Travaux de la délégation aux droits des femmes



DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 15 mars 2005

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Union européenne - Situation des droits des femmes dans les dix nouveaux Etats membres de l'Union européenne - Audition de Mme Emmanuelle Latour, secrétaire générale de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes

La délégation a entendu Mme Emmanuelle Latour, secrétaire générale de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a accueilli la secrétaire générale de l'Observatoire de la parité en rappelant qu'elle participait elle-même, en tant que membre, aux travaux de cet organisme. Elle a ensuite évoqué l'actualité et l'intérêt d'une comparaison de la situation des droits des femmes dans les dix nouveaux Etats membres de l'Union européenne.

Mme Emmanuelle Latour, secrétaire générale de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, a brossé un panorama statistique global de la situation des femmes des nouveaux Etats membres, en indiquant qu'il convenait de se prémunir contre une vision trop « exotique » de ces pays, dont les caractéristiques se rapprochent de celles des anciens Etats de l'Union européenne. Elle a présenté un certain nombre d'indicateurs, en précisant qu'elle estimait préférable de se concentrer sur quelques données particulièrement significatives. Elle a tout d'abord commenté les taux d'emploi des femmes, en notant que les statistiques européennes calculaient le taux d'activité des femmes en France dans la tranche d'âge comprise entre 15 et 80 ans. Elle a rappelé que les pays du bassin méditerranéen connaissaient traditionnellement des taux d'activité féminins moindres que dans les pays du Nord. Cinq pays connaissent, en effet, un taux d'emploi des femmes inférieur à 50 % : Malte, l'Italie, la Grèce, l'Espagne et la Pologne.

Mme Emmanuelle Latour a noté que les femmes au foyer exercent néanmoins des activités productives. A ce titre, elle a fait observer qu'une approche en termes d'activité, et non de salariat, permettrait de donner une image plus fidèle de la charge effective de travail des femmes.

En réponse à une interrogation de Mme Gisèle Printz sur la comparaison des taux d'activité féminins en France et en Allemagne, Mme Emmanuelle Latour a rappelé qu'en Allemagne, de nombreuses femmes travaillent dès l'âge de 16 ans, notamment dans le cadre de l'enseignement professionnel par alternance, ce qui se traduit dans les statistiques par le fait que le taux d'activité des femmes y est supérieur alors que, comme l'a indiqué Mme Gisèle Printz, les femmes françaises semblent traditionnellement occuper un emploi plus fréquemment que les femmes allemandes.

Mme Jacqueline Alquier a également fait observer que, dans certains pays, les femmes pouvaient être amenées à travailler après l'âge légal de départ à la retraite.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a évoqué la différence culturelle entre les pays du Nord et des pays latins, qui peut expliquer la variabilité des taux d'activité des femmes.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam a souhaité une harmonisation dans la collecte et la description des données statistiques.

Mme Emmanuelle Latour a ensuite présenté les taux de chômage comparés entre hommes et femmes en observant qu'à quelques exceptions près, comme l'Espagne ou la Grèce, les grandeurs étaient comparables. Elle a rappelé que ces statistiques globales masquaient l'existence des phénomènes de « plafond de verre », de ségrégation sur le marché du travail et l'ampleur du travail féminin à temps partiel. Elle a indiqué, pour illustrer le phénomène de ségrégation, qu'au Portugal, où l'enseignement des mathématiques n'était pas valorisé, les jeunes filles représentaient 70 % des effectifs de cette filière.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam a rejoint ces propos en estimant que les jeunes filles étaient trop souvent orientées vers les filières dévalorisées.

Mme Gisèle Printz a indiqué que c'était parfois le déficit de main-d'oeuvre masculine qui conduisait à orienter les femmes vers certaines filières.

Mme Emmanuelle Latour a estimé que la prise de conscience de l'impact d'un modèle professionnel traditionnellement masculin devrait conduire à repenser les déroulements de carrière des femmes et des hommes. Elle a ensuite estimé que la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle pouvait être économiquement rentable en rappelant, a contrario, le gâchis humain produit par l'excès de stress au travail.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a souligné la nécessité de combattre fermement l'idée, trop souvent exprimée dans divers instances ou colloques selon laquelle les femmes pourraient être utilisées pour pallier le manque de main-d'oeuvre masculine démographiquement prévisible.

Mme Gisèle Printz a rappelé que, pendant les deux guerres mondiales, les femmes avaient été employées dans cet esprit pour occuper les emplois laissés vacants jusqu'au retour des hommes mobilisés comme soldats.

Mme Emmanuelle Latour a, pour sa part, insisté sur l'ampleur, injustement sous-estimée, du travail domestique en rappelant, à titre d'anecdote illustrative, qu'au Canada il avait été calculé que les femmes au foyer étaient amenées à soulever quotidiennement de lourdes charges en déplaçant notamment leurs enfants.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur les spécificités des taux de chômage des femmes observés dans les dix nouveaux pays membres de l'Union européenne.

Mme Emmanuelle Latour a indiqué que six pays, parmi les dix nouveaux membres, connaissaient un taux de chômage supérieur ou égal à 10 % : l'Estonie (10 %), la Lettonie (10,7 %), Malte (11,3 %), la Lituanie (13,3 %), la Slovaquie (17,4 %), la Pologne (20 %). Elle a noté qu'à la différence des anciens Etats membres, où la classe moyenne est traditionnellement majoritaire, les nouveaux Etats membres connaissent fréquemment une situation plus inégalitaire entre les groupes sociaux.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam a jugé particulièrement intéressant de noter que malgré ce haut niveau de chômage, les nouveaux pays membres se caractérisaient par un niveau comparable de chômage entre les hommes et les femmes.

Mme Emmanuelle Latour a cependant fait observer que le développement du marché du travail, notamment dans les pays de l'Est, comportait des aspects ségrégatifs à l'égard des femmes.

Mme Jacqueline Alquier s'est demandé si la prise en compte de l'économie parallèle ne devait pas relativiser ces statistiques officielles.

Mme Emmanuelle Latour, commentant les chiffres relatifs aux écarts de rémunération entre hommes et femmes, a fait observer que l'écart le plus minime était observé en Italie, qui fait partie, avec Malte et la Belgique, du groupe des trois pays où l'écart est inférieur à 10 %. Elle a rappelé que le Président de la République avait fixé, pour la France, un objectif de rattrapage de cet écart dans les cinq ans, la France faisant partie de la fourchette haute du groupe des quinze pays où l'écart salarial est compris entre 10 et 20 %. Elle a estimé nécessaire de prendre en compte les données concernant la protection sociale et le niveau d'éducation dans les nouveaux pays membres de l'Union européenne.

S'agissant des données relatives au suffrage universel, Mme Gisèle Gautier, présidente, a noté que les pays du Nord de l'Europe avaient des traditions très anciennes de suffrage universel incorporant le vote féminin, la Finlande ayant, par exemple, institué le vote des femmes dès 1906, le Danemark en 1915, les statistiques présentées par Mme Emmanuelle Latour indiquant plus généralement que quatorze pays de l'Union européenne avaient introduit le suffrage féminin entre 1915 et 1931.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam a relevé qu'après la seconde guerre mondiale, neuf pays avaient, comme la France, accordé le droit de vote aux femmes.

Mme Emmanuelle Latour a insisté sur la nécessaire prise de conscience du décalage entre les déclarations de principe et la réalité culturelle ou institutionnelle.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam s'est ensuite interrogée sur les solutions permettant de favoriser et d'approfondir la parité politique au-delà de la législation en vigueur.

Un débat s'est instauré sur cette question au cours duquel Mme Gisèle Gautier, présidente, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Printz et Jacqueline Alquier sont intervenues.

Puis Mme Emmanuelle Latour a indiqué que l'Estonie, la Slovaquie et la République Tchèque connaissaient le vote féminin depuis 1920.

En réponse à une interrogation de Mme Gisèle Gautier, présidente, elle a précisé que le taux de participation électorale était traditionnellement élevé dans les pays qui rejoignent l'Union européenne.

S'agissant de la proportion de femmes au Parlement européen, Mme Emmanuelle Latour a divisé les Etats membres en trois groupes : onze d'entre eux ont élu entre 0 et 30 % de femmes au Parlement européen ; dans neuf pays cette proportion se situe entre 30 et 40 % ; et dans cinq Etats membres, dont la France, la Slovénie, les Pays-Bas, la Lituanie et la Suède, la proportion de femmes élues au Parlement européen en juin 2004 est supérieure à 40 %.

Mme Gisèle Gautier, présidente, ayant noté que 31,5 % des parlementaires européens espagnols étaient des femmes, Mme Emmanuelle Latour a précisé que l'Espagne constituait une démocratie relativement jeune où les femmes participaient à la vie politique de manière très dynamique.

Mme Emmanuelle Latour a fait observer que pendant longtemps le mandat de député européen avait été considéré comme un enjeu de pouvoir moindre que les mandats nationaux et que, par la suite, le Parlement européen était devenu plus accessible aux femmes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a demandé des précisions sur la législation relative à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), la fécondité et les taux de mortalité infantile dans les nouveaux pays membres de l'Union européenne.

Mme Emmanuelle Latour lui a indiqué que l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes s'efforcerait d'apporter à la délégation toutes les précisions utiles à ce sujet.