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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 12 juin 2001

- Présidence de Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente.

Droits du conjoint survivant, droits et conditions d'existence des conjoints survivants et instauration dans le Code civil d'une égalité successorale entre les enfants légitimes et les enfants naturels ou adultérins - Examen du rapport d'information

La délégation a examiné le rapport de M. Philippe Nachbar sur la proposition de loi n° 224 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux droits du conjoint survivant et sur la proposition de loi n° 211 (2000-2001) de M. Nicolas About visant à améliorer les droits et les conditions d'existence des conjoints survivants et à instaurer dans le Code civil une égalité successorale entre les enfants légitimes et les enfants naturels ou adultérins, à la suite de la saisine de la délégation par la commission des lois.

Après avoir précisé que seul l'examen de la situation du conjoint survivant entrait dans la vocation de la délégation, M. Philippe Nachbar, rapporteur, a déclaré que notre droit successoral réservait au conjoint survivant un sort défavorable et inadapté aux évolutions socio-économiques qui touchent la famille, tant dans sa structure que dans son patrimoine.

Il a en effet rappelé que dans les cas les plus fréquents -ceux où le défunt laisse des enfants, ses père et mère, des frères et soeurs, des neveux et nièces- le conjoint survivant ne pouvait prétendre qu'au bénéfice d'un usufruit, et qu'il pouvait même être privé de ce dernier, ne faisant pas partie des héritiers réservataires.

Heureusement, a poursuivi M. Philippe Nachbar, rapporteur, dans près de 80 % des cas, la situation du conjoint survivant est plus favorable, grâce au régime matrimonial qu'avaient choisi les époux, aux libéralités qu'ils s'étaient consenties ou aux dispositions testamentaires. Déplorant cependant qu'encore plus de 20 % des couples ne prennent, par ignorance ou insouciance, aucune disposition particulière, il a indiqué que la première proposition de recommandation qu'il ferait à la délégation porterait sur la nécessité d'améliorer l'information en matière successorale.

Puis il a exposé les voies d'amélioration des droits du conjoint survivant suggérées par les deux propositions de loi.

La proposition de loi de M. Alain Vidalies, député, adoptée par l'Assemblée nationale, a-t-il indiqué, vise à améliorer la situation du conjoint survivant en lui reconnaissant la pleine propriété du quart de la succession en présence de descendants du défunt, de la moitié si, à défaut de descendants, le défunt laisse ses père et mère (et les trois quarts s'il ne laisse que l'un d'entre eux), et de la totalité dans les autres cas.

La proposition de loi de M. Nicolas About fait, quant à elle, de la présence ou non de descendants une distinction fondamentale : en l'absence de descendants, le conjoint survivant hériterait en pleine propriété de la moitié des biens de son époux, à égalité avec les parents de ce dernier (et, dans l'hypothèse où un des parents ou les deux parents seraient prédécédés, il recevrait par transfert de leur part respective la propriété des trois quarts ou de la totalité des biens), mais, en présence de descendants, il recevrait la totalité de l'usufruit des biens, les enfants pouvant réclamer, s'ils le souhaitent, leur part d'héritage au moment de la succession, mais en abandonnant en contrepartie leurs droits dans la quotité disponible.

S'il existe ainsi un consensus pour élever la place du conjoint dans la hiérarchie successorale en l'absence de descendants, a relevé M. Philippe Nachbar, rapporteur, il y a débat quant à la solution à adopter en présence d'enfants (ou de petits-enfants). Il a passé en revue les avantages et les inconvénients respectifs de l'usufruit et de la pleine propriété, insistant, au titre des inconvénients, sur le risque de conflit familial dans le premier cas, et, dans le deuxième cas, sur l'inégalité entre les enfants des différents lits, dans l'hypothèse de plus en plus fréquente des familles recomposées, les enfants du premier lit ne devant pas être appelés à la succession du conjoint survivant.

Puis M. Philippe Nachbar, rapporteur, a estimé que la délégation serait dans son rôle en mettant l'accent sur une question de fond, celle de l'octroi d'un droit réservataire au conjoint survivant. Il y a vu un problème de société, posé au-delà de la technique juridique : celui de la place du mariage par rapport au lignage. Il a jugé qu'on ne pouvait en faire l'économie et que le législateur devait être invité à se prononcer dans le cadre d'une refonte globale des droits de successions.

Puis il a évoqué les autres dispositions des deux propositions de loi, et notamment le droit d'habitation (proposition de M. Alain Vidalies) ou le maintien dans le logement (proposition de M. Nicolas About), complété par un droit d'usage portant sur les meubles garnissant le logement, qui vise à permettre au conjoint de rester dans son cadre de vie. Il a estimé qu'il s'agissait là d'une disposition essentielle pour le conjoint survivant -dont il a rappelé qu'il s'agissait dans une immense majorité des cas d'une veuve (on compte plus de 3,2 millions de veuves sur un total d'environ 4 millions de conjoints survivants)- qui pourrait finir ses jours dans son environnement habituel.

M. Philippe Nachbar, rapporteur, a indiqué qu'il était enfin proposé d'octroyer au conjoint survivant un « minimum garanti », qui s'analysait comme un effet direct du mariage, et qui se composait d'un droit au maintien temporaire dans le logement durant l'année qui suit le décès et d'une créance alimentaire sur la succession dans le cas où le conjoint survivant verrait ses conditions de vie gravement amoindries.

Puis, à l'issue de son exposé, M. Philippe Nachbar, rapporteur, a proposé à la délégation d'adopter les recommandations suivantes :

- améliorer, de la manière la plus concrète et la plus efficace possible, l'information des couples en matière successorale, en délivrant notamment cette information en amont du mariage, par exemple lorsque les futurs époux entreprennent leurs démarches en mairie, et en prévoyant une information écrite systématique sur la transmission des patrimoines lors des achats immobiliers ;

- demander au législateur d'envisager l'attribution au conjoint survivant d'une part réservataire, qu'il n'est pas possible d'accorder dans l'état actuel de notre droit des successions et des libéralités mais qui devrait pouvoir trouver sa place dans le cadre de la réforme globale des droits de successions qui s'impose (et à l'occasion de laquelle il conviendrait par ailleurs de revoir la théorie des « co-mourants », contraire au principe de l'égalité des sexes) ;

- écarter la possibilité pour le défunt de s'opposer de son vivant à l'exercice par son conjoint du droit d'habitation et d'usage, ce droit, qui répond à une forte aspiration sociale, devant être intangible.

Un débat a suivi.

Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente, est revenue sur la situation du conjoint survivant dans l'hypothèse où il n'y a pas de descendants.

M. Philippe Nachbar, rapporteur, a rappelé que la proposition de loi de M. Alain Vidalies visait, dans ce cas, à accorder au conjoint survivant la moitié de la succession en pleine propriété, en précisant qu'en l'absence de descendants et d'ascendants, la totalité de la succession lui reviendrait. Il a insisté sur la différence avec le droit actuel où le conjoint survivant passe après les collatéraux privilégiés que sont les frères et soeurs et les neveux et nièces.

Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente, et Mme Odette Terrade se sont dites sceptiques quant au chiffre de 80 % avancé par les notaires pour la proportion des couples qui prennent des dispositions en faveur du conjoint survivant. M. Jean-Guy Branger a estimé, quant à lui, que les donations au dernier vivant étaient fréquentes, tandis que Mme Gisèle Printz, MM. Philippe Nachbar, rapporteur, et Serge Lagauche ont évoqué les actions de sensibilisation menées périodiquement par les notaires.

M. Michel Dreyfus-Schmidt s'est attardé sur la troisième proposition de recommandation du rapporteur. Évoquant le cas où l'appartement, propriété du mari défunt, est le seul élément de la succession, il a déploré que les enfants puissent se trouver déshérités par le droit d'habitation qu'il est envisagé de reconnaître au conjoint survivant. Rappelant qu'il était en outre proposé, dans l'hypothèse où la valeur du droit d'habitation dépasse la part successorale du conjoint, de dispenser celui-ci de récompenses vis-à-vis de la succession et qu'enfin, dans le cas où il devrait abandonner le logement pour être placé dans un établissement de santé, il pourrait louer l'habitation et en toucher les loyers, il a jugé que le dispositif conduisait à un déséquilibre au détriment des enfants, et estimé qu'il convenait, à tout le moins, que le défunt puisse s'opposer de son vivant au droit d'habitation et d'usage de son conjoint, comme le prévoit la proposition de M. Alain Vidalies.

M. Philippe Nachbar, rapporteur, a rappelé que l'exercice du droit d'habitation et d'usage du conjoint se ferait dans le respect des règles successorales actuelles où les enfants sont des héritiers réservataires, donc protégés, ce qui n'est pas le cas du conjoint survivant. Il a estimé que les enfants étaient, dans la plupart des cas, « en état de s'organiser autrement » et que c'était au conjoint survivant de voir ses droits renforcés, soulignant encore une fois qu'il s'agissait là d'un débat de fond, celui de la place du mariage par rapport au lignage.

Mme Gisèle Printz s'est montrée favorable à la priorité donnée au conjoint survivant dans l'hypothèse où la succession se limite au logement. Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente, a fait observer que la démarche du rapporteur en faveur d'un droit d'habitation intangible s'inscrivait dans la mission de la délégation. M. Claude Domeizel a lui-même fait part de son total soutien à la proposition du rapporteur en estimant que le problème des enfants ne devait être pris en compte qu'après le décès du conjoint survivant, cependant que M. Michel Dreyfus-Schmidt a estimé, une nouvelle fois, qu'on ne devait pas oublier les enfants, et notamment le problème des enfants du premier lit.

Puis, après avoir repris une suggestion de présentation de M. Claude Domeizel, la délégation a adopté à l'unanimité les propositions de recommandations de son rapporteur.