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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Mercredi 23 janvier 2002
- Présidence de Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente.
Hommage à la mémoire de Mme Dinah Derycke, présidente de la délégation
Mme Danièle Pourtaud, présidente, a tout d'abord rendu hommage à la mémoire de Mme Dinah Derycke, première présidente de la délégation, rappelant le rôle important qu'elle avait joué pour faire avancer les causes des femmes. Elle a salué sa grande compétence, sa parfaite courtoisie et sa grande humanité.
La délégation a exprimé son émotion avant d'observer une minute de silence.
Réforme du divorce - Examen du rapport
Puis la délégation a examiné le rapport de M. Serge Lagauche, rapporteur, sur la proposition de loi n° 17 (2001-2002), adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme du divorce.
M. Serge Lagauche, rapporteur, a indiqué, en préambule de son exposé, qu'il s'était efforcé de limiter son approche de la réforme du divorce au strict point de vue de l'égalité des femmes et des hommes.
A titre de rappel historique, il a fait remarquer que, pour libérer les femmes du « despotisme conjugal », la Révolution avait institué, en 1792, un divorce très libéral pour simple incompatibilité d'humeur et qu'à l'extrême opposé, en partant du principe de l'indissolubilité du mariage, la Restauration avait interdit le divorce en 1816.
Dans la période récente, a-t-il poursuivi, le législateur a été amené à tenir compte de l'évolution des moeurs. Ainsi la loi du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce a accompagné les transformations de la société française et pris acte de l'autonomie accrue des femmes, ainsi que de l'évolution vers ce que les sociologues appellent le « démariage ».
M. Serge Lagauche, rapporteur, a estimé que le texte adopté par l'Assemblée nationale se fondait sur une analyse concrète qui met en évidence des procédures trop focalisées sur la faute, et, ce faisant, peu propices à la réconciliation ou à une gestion négociée du divorce et prévisionnelle des lendemains de rupture. En même temps qu'elle tente de remédier à cette situation, la réforme proposée se traduit, a-t-il précisé, par une sorte de reconnaissance d'un « droit au divorce » conforme à notre temps et au principe selon lequel un époux ne doit pas être maintenu, contre sa volonté, dans les liens du mariage.
Il a ensuite dégagé de l'examen du droit comparé deux enseignements principaux : tout d'abord, en dépit du maintien du divorce pour faute, la France n'a pas échappé à l'inflation générale des ruptures conjugales en Europe et enregistre un taux de divorces de 2 pour 1.000 habitants, supérieur à une moyenne européenne de 1,8 ; en second lieu, les pays scandinaves, qui sont parmi les plus performants en matière d'égalité des sexes, ont presque totalement éliminé le divorce pour faute.
M. Serge Lagauche, rapporteur, a noté que la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale n'allait pas aussi loin : elle prévoit que la faute ne sera plus un cas d'ouverture du divorce, mais que la faute subsistera dans le divorce, de même que sa sanction, c'est-à-dire l'obligation de réparer les préjudices, consacrée par la décision du Conseil Constitutionnel sur la loi relative au pacte de solidarité.
Il a aussi observé que, conforme au « standard européen », la réforme proposée répondait aux attentes -parfois ambivalentes de la société française- avec, d'un côté, une très forte aspiration à la simplification des procédures, et, de l'autre côté, une demande de droit et de justice qui reste très importante, tout particulièrement de la part des femmes, principales victimes des diverses formes de violence conjugale.
Puis il a souligné l'importance du facteur économique en rappelant qu'un chômeur a deux fois plus de risques de divorcer que le titulaire d'un emploi stable.
Observant la pratique judiciaire actuelle du divorce, M. Serge Lagauche, rapporteur, a indiqué qu'en dépit de l'intention du législateur qui avait souhaité, en 1975, instituer un « divorce à la carte », le choix se résumait aujourd'hui à une alternative :
- « l'accord sur tout », obtenu dans 52 % des divorces par consentement mutuel. Mais, a précisé le rapporteur, certains divorces par consentement mutuel se passent « un peu trop bien » et si l'on considère qu'une femme sur dix est victime de violences conjugales, il est évident que le consentement des épouses est parfois extorqué. Il a, à ce titre, observé que nulle part dans l'analyse statistique des jugements de divorce, publié par le ministère de la justice, il n'est fait mention des violences conjugales et a recommandé le perfectionnement des indicateurs chiffrés quant à la détection, la constatation et la sanction de ces dernières ;
- qu'à défaut d'« accord sur tout », le contentieux est canalisé vers le divorce pour faute qui représente 42,8 % des procédures.
Relevant qu'à l'heure actuelle, dans trois cas sur quatre, l'initiative du divorce pour faute est féminine, M. Serge Lagauche, rapporteur, a estimé que la situation qui en résultait n'était, en définitive, favorable ni aux femmes -notamment parce que le législateur a souhaité le plus possible détacher la faute de la répartition des droits pécuniaires-, ni aux maris, ni aux enfants.
Après avoir observé que le texte adopté par l'Assemblée nationale avait un objectif de dédramatisation en supprimant la faute comme cas d'ouverture du divorce, M. Serge Lagauche, rapporteur, a décrit l'architecture générale de la proposition de loi, laquelle vise à simplifier le divorce par consentement mutuel et, surtout, à instaurer un divorce pour « rupture irrémédiable du lien conjugal ».
Il a ensuite détaillé les garanties introduites en première lecture par l'Assemblée nationale pour prévenir, stigmatiser et sanctionner les fautes et les faits constitutifs de violences conjugales. Il a ainsi rappelé :
- la possibilité offerte au juge (texte proposé pour l'article 220-1 du Code civil) d'organiser, pendant trois mois, la résidence séparée des époux dès avant l'introduction de la procédure de divorce en cas de danger pour « la sécurité du conjoint ou des enfants » ; estimant souhaitable d'accorder aux victimes de violences un délai de réflexion et de protection plus long avant de se prononcer sur l'opportunité du dépôt d'une requête en divorce, le rapporteur a préconisé de donner au juge le pouvoir de doubler le délai prévu, en le portant à six mois ;
- la possibilité de demander au magistrat (texte proposé par l'article 259-5 du Code civil) de constater dans le jugement les « faits d'une particulière gravité procédant notamment de violences conjugales ».
M. Serge Lagauche, rapporteur, a considéré que la réussite de la réforme reposera en grande partie sur la qualité de la médiation proposée aux époux de façon à ce qu'ils négocient sur un pied d'égalité les conséquences de leur séparation.
Il a cependant approuvé la disposition qui exclut le recours à la médiation en cas de violences conjugales, celles-ci relevant exclusivement d'un régime de sanction.
En concluant, M. Serge Lagauche, rapporteur, a indiqué qu'il avait concentré son attention sur les violences conjugales, facteur important de déséquilibre entre les sexes, l'indemnisation du préjudice relevant, par ailleurs, de l'appréciation du juge. Il a également rappelé que, compte tenu de l'inégalité des revenus entre les femmes et les hommes, la rupture pouvait se traduire par un appauvrissement particulièrement sensible pour les épouses.
Un débat a suivi.
Mme Gisèle Printz se demandant ce que recouvrait la notion de faute et Mme Françoise Henneron, dans la perspective de la suppression du divorce pour faute, s'interrogeant sur les raisons devant désormais être invoquées pour justifier une rupture, M. Serge Lagauche, rapporteur, a indiqué que le fait que l'un ou l'autre des époux, ou les deux, n'aient plus envie de vivre ensemble serait suffisant pour justifier le divorce.
A Mme Janine Rozier qui souhaitait que l'on s'attarde davantage sur le sort des enfants dans le divorce, il a fait observer que l'absence de focalisation sur la faute et le renforcement de la médiation avaient pour but de permettre aux époux de mieux réfléchir aux conséquences de leur divorce sur l'avenir de leurs enfants et de négocier les meilleures solutions possibles.
Après avoir rappelé que le rôle de la délégation était d'examiner les possibilités d'améliorer les textes dont elle est saisie du point de vue de l'égalité hommes/femmes, Mme Danièle Pourtaud, présidente, a indiqué que la préservation des enfants était un des objectifs majeurs de la réforme. En effet, a-t-elle souligné, pris à la fois comme témoin et comme alibi dans le processus de recherche des fautes, les enfants sont aujourd'hui les victimes des imperfections du divorce pour faute.
M. Serge Lagauche, rapporteur, a insisté sur le fait que le dispositif proposé épargnait aux femmes prenant l'initiative de la rupture la difficulté de réunir des preuves suffisantes pour obtenir le divorce pour faute.
Mme Gisèle Gautier s'est dite heurtée par la disparition de la notion de faute en rappelant que le mariage constitue un engagement solennel vis-à-vis de l'autre époux et de la société. Evoquant des cas concrets, elle a redouté que la réforme ne freine pas suffisamment la tendance à transformer en rupture définitive les difficultés passagères du couple.
M. Serge Lagauche, rapporteur, a noté que, notamment grâce à la médiation, la réforme proposée était plus propice à la réconciliation des époux et à la réflexion que la procédure de divorce pour faute.
Mme Hélène Luc a estimé que le texte adopté par l'Assemblée nationale allait dans le sens de la responsabilité et de l'égalité des époux. Elle a rendu hommage aux femmes qui, en dépit des problèmes qu'elles peuvent rencontrer, élèvent seules leurs enfants. Elle a pris acte du fait que la réforme supprimait la faute non pas dans le divorce, mais comme cas d'ouverture du divorce. Evoquant les difficultés qui accompagnent la recherche des fautes, elle a néanmoins estimé essentiel de rappeler aux pères leurs responsabilités à l'égard de leurs enfants. Elle s'est ralliée à la proposition du rapporteur d'allonger de trois à six mois la possibilité de résidence séparée des époux, tout en estimant que cet allongement ne changera pas grand chose, cependant que Mme Gisèle Gautier, et Mme Françoise Henneron faisaient valoir qu'il serait propice à la réflexion.
Mme Gisèle Printz a considéré qu'aucune raison ne justifiait l'hypothèse selon laquelle la suppression du divorce pour faute pourrait entraîner une augmentation des ruptures. Evoquant, a contrario, des cas concrets, elle s'est déclarée favorable à une réforme qui n'oblige pas les femmes à recueillir des témoignages afin de prouver que leur comportement n'est pas fautif.
Mme Danièle Pourtaud, présidente, a fait valoir que la réforme proposée rendrait le divorce moins coûteux.
Mme Janine Rozier a, en revanche, craint que cette réforme facilite le divorce et aille dans le sens de l'aggravation d'un certain climat de laxisme. Elle a, pour sa part, souligné le mérite des femmes qui parviennent à maintenir la stabilité de leur couple et de leur engagement initial, en dépit de tous les écueils de la vie conjugale.
Mme Danièle Pourtaud, présidente, a rappelé que, depuis un certain nombre d'années, malgré la pratique assez répandue du « mariage à l'essai », le nombre de divorces continuait d'augmenter. Elle a estimé que, face à ce constat, la réforme proposée entendait non pas fragiliser le mariage, mais limiter les meurtrissures qui accompagnent les procédures actuelles.
M. Serge Lagauche, rapporteur, a indiqué qu'il s'était interrogé sur les moyens de réaffirmer l'importance des devoirs entre époux -par exemple en leur faisant prononcer un engagement au moment de la cérémonie du mariage. Il a précisé qu'aucune des mesures envisageables ne lui avait paru suffisamment convaincante pour être proposée.
Mme Janine Rozier a souligné la nécessité de préserver les intérêts des femmes qui, s'étant consacrées à leur famille pendant vingt ou trente ans et n'ayant ni emploi ni qualification professionnelle, pourraient subir un préjudice particulièrement important du fait de la rupture du lien conjugal à l'initiative de leur mari.
M. Serge Lagauche, rapporteur, a rappelé que la réforme maintenait le principe de réparation des préjudices au cas où la médiation ne permette pas aux époux de s'entendre sur les conséquences du divorce.
Mme Danièle Pourtaud, présidente, a également estimé que la médiation est susceptible de permettre un meilleur traitement des inégalités économiques et rappelé que la fixation et le recouvrement de la pension alimentaire ou de la prestation compensatoire était en dehors du champ de la réforme.
Mme Gisèle Gautier a exprimé son désaccord de principe sur la conception selon laquelle le législateur doit suivre toutes les évolutions ou les « dérapages » de la société, estimant au contraire qu'il lui appartient de s'appuyer sur la raison pour lutter contre les dérèglements sociaux.
Mme Danièle Pourtaud, présidente, a précisé qu'il s'agissait, pour le législateur, de tenir compte, afin que l'on « vive mieux », des évolutions de la société, en minimisant leurs effets nocifs, et non pas nécessairement d'adhérer à toutes les transformations. Elle a, à ce sujet, rappelé les excès et la mauvaise foi auxquels peuvent donner lieu les procédures de divorce pour faute.
M. Serge Lagauche, rapporteur, a évoqué la responsabilité des maris à l'égard des enfants.
Rappelant que ce thème avait été abordé dans le cadre de la proposition de loi relative à l'autorité parentale, Mme Janine Rozier a souligné l'importance de la cohésion des parents pour l'équilibre des enfants.
Mme Gisèle Gautier s'est demandé si l'énoncé par les maires des articles 212 et 213 du Code civil relatifs aux devoirs des époux n'allait pas perdre une partie de sa signification.
M. Serge Lagauche, rapporteur, a rappelé le maintien de ces devoirs dans les dispositions du Code civil et Mme Danièle Pourtaud, présidente, estimé que la lutte contre les excès du divorce pour faute n'entraînait en aucune façon la dévalorisation des devoirs entre époux.
Puis la délégation a adopté à la majorité les recommandations du rapporteur.
Contre la loi du plus fort, elle a ainsi préconisé de lancer des campagnes de communication efficaces sur l'ampleur et la gravité des violences conjugales, l'objectif consistant à rompre le sentiment d'isolement et le silence des femmes -ou des maris- battus en les incitant à enclencher les démarches utiles auprès des institutions et associations d'ores et déjà prêtes à se mobiliser.
Juridiquement, il s'agit, en particulier, de permettre la mise en oeuvre concrète du texte proposé pour l'article 259-5 du Code civil qui prévoit la constatation des violences dans le jugement de divorce et les demandes de dommages-intérêts, et de réduire les cas de consentement extorqué aux victimes.
Concentrant son attention sur les violences conjugales et les conditions de mise en oeuvre concrètes de la réforme, elle recommande également :
- de donner le pouvoir au juge de porter de trois à six mois la durée de la résidence séparée qu'il peut prescrire en cas de mise en danger de la sécurité du conjoint ou des enfants ;
- de perfectionner l'information du justiciable en mettant à sa disposition des guides pratiques récapitulant les garanties dont disposent les époux et des schémas expliquant clairement le déroulement et l'articulation des procédures ;
- sans aller jusqu'à instaurer un « casier conjugal », d'adapter l'appareil d'analyse statistique des divorces au recensement et à la détection des faits constitutifs de violences conjugales.
A la suggestion de Mme Janine Rozier, la délégation a également souhaité attirer l'attention sur le cas des femmes qui sont confrontées au divorce après de longues années de mariage pendant lesquelles elles se sont exclusivement consacrées à leur mari et à leurs enfants et qui, à l'heure du divorce, sont sans ressources personnelles et ont besoin d'être défendues ; elle a estimé impératif d'assurer au niveau de la médiation ou du jugement l'équilibre économique du divorce.
Puis la délégation a adopté, à la majorité, le rapport d'information présenté par M. Serge Lagauche, rapporteur.