Travaux de la délégation aux droits des femmes



DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mercredi 30 mars 2005

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Situation des droits des femmes dans les dix nouveaux Etats membres de l'Union européenne - Audition de Mme Jacqueline Heinen, professeure au laboratoire Printemps (UFR de sciences sociales et des humanités) de l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

La délégation a entendu Mme Jacqueline Heinen, professeure au laboratoire Printemps (UFR de sciences sociales et des humanités) de l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

Mme Jacqueline Heinen, a tout d'abord analysé la question de la diversité et des traits communs des nouveaux Etats membres en matière des droits des femmes. Elle a indiqué qu'il existait, avant 1989, des différences notables entre les nouveaux Etats membres imputables notamment à leur histoire économique, sociale, culturelle et religieuse.

Elle a cependant noté qu'une certaine homogénéité pouvait être observée dans la situation des femmes de ces pays : d'une part, des règles assez semblables y sont affichées, et, d'autre part, le même décalage se manifeste entre les normes et la pratique quotidienne.

Après 1989, a-t-elle poursuivi, l'ensemble de ces pays a dû faire face à une montée générale du chômage ; au demeurant, l'aggravation du taux de chômage des femmes s'est révélée assez variable d'un pays à l'autre, même si, de manière générale, les femmes ont subi plus durement la crise de l'emploi que les hommes, à l'exception de la Hongrie qui a connu, selon les statistiques, le phénomène inverse en raison notamment de la mise en place d'un dispositif de congé parental bien rémunéré.

S'agissant des politiques sociales, elle a noté que des systèmes d'allocation assez divers avaient été instaurés dans ces nouveaux Etats membres, mais que de manière générale la période avait été surtout marquée par une réduction en volume des allocations et une dégradation de la protection sociale, qui a frappé particulièrement les femmes et les familles. Elle a, en particulier, évoqué l'effondrement des structures de garde d'enfants dans certains pays de l'Est.

Se fondant ensuite sur un certain nombre de travaux d'études, elle a indiqué que, globalement, on pouvait constater qu'un effort d'alignement des règles d'égalité entre les sexes sur les normes européennes avait été consenti au plan juridique, mais que rien n'avait sensiblement changé dans les faits avec, en particulier, le maintien de l'héritage précédent : une dichotomie entre public et privé ainsi que le maintien de la hiérarchie traditionnelle au sein de la famille.

En ce qui concerne les règles applicables en matière d'égalité des chances, elle a fait observer qu'en dépit d'un mouvement général d'alignement des droits, l'âge de départ à la retraite restait, dans ces pays, la plupart du temps, distinct pour les hommes et les femmes. Elle a précisé qu'un débat s'était instauré sur ce point dans un certain nombre de ces Etats et que l'idée de tenir compte de l'espérance de vie comparée des hommes et des femmes avait été lancée, ce qui pourrait contribuer à minimiser encore les pensions des femmes.

Puis elle a appelé les membres de la délégation à agir pour remédier au cruel défaut de statistiques disponibles, qui contrecarre les efforts conduits pour analyser la situation des femmes avec une précision suffisante. Rappelant ensuite que l'entrée dans l'Union européenne supposait une mise à niveau des normes en matière d'égalité des chances, elle a cependant insisté sur le fait que le principe du cofinancement des subventions européennes conduisait presque tous les pays à sacrifier un certain nombre de dépenses sociales et, en particulier, celles qui peuvent être consacrées à l'amélioration de la condition féminine.

Par ailleurs, elle a fait observer que la « brèche » que constitue le maintien de l'interdiction de l'avortement en Pologne devait inciter à demeurer attentif en matière de droits des femmes dans les nouveaux Etats membres.

Au plan politique, elle a décrit un double mouvement au lendemain de la « chute du mur » avec l'effondrement, dans un premier temps, de la représentation des femmes au Parlement à un niveau souvent inférieur à 5 % et, dans un second temps, le rééquilibrage qui était intervenu dans les années 2000 avec des proportions de femmes parlementaires avoisinant 20 % dans un certain nombre de pays.

Elle a noté que la proportion des femmes dans les institutions locales demeurait traditionnellement plus élevée, en Europe de l'Est, que dans les institutions nationales, dont l'image est fortement entachée auprès de l'opinion publique en raison des nombreux scandales financiers qui ont été mis au jour ces dernières années.

En matière d'emploi, elle a rappelé que la diminution des taux d'activité avait généralement frappé plus durement les femmes que les hommes et a brièvement analysé la segmentation du marché du travail qui perdure dans les nouveaux Etats membres de l'Europe de l'Est, les hommes occupant majoritairement les emplois les mieux rémunérés. Elle a souligné le fait que l'accomplissement des tâches domestiques était massivement réservé aux femmes, les statistiques indiquant même que le nombre d'heures quotidiennes qu'elles y consacrent est près de deux fois plus élevé que chez les femmes de l'Ouest, ce qui contribue mécaniquement à surcharger la journée de celles qui occupent par ailleurs un emploi.

A propos des violences faites aux femmes, elle a indiqué que la forte augmentation révélée par la lecture des statistiques disponibles reflétait le durcissement de la situation économique et sociale. A ce sujet, elle a fait observer que les inégalités de revenus s'étaient accentuées.

Elle a ensuite indiqué qu'un certain nombre de « quotas inversés », qui avaient pu être instaurés dans les années 1980, par exemple en Pologne, pour limiter la proportion très élevée de femmes médecins, avaient été supprimés lors de la mise à niveau des normes requises pour l'entrée dans l'Union européenne.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a demandé à l'intervenante si l'entrée dans l'Union européenne constituait globalement, selon elle, un facteur favorable à l'amélioration de la situation des femmes.

Mme Jacqueline Heinen a répondu que, selon le point de vue exprimé par toutes les organisations de femmes consultées à travers ces pays, l'entrée dans l'Union européenne avait été unanimement considérée comme une chance d'amélioration, encore fallait-il que les institutions européennes puissent prendre cette dimension en compte pour définir des mesures concrètes. Elle a insisté, par ailleurs, sur l'importance des échanges d'informations entre les anciens et les nouveaux Etats membres à travers un dialogue fondé sur l'équilibre et le respect mutuel. De façon générale, elle a estimé que, depuis une quinzaine d'années, les esprits avaient sensiblement évolué en matière d'égalité des chances entre les sexes dans les nouveaux Etats membres.

Interrogée ensuite par Mme Gisèle Gautier, présidente, sur l'influence du facteur religieux, elle a répondu en prenant l'exemple de la Pologne, qui constitue le pays où le facteur religieux a le plus de poids. Elle a toutefois observé qu'en dehors des spécificités en matière d'avortement et d'interruption volontaire de grossesse, ce pays ne s'écartait pas sensiblement de la moyenne en matière de normes et de droits des femmes et que les représentations traditionnelles concernant la place des femmes dans la famille étaient aussi accusées dans les autres pays qu'en Pologne.

En réponse à une question de Mme Gisèle Gautier, présidente, sur la place de l'économie parallèle, Mme Jacqueline Heinen a indiqué que celle-ci continuait de jouer un rôle très important et rappelé qu'un certain nombre de personnes occupaient traditionnellement plusieurs emplois simultanément, au prix d'un grand nombre d'heures de travail. Elle a ensuite noté que pour un certain nombre de retraités qui occupaient traditionnellement des emplois à temps partiel dans l'économie informelle, la situation était devenue dramatique étant donné la baisse du nombre de ces emplois. Elle a noté que les pensions de retraite effectivement perçues par les femmes étaient, en moyenne, de l'ordre de 50 % inférieures à celles des hommes et, à niveau égal d'emploi, de 30 % moins élevées.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a ensuite abordé la question des incidences de la politique économique de l'Union européenne et, en particulier, des effets du pacte de stabilité et de croissance pour les nouveaux Etats membres.

Mme Jacqueline Heinen a indiqué que cette politique de stabilité supposait un cofinancement de la part des Etats et collectivités territoriales concernés pour bénéficier des aides distribuées au titre des fonds structurels et des fonds de cohésion, et que le risque était grand de les voir dégager des marges de financement en opérant des réductions dans les dépenses publiques, notamment dans le domaine des politiques sociales et familiales.

En matière d'immigration, elle a observé, en prolongeant une interrogation de Mme Gisèle Gautier, présidente, que des flux très importants existaient, en liaison, notamment, avec l'industrie du sexe. Elle s'est dite interloquée par le spectacle qui peut être observé dans certaines zones frontalières, en citant le cas des abords de la République tchèque et de l'Allemagne, où de nombreuses jeunes femmes se prostituent. Par ailleurs, elle a indiqué que les femmes en provenance de l'Europe de l'Est installées en Europe de l'Ouest ne souhaitaient pas, la plupart du temps, retourner dans leur pays d'origine.

En définitive, et en réponse à une suggestion de Mme Gisèle Gautier, présidente, elle a conclu en formulant deux recommandations : perfectionner les outils statistiques permettant de comparer les données selon le genre, d'une part, et, d'autre part, multiplier les échanges en allant sur place, dans les nouveaux Etats membres, pour susciter une mobilisation sur le terrain en faveur de l'amélioration de la situation des femmes.