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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 3 juin 2003

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Elections - Parlement - Réforme de l'élection des sénateurs

La délégation a procédé à l'examen du rapport d'information de Mme Gisèle Gautier sur la proposition de loi n° 313 (2002-2003) de MM. Christian Poncelet, Josselin de Rohan, Michel Mercier, Henri de Raincourt, Xavier de Villepin, Daniel Hoeffel et plusieurs de leurs collègues, portant réforme de l'élection des sénateurs, à la suite de la saisine de la délégation par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

Mme Gisèle Gautier, présidente, rapporteur, a tout d'abord rappelé que la proposition de loi portant réforme de l'élection des sénateurs constituait le second volet d'une réforme de l'institution sénatoriale, le premier faisant l'objet d'une proposition de loi organique n° 312 (2002-2003) portant réforme de la durée du mandat et de l'élection des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat.

Elle a précisé que s'il existe une solidarité et une cohérence entre les deux dispositifs, seule, la proposition de loi ordinaire, qui élève de 3 à 4 sénateurs, par département le seuil à partir duquel il est recouru au scrutin proportionnel, avec alternance obligatoire, sur les listes, d'un candidat de chaque sexe, intéresse la compétence de la délégation.

Elle a noté que la question du meilleur régime électoral possible pour le Sénat était difficile et avait été fréquemment débattue. Estimant qu'on ne saurait apprécier un mode de scrutin à la seule aune de ses incidences sur la parité entre hommes et femmes, elle a cependant rappelé que la vocation même de la délégation, ainsi que le retard français quant à la place des femmes dans la vie publique, justifiaient que l'on se penche sur cette dimension de la réforme proposée.

En première partie de son rapport, elle a tout d'abord constaté la persistance d'un « mal français » : la sous-représentation des femmes dans la plupart des assemblées élues -en particulier, au niveau local, dans les conseils généraux-, malgré des progrès récents liés essentiellement à la législation sur la parité.

Elle a rappelé que de 7 % en 1947, la part des femmes sénateurs était descendue jusqu'à 1,42 % en 1971 et avait remonté progressivement, pour s'établir à 5,6 % en 1995, à 5,9 % en 1998 et 10,9 % en 2001.

Elle a cité le contre-exemple du Parlement européen, où la délégation française fait une large place aux femmes (40 %), tout en précisant que les enjeux de pouvoirs n'y sont peut-être pas aussi importants et, surtout, que les sièges y sont pourvus à la représentation proportionnelle.

Elle a indiqué que, de toute évidence, c'est la législation sur la parité et l'obligation de faire alterner hommes et femmes sur les listes lors des élections pourvues au scrutin proportionnel qui avait permis de faire véritablement évoluer la situation. A titre d'illustration, elle a rappelé que la loi du 6 juin 2000 avait tout d'abord été appliquée aux élections municipales des 11 et 18 mars 2001, et que la proportion des conseillères municipales élues dans les communes de plus de 3.500 habitants avait quasiment doublé, passant de 25,7 % en 1995 à 47,4 %, un effet d'entraînement s'étant même fait sentir dans les communes non soumises à une quelconque obligation juridique de parité, où la proportion de femmes élues est passée de 21 à 30 %.

Elle a cependant souligné que cet effet d'entraînement n'avait touché que faiblement les fonctions exécutives : le nombre de femmes maires ne s'est accru que dans de faibles proportions, passant de 7,5 % en 1995 à 10,9 %.

Mme Gisèle Gautier, rapporteur, a ensuite évoqué les résultats des élections sénatoriales du 23 septembre 2001, second cas d'appréciation de la législation sur la parité.

Lors du renouvellement de 1992, a-t-elle rappelé, 5 sièges, sur les 102 de la série B, avaient échu à des femmes, dont deux dans le cadre d'un scrutin majoritaire (sur 70 sièges pourvus selon ce régime) et trois dans le cadre d'un scrutin à la proportionnelle (soit 10 % des 32 sièges régis par ce mode de scrutin). En 2001, le nombre de femmes élues dans la même série a plus que quadruplé, en passant de 5 à 22. Sur ces 22 élues, 20 l'ont été au scrutin proportionnel, et on constate que leur part s'accroît avec l'importance du département : elles sont 20 % dans les circonscriptions à 3 sièges de sénateurs, 25 % quand l'élection portait sur 4 sièges, et 35 % dans les départements comptant 5 sièges de sénateurs ou plus.

Abordant la deuxième partie de son rapport, consacrée à la réforme proposée et à ses incidences sur les droits des femmes, Mme Gisèle Gautier, rapporteur, a tout d'abord indiqué que malgré les apparences, le rééquilibrage entre les modes de scrutin proposé par les auteurs de ce texte préservait la progression vers la parité.

Tout en notant que l'élévation -de trois à quatre sénateurs par département- du seuil à partir duquel on applique le scrutin proportionnel, avec une alternance obligatoire hommes/femmes sur les listes, entraînait, à première vue, une diminution du nombre de femmes élues, elle a souligné qu'il convenait d'intégrer à la réflexion sur cet aspect deux autres données importantes.

En premier lieu, elle a rappelé que le mode de scrutin actuellement en vigueur - c'est-à-dire la proportionnelle pour les départements comportant 3 sièges de sénateurs ou plus - n'avait été utilisé qu'une fois, en 2001, sur la seule série B.

En outre, elle a estimé nécessaire de prendre en compte le fait que la réforme prévue portait non seulement sur le seuil à partir duquel le scrutin proportionnel s'applique, mais également sur le nombre de sièges attribués à chaque département. Elle a précisé qu'un accroissement significatif - 25 sièges supplémentaires - de l'effectif des sénateurs était proposé, et que cet accroissement ne profitait, globalement, qu'aux départements relevant, sous l'empire de la législation actuelle comme sous celui de la réforme proposée, de l'élection au scrutin proportionnel. Elle a indiqué, en conséquence, que les effets potentiellement négatifs, au regard de la parité, de la nouvelle ligne de partage entre les modes de scrutin, devraient se trouver en partie compensés par l'accroissement de l'effectif du Sénat.

Mme Gisèle Gautier, rapporteur, a cité trois chiffres pour illustrer cette affirmation : tout d'abord, avant les lois du 6 juin et du 6 juillet 2000, un avantage très net était donné au scrutin majoritaire, qui pourvoyait 211 sièges sur 321, soit quasiment les deux tiers des sièges ; avec le régime actuellement en vigueur, ce rapport numérique a été plus qu'inversé, puisque près de 70 % des sièges (224) sont régis par le scrutin proportionnel ; enfin, elle a constaté que la réforme proposée réalisait un partage à peu près égal entre les deux modes de scrutin, avec un léger avantage en faveur de la proportionnelle, appelée à pourvoir 52 % des sièges (180), contre 48 % (166) pourvus au scrutin majoritaire.

Elle a déduit de la combinaison de ces données :

- d'une part, que les départements comptant 3 sénateurs de l'actuelle série B - qui avaient élu 6 femmes en 2001 contre 1 seule en 1992 - enverront sans doute, proportionnellement, moins de femmes à la Haute Assemblée qu'en 2001, encore qu'il faille, a-t-elle précisé, se garder de toute approche mécaniste des questions électorales, et prendre en considération l' « effet sortant » dont bénéficieront les femmes précédemment élues ;

- et d'autre part, que les départements ou circonscriptions comptant 3 sénateurs des séries C et A devraient élire plus de femmes au Sénat qu'ils ne l'ont fait en 1995 et 1998, même si l'on peut parler de perte potentielle par rapport aux résultats qu'aurait vraisemblablement donnés l'application de la législation instituée en 2000.

Prenant l'exemple de la série C, renouvelable en 2004 avec un supplément de 10 sièges par rapport à 1995, elle a indiqué qu'en 1995, cette série, renouvelée avant les lois sur la parité, avait pourvu 59 sièges au scrutin majoritaire et 58 à la représentation proportionnelle et qu'en 2004, la série C élira 44 sièges (soit 15 de moins qu'auparavant) au scrutin majoritaire et 83 sièges à la représentation proportionnelle, soit 25 de plus.

S'agissant de la série A, renouvelable en 2007, elle a noté que le rapport entre les deux modes de scrutin serait, lui aussi, nettement modifié en faveur de la représentation proportionnelle : 40 sièges au lieu de 12 en 1998 seront régis par ce mode de scrutin, alors que le nombre de sièges pourvus au scrutin majoritaire passera de 90 à 72.

Elle a donc estimé que la perspective d'un net progrès, quant à la mixité de la Haute Assemblée, paraissait préservée.

Au demeurant, elle a jugé particulièrement nécessaire de mettre fin à la sorte d'incompatibilité de fait qui existe, en France, entre le scrutin majoritaire et la parité et préconisé de réfléchir aux moyens de rendre effective l'égalité des chances entre les hommes et les femmes face à ce mode de scrutin.

Elle a indiqué qu'une première piste, à cet égard, pouvait être recherchée dans une refonte du système de modulation des aides publiques aux partis politiques en fonction de leur respect de la parité entre les candidats, dont les premiers résultats ont été décevants.

Elle a évoqué une autre piste de réflexion qui consisterait à envisager, dans les scrutins majoritaires uninominaux, une obligation pour le candidat titulaire de faire choix d'un suppléant de sexe opposé, tout en indiquant que cette solution semblait soulever un certain nombre d'objections.

Mme Gisèle Gautier, présidente, rapporteur, a jugé avant tout nécessaire que les partis, conformément à la mission qui leur est confiée par l'article 4 de la Constitution, et leurs comités d'investiture, s'impliquent de façon plus dynamique dans une démarche de développement de la parité.

Un débat s'est ensuite instauré.

M. Gérard Cornu, après avoir rappelé que la délégation devait, en effet, veiller à la conformité de la proposition de loi au principe de parité, a tout d'abord souligné que l'abaissement de la durée du mandat pouvait être un facteur très positif d'amélioration de la parité, et proposé que ceci soit mentionné ; il a ensuite fait observer que les effets du mode de scrutin proportionnel appliqué en 2001 aux départements élisant 3 sénateurs avaient finalement pu se révéler néfastes pour les femmes dans un certain nombre de cas. Il a noté que la règle de l'alternance des candidats de chaque sexe sur les listes était préservée et a enfin indiqué que l'effet de l'augmentation du nombre de sénateurs requise par la jurisprudence du Conseil constitutionnel était favorable à l'émergence des femmes.

Mme Danièle Pourtaud, après avoir souligné l'habileté du raisonnement développé par le rapporteur, a relevé que la loi organique abaissait à six ans la durée du mandat sans évoquer la question du cumul des mandats. Elle a ensuite fait valoir que le scrutin proportionnel assorti d'une obligation d'alternance homme/femme sur les listes était le plus favorable à la parité.

Observant que l'augmentation du nombre de sénateurs prévue par la proposition de loi organique devrait normalement s'imputer sur l'ensemble des départements élus à la proportionnelle, elle a rappelé que la loi ordinaire supprimait dans tous les départements élisant 3 sénateurs le progrès introduit par la loi du 10 juillet 2000 relative à l'élection des sénateurs.

Elle a fortement souligné que l'abaissement du seuil d'application du scrutin proportionnel était défavorable à la parité et a estimé que, de ce point de vue, la proposition de loi ordinaire ne respectait pas le principe constitutionnel de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

Elle a également estimé surprenant que l'on puisse se prévaloir du détournement ou du contournement d'une disposition législative par les partis politiques pour la supprimer.

Elle a enfin manifesté l'opposition du groupe socialiste à l'adoption du rapport.

M. Gérard Cornu a fait observer que chacun avait le droit de se présenter en constituant sa propre liste.

Mme Gisèle Gautier, présidente, rapporteur, a rappelé que le mode de scrutin défini par la loi du 10 juillet 2000 relative à l'élection des sénateurs n'avait connu d'application qu'une seule fois, en 2001.

Mme Paulette Brisepierre, après avoir souligné que rien n'empêchait une femme de conduire une liste, a estimé que la législation sur la parité constituait un « coup d'envoi » pour plus de mixité et que cette impulsion initiale devait être relayée par le dynamisme des femmes dans la vie publique.

Mme Gisèle Gautier, rapporteur, a insisté sur la nécessité d'une mobilisation des femmes dans la vie politique.

Mme Odette Terrade, après avoir observé que l'augmentation du nombre de sièges et la réduction de la durée du mandat pouvaient constituer des facteurs favorables à la parité, n'en a pas moins estimé que l'élection des sénateurs à la proportionnelle était le mode de scrutin qui permettait d'élire le plus de femmes et que la proposition de réforme constituait, à l'évidence, un recul sur ce point.

Mme Danièle Pourtaud a réaffirmé que la réforme proposée constituait un retour en arrière et a estimé nécessaire de prendre en compte l'aspiration des électeurs à une augmentation de la participation des femmes dans la vie politique.

Mme Paulette Brisepierre a fait observer que cette aspiration de la société à plus de parité devrait normalement se manifester par un courant de sympathie conduisant les électeurs à voter pour des femmes.

Mme Gisèle Gautier, rapporteur, a indiqué que les deux propositions de loi -organique et ordinaire- participaient d'une logique d'ensemble.

Mme Danièle Pourtaud, contestant cette affirmation, a considéré que l'augmentation du nombre de sénateurs résultait d'une obligation imposée par le Conseil constitutionnel.

Insistant sur le principe de la liberté de présentation des candidatures, M. Marcel-Pierre Cléach a estimé que le scrutin de liste proportionnel correspondait à une présentation des candidats par les partis, alors que le scrutin majoritaire peut favoriser, indépendamment des partis, l'émergence de « nouveaux talents », conformément à l'esprit de l'institution sénatoriale.

Mme Danièle Pourtaud a souligné que le « vivier » des sénateurs était en grande partie constitué par les conseils généraux et que ces assemblées ne comportaient que 9 % de femmes en moyenne.

Puis la délégation a adopté à huit voix contre quatre -celles des représentants du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen- les propositions de recommandations du rapporteur.

Elle a ainsi constaté qu'eu égard, notamment, à l'évolution du nombre et de la répartition des sièges entre les départements prévue par la proposition de loi ordinaire portant réforme de l'élection des sénateurs et par la proposition de loi organique déposée conjointement, le rééquilibrage opéré entre les deux modes de scrutin, majoritaire et proportionnel, régissant l'élection sénatoriale préservait l'exigence d'une plus grande parité au sein de la Haute Assemblée. Elle a observé, par ailleurs, que le raccourcissement de la durée du mandat, facteur de renouvellement, allait aussi dans ce sens.

Rappelant avec force son attachement au principe posé par l'article 3, alinéa 5, de la Constitution, la délégation a jugé, à cet égard, indispensable de rendre plus effective l'égalité des chances entre les hommes et les femmes face au scrutin majoritaire. Elle a invité l'ensemble des formations politiques, qui ont en la matière une responsabilité primordiale, à s'impliquer plus résolument dans cette démarche.