Table des matières
Mercredi 25 juin 2003
- Présidence de M. André Dulait, président -
Défense - GIAT Industries - Audition des représentants du personnel de GIAT Industries
Lors d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition des représentants du personnel de GIAT industries.
M. Jean-Pierre Brat, représentant la CGT, a tout d'abord indiqué que l'objectif des syndicats était d'éviter que la France ne soit privée d'un outil industriel essentiel à sa politique de défense. La réaction des salariés de l'entreprise à l'annonce brutale d'un sixième plan social a été d'autant plus vive qu'il intervient après dix années d'une stratégie néfaste pour l'entreprise dans laquelle les directions successives et l'Etat lui-même ont une responsabilité accablante. Ce plan n'est pas conforme à la volonté de la ministre de la défense de maintenir et de développer le pôle de compétence que représente GIAT Industries, entreprise par ailleurs considérée comme stratégique. En réalité, c'est le démantèlement du groupe qui est inscrit dans le projet « GIAT 2006 », élaboré par la direction, qui vise à préparer le désengagement de l'Etat et à ouvrir la porte aux capitaux privés. La réduction des effectifs de 6.200 à 2.200 salariés environ ne permettra plus à GIAT de répondre aux besoins des armées ni de compter sur le plan européen. Face à la mobilisation des personnels, de la population et de certains élus, un « accord de méthode » a été conclu, suspendant le plan et permettant aux syndicats de formuler des propositions alternatives. M. Jean-Pierre Brat a déploré que la vision qui inspire ce plan ne prenne pas en compte les perspectives positives attendues après 2006. Il convient donc que soit pleinement considéré l'ensemble des intentions de commandes comprises dans la loi de programmation militaire 2003-2008, notamment le programme de véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), le maintien en condition opérationnelle (MCO), la revalorisation de matériels en service (AMX10P, VAB, Leclerc), et les perspectives d'exportations ouvertes par le VBCI et le canon auto-moteur CAESAR.
Dépourvu de dimension économique, le plan l'est aussi d'ambition industrielle. La réduction du nombre des personnels de production ne peut qu'avoir un impact négatif, non seulement sur l'efficacité opérationnelle des armées, mais aussi, plus largement, sur des bassins d'emplois déjà frappés par le chômage, la suppression de 4.000 postes chez GIAT entraînant la disparition de 15.000 emplois induits. Les propositions de compensation, d'accompagnement ou de reconversion ne pourront résoudre les problèmes de tissus industriels très fragilisés ni permettre la réinsertion de salariés dont la moyenne d'âge est de 48 ans.
En conclusion, M. Jean-Pierre Brat a souhaité un plan industriel sérieux qui rompe avec les douze années passées, marquées par une gestion catastrophique, ignorantla principale richesse de l'entreprise que sont ses salariés.
M. André Golliard, représentant la CFDT, a estimé que la situation actuelle de GIAT Industries était due en grande partie à l'absence d'une stratégie politique claire de défense terrestre, le budget de la défense étant devenu, depuis plusieurs années, la variable d'ajustement du budget de l'Etat. Il s'y est ajouté la gestion catastrophique du contrat avec les Emirats arabes unis et l'inaboutissement des tentatives de diversification, la direction ne s'étant jamais donné les moyens de réussir dans ce domaine. Il a relevé que la loi de programmation militaire 2003-2008 avait pour objectif d'améliorer la disponibilité des matériels, sur la base d'un engagement du Chef de l'Etat qui devait être tenu. Cependant, le projet « GIAT 2006 », qui prévoit la disparition de plus de 4.000 emplois et de trois sites de production, après déjà cinq plans de restructuration, n'est pas de nature à redonner à GIAT Industries le rôle qui doit lui revenir dans une future Europe de la défense. Ce plan apparaît à la fois comme une faute politique et un pari insensé, conduisant à la désindustrialisation accrue de bassins d'emplois déjà fortement touchés par la crise et à une perte de compétences.
Pour M. André Golliard, d'autres solutions sont possibles, en s'appuyant sur un soutien résolu de l'Etat, à travers un contrat d'entreprise ambitieux, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui. Les perspectives de commandes et de plan de charge pourraient être réévaluées, notamment afin de tenir compte de l'amélioration attendue, à partir de 2007-2008, à travers les besoins liés au maintien en condition opérationnelle. Un effort supplémentaire de recherche est nécessaire et il serait par ailleurs particulièrement souhaitable que les rôles respectifs de la DGA et de GIAT soient clarifiés, notamment sur le programme VBCI. Il apparaît par ailleurs nécessaire de préserver, dans l'entreprise, les fabrications à un niveau suffisamment élevé. Un effort de diversification pourrait être entrepris dans les matériels ferroviaires ou dans l'aéronautique pour soutenir certains bassins d'emplois. Sur le plan social, la CFDT souligne l'insuffisance des reclassements de proximité au sein d'autres ministères, administrations et collectivités territoriales, et considère comme incontournable la poursuite des mesures de départ anticipé pour toutes les catégories de personnels, ceux relevant des conventions collectives devant être traités de la même manière que les autres. En dernier lieu, M. André Golliard a estimé que, même si GIAT Industries devait évoluer, il devait rester un acteur central de l'armement terrestre, sous le contrôle de l'Etat.
Mme Christine Fevre Debizet, représentant la CFTC, a tout d'abord déploré que l'Etat se soit désintéressé des établissements de GIAT industries depuis sa transformation en entreprise, trahissant ainsi ses devoirs régaliens et conduisant à une perte de savoir-faire pourtant indispensable à notre souveraineté nationale. Aujourd'hui, GIAT Industries, fleuron de l'industrie de défense terrestre, doté de réelles capacités humaines et technologiques, est menacé de disparition, sans que soient prises en compte les conséquences humaines et sociales dans les bassins d'emplois concernés. L'avenir de l'entreprise comme maître d'oeuvre global est gravement compromis par la disparition, au nom de la rentabilité, de pans entiers d'activités, conduisant à une dégradation du maintien en condition des forces. Le projet « GIAT 2006 » va parachever ce gâchis et engendrer des drames humains, après douze ans de marasme et d'incurie des gouvernements successifs. La CFTC entend présenter prochainement des solutions alternatives.
M. Robert Carigi, représentant FO, a estimé que la situation actuelle provenait de la réduction des marchés militaires et du développement de la concurrence internationale. De même faut-il déplorer les déficiences de l'organisation interne qui relève des dirigeants de l'entreprise et des décideurs politiques. Selon lui, le groupe ne survivra pas au plan « GIAT 2006 » qui, par la réduction des capacités industrielles qu'il envisage, conduira à la disparition de l'entreprise, alors même que l'armée de terre ne peut faire face à ses besoins en matériels neufs ou au maintien en condition de ses matériels, sans s'appuyer sur les services de GIAT Industries.
Pourtant, a estimé M. Robert Carigi, des voies alternatives sont possibles, fondées sur l'augmentation des activités de MCO et les nombreuses diversifications que permet le savoir-faire des personnels de GIAT Industries, déjà éprouvé dans de nombreux projets à haute technologie.
Abordant enfin les aspects sociaux, M. Robert Carigi a rappelé que des milliers d'emplois avaient déjà été supprimés en dix ans. Des financements importants ont été consacrés à la reconversion et à la revitalisation des bassins d'emplois, posant notamment des problèmes de concurrence entre les sociétés aidées et les autres. Les enseignements des précédents plans sociaux devraient conduire à éviter les erreurs du passé et, notamment, à trouver des solutions adaptées pour les personnels dont la moyenne d'âge est de 48 ans.
M. Joseph Chalayer, représentant la CFE-CGC, a rappelé que, depuis 1990, GIAT Industries avait perdu près de 4 milliards d'euros et que cinq plans sociaux successifs avaient conduit à réduire les effectifs de 18.000 à 6.200 personnes. Cette situation s'explique, en premier lieu, par la récession du marché de l'armement terrestre, aussi bien en France qu'à l'exportation, notamment dans le domaine des blindés lourds, les commandes de chars Leclerc par l'Etat passant de 1.400 à 400 environ. La situation de GIAT Industries résulte aussi d'une stratégie d'entreprise peu cohérente, marquée par des décisions de rachats pour le moins hasardeuses. L'Etat porte également une lourde responsabilité par les exigences qu'il fait peser sur l'entreprise, la conduisant à développer des matériels dont les performances ne correspondent pas aux perspectives du marché international. Enfin, la concentration de l'activité de l'entreprise sur la production du char Leclerc a pénalisé la mise en oeuvre d'autres matériels.
Pour M. Joseph Chalayer, le nouveau projet présenté par la direction est de même nature que les précédents plans sociaux. Il empêchera l'entreprise de conduire une offre globale dans le domaine des blindés, des armes et des munitions, et ne propose aucune ambition de reconquête commerciale ou industrielle. Le plan conduirait à transformer GIAT en une entreprise d'ingénierie et de négoce où toute production aurait disparu. Il conduira à une perte irrémédiable de compétences et de savoir-faire et entraînera des coûts très élevés pour réaliser les transferts d'activité. Le schéma juridique retenu fait enfin craindre un éclatement de l'entreprise et une cession par parties entraînant la disparition de l'industrie d'armement terrestre en France.
La CFE-CGC préconise de mettre un terme au démantèlement de l'entreprise et de mettre en oeuvre des solutions alternatives fondées sur une nouvelle organisation, un soutien fort de l'Etat en termes de commandes et de maintien en condition opérationnelle, de recherche et développement et d'exportations. GIAT Industries doit s'appuyer sur une organisation nouvelle, privilégiant l'offre globale au client et préservant la maîtrise d'oeuvre des matériels terrestres. Enfin, ses structures doivent être simplifiées pour peser sur les coûts. Des solutions alternatives sont possibles, qui permettront la pérennité de l'entreprise.
Puis un débat s'est instauré au sein de la commission.
M. Jean-Claude Frécon s'est interrogé sur le calendrier des travaux conduits par les syndicats, au cours du délai de quatre mois qui leur a été accordé, pour formuler des propositions alternatives.
M. André Dulait, président, a souhaité disposer d'un document synthétique de ces travaux lors des auditions de Mme la ministre de la défense et du président directeur général de GIAT Industries, à la rentrée parlementaire.
Mme Hélène Luc a demandé des précisions sur les discussions en cours entre les syndicats et les représentants des armées. Elle a souhaité approfondir l'intérêt de l'apport de GIAT Industries dans le domaine du transport ferroviaire.
M. Serge Vinçon s'est également interrogé sur les possibilités réelles d'une éventuelle diversification de l'entreprise, soulignant que la direction de GIAT formule un diagnostic financier pessimiste sur ce point. Il s'est demandé sur quelles sociétés françaises ou européennes il serait possible d'adosser GIAT Industries à terme.
En réponse, les représentants syndicaux ont apporté les précisions suivantes :
- M. Jean-Pierre Brat, représentant la CGT, a souligné les conditions difficiles dans lesquelles travaillent les commissions locales avec les cabinets d'expertise, notamment du fait de la rétention des informations au siège de la société. Il a déploré que la direction de l'entreprise semble tenir le plan « GIAT 2006 » comme intangible, sans vouloir prendre en compte les suggestions syndicales. Or, la restructuration de l'entreprise, telle que l'a définie la direction, requiert un milliard d'euros qui s'ajoutent aux 4 milliards d'euros de passif déjà enregistrés ;
- en matière de diversification, des échecs ont en effet été enregistrés mais ils ne doivent pas conduire à renoncer à cette option, qui ne peut réussir que sur le long terme et à la condition que les moyens nécessaires lui soient associés. La diversification doit venir épauler les métiers de l'entreprise. Les technologies de pointe maîtrisées par les personnels de GIAT, notamment dans le domaine du laser, de la soudure ou des composites, peuvent être valorisées, en particulier dans le ferroviaire. Les succès technologiques obtenus dans ce cadre n'ont certes pas permis une traduction financière positive, mais la poursuite résolue et volontariste d'une telle démarche aurait entraîné une rationalisation économique. Or, la direction refuse de prendre tout risque industriel lié à la diversification ;
- il existe incontestablement un climat d'attente, au sein des forces armées, envers l'entreprise GIAT, dont la qualité des matériels est unanimement reconnue. Cependant, la formulation des besoins est compliquée par des dissensions entre la Délégation générale de l'armement et l'Etat-major de l'armée de terre. Or c'est GIAT qui se voit imputer les pénalités de retard liées à ces tergiversations, qui ont entouré la définition du besoin opérationnel concernant, en particulier, le VBCI ;
- les besoins exprimés par les militaires dépassent ce qui est inclus dans le contrat d'entreprise, notamment pour la rénovation des AMX 10RC ou des AMX 10P et des VAB, et sont ignorés ou minorés par la direction de l'entreprise. Il en est de même des perspectives à l'export du VBCI ou du Caesar, dont l'armée de terre française sera dotée, ou des futures dotations de la gendarmerie en matériel roulant. Au surplus, la France risque de perdre ses compétences dans les armes et munitions de petit et moyen calibres, domaine dans lequel l'impasse est complète. Ainsi est-ce en Allemagne que seront acquis les nouveaux pistolets équipant la gendarmerie nationale et la police. Pour d'autres armes de petit calibre, la France s'approvisionne sur le marché israélien, caractérisé par un fort dumping, au moment où la fermeture de Manhurin dans l'Allier est programmée.
M. Robert Carigi, représentant Force ouvrière, a souligné que les tentatives passées en matière de diversification ont été techniquement réussies, mais ont échoué financièrement car ces opérations réclamaient une organisation et une dimension spécifiques, qui n'ont pas été mises en oeuvre. S'agissant du télescope réalisé pour l'organisation ESO (European Southern Observatory), il avait été conçu, par la direction de GIAT, comme une vitrine technologique assortie de pertes financières calculées et consenties. Or un récent appel d'offres britannique portant sur une production analogue est resté sans réponse de la direction. De même, dans le domaine des énergies propres, un projet de construction d'éoliennes sur le site de Saint-Chamond n'a pas rencontré d'écho de la part de la direction de l'entreprise. Son refus de développer une organisation spécifique pour valoriser ces projets concourt à développer l'amertume des personnels ;
- l'accord de méthode permettant aux syndicats de procéder à des consultations en vue de propositions alternatives a été assorti d'un calendrier trop court. De surcroît, la direction pèse sur les travaux des experts mandatés par les syndicats, notamment par la centralisation de l'information.
M. André Golliard, représentant la CFDT, a déploré que plusieurs programmes ne soient pas pris en compte dans le plan GIAT 2006, comme par exemple les véhicules blindés pour la gendarmerie. Il a néanmoins considéré comme essentielle la volonté politique pour dégager les financements liés à ces programmes (AMX 10P, VAB) ou au MCO, au profit de GIAT.
L'activité du maintien en condition opérationnelle des matériels et la sous-traitance sont, pour la CFDT, des enjeux prioritaires. Si, par ailleurs, les diversifications passées n'ont pas été des succès, c'est que la direction n'avait pas souhaité créer les conditions de leur réussite, en l'absence d'une réelle volonté d'asseoir cette démarche sur le long terme. Elles requerraient une volonté de prise de risque, notamment financier, et d'aller au-delà des seuls métiers de production, permettant de valoriser les compétences multiples existant dans l'entreprise pour des prestations globales. La perspective d'une Europe de la défense ne doit pas conduire à l'isolement de GIAT. Elle peut permettre des coopérations sur des produits nouveaux, des partenariats, mais elle nécessite aussi du temps et des moyens adaptés. La politique actuellement conduite consiste au contraire à « réduire la voilure » de GIAT pour le vendre par parties.
Mme Hélène Luc s'est félicitée de l'attachement des personnels à leur entreprise. Elle a souligné la volonté commune de tous les représentants présents pour trouver une issue à la situation actuelle, et a fait valoir que le délai supplémentaire accordé aux syndicats pour concevoir des propositions alternatives n'était pas contradictoire avec la volonté, qu'elle avait exprimée devant Mme la ministre de la défense, d'un retrait du plan « GIAT 2006 ». Réaffirmant que les armements doivent demeurer une industrie nationale pour assurer la sécurité de notre pays et de l'Europe, elle a regretté que tout n'ait pas été fait pour éviter la situation actuelle, et estimé que les propositions de la direction ne constituaient pas une solution viable, ni économiquement ni industriellement.
M. André Dulait, président, a remercié les représentants des personnels et a réaffirmé son souhait de disposer, lors de la rentrée parlementaire, des propositions élaborées en commun par les organisations syndicales sur l'avenir de leur entreprise.
Présidence de M. André Dulait, président et de M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne -
Conseil européen de Thessalonique - Audition de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes
Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission, réunie conjointement avec la Délégation pour l'Union européenne, a procédé à l'audition de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, sur le Conseil européen de Thessalonique.
Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, a tout d'abord rappelé que l'essentiel des travaux du Conseil européen avait porté sur le projet de constitution de la Convention, dont le résultat, compte tenu des dissensions constatées ces dernières semaines, pouvait être qualifié d'inespéré. S'agissant de la Convention, la méthode retenue a un précédent, l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux, dont l'enjeu était cependant d'un autre ordre. La remise à plat de l'ensemble des traités européens était un travail risqué. La nouvelle rédaction, avec l'abandon de la structure en piliers, consacre l'idée d'une seule Europe, dotée de la personnalité juridique. Même si des objections se feront certainement jour lors de la conférence intergouvernementale à venir, le consensus obtenu a permis d'éviter un texte à options multiples. Le texte n'est toutefois pas encore finalisé, le Conseil européen ayant mandaté les conventionnels pour la poursuite des travaux de rédaction de la troisième partie du traité, consacrée aux politiques de l'Union.
Sur le fond, a poursuivi Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, le contenu du texte est satisfaisant. Le triangle institutionnel qui fait l'originalité de l'Europe se trouve conforté. Le Conseil européen est renforcé par l'élection de son président par le Conseil, à la majorité qualifiée, pour deux ans et demi renouvelable une fois. Mais surtout, a-t-elle rappelé, il s'agira d'un président à temps plein. Le rôle de direction politique du président de la Commission devrait par ailleurs être accru par la double légitimité que lui confère son mode de désignation : il sera élu par le Parlement européen sur la seule proposition du Conseil. Enfin, le Parlement européen, du fait de l'extension de la procédure des co-décisions, devient un véritable co-législateur.
Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, a considéré que l'équilibre obtenu était le plus satisfaisant possible dans le contexte qui a entouré les travaux de la Convention. Elle a évoqué d'autres motifs de satisfaction : l'intégration de la Charte des droits fondamentaux et la construction d'un espace de justice et de sécurité, alors que la lutte contre la criminalité organisée constitue le grand défi de l'Europe élargie. En matière de justice, les décisions sont plus fortement communautarisées et, à terme, la création d'un parquet européen est envisagée.
Au nombre des avancées, il convient également de retenir que la politique de l'espace devient une compétence partagée au même titre que la politique de l'énergie ou encore la politique du sport.
Soulignant que la France avait fait de nombreuses propositions qui ont réellement pesé sur les travaux de la convention, Mme Noëlle Lenoir a rendu hommage aux travaux des conventionnels français, et tout particulièrement à l'apport du président Hubert Haenel.
S'agissant du calendrier, les travaux devraient être finalisés le 15 juillet 2003 et la conférence intergouvernementale devrait se tenir à partir de la mi-octobre 2003. Les signatures, puis les ratifications interviendront après le 1er mai 2004. Le Traité, a précisé Mme Noëlle Lenoir, sera signé successivement dans toutes les capitales européennes, mais symboliquement intitulé « Traité de Rome », du fait de la présidence italienne commençant le 1er juillet prochain.
Un débat a suivi l'exposé de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, a indiqué que la Convention disposait encore de trois jours de travail, les 4, 9 et 10 juillet prochains. Le 10 juillet, un texte devait être signé par les conventionnels. Il a également salué le travail du Président Giscard d'Estaing, ainsi que celui de ses deux vice-présidents, MM. Jean-Luc Dehaene et Guliano Amato. Il a indiqué que si la Convention avait eu un précédent, elle aurait également des successeurs, dans la mesure où le principe de la méthode conventionnelle a été arrêté pour toute modification du texte constitutionnel.
Il a relevé que le Conseil européen de Thessalonique avait prévu une association étroite du Parlement européen aux travaux de la Conférence intergouvernementale. En outre, a-t-il indiqué, le Président de la Commission constitutionnelle de ce même Parlement a souhaité que l'avis du Parlement européen sur le texte de la Conférence intergouvernementale soit considéré comme politiquement contraignant. De telles positions doivent inciter à la vigilance pour le maintien du rôle des parlements nationaux, alors que ceux-ci n'ont pas obtenu le renforcement de la COSAC, ni le maintien d'un contrôle parlementaire sur l'action extérieure de l'Union après la dissolution de l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale. M. Hubert Haenel a également regretté la timidité du texte quant au volet « justice et affaires intérieures », le passage d'Eurojust à un Parquet européen n'étant pas inscrit dans le texte. Il a appelé à la vigilance pour veiller au maintien de la cohérence du texte et s'est déclaré convaincu que le projet de constitution, soumis dans chaque pays au peuple souverain, pourrait être accepté dans la mesure où la capacité de décision de l'Union qu'elle permet serait supérieure à celle d'aujourd'hui. Le fonctionnement de l'Europe sera alors plus légitime, plus démocratique et plus efficace.
M. Xavier de Villepin a souhaité des précisions quant à la capacité de l'Europe à disposer d'une volonté cohérente en matière économique, alors que le contexte économique européen fait resurgir, chez certains analystes, le spectre de la déflation. Il a par ailleurs souhaité savoir si une position européenne avait été dégagée lors du Conseil vis-à-vis de l'Iran et comment cette position s'articulait avec la ligne suivie par les Etats-Unis.
M. Pierre Fauchon a rappelé qu'il avait préconisé de longue date la méthode de la Convention, dans la mesure où elle lui paraissait une garantie de succès. Il a qualifié d'honorable le résultat obtenu, tout en en soulignant les lacunes. Il a souhaité des précisions quant au caractère normatif conféré à la Charte des droits fondamentaux. S'agissant de l'architecture institutionnelle, il a attiré l'attention des commissaires sur les difficultés de fonctionnement de la Commission à l'échéance 2009 et s'est interrogé sur la capacité de cet organisme à représenter l'élément moteur de l'intégration européenne dans l'hypothèse où les grands pays de l'Union pourraient ne pas y être représentés. C'est l'autorité même de la Commission face au Conseil qui constitue l'enjeu du dispositif retenu. Il a exprimé sa déception sur les dispositions du troisième pilier : la criminalité transfrontalière est telle que l'Union doit se donner les moyens d'y faire face. Or, contrairement aux objectifs assignés au Sommet de Tempere, la volonté réelle d'avancer sur le dossier de la création d'un parquet européen fait défaut et le risque est grand d'une paralysie dans ce domaine.
M. Christian de La Malène a considéré que l'élargissement de l'Union européenne s'effectuait selon un mécanisme comparable à celui de l'OSCE. Il a craint que cette grande Europe ne suscite des réactions négatives dans le monde. Elle se heurte dans l'immédiat à des difficultés internes liées à une hétérogénéité croissante. Il a estimé que la Commission sortait diminuée des travaux de la Convention et a regretté qu'aucun lien n'ait pu être établi entre le monétaire et le politique. Il a insisté sur l'ambiguïté qui caractérise les rôles respectifs du président du Conseil européen et du ministre européen des affaires étrangères, chacun exerçant ses pouvoirs sans préjudice des compétences de l'autre. Dans cette situation, il a relevé que la cohérence et l'efficacité du dispositif devenaient problématiques. S'agissant du rôle des parlements nationaux, il a regretté qu'il s'efface manifestement derrière celui du Parlement européen.
M. Didier Boulaud s'est associé à l'hommage rendu par la ministre aux conventionnels français. Il s'est interrogé sur l'attitude de l'Espagne lors des travaux de la prochaine Conférence intergouvernementale. Il a également souligné l'activisme des représentants britanniques. Il a considéré que le projet de constitution péchait dans deux domaines : le volet social et les services d'intérêt général, et a souhaité connaître la position du Gouvernement français sur ces deux sujets. S'agissant de la ratification du texte, il a préconisé une consultation par référendum, mais s'est inquiété des risques inhérents à cette procédure.
M. André Rouvière a souhaité savoir si une date butoir avait été posée pour les amendements au texte et s'est interrogé sur les conséquences d'une absence de ratification par un ou plusieurs des Etats membres.
M. Jean Bizet a considéré que, dans les faits, la construction européenne s'orientait vers un système de « noyau dur » et d'Europe à deux vitesses.
Mme Hélène Luc a souhaité savoir si la situation en Iran et le conflit israélo-palestinien avaient figuré au nombre des sujets abordés lors du Conseil européen.
M. Robert Del Picchia a estimé que l'alternative persistait entre une Europe politique et une Europe des marchés.
A la suite de ces interventions, Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, a apporté les précisions suivantes :
- il serait injuste de ne pas reconnaître que la construction européenne a favorisé la création d'un espace de prospérité et de croissance bénéficiant désormais, grâce au succès de l'euro, de la stabilité monétaire ; pour autant, la France estime que des avancées supplémentaires sont nécessaires en matière de coordination des politiques économiques, de politique sociale et de politique de l'emploi ;
- en ce qui concerne la coordination des politiques économiques, la France souhaitait que l'Eurogroupe, formé des 12 pays de la zone euro, dispose de pouvoirs de décision renforcés et autonomes, sans avoir à en référer aux autres pays de l'Union ; notre pays n'a pas obtenu satisfaction sur ce point ; en revanche, il a été décidé de mettre en oeuvre de nouvelles procédures relatives au respect des disciplines budgétaires, la Commission allant désormais être dotée de pouvoirs directs de recommandations aux Etats, alors que jusqu'à présent, seul, le Conseil était compétent pour saisir les gouvernements en cas de déficit excessif ;
- sur proposition de l'Italie, le Conseil européen a demandé à la Commission d'étudier des modalités nouvelles de financement des actions de recherche et de développement et des investissements dans les infrastructures de transport ; il pourrait s'agir de prêts de la Banque européenne d'investissements ou de formules d'association de capitaux privés ;
- la France regrette qu'il n'ait pas été possible de renoncer à la règle de l'unanimité et de passer au vote à la majorité qualifiée dans les domaines de la fiscalité des entreprises et de l'épargne et de l'harmonisation des normes sociales ; seules, les questions relatives à l'harmonisation des règles sociales pour les travailleurs transfrontaliers pourront désormais être statuées à la majorité qualifiée ;
- la Charte des droits fondamentaux n'aura pas de valeur supérieure aux constitutions des Etats membres ; elle n'aura donc pas d'incidence sur les compétences nationales de ces Etats ; elle aura, en revanche, valeur obligatoire vis-à-vis des actes communautaires et donc des normes nationales en assurant la transposition ;
- le prochain élargissement de l'Union européenne résulte d'un choix politique privilégiant l'arrimage à l'Europe des pays candidats, en vue de leur offrir une perspective et de favoriser leur stabilité, quitte à devoir résoudre un certain nombre de difficultés nouvelles dans le fonctionnement des institutions ;
- si la notion de noyau dur n'apparaît pas dans la future architecture institutionnelle de l'Europe, il demeurera nécessaire de permettre à des groupes d'Etats volontaires d'aller plus loin que les autres dans l'intégration européenne ; l'harmonisation en matière pénale ou la politique de défense en sont l'illustration ;
- en ce qui concerne la composition de la Commission, la Convention s'est accordée sur un compromis proposé par la Belgique et consistant à maintenir jusqu'en 2009 le principe de la désignation d'un commissaire par Etat ; au-delà de 2009, la commission serait composée de 30 membres, dont 15 seulement auront le droit de vote ; cette question demeurera toutefois en débat lors de la conférence intergouvernementale ;
- en matière de calcul de la majorité qualifiée, le præsidium a proposé l'instauration d'une double majorité, à savoir la majorité des Etats représentant 60 % de la population ; par rapport au traité de Nice, la France perdrait ainsi sa parité avec l'Allemagne en nombre de voix au sein du Conseil ; toutefois, le critère strictement démographique améliorerait la situation relative de la France par rapport à des pays comme l'Espagne ou la Pologne ;
- c'est essentiellement sur le maintien de la règle de l'unanimité en matière fiscale et sociale que les positions britanniques ont été retenues par la Convention ;
- la France aurait souhaité de nouvelles avancées en matière de lutte contre la criminalité, notamment par la création d'un Parquet européen ; seul a été retenu le principe d'une harmonisation minimale sur certaines incriminations pénales ;
- la communautarisation des législations en matière d'asile et de lutte contre l'immigration clandestine constitue un point positif ; des moyens financiers supplémentaires seront dégagés pour les Etats ayant des difficultés à assurer les contrôles aux frontières de l'espace Schengen ;
- la France a montré sa forte détermination à faire reconnaître la notion de services d'intérêt général et les obligations de service public qui leur incombent ; elle recueille sur ce point une écoute croissante de ses partenaires européens ;
- la décision de soumettre à référendum l'adoption de la constitution européenne relève bien entendu du président de la République ; il s'agit d'un sujet transpartisan sur lequel ne devraient pas interférer des considérations de politique intérieure ;
- des solutions appropriées, sans doute inspirées des précédents en la matière, devront éventuellement être étudiées le moment venu, en cas de rejet, par l'un des 25 pays, du texte de la constitution européenne ;
- la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive est une préoccupation nouvelle à l'échelle européenne et elle est désormais incluse dans la politique étrangère de l'Union ; les 15 ont adopté une position ferme à l'égard de l'Iran, en rappelant les conditions auxquelles était soumise la poursuite du dialogue politique, en soutenant l'action de l'Agence internationale de l'énergie atomique et en invitant Téhéran à signer un protocole additionnel à son accord de garantie avec cette agence, en vue d'accepter le principe d'inspections renforcées et inopinées ;
- l'Union européenne s'est fortement impliquée dans la préparation de la feuille de route sur le conflit israélo-palestinien et elle soutient désormais fermement sa mise en oeuvre ; elle procédera prochainement au remplacement de son représentant spécial au Proche-Orient, M. Moratinos. Elle a également adopté une déclaration sur le Hamas évoquant, s'agissant de sa branche civile, la possibilité d'un gel des avoirs.
Enfin, en réponse à une question de M. André Dulait, président, Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, a souligné que les parlements nationaux étaient désormais pleinement inclus dans l'architecture institutionnelle de l'Union européenne ; ils pourront mettre en oeuvre un mécanisme d'alerte précoce afin de faire valoir le respect du principe de subsidiarité ; ils pourront également saisir la Cour de justice des communautés européennes. Pour sa part, le Parlement européen devrait être associé sous la même forme que par le passé aux travaux de la conférence intergouvernementale, à travers la présence informelle de son président à cette dernière.