buguet a ensuite évoqué les conséquences du choc démographique que constitue le « papy boom », tout en précisant que toutes les difficultés des retraites des artisans ne sont pas liées à ce vieillissement. Il a indiqué que l'âge des femmes artisans, qui représentent 20 % des effectifs, était légèrement inférieur à la moyenne d'âge des hommes.
Interrogé par Mme Danièle Pourtaud, présidente, sur les raisons de ce phénomène, M. Robert Buguet a évoqué la spécificité des secteurs dans lesquels les femmes s'installent comme artisan et l'insuffisance des fonds propres qui caractérise l'artisanat et explique l'âge plus tardif d'installation des hommes dans des secteurs comme le bâtiment, avec la nécessaire constitution d'une épargne préalable.
Il a précisé qu'un tiers des conjoints d'artisans avait un emploi salarié à l'extérieur de l'entreprise artisanale ; un deuxième tiers relève du statut de conjoint collaborateur ou de salarié dans l'entreprise artisanale, les conjoints sans statut représentant un troisième tiers. Il a cependant noté que le pourcentage de conjoints sans statut diminuait d'année en année.
En réponse à une question de Mme Danièle Pourtaud, présidente, sur la place des femmes dans l'entreprise artisanale, en particulier pour les deux tiers qui ne sont ni salariés de l'entreprise artisanale, ni conjoints collaborateurs, M. Robert Buguet a tout d'abord précisé que 25 % des conjoints étaient salariés dans l'entreprise et 8 % relevaient du statut de conjoint collaborateur. Il a néanmoins fait observer que l'ensemble des conjoints d'artisans étaient, d'une manière ou d'une autre, impliqués, en pratique, dans l'entreprise familiale.
S'agissant des conjoints sans statut, il a précisé que les tentatives de généralisation du statut de conjoint collaborateur n'avaient, en pratique, pas abouti au succès escompté par la loi du 10 juillet 1982. Il a noté, à ce sujet, que les conjoints sans statut étaient en moyenne plus âgés et parfois soucieux de ne pas bouleverser leur mode d'organisation antérieure.
S'agissant de la retraite de ces conjoints sans statut, il a rappelé l'importance des droits de réversion, ainsi que la possibilité de constitution de droits propres, selon des modalités qu'il a toutefois jugées relativement complexes.
En ce qui concerne les conjoints ayant un statut, il a noté la prédominance du salariat, qui permet de constater objectivement et de rémunérer le travail fourni par le conjoint dans l'entreprise.
Interrogé par Mme Gisèle Printz sur l'influence des modalités juridiques d'exercice de l'artisanat sur la situation des conjoints, M. Robert Buguet a regretté la place très marginale de l'EURL dans l'artisanat (moins d'un pour cent des entreprises) et attribué cet échec à la complexité excessive et à l'inadaptation juridique à l'artisanat de cette forme sociale.
En réponse à une question de Mme Danièle Pourtaud, présidente, sur les caractéristiques du statut de conjoint collaborateur, M. Robert Buguet a indiqué qu'il s'agissait d'un statut hybride, le conjoint collaborateur étant l'ayant droit du mari pour les prestations maladie et maternité ; en revanche le conjoint collaborateur peut cotiser à la retraite des artisans pour se constituer des droits propres.
M. Robert Buguet a ensuite chiffré à 820.000 le nombre d'entreprises artisanales inscrites au répertoire des métiers qui comptent, en moyenne quatre salariés par entreprise, et souligné l'importance des créations d'emploi dans l'artisanat, notamment dans le secteur de la coiffure.
Il a précisé, s'agissant de la place des femmes dans le secteur de l'artisanat, que 150.000 étaient chefs d'entreprise et 670.000 conjoints d'artisans. Il a estimé que, parmi ces conjoints, ce sont souvent les plus âgés qui ont constitué les droits à la retraite les plus modestes.
Interrogé sur les différences de revenus entre les hommes et les femmes chefs d'entreprise, M. Robert Buguet a évoqué la nature différente des activités des entreprises concernées, a rappelé que le secteur de la coiffure suscitait des chiffres d'affaires en moyenne modiques et a indiqué, qu'à activité identique, les disparités entre hommes et femmes n'étaient pas apparentes.
S'agissant des inégalités de retraites entre hommes et femmes, M. Robert Buguet a tout d'abord évoqué le problème des pensions de réversion. Tout en rappelant que les modalités d'attribution de la pension de base étaient alignées sur le régime général, il a noté que l'article 16 du Règlement du régime complémentaire obligatoire des artisans prévoyait un âge différent pour le bénéfice de la pension de réversion, à savoir 65 ans pour les veufs et 55 ans pour les veuves. Il a ensuite indiqué que l'Assemblée générale des caisses de retraite des artisans avait soumis aux autorités de tutelle une proposition d'harmonisation des âges de réversion.
M. Robert Buguet a ensuite évoqué la jurisprudence qui étend aux hommes les dispositions plus favorables prévues en faveur des mères de famille sous la forme d'une majoration de la durée d'assurance de huit trimestres par enfant élevé. Il a fait part de la position des femmes au sein de l'artisanat, qui est favorable à une stricte égalité entre les sexes. Il s'est ensuite demandé si les avantages en termes de retraite étaient la meilleure contrepartie à apporter aux efforts consentis en matière d'éducation des enfants, en faisant référence à d'éventuelles possibilités de ménager plus de temps libre aux mères au cours de leur vie professionnelle.
Mme Danièle Pourtaud, présidente, a rappelé, à ce sujet, l'insuffisante implication des pères dans l'éducation des enfants et les tâches ménagères et regretté que les carrières des femmes pâtissent de cette répartition inégalitaire.
M. Robert Buguet a ensuite indiqué que les conjoints collaborateurs souhaitaient pouvoir procéder au rachat des périodes d'activité de manière plus large que les possibilités offertes par le droit en vigueur : en effet, le statut actuel ne permet au conjoint collaborateur que de procéder au rachat de la période comprise entre 1978 et 1985, ainsi que des six années précédant l'affiliation au régime d'assurance vieillesse des travailleurs indépendants.
S'agissant des cas de pluripensionnés, M. Robert Buguet a présenté la méthode de calcul concrète du montant de la pension -qui consiste à prendre les vingt meilleures années dans chaque régime- et son résultat qui se traduit par une diminution de 5 à 15 % de ce montant. Il a, en outre, souhaité l'assouplissement des règles de cumul permettant d'aboutir à une égalité des droits entre les assurés des différents régimes, en rappelant que les régimes des fonctions publiques permettent le cumul intégral de la pension de réversion avec la retraite personnelle.
M. Robert Buguet a enfin rappelé que, depuis plusieurs années, l'UPA demandait une augmentation du taux de pension de réversion de 54 à 60 %, ainsi qu'une revalorisation de la majoration pour conjoint à charge, bloquée à 610 € depuis 1977.
Puis la délégation a entendu M. Eric Pardineille, directeur général de la Caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse des artisans (CANCAVA).
M. Eric Pardineille a tout d'abord présenté un panorama statistique des cotisants et des retraités du régime d'assurance vieillesse des artisans. Il a chiffré à environ 785.000 le nombre total de retraités, dont 98.000 femmes ayant cotisé en tant qu'artisans et 219.000 femmes conjoints survivants. Parmi les 520.000 cotisants en activité, il a précisé que plus de 94.000 étaient des femmes.
Centrant son analyse sur un des aspects majeurs des inégalités de retraite entre hommes et femmes relevant du régime de retraite des artisans, M. Eric Pardineille a évoqué le relatif échec de l'instauration du statut de conjoint collaborateur, qui ne concernait en 2002 que 8.673 personnes, et a souhaité la simplification de ce statut.
Il a évoqué, en même temps, l'intérêt d'une généralisation d'un statut de conjoint collaborateur simplifié et s'est demandé, à titre personnel, s'il ne conviendrait pas de le rendre obligatoire ; il a, en effet, indiqué que de nombreux conjoints se rendaient compte, au moment de la retraite, de l'insuffisance de leurs ressources.
M. Eric Pardineille a également regretté le caractère trop restrictif des possibilités de rachat offertes aux conjoints collaborateurs et précisé que la limitation de la période de rachat à la période comprise entre 1978 et 1985 et aux six années précédant l'affiliation au régime vieillesse artisanal pouvait conduire certains conjoints à renoncer à s'affilier à titre volontaire, faute de pouvoir valider une carrière complète.
Mme Danièle Pourtaud, présidente, a noté, au-delà de certaines nuances, la convergence de certaines préconisations de l'UPA et de la CANCAVA et s'est déclarée, pour sa part, favorable à la généralisation du statut de conjoint collaborateur. Elle a ensuite demandé des précisions sur les inégalités de revenus entre les hommes et les femmes dans les divers secteurs de l'artisanat.
M. Eric Pardineille a indiqué que les statistiques ne permettaient pas de démontrer avec précision les inégalités de revenus d'un secteur à l'autre et à l'intérieur d'un même secteur. Il a cependant précisé que le bâtiment représentait 60 % du chiffre d'affaires total de l'artisanat et que, traditionnellement, les artisans ayant les revenus les plus faibles appartenaient au secteur très féminisé de la coiffure.
En réponse à une interrogation de Mme Gisèle Printz sur les résistances à l'adoption du statut du conjoint collaborateur, M. Eric Pardineille a indiqué que des réticences se manifestaient dans le secteur du bâtiment, qui compte pourtant le plus de conjoints femmes inscrites au répertoire des métiers et s'est interrogé sur la pertinence de l'argument du poids excessif des cotisations sociales.
Interrogé par Mme Danièle Pourtaud, présidente, sur le caractère suffisamment complet de l'information diffusée, notamment aux femmes, sur le statut de conjoint collaborateur, M. Eric Pardineille a rappelé les efforts importants consentis dans ce domaine et a indiqué que le problème principal résidait dans le fait qu'un certain nombre de couples d'artisans tablaient essentiellement sur la constitution d'une épargne suffisante en vue de leur retraite. Il a cependant souligné que ce mécanisme aboutissait, en cas de difficultés économiques, à ce qu'un certain nombre de femmes d'artisans se trouvent dépourvues de protection suffisante au moment de leur retraite.
Puis en réponse à une question de Mme Danièle Pourtaud, présidente, il a précisé que, sur un total de 830.000 entreprises artisanales, 520.000 cotisaient à la CANCAVA, les 310.000 autres entreprises exerçant sous forme de société relèvent du régime général : il a évoqué, à titre d'exemple de la progression de la forme sociétaire, la montée de la franchise dans le secteur de la coiffure.
Précisant les données relatives à la faiblesse du montant des retraites perçues par les artisans femmes, M. Eric Pardineille a chiffré à 53 % l'écart des pensions entre les hommes et les femmes.
M. Eric Pardineille a rappelé que l'âge moyen d'installation des artisans était de 42 ans, ce qui s'explique par la nécessité d'une expérience professionnelle solide et par le double frein de la complexité des procédures et de l'épargne préalable à l'installation.
A propos de la solution qui consisterait à prendre comme base de calcul pour la retraite les vingt-cinq meilleures années tous régimes confondus, il a indiqué que cette méthode de comptabilisation, suggérée dans les négociations relatives à la réforme des retraites, risquait de ne pas favoriser les artisans dont les revenus connaissent de brusques variations conjoncturelles.
M. Eric Pardineille a ensuite chiffré à 90 % la proportion de femmes parmi les bénéficiaires de pensions de réversion. Il a ensuite rappelé que la CANCAVA s'était prononcée, dès 1999, en faveur d'une harmonisation de l'âge requis pour bénéficier d'une pension de réversion, afin d'éliminer le décalage existant dans la réglementation actuelle et qui prévoit un âge différent pour les veufs (65 ans ou 60 ans en cas d'inaptitude) et les veuves (55 ans).
Enfin, il a évoqué la demande des artisans tenant à étendre aux pères la majoration de la durée d'assurance, à hauteur de huit trimestres par enfant élevé, réservée aux femmes dans le régime actuel et cité les décisions du Conseil d'Etat qui se prononcent en faveur de l'égalité de traitement entre les mères et les pères dans les régimes de la fonction publique en ce qui concerne les avantages familiaux accordés au titre de la retraite.