Table des matières
DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Mardi 12 décembre 2000
- Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.
Nomination d'un rapporteur
La délégation a tout d'abord désigné à l'unanimité Mme Odette Terrade comme rapporteur du projet de loi n° 120 (2000-2001) relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
Interruption volontaire de grossesse et contraception - Audition de Mme Martine Costes, responsable de formation à l'Association Metanoya, vice-présidente de la Fédération abolitionniste internationale
Après que Mme Hélène Luc fut revenue, pour s'en féliciter, sur le colloque organisé le 15 novembre dernier sur la prostitution par la délégation et que Mme Dinah Derycke, présidente, eut souligné que celle-ci devait répondre, par ses travaux, aux attentes des associations en la matière, qui sont très fortes, la délégation a ensuite procédé à l'audition de Mme Martine Costes, responsable de formation à l'Association Metanoya, et vice-présidente de la Fédération abolitionniste internationale, sur le thème de la prostitution.
Après avoir indiqué qu'elle s'exprimerait au titre de ses deux fonctions, Mme Martine Costes a tout d'abord évoqué l'histoire de la Fédération abolitionniste internationale (FAI), organisation non gouvernementale reconnue par les grandes instances internationales, comme l'ONU. La Fédération abolitionniste internationale est née, il y a plus de cent vingt ans, du combat de l'anglaise Joséphine Butler contre les conditions déplorables d'existence des prostituées, à une époque où les maisons de tolérance étaient reconnues en vertu d'un système réglementariste inspiré de la législation française, et d'ailleurs appelé " système français ". La démarche, qui fut appuyée par les médecins hygiénistes européens de la fin du XIXe siècle, fut la même que celle qui avait prévalu dans la lutte contre l'esclavage, lutte dans laquelle la famille de Joséphine Butler s'était illustrée : il s'est agit pour la Fédération abolitionniste internationale de parvenir à l'abolition de toutes les réglementations qui permettaient d' " enfermer " les femmes.
Le combat de la Fédération abolitionniste internationale a abouti, a poursuivi Mme Martine Costes, à la Convention de l'ONU du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui, qui a été ratifiée par la France, mais, hélas, par guère plus de soixante-dix pays en tout. Elle a notamment évoqué les articles de cette convention qui répriment le proxénétisme, son article 6 qui interdit les réglementations spécifiques à l'égard des prostituées, et son article 16 qui porte sur la prévention de la prostitution et la réinsertion des victimes.
Puis elle a estimé que si les pouvoirs publics français avaient appliqué la convention de 1949 pour ce qui concerne la lutte contre le proxénétisme, le volet social avait été oublié. Or, a-t-elle déclaré, seule la présence constante d'un service d'accompagnement social permet d'appréhender la réalité, très mouvante, de la prostitution et d'assurer la protection des prostituées, laquelle paraît prioritaire par rapport à la lutte contre le proxénétisme : il ne faut pas attendre que les réseaux de proxénétisme soient arrêtés pour s'intéresser au sort des prostituées.
Mme Martine Costes a ensuite indiqué que la Fédération abolitionniste internationale mettait actuellement en place un projet, intitulé " SOS Trafficking ", en faveur de l'utilisation des nouvelles technologies de communication pour améliorer la collecte des informations de toutes sortes nécessaires au traitement de la prostitution, et surtout des cas individuels des prostituées, notamment étrangères, car on ignore, le plus souvent, la législation de leur pays d'origine. Elle a regretté que, pour ce projet, la Fédération ait obtenu des pouvoirs publics français des crédits (50.000 francs) très inférieurs à ceux qu'elle avait demandés et indiqué que ces crédits finançaient l'emploi à mi-temps d'un travailleur slovaque avec, pour tâche, de créer des outils de transmission des informations afin, notamment, d'organiser le rapatriement des ressortissantes slovaques s'adonnant à la prostitution sur le territoire national.
Mme Dinah Derycke, présidente, a invité Mme Martine Costes à préciser ses propos sur la priorité qu'il convenait de donner à la protection des prostituées. Elle a notamment demandé si, selon elle, cette priorité devait passer par la réglementation de la prostitution comme certains le souhaiteraient.
En réponse, Mme Martine Costes a rappelé que la convention de 1949 considérait les prostituées comme des victimes juridiques de la traite, et estimé, répondant sur ce point aussi à Mme Dinah Derycke, présidente, que cette considération s'étendait aux prostituées nationales qui se livrent à la prostitution dans leur lieu d'origine. Toutes les prostituées, a-t-elle déclaré, ont droit à une protection et celle-ci doit être mise en place sans attendre l'intervention de la police sur les réseaux.
Elle a ensuite souligné le paradoxe de la législation française qui considère la prostitution comme une activité légale, mais limite toujours plus, au fil des textes, les possibilités pour elle d'être exercée. Avec la répression du proxénétisme hôtelier et d'appartement, les prostituées ne peuvent " au bout du compte " exercer leur activité que dans la rue, et encore, la réglementation de la circulation et du stationnement permet aujourd'hui de les " repousser à l'extérieur dans des lieux sans sécurité, ni hygiène ".
Elle a estimé que la prostitution restant néanmoins une activité libre, les services sociaux n'avaient pas à monnayer leur aide aux prostituées en échange d'un engagement de ces dernières de la quitter.
Après avoir souligné une nouvelle fois qu'il était indispensable que ces services interviennent auprès des prostituées avant la police, Mme Martine Costes a déclaré que, face à la prostitution, les " outils juridiques de travail social " existaient en France, mais pas les moyens.
Abordant ainsi son activité de responsable de formation à l'association Metanoya, elle a vivement déploré qu'en l'absence de services spécialisés, les travailleurs sociaux ne soient pas informés du problème de la prostitution ; beaucoup, a-t-elle dit, ignorent la convention de 1949 et les ordonnances de 1960. Elle a souligné que l'assimilation fréquente de la prostitution, pourtant légale, à la délinquance, participait de cette méconnaissance du cadre juridique.
Mme Danièle Pourtaud évoquant l'existence néanmoins d'une incrimination pour racolage, Mme Martine Costes a rappelé que celle-ci ne s'appliquait plus, depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, qu'au racolage intempestif, puni d'une contravention de cinquième classe.
M. Alain Hethener a demandé quelles étaient les autorités compétentes pour mettre en oeuvre le volet social des ordonnances de 1960.
Mme Dinah Derycke, présidente, a rappelé qu'il s'agissait d'une mission qui avait été confiée à l'Etat, dans chaque département, mais que celui-ci s'en était remis aux associations, dont certaines gèrent par convention les services de prévention et de réadaptation sociale (SPRS) qui incombent à l'Etat dans les textes de 1960.
Mme Martine Costes a approuvé M. Alain Hethener qui soulignait la nécessité qu'il y aurait à développer les services d'accompagnement social des prostituées avant d'évoquer " la vente du corps " par la prostitution : alors que l'interdiction de vendre son corps par d'autres biais (prélèvement d'organes, mères porteuses...) fait l'unanimité, le même raisonnement n'est pas appliqué à la prostitution. Elle a indiqué que le comité national d'éthique avait été plusieurs fois interpellé sur ce paradoxe.
Puis Mme Martine Costes a souligné l'action des " médiatrices culturelles ", qui permettent de résoudre les difficultés linguistiques auxquelles la plupart des services sociaux sont confrontés vis-à-vis des prostituées étrangères.
Mais elle a déploré le maigre bilan social de la lutte contre la prostitution en France, relevant qu'il constituait, face à la nécessité de répondre à l'offensive des pays réglementaristes, un élément de faiblesse.
Mme Dinah Derycke, présidente, l'interrogeant sur sa position vis-à-vis du réglementarisme, Mme Martine Costes a d'abord fait valoir que l'abolitionnisme ne se concevait pas sans un réel dispositif d'aide aux personnes. S'agissant des politiques réglementaristes, elle a fait observer qu'elles garantissaient aux prostituées nationales des droits sociaux, tout en condamnant les personnes d'origine étrangère à une marginalisation accrue ; elles tendent ainsi à cloisonner les femmes. Par ailleurs, la violence à l'égard des femmes peut prospérer " à l'abri " dans les lieux fermés ; dans le même temps, les proxénètes obtiennent une reconnaissance officielle.
Elle a ensuite déclaré que la diminution de la prostitution reposait sur l'amélioration de la condition générale des femmes.
Mme Danièle Pourtaud s'interrogeant sur les implications de l'imposition fiscale des prostituées, en termes de reconnaissance de leur activité, Mme Martine Costes a estimé que le problème de la fiscalisation renvoyait avant tout à un problème de transparence, qu'elle a qualifié d'un des plus grands de la prostitution. Elle a par ailleurs jugé que cette dernière n'était pas " codifiable " dans ce qu'on entend d'ordinaire par " métier ", notion qui se définit par référence à un certain nombre d'actes qui n'existent pas dans le cas de la prostitution.
Mme Danièle Pourtaud ayant ensuite fait valoir que la fiscalisation constituait un obstacle à la réinsertion des prostituées, Mme Martine Costes a estimé, quant à elle, qu'elle " n'était pas un vrai problème " : pour la prostituée qui veut réellement arrêter son activité, le problème de l'impôt, de l'argent, a-t-elle dit, n'en est pas un.