Travaux de la délégation aux droits des femmes
DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Mardi 8 juin 2004
- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.
Situation des femmes en Afghanistan - Audition de Mme Chekeba Hachemi, Première secrétaire de l'ambassade d'Afghanistan auprès de l'Union européenne
La délégation a procédé à l'audition de Mme Chekeba Hachemi, Première secrétaire de l'ambassade d'Afghanistan auprès de l'Union européenne, sur la situation des femmes en Afghanistan.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé l'intérêt porté par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes à la situation particulièrement difficile des femmes dans un certain nombre de pays traversés par des conflits. Elle a également souligné l'importance du rôle des femmes dans le processus de rétablissement de la paix, puis a présenté les principales étapes de la carrière de Mme Chekeba Hachemi.
Après avoir manifesté son émotion de pouvoir à nouveau dialoguer avec des représentants du Parlement qui l'ont soutenue, il y a plusieurs années, dans son action en Afghanistan, Mme Chekeba Hachemi a tout d'abord évoqué les principaux repères de l'évolution du régime avec la mise en place, en décembre 2001, conformément aux accords internationaux, d'un gouvernement provisoire, et, fin 2003 d'une assemblée (Loya Jirda) qui a décidé démocratiquement, pour la première fois dans l'histoire de l'Afghanistan, de maintenir le gouvernement en place. Elle a indiqué que ce dernier comprenait trois femmes, dont deux ministres - l'une des affaires sociales, l'autre de la condition féminine - et une secrétaire d'État aux affaires juridiques.
S'agissant de la situation globale de l'Afghanistan, elle a fait ressortir le décalage entre les promesses de la communauté internationale et les réalisations concrètes : à Kaboul, a-t-elle indiqué, la reconstruction est visible, tandis que dans les provinces, qui représentent 95 % du territoire afghan, aucune route n'est remise en état, il n'y a pas d'eau potable et le pays connaît les taux de mortalité les plus élevés du monde à la naissance. Elle a précisé qu'un enfant sur trois n'atteint pas l'âge de 5 ans. Tout en signalant que 30 % des enfants scolarisés sont des filles, elle a rappelé que des millions d'enfants afghans ne sont pas scolarisés.
Mme Chekeba Hachemi a indiqué que la Constitution afghane consacrait le principe de l'égalité entre hommes et femmes. Elle a cependant insisté sur l'importance de la mise en oeuvre concrète de ce principe, et précisé, qu'à ce titre, un travail immense reste à accomplir pour faire évoluer les mentalités. Estimant à 95 % le taux d'analphabétisation, elle a également souligné l'importance primordiale de l'éducation pour l'avenir de l'Afghanistan.
Elle a ensuite fait observer que, même si l'on parle moins des femmes afghanes dans les médias, rien n'est pour autant résolu avec, en particulier, un mouvement fondamentaliste qui reste ancré dans ce pays. Mme Chekeba Hachemi a précisé que des campagnes de terreur se développent dans certaines provinces pour que les femmes ne prennent pas leur carte d'électrice et pour empêcher les familles d'envoyer leurs petites filles à l'école. Elle a ainsi fait ressortir la gravité de la situation dans ce pays sans routes, sans eau, sans électricité, et souligné que 80 % de la mortalité aurait pu être évitée par des mesures préventives.
Mme Chekeba Hachemi a souligné que la demande de présence, d'aide et d'implication de la communauté internationale émanait non seulement du gouvernement, mais aussi du peuple et que l'Afghanistan apparaissait aujourd'hui comme l'un des seuls pays démocratiques de la région d'Asie centrale. Elle a affirmé que le maintien de ce régime nécessitait des mesures économiques et sociales d'accompagnement. Sur le terrain, elle a signalé que la population afghane demandait avant tout une aide pour construire des écoles, manifestant ainsi son souci prioritaire d'assurer l'avenir de ses enfants.
Mme Chekeba Hachemi a ensuite évoqué le problème de la drogue, en rappelant que l'Afghanistan demeurait le premier producteur mondial de pavot, et que 85 % de la consommation européenne provenait de ce pays. Elle a précisé que l'argent issu du commerce de la drogue ne profitait guère aux producteurs locaux qui ne retirent pas plus de revenus en cultivant le pavot plutôt que le blé. Elle a souligné la nécessité d'élaborer un projet agricole national, plutôt que de se limiter à des mesures d'incitation à la reconversion de la culture du pavot qui se révèlent peu efficaces, certains producteurs étant tentés de se mettre à cultiver le pavot pour pouvoir en bénéficier.
Un débat s'est alors instauré.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a demandé des précisions sur la consécration du principe d'égalité hommes-femmes dans la Constitution afghane et sur le bilan des aides économiques et financières. Elle s'est également inquiétée des modalités d'intégration des réfugiés.
Mme Gisèle Printz s'est interrogée sur l'influence de la religion sur la vie quotidienne afghane.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a souhaité savoir pourquoi l'aide internationale n'avait pas l'efficacité escomptée.
Mme Monique Cerisier ben Guiga a interrogé Mme Chekeba Hachemi sur les perspectives et les moyens d'évolution de la société afghane qui reste largement patriarcale.
Après avoir estimé que l'éducation nationale avait un rôle majeur à jouer pour faire évoluer la société afghane, Mme Hélène Luc a demandé des précisions sur les moyens d'aide concrète à mettre en oeuvre, notamment au titre de la coopération. Elle a également posé la question de l'importance de la formation des maîtres et a demandé quels étaient les principaux pays dispensateurs d'aide.
Revenant sur l'évocation des promesses de la communauté internationale, M. André Vallet s'est interrogé sur l'efficacité de l'action de l'Europe. S'agissant de l'élection présidentielle qui aura lieu dans quelques mois, il a demandé comment on pouvait mesurer l'intérêt du peuple afghan pour cette consultation. Il s'est également interrogé sur les liens entre les fondamentalistes et le terrorisme international. Observant que les médias diffusent essentiellement des informations sur Kaboul, il a estimé nécessaire d'insister sur le fait que 95 % de l'Afghanistan est constitué par ses provinces. Enfin, s'agissant du commerce de la drogue, il s'est demandé pourquoi on continue à tolérer la culture du pavot, et a posé la question de l'évolution vers des mesures d'interdiction. Il a également souhaité savoir à qui profitait le commerce de la drogue.
En réponse aux différents intervenants, Mme Chekeba Hachemi a tout d'abord confirmé que la Constitution de l'Afghanistan faisait explicitement référence au principe d'égalité entre hommes et femmes.
Puis, s'agissant de l'emprise de la religion, elle a rappelé la force de la culture persane, parfois plus influente que l'islam dans les provinces afghanes. Elle a illustré ce phénomène en évoquant son expérience personnelle de mise en place d'écoles.
Soulignant que les talibans sont une force étrangère à l'Afghanistan, elle a indiqué que le régime oppressif qu'ils avaient imposé rendait inconcevable leur retour.
S'agissant de l'aide internationale, elle a rappelé le lien entre les attentats du 11 septembre 2001 et la prise de conscience de la communauté internationale du fléau que constitue l'emprise du fondamentalisme en Afghanistan. Elle a indiqué que la communauté internationale avait pris des engagements financiers à hauteur de 4,5 milliards de dollars, pour la période 2002-2006, au titre de l'aide à la reconstruction de l'Afghanistan et que la Commission européenne y consacrait 200 millions d'euros par an. Elle a cependant précisé que ces montants incorporent des dépenses de défense et souligné la nécessité de tenir également compte d'autres paramètres, comme les arriérés de dettes de l'Afghanistan, qui doivent également être déduits de cette somme globale pour mesurer son montant net et sa portée réelle.
Mme Chekeba Hachemi a noté que la France avait honoré ses promesses et apporté un certain nombre d'aides ponctuelles, à la reconstruction de lycées notamment. Elle a toutefois estimé globalement insuffisante l'aide au développement du secteur privé et a regretté l'insuffisance de la présence des entreprises françaises dans l'économie locale et de l'aide française en faveur de la francophonie, qui bénéficie pourtant de grands atouts en Afghanistan. Elle a rappelé, par contraste, l'implication croissante des entreprises allemandes dans ce pays, tout en rappelant que la France est traditionnellement « l'amie de coeur » de l'Afghanistan. Mme Chekeba Hachemi a ensuite rappelé que l'isolement d'un pays est favorable à une présence accrue des fondamentalistes.
Par ailleurs, évoquant la complexité des flux financiers émanant du commerce de la drogue, elle a confirmé que l'Afghanistan ne tirait guère de bénéfices de ce trafic.
Mme Chekeba Hachemi a ensuite cité un certain nombre d'expériences vécues pour illustrer la nécessité d'une éducation aux principes de base d'hygiène et de santé ainsi que de la formation des cadres administratifs. Elle a, à ce titre, évoqué l'action conduite par certains groupes de presse français et souhaité que puisse être prolongée cette diffusion d'informations à la population afghane, qui lit avec intérêt les quelques journaux qui peuvent être distribués.
Mme Chekeba Hachemi a souligné l'intérêt et l'importance de la multiplicité d'actions ciblées sur des projets ponctuels et regretté la moindre intensité de l'intérêt des médias pour la situation en Afghanistan.
Elle a fait observer que la présence d'une femme parmi les candidats aux prochaines élections constituait un pas en avant, et a rappelé qu'elle avait été la première femme nommée diplomate.
Mme Maryse Bergé-Lavigne s'est interrogée sur la sécurité du peuple afghan et sur les risques liés à la présence des troupes étrangères.
Mme Chekeba Hachemi a répondu que la présence étrangère était bien perçue par la population afghane et ne suscitait aucune animosité, avant de faire observer que les programmes de reconstruction régionale comportent une dimension à la fois civile et militaire.
Elle a rappelé la réussite que constituait l'absorption, en 2002, de deux millions de réfugiés afghans et indiqué que subsistent encore trois millions de réfugiés ayant la volonté de revenir en Afghanistan, ce qui nécessite la mise en place de programmes adaptés.
Mme Hélène Luc a demandé des précisions sur l'évolution de l'épidémie de sida en Afghanistan et sur la situation des maternités.
Mme Chekeba Hachemi a indiqué, qu'au delà des annonces ponctuelles de cas de sida en Afghanistan, il convenait de rappeler que le délabrement du système de santé ne permettait pas de dénombrer le nombre de cas avec précision. Puis elle a évoqué la rareté des maternités et souhaité, avant tout, des actions de formation de sages-femmes qui pourraient apporter une aide considérable dans les provinces.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a souhaité que la délégation puisse être associée aux travaux de la commission des affaires étrangères sur l'Afghanistan. Elle a également proposé un éventuel déplacement de représentants de la délégation dans ce pays, tout en s'interrogeant sur les moyens concrets et efficaces d'apporter une contribution utile à l'Afghanistan.
Mme Chekeba Hachemi a évoqué l'intérêt d'un constat sur place de la réalité de la situation de la population afghane pour recenser et soutenir un certain nombre de projets et également pour apporter un élan d'optimisme.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a estimé utile de prendre des initiatives parlementaires susceptibles de contrebalancer la diminution de l'intérêt des médias pour l'Afghanistan et s'est interrogée sur les actions précises qui pourraient être conduites par la délégation.
Mme Josiane Mathon a souhaité un ciblage des actions de soutien sur les domaines de la santé et de l'éducation.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a demandé un catalogue des microprojets précis qui pourraient être parrainés par la délégation ou par ses membres.
Mme Hélène Luc a manifesté son intérêt pour le thème de la formation des maîtres en Afghanistan.
Mme Monique Cerisier ben Guiga a estimé qu'il convenait, dans bien des cas, de s'efforcer de remotiver les acteurs sur des microprojets précis.
Après avoir rappelé ses suggestions tendant à une action commune de la commission des affaires étrangères et de la délégation pour promouvoir des actions en faveur de la population afghane - y compris, éventuellement, en se rendant sur le terrain - Mme Gisèle Gautier, présidente, a manifesté son intention de relayer auprès du gouvernement français des demandes de soutien à un certain nombre de projets bien ciblés.
Elle a conclu les débats en rendant hommage à l'action de Mme Chekeba Hachemi.