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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mercredi 27 juin 2001

- Présidence de Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente.

Nom patronymique - Examen du rapport d'information

La délégation a examiné le rapport d'information de M. Serge Lagauche, rapporteur, sur la proposition de loi n° 225 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative au nom patronymique.

En introduction, M. Serge Lagauche, rapporteur, a déclaré que le système français de dévolution du nom patronymique, qui trouve son origine dans la formation du droit de la famille, constituait aujourd'hui, sinon un anachronisme, du moins un vestige d'une conception patriarcale du droit, et estimé, en conséquence, que la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale venait, par l'introduction du nom parental, opportunément adapter le droit du patronyme avec l'évolution du droit des personnes, marquée depuis un peu plus de trente ans (qu'il s'agisse des régimes matrimoniaux, du divorce ou des règles de la filiation) par une recherche patiente de la parité des droits entre les hommes et les femmes.

Il a indiqué que les règles d'attribution du nom patronymique empruntaient, depuis plus de deux siècles, moins à la loi proprement dite (initialement, le code civil ne faisait que des allusions au nom et n'en réglait pas de façon précise la dévolution), qu'à la coutume et à la jurisprudence, celle-ci ayant en particulier affirmé, tout au long du XIXe siècle, la prééminence du nom paternel, dans un régime où la femme mariée était entièrement soumise à son mari et où la puissance paternelle était exclusive de tout autre autorité au sein de la famille.

M. Serge Lagauche, rapporteur, a ensuite estimé que la réforme proposée s'inscrivait dans l'évolution des libertés publiques en Europe et tendait à une harmonisation avec les pays de l'Union européenne. Il a évoqué à cet égard l'arrêt Burghartz rendu le 22 février 1994 par la Cour européenne des droits de l'Homme qui a rangé le nom dans la sphère du droit au respect de la vie privée et le régime de son attribution au nombre des droits et libertés reconnus par la Convention européenne. Les considérants de cet arrêt, a-t-il précisé, ont été repris en 1995 par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe dans une recommandation n° 1271 relative aux discriminations entre les hommes et les femmes pour le choix du nom de famille et la transmission du nom des parents aux enfants. La même assemblée, a-t-il poursuivi, a recommandé au Comité des ministres du Conseil de l'Europe de demander aux Etats membres qui maintenaient dans leur droit des dispositions de caractère sexiste de prendre les mesures appropriées pour établir une égalité stricte entre le père et la mère pour la transmission du nom aux enfants.

Evoquant une réponse à une question parlementaire écrite (n° 37445 du 15 novembre 1999 à Mme Marie-Jo Zimmermann), M. Serge Lagauche, rapporteur, a rappelé que la Chancellerie avait cependant jugé inutile, jusqu'à très récemment, de suivre les recommandations de l'Assemblée européenne en estimant que la législation française ne traduisait « aucune considération sexuelle ou inégalitaire », qu'elle était « fondée sur le mode d'établissement de la filiation propre à chaque famille », et que, dans la famille légitime, « l'attribution à l'enfant du nom de son père découle de la présomption de paternité ».

M. Serge Lagauche, rapporteur, a ensuite fait valoir que la réforme proposée s'inscrivait dans l'évolution du droit de la famille et dans la ligne des possibilités déjà ouvertes par le législateur pour infléchir la rigidité du régime de transmission du nom exclusivement déterminé par la filiation. Ainsi, le mari de la mère d'un enfant dont la filiation paternelle n'a pas été établie peut aujourd'hui lui donner son nom par simple déclaration conjointe avec la mère (article 334-5 du code civil) ; dans le même sens, l'article 357, alinéa 3, du code civil dispose qu'en cas d'adoption par une femme mariée, le nom du mari sera attribué à l'enfant.

Il a ensuite relevé que la réforme proposée répondait à une attente, contrairement à ce que disent ses contempteurs, même s'il a avoué qu'il était difficile de connaître l'étendue exacte des aspirations de nos concitoyens, les éléments d'information manquant en la matière -il n'existe notamment pas de données sur le bilan de l'utilisation du « nom d'usage » introduite il y a plus de 15 ans, mais il s'agit d'une faculté, par nature mal aisée à appréhender.

Sous cette réserve, nul ne peut nier, a déclaré M. Serge Lagauche, rapporteur, une nette évolution de l'opinion publique dans le sens d'une réforme de la dévolution du nom. Alors qu'en 1979, seulement 20 % des personnes interrogées étaient favorables à l'introduction du nom de la mère dans le système de transmission des patronymes, ce chiffre atteignait, en 1987, 43 % et un nombre important de femmes (47 %) regrettaient d'être dans l'impossibilité de transmettre leur nom de naissance. Aujourd'hui, a-t-il poursuivi, plus de deux Français sur trois (69 %) estiment, selon un sondage paru début juin 2001 dans le Pèlerin Magazine, que pouvoir transmettre à l'enfant le nom de famille de la mère, seul ou accolé à celui du père, est « plutôt une bonne chose » ; les femmes sont toujours un peu plus nombreuses à le penser (71 %), la proportion des jeunes de moins de 25 ans atteignant 78 %. Pour 62 % des Français, la réforme n'affaiblira pas la place du père dans la famille.

Puis, abordant le dispositif de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, M. Serge Lagauche, rapporteur, a indiqué qu'il modifiait l'article 57 du code civil et que, selon la rédaction adoptée, les parents qui auront conjointement reconnu leur enfant, que la filiation soit naturelle ou légitime, pourront, au choix, lui donner le nom du père, le nom de la mère, le nom du père et de la mère ou de la mère et du père. En cas de dévolution de deux noms et de désaccord sur l'ordre à retenir, l'ordre alphabétique s'appliquera. Les personnes qui portent un double nom ne pourront en transmettre qu'un seul. Enfin, le ou les noms arrêtés pour le premier enfant devront s'appliquer aux autres enfants nés du même couple ; en revanche, si des enfants naissent de partenaires différents, les couples nouvellement créés pourront procéder à de nouvelles combinaisons sous le bénéfice d'observer les règles précitées.

Par ailleurs, a poursuivi M. Serge Lagauche, rapporteur, les enfants légitimés auront un statut identique à celui des enfants légitimes, alors qu'actuellement la légitimation -par mariage ou par décision judiciaire- entraîne l'attribution du nom du père. Il en est de même pour les enfants qui feront l'objet d'une adoption plénière.

En ce qui concerne les enfants naturels mineurs, la proposition de loi autorise l'adjonction du nom du partenaire à côté de celui de la mère ; en revanche, elle ne prévoit pas l'inverse : l'adjonction du nom de la femme dans le cas où l'enfant a été reconnu en premier par le père (ce qui est certes plus rare).

La réforme proposée, a conclu M. Serge Lagauche, rapporteur, se caractérise par la simplicité, et devrait être rapidement adoptée par les parents, dans la mesure où elle répond à la double exigence d'accorder aux femmes le droit de transmettre leur nom, point essentiel par rapport à la loi de 1985 relative au « nom d'usage », et aux couples d'opérer librement leur choix dans une logique de parité parentale, avec, par ailleurs, un renforcement des liens parents/enfants.

Estimant qu'il revenait au législateur de s'adapter, dans le domaine du nom comme dans les autres, lorsque la situation des personnes s'éloigne des schémas pour lesquels les lois ont été faites à l'origine, M. Serge Lagauche , rapporteur, a ensuite proposé à la délégation les recommandations suivantes :

- afin d'assurer l'égalité entre les femmes et les hommes, dans le cadre d'une parité des droits entre parents dans la dévolution du nom, prescrire le double nom -père/mère ou mère/père- comme règle d'attribution de droit commun, la transmission du nom d'un seul parent devenant l'exception ; une telle recommandation, a fait valoir M. Serge Lagauche, rapporteur, se situe dans la logique de la mission de la délégation ;

- prévoir, afin que les règles de dévolution soient similaires pour enfants naturels et légitimes, qu'un enfant reconnu par un seul de ses parents pourra bénéficier de la transmission du nom d'un ascendant et de l'accolement du nom de son second parent en cas de reconnaissance ultérieure (ce nom se substituant alors au nom de l'ascendant) ;

- demander au législateur de prévoir un régime approprié pour la deuxième génération et pour les générations ultérieures, en cas de désaccord entre les parents lorsque ceux-ci portent déjà deux noms accolés ;

- maintenir les dispositions de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l'égalité entre les époux, en particulier le maintien, à titre d'usage, d'un autre nom que celui qui a été transmis par les parents ;

- assouplir les procédures de changement du nom dans le sens d'une plus grande souplesse administrative dans un cadre juridique défini, par exemple au niveau du Procureur de la République ;

- remplacer l'intitulé de la proposition de loi relative au « nom patronymique » par celui de « nom de famille ».

Un débat a suivi.

Tout en se déclarant favorable à ce que le nom de famille dévolu aux enfants ne soit plus systématiquement celui du père, Mme Gisèle Printz a craint que le dispositif de la proposition de loi ne complique la situation et a souhaité que le système adopté soit, au contraire, le plus simple possible.

En réponse, M. Serge Lagauche, rapporteur, a reconnu que les premières années de mise en place de la nouvelle législation, par le bouleversement des habitudes qu'elle entraînera, seraient probablement un peu délicates, mais qu'au-delà de la première génération, les choses devraient être mieux comprises. Estimant qu'on attachait trop d'importance au nom de famille, il a considéré qu'il importait de forcer les comportements afin de modifier les mentalités et de parvenir à une égalité de traitement entre les hommes et les femmes en la matière.

Rendant hommage à la passion du rapporteur à défendre le texte et les principes sur lesquels il se fonde, Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente, a relevé l'écho grandissant que rencontrait cette question dans la population, tel qu'il se manifestait dans les sondages. Puis elle a estimé que la délégation n'avait pas tant à se prononcer sur l'opportunité même de la proposition de loi que sur les recommandations proposées par le rapporteur pour la rendre plus efficace et plus volontariste, en faisant notamment de la dévolution des noms du père et de la mère la règle générale, et de la dévolution d'un seul nom, l'exception. Elle a souligné à cet égard que le dispositif de la proposition de loi obligeait les parents à faire un choix en toute circonstance, puisque plusieurs options leur étaient ouvertes, alors que la recommandation proposée par le rapporteur n'entraînait de réflexion que pour les parents ne souhaitant pas transmettre chacun leur nom. Elle a ajouté que si la délégation retenait cette proposition, la dévolution de deux noms aux générations futures en serait accélérée.

Prenant comme exemple l'attitude des garçons vis-à-vis des filles au collège, et insistant sur la responsabilité des parents et du corps enseignant, M. Serge Lagauche, rapporteur, a estimé que, sans volonté égalitaire affirmée, la parité entre les sexes n'avançait que trop lentement.

Mme Odette Terrade a relevé que, même si elle allait modifier significativement, et plus que le dispositif de la proposition de loi, les mentalités, la recommandation principale du rapporteur présentait le mérite d'être plus porteuse de parité et d'égalité entre les hommes et les femmes et d'affirmer l'importance du rôle des deux parents. Par ailleurs, et pour les mêmes raisons, elle s'est déclarée favorable, avec Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente, à une modification de l'intitulé de la proposition de loi visant à remplacer l'expression « nom patronymique » par celle de « nom de famille ».

Après avoir insisté sur la nécessité, dans la première recommandation, de prévoir que le double nom attribué puisse tout autant se faire dans l'ordre mère/père que dans l'ordre inverse, M. Claude Domeizel a abordé le problème des enfants naturels reconnus par un seul parent, visé par la deuxième proposition de recommandation du rapporteur, et le risque de stigmatisation dont ils pourraient faire l'objet en ne portant qu'un nom simple. Il a souhaité, d'une part, que la rédaction de la recommandation respecte un ordre chronologique en mentionnant d'abord la possibilité d'accoler le nom d'un ascendant, et, d'autre part, qu'il soit bien précisé que l'éventuelle adjonction du nom du second parent lors d'une reconnaissance ultérieure entraînerait, le cas échéant, la disparition du nom de l'ascendant.

Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente, a observé que des enfants légitimes continueraient aussi à ne porter qu'un seul nom en raison de la liberté de choix laissée par le dispositif.

Puis la délégation a adopté à l'unanimité les six propositions de recommandation du rapporteur.

Elle s'est déclarée favorable à la prescription du double nom -père/mère ou mère/père- comme règle d'attribution de droit commun, la transmission du nom d'un seul parent devenant l'exception.

Elle a décidé de recommander que les enfants naturels, reconnus d'abord par un seul parent, puissent se voir accoler le nom d'un ascendant qui « tomberait » si l'enfant bénéficiait de l'adjonction du nom du second parent lors d'une reconnaissance ultérieure. En cas de difficultés et de conflits, Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente, et M. Serge Lagauche, rapporteur, ont convenu que, comme dans les autres situations conflictuelles et conformément aux pratiques actuelles, il reviendrait au juge de se prononcer.

Après un court débat relatif aux difficultés pratiques susceptibles de naître lorsque les parents porteront, l'un ou l'autre, voire les deux, un nom double, elle a préconisé la mise en oeuvre, par le législateur, d'un régime approprié pour la deuxième génération et pour les générations ultérieures en cas de désaccord entre les parents.

Elle a souhaité le maintien des dispositions de la loi du 23 décembre 1985 relative à l'égalité entre les époux, en particulier celle autorisant le maintien, à titre d'usage, d'un autre nom que celui qui a été transmis par les parents, et l'assouplissement des procédures de changement du nom dans le sens d'une plus grande souplesse administrative.

Sur ce dernier point, M. Claude Domeizel ayant rappelé les avantages attachés au système français de filiation, qui est l'un des plus efficaces d'Europe, au contraire par exemple de celui existant en Grande-Bretagne, et estimé nécessaire d'éviter de le bouleverser, Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente, a observé que la proposition de loi ne modifiait en rien les règles propres à l'établissement et à la tenue de l'état civil et que, par conséquent, il n'y avait nulle crainte à avoir à cet égard.

Enfin, sur la proposition de M. Claude Domeizel, la délégation a décidé de placer en première position la dernière proposition de recommandation du rapporteur visant à remplacer l'intitulé de la proposition de loi relative au « nom patronymique » par celui de « nom de famille ».

Puis, à l'unanimité, la délégation a adopté le rapport d'information présenté par M. Serge Lagauche, rapporteur.