Délégations et Offices
Table des matières
- DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
- Mercredi 26 janvier 2000
- Audition de Mme Catherine Génisson, rapporteur général de l'Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes
- Audition de M. Guy Carcassonne, professeur à l'Université Paris X-Nanterre
- Audition de Mme Janine Mossuz-Lavau, directeur de recherche au centre d'études de la vie politique française (CEVIPOF)
- Mercredi 26 janvier 2000
DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
Mercredi 26 janvier 2000
- Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.
Audition de Mme Catherine Génisson, rapporteur général de l'Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes
La délégation a tout d'abord procédé à l'audition de Mme Catherine Génisson, rapporteur général de l'Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes.
Dans un propos liminaire, Mme Catherine Génisson s'est félicitée de l'adoption par l'Assemblée nationale, au cours de la nuit précédente, des projets de loi organique et ordinaire tendant à favoriser l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et fonctions électives.
Puis elle a évoqué les très nombreuses auditions de parlementaires, représentants des élus locaux et de la société civile auxquelles l'Observatoire de la parité avait antérieurement procédé dans cette perspective.
Ces auditions ont permis d'éclairer les points forts, ainsi que les limites, du projet de loi en cours de discussion. Ses atouts sont d'être clair, simple et efficace, en portant à la fois sur les scrutins de liste et les scrutins uninominaux.
Les quelques réserves qu'il a pu susciter portent sur l'exclusion des communes de moins de 3 500 habitants ainsi que des élections cantonales de son dispositif, sur la place respective des hommes et des femmes sur les listes pour les scrutins qui y recourent (sénatoriales et européennes qui comptent un seul tour ; régionales et municipales, qui en comptent deux), ainsi que sur la non-soumission des exécutifs locaux au principe de parité.
L'Observatoire a donc avancé une série de propositions pour remédier à ces insuffisances :
- abaissement du seuil de population des communes visées par le projet de loi de 3 500 à 2 500 habitants ;
- pour les communes de plus de 2 500 habitants, obligation de dépôt de listes complètes et conformes au principe de parité ;
- pour les scrutins de liste à un seul tour, alternance stricte des hommes et des femmes dans leur composition ;
- pour les scrutins de liste à deux tours, alternance entre hommes et femmes par groupes de six candidats.
Mme Catherine Génisson a ensuite évoqué les difficultés suscitées par l'application de la parité aux élections cantonales, du fait que les cantons de moins de 9 000 habitants sont exclus des bases du calcul du financement public des partis politiques, et que près de 40 % des conseillers généraux ne sont pas affiliés à un parti politique national. Elle en a conclu que seule une éventuelle modification du mode de scrutin utilisé lors de ces élections - modification qui n'est pas aujourd'hui d'actualité - permettrait d'appliquer la parité à ces élections, très importantes dans la vie locale de notre pays.
Mme Catherine Génisson a conclu son exposé en rappelant que le recours au principe de parité n'était qu'un moyen pour obtenir le but souhaité : un égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Un débat s'est ensuite instauré.
M. Patrice Gélard a souligné la contradiction existant, selon lui, entre l'esprit et la lettre de la récente révision des articles 3 et 4 de la Constitution visant à " favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ", et la teneur de l'exposé que venait de faire Mme Catherine Génisson. Il a relevé, en effet, une distorsion entre l'objectif " d'égal accès " désormais inscrit dans la Constitution, et celui de " parité ", défendu par l'Observatoire de la parité, qui lui semblait antidémocratique, antirépublicain, et contraire aux principes énoncés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui évoque dans son article VI l'égale admissibilité des citoyens " à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ". Cette dérive grave est de nature, d'après lui, à fonder l'hostilité de la majorité du Sénat au projet de loi tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale, alors que le texte proposé par le Gouvernement ne suscitait pas la même opposition.
Il a déploré que ce projet ainsi modifié, notamment par un seuil d'application aux élections municipales abaissé à 2 000 habitants, vise non plus à favoriser, mais à imposer la parité, devenant ainsi une arme politique aux mains de la majorité parlementaire pour déstabiliser l'opposition.
Mme Dinah Derycke, présidente, a rappelé que la révision constitutionnelle avait clairement prévu, pour son application, l'élaboration de lois telles que celle actuellement en discussion.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a rappelé l'engagement du Premier ministre à ne pas modifier les modes de scrutin existants à l'occasion de l'application du principe de parité, et s'est interrogée sur l'opportunité de ne pas le respecter simplement pour englober dans le champ d'application du projet de loi les quelque 2 000 communes qui regroupent de 2 000 à 3 500 habitants.
M. Alex Türk s'est déclaré en désaccord avec la présentation du projet de loi en discussion consistant à n'y voir qu'une pure et simple application de la révision constitutionnelle. Il s'est interrogé sur l'organisation de la pénalisation financière prévue dans ce projet pour ceux des partis politiques qui ne respecteraient pas la parité de candidatures lorsque les candidats ne seront pas affiliés à un parti politique national, ainsi que sur la rupture d'égalité que le projet instaurait en matière d'élections sénatoriales, selon qu'elles se feraient aux scrutins majoritaire ou proportionnel.
Mme Janine Bardou s'est déclarée choquée par l'extrême rigidité du projet de loi issu des délibérations de l'Assemblée nationale ; elle a également souligné combien le mandat de conseiller général était adapté aux candidatures féminines, car privilégiant les liens de proximité.
Mme Annick Bocandé a déclaré partager les réserves exprimées par M. Patrice Gélard, et a souligné le caractère irréaliste de l'abaissement du seuil d'application de la parité aux communes de 2 000 habitants, alors qu'il est d'ores et déjà difficile de trouver des candidats pour constituer des listes complètes dans la situation actuelle.
Mme Danièle Pourtaud a rappelé que la révision constitutionnelle n'était pas une simple pétition de principe, mais visait à l'application du principe de parité, moins d'ailleurs aux candidats qu'aux élus. Elle a également estimé que le produit des pénalités financières prévues par le projet de loi devrait être affecté à l'incitation des partis politiques à présenter des candidates dans des circonscriptions " gagnables ".
En réponse, Mme Catherine Génisson a précisé que :
- le Gouvernement s'était engagé devant l'Assemblée nationale à élaborer un rapport d'application de la loi une fois votée ;
- les déclarations de candidatures devraient mentionner le sexe du candidat, ne serait-ce que pour permettre des études statistiques ;
- l'inégalité la plus flagrante affectant les femmes se manifeste dans le domaine professionnel ;
- le Premier ministre s'est essentiellement engagé sur la stabilité du mode de scrutin utilisé pour les élections législatives ;
- l'affectation des sommes produites par les pénalités financières qui seront éventuellement appliquées aux partis politiques ne respectant pas le principe de parité ne serait pas conforme au principe de l'universalité budgétaire ;
- la représentation politique française est caractérisée par un certain élitisme, que l'application de la parité permettra sans doute de corriger.
Audition de M. Guy Carcassonne, professeur à l'Université Paris X-Nanterre
Puis, la délégation a procédé à l'audition de M. Guy Carcassonne, professeur à l'Université Paris X-Nanterre.
En introduction, M. Guy Carcassonne a rappelé qu'il était partisan de la parité et qu'il s'était réjoui de l'introduction de ce principe dans la Constitution. Il a fait remarquer que le projet de loi adopté la veille par l'Assemblée nationale constituait une avancée décisive : désormais, à compter des prochaines élections, tous les Conseils régionaux seront paritaires, tandis que 75 % des Français vivront dans des communes dont les Conseils municipaux seront également soumis à la règle de la parité. En outre, il a souligné les progrès apportés par le projet de loi pour les candidatures aux élections européennes, sénatoriales et législatives.
Puis M. Guy Carcassonne a dressé la liste des problèmes subsistants : tout d'abord, le principe de parité ne s'appliquerait pas aux communes de moins de 2.000 habitants ; mais ce constat doit être relativisé, car elles ne représentent qu'un quart de la population française. S'agissant des départements, il a estimé qu'au-delà du problème de la parité, ces derniers souffraient d'un manque de légitimité politique ainsi que d'un mode de scrutin inadapté, ce qui se traduit par une relative désaffection des Français à l'égard des élections cantonales.
Evoquant les élections législatives, il a relevé que la loi prévoyait de sanctionner financièrement les partis qui ne respecteraient pas le principe de parité et s'est alors demandé si les crédits destinés au financement des partis politiques, et rendus disponibles en raison de la non-application de la parité, ne pourraient pas être reversés aux partis, au prorata des candidates élues. Il a récusé l'argument selon lequel les règles de la comptabilité publique ne permettraient pas de réaliser cette opération de transfert de crédits.
Sur ce point, il a souligné le caractère péjoratif du terme de " prime à la femme ", en faisant remarquer qu'il était usuel dans notre législation de soutenir par le biais d'une incitation financière les pratiques que les gouvernements cherchent à encourager.
Un large débat s'est alors ouvert.
M. Patrice Gélard a revendiqué la légitimité des départements et a rappelé que la participation des Français aux élections cantonales était supérieure à celle enregistrée aux élections européennes et régionales. Il a estimé que les conseillers généraux entretenaient un contact réel avec la population et a regretté que le texte voté par l'Assemblée nationale permette de nombreuses manipulations en matière de candidatures aux élections législatives. Il a soulevé le risque d'anticonstitutionnalité d'une application de la parité aux seuls départements dans lesquels les sénateurs sont élus au scrutin proportionnel, ainsi que du reversement des crédits rendus disponibles pour les répartir entre les partis politiques au prorata du nombre de femmes élues.
Mme Hélène Luc s'est félicitée de l'adoption du projet de loi tendant à favoriser l'égalité des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives par l'Assemblée nationale, mais elle a exprimé son regret de voir les élections cantonales exclues de son champ d'application. Elle a rappelé que le fait de devenir conseiller général constituait très souvent un tremplin pour entamer une carrière politique au niveau national. A cet égard, elle s'est interrogée sur la responsabilité des partis politiques pour encourager les femmes à se présenter à ces élections. En revanche, elle s'est réjouie de l'introduction de la parité à compter des prochaines élections sénatoriales dans tous les départements régis par le mode de scrutin proportionnel.
M. Jean-Louis Lorrain a critiqué l'attitude consistant à minorer l'importance politique des petites communes en ne considérant que la population qu'elles regroupent. Puis, il a affirmé qu'une plus grande participation des femmes à la vie politique ne serait pas possible tant que nombre d'entre elles ne parviendraient pas à se libérer de leurs contraintes familiales ou professionnelles. Il a regretté que la question de l'égalité entre les hommes et les femmes face aux mandats électoraux et aux fonctions électives soit réglée par un dispositif législatif coercitif.
Mme Paulette Brisepierre a constaté que le nombre de femmes élues au Conseil supérieur des Français à l'étranger avait fortement augmenté sans qu'il ait été nécessaire d'instaurer une parité contraignante. Elle a craint que le fait d'imposer la parité entre hommes et femmes ne dévalorise l'image de ces dernières en politique ; elle a en outre estimé que l'argent économisé sur le financement des partis politiques lorsque ces derniers ne respecteront pas les nouvelles dispositions législatives devrait être utilisé, de façon concrète, pour permettre aux femmes de concilier leur vie familiale et politique par la construction de crèches, par exemple.
Mme Gisèle Printz a estimé que l'augmentation du nombre de femmes au sein des conseils municipaux, généraux et régionaux s'accompagnerait de ce fait même du développement de mesures concrètes permettant aux femmes de mieux assumer leurs différentes activités.
Mme Danièle Pourtaud s'est montrée favorable à l'adoption de dispositions visant à inciter les partis à présenter des candidates dans des circonscriptions où elles ont de réelles chances d'être élues, et a soutenu la disposition votée à l'Assemblée nationale visant à reverser les crédits soustraits du financement public des partis à des actions en faveur de la parité politique.
En réponse, M. Guy Carcassonne a rappelé que le mode de scrutin pour les élections sénatoriales différait selon le nombre de sénateurs à élire dans chaque département ; en conséquence, il a estimé que les dispositions en matière de parité n'étaient pas anticonstitutionnelles puisqu'elles résultaient de la coexistence antérieure de deux modes de scrutin différents. Par ailleurs, il a estimé qu'une mesure visant à utiliser les sommes économisées en faveur des partis dont les candidates ont été élues serait conforme à la Constitution.
Audition de Mme Janine Mossuz-Lavau, directeur de recherche au centre d'études de la vie politique française (CEVIPOF)
La délégation a ensuite procédé à l'audition de Mme Janine Mossuz-Lavau, directeur de recherche au centre d'études de la vie politique française (CEVIPOF).
Mme Janine Mossuz-Lavau s'est félicitée de la rapidité avec laquelle le Gouvernement avait élaboré le projet de loi tendant à favoriser l'égalité d'accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, et a approuvé la solution retenue, à savoir la parité, qu'elle a jugée meilleure que les quotas puisque ces derniers, même s'ils permettent de renforcer la présence des femmes en politique, perpétuent leur sous-représentation.
Puis, Mme Janine Mossuz-Lavau a rappelé que l'Assemblée nationale avait opté, d'une part, pour une stricte alternance homme-femme sur toutes les listes pour les élections à la proportionnelle à un tour et, d'autre part, pour une parité par groupe de six candidats pour les élections à la proportionnelle à deux tours.
S'agissant de l'abaissement du seuil démographique de 3 500 à 2 000 habitants pour l'application du scrutin proportionnel aux élections municipales, elle a reconnu que l'application de cette disposition pourrait se révéler difficile. En revanche, elle s'est déclarée favorable à l'abaissement de ce seuil à 2 500 habitants.
Par ailleurs, Mme Janine Mossuz-Lavau a regretté que la règle de stricte alternance homme-femme n'ait pas été étendue aux élections régionales, pour lesquelles, selon le texte voté par l'Assemblée nationale, la parité sera appréciée par tranches de 6 candidats. En outre, elle a fait part de sa déception concernant l'absence de mesure incitant les partis à présenter des candidates aux élections législatives dans des circonscriptions où elles auraient de réelles chances d'être élues. Elle a estimé nécessaire de reverser aux partis, au prorata du nombre de voix obtenues par les candidates, les crédits rendus disponibles en raison de la non-application de la parité.
En conclusion, Mme Janine Mossuz-Lavau a dressé une liste des questions qui restaient en suspens. Elle a ainsi cité le problème des élections cantonales, et a considéré que l'actuel mode de scrutin ne permettait pas de favoriser la parité. En effet, ces élections ne font l'objet d'aucune subvention financière dans les cantons de moins de 9 000 habitants et, en outre, un nombre important de candidats se présentent sans étiquette politique. Elle a donc prôné une modification du mode de scrutin, tout en rappelant l'engagement du premier ministre de ne pas utiliser l'application de la parité pour opérer de telles modifications. Elle a également évoqué le problème de l'intercommunalité, domaine dans lequel la parité ne pourrait s'appliquer que si les représentants étaient élus au suffrage universel direct et non désignés par les communes.
Enfin, Mme Janine Mossuz-Lavau a insisté sur la nécessité d'établir un bilan de l'application de cette loi.
Un large débat s'est alors ouvert.
Mme Hélène Luc a regretté l'absence de mesure en faveur de la parité pour les élections cantonales et a souligné la responsabilité des partis afin d'inciter les femmes à se présenter à ces élections. Elle s'est également montrée très favorable à l'évaluation de cette loi.
Mme Gisèle Printz s'est déclarée réservée sur l'idée de réserver aux femmes des circonscriptions dans lesquelles leur élection est quasiment assurée, estimant que la candidature d'une femme dans une circonscription difficile peut modifier les rapports de force.
Mme Dinah Derycke, présidente, a tenu à relativiser ces derniers propos en faisant remarquer que les femmes étaient souvent envoyées dans des circonscriptions où elles avaient très peu de chances de l'emporter. Elle a souligné que l'argent destiné au financement des partis politiques qui ne serait pas utilisé en raison du non-respect des règles de parité pourrait être consacré, soit à des campagnes de sensibilisation, soit à la création d'un système incitant les partis à avoir 50 % de femmes élues. Elle a rappelé que deux propositions avaient été émises sur ce point, portant sur une répartition entre les partis des sommes ainsi économisées soit au prorata du nombre des femmes élues, soit au prorata du nombre des voix obtenues par les femmes, et a constaté que cette deuxième solution avait l'avantage de ne susciter, selon elle, aucun risque constitutionnel.