Table des matières
- Mercredi 6 novembre 2002
- PJLF pour 2003 - Crédits consacrés à la Défense (Terre) - Examen du rapport pour avis
- PJLF pour 2003 - Crédits consacrés à la défense (gendarmerie) - Examen du rapport pour avis
- Loi de programmation militaire 2003-2008 - Audition de M. François Heisbourg, président de la Fondation pour la recherche stratégique
- Jeudi 7 novembre 2002
Mercredi 6 novembre 2002
- Présidence de M. André Dulait, président -
PJLF pour 2003 - Crédits consacrés à la Défense (Terre) - Examen du rapport pour avis
La commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Serge Vinçon sur les crédits du ministère de la défense inscrits dans le projet de loi de finances pour 2003 (Terre).
Dressant un rapide bilan, pour l'armée de terre, de la période 1997-2002, M. Serge Vinçon, rapporteur pour avis, a estimé qu'elle avait été marquée par la conjugaison de trois types de difficultés liées aux nombreuses mesures de restructuration, à un sous-effectif persistant, en particulier en personnels civils, et au rythme élevé des opérations extérieures. Il a considéré que, pour une large part, ces difficultés s'atténuaient.
L'achèvement du plan de recrutement d'engagés et une meilleure réalisation des postes budgétaires de personnels civils permettent une résorption progressive du sous-effectif, alors que le poids des opérations extérieures va diminuer, en partie grâce à l'allègement du dispositif de l'OTAN dans les Balkans.
Le rapporteur pour avis a rappelé l'acuité croissante, au cours des dernières années, de la question des conditions de vie et de travail des militaires. Il a évoqué le plan d'amélioration décidé en février dernier, en jugeant cette réponse à la fois trop tardive et en partie faussée par les incidences de la législation sur les 35 heures.
Enfin, il a souligné l'impact négatif, pour l'armée de terre, de la mauvaise exécution financière de la loi de programmation militaire, qui s'est traduite par un sentiment croissant de dégradation de « l'outil de travail ». Il a cité les retards enregistrés sur les différents programmes et la dégradation capacitaire provoquée par les abattements opérés sur les programmes de cohérence opérationnelle, alors que la réduction des crédits d'entretien programmé des matériels a continué à détériorer fortement la disponibilité des équipements.
Estimant que la capacité opérationnelle globale de l'armée de terre risquait d'être fortement compromise si l'effort d'équipement était demeuré au point bas atteint en 2002, il s'est félicité de la ferme volonté de redressement qui caractérise le projet de budget pour 2003.
En progression de 5,5 %, la dotation des forces terrestres atteindra 7,6 milliards d'euros en 2003.
Les dépenses de rémunérations et charges sociales augmenteront de 4,7 %. La condition militaire représentera une dépense supplémentaire de 120 millions d'euros, dont 70 millions d'euros pour le paiement des jours de permissions non effectivement pris, dans la limite de 8 jours sur les 15 jours supplémentaires accordés.
En matière d'effectifs, le budget pour 2003 se traduit par la création de 1.000 postes d'engagés, financée par la suppression de 1.500 postes de volontaires.
Le rapporteur pour avis a rappelé à cet égard qu'il soulignait depuis deux ans la nécessité de réduire l'effectif budgétaire des volontaires, surévalué par rapport aux possibilités réelles de pourvoir les postes. Il a estimé que cette mesure permettrait de renforcer les effectifs militaires réels de l'armée de terre. Il s'est en revanche interrogé sur la suppression de 145 emplois de personnels civils alors qu'à partir de 2005, l'armée de terre devrait voir cette catégorie renforcée, selon le projet de loi de programmation militaire 2003-2008.
En matière de fonctionnement, la progression de 5,3 % des dotations permettra un relèvement des activités d'entraînement et une amplification de la sous-traitance.
Enfin, les dépenses en capital des titres V et VI progresseront de 6,3 % pour les crédits de paiement et de 15,3 % pour les autorisations de programme, conformément au projet de loi de programmation militaire 2003-2008.
M. Serge Vinçon, rapporteur pour avis, a souligné que cette augmentation ne signifiait nullement une révision à la hausse des objectifs d'équipement, mais qu'elle représentait simplement le niveau requis pour ne pas ajouter de nouveaux retards à ceux accumulés au cours de la législature précédente et pour revenir sur une trajectoire compatible avec la réalisation du modèle 2015. Il a observé l'effort particulier qui sera effectué en 2003 sur l'entretien programmé des matériels (+ 30 % en autorisations de programme, + 12 % en crédits de paiement) et sur l'infrastructure (+ 18 % en autorisations de programme, + 11,5 % en crédits de paiement).
Il a ajouté que le niveau retenu pour le titre V renforçait l'objectif de rétablissement de la disponibilité des matériels et mettait fin à la logique d'érosion des crédits qui menaçait la cohérence globale de l'armée de terre.
Tout en rappelant que l'effort programmé pour la période 2003-2008 ne permettrait pas de rattraper les retards accumulés ces dernières années, ni d'éviter certaines lacunes capacitaires, notamment en matière d'aéromobilité, il s'est félicité du changement de cap opéré dans le cadre du projet de loi de finances pour 2003 et a proposé à la commission d'émettre un avis favorable sur les crédits des forces terrestres pour 2003.
A la suite de l'exposé du rapporteur pour avis, M. Christian de La Malène s'est inquiété de l'hypothèse d'un gel des crédits du ministère de la défense au cours de l'année 2003, craignant qu'une telle mesure ne préfigure des annulations remettant en cause l'impact positif du projet de loi de finances. Par ailleurs, il a estimé nécessaire d'engager une réflexion globale sur la participation de la France aux opérations extérieures. Il a souhaité qu'à l'avenir notre engagement soit décidé avec une plus grande sélectivité, au vu de l'examen attentif de nos intérêts nationaux.
M. Jean-Pierre Masseret, évoquant les appréciations du rapporteur pour avis sur la période 1997-2002, a considéré que le coût de la professionnalisation avait été supérieur aux prévisions. Il a estimé que le projet actuellement évoqué de gel de certains crédits dès le début de l'exercice 2003 remettrait totalement en cause les perspectives ouvertes, pour la défense, par le projet de loi de finances. Enfin, sans préjuger du vote qui sera émis lors de l'examen d'ensemble, il a précisé que le groupe socialiste envisageait de s'abstenir lors du vote du budget de la défense.
M. Didier Boulaud a rappelé que toutes les lois de programmation militaire connaissaient des réalisations imparfaites. Il a d'autre part souligné l'implication des collectivités locales dans les restructurations de la défense, en regrettant que leur tâche n'ait pas toujours été suffisamment soutenue.
M. André Dulait, président, s'est demandé si le budget de la défense comportait des crédits pour la dépollution d'emprises militaires désaffectées, afin qu'elles puissent être vendues à des collectivités locales.
M. Robert Del Picchia a demandé des précisions sur les perspectives d'évolution des postes de personnels civils dans l'armée de terre d'ici 2008.
En réponse à ces interventions, M. Serge Vinçon, rapporteur pour avis, a apporté les précisions suivantes :
- il est nécessaire de demeurer vigilant sur l'exécution du budget de la défense pour 2003, au regard des pratiques de régulation budgétaire, afin qu'elles ne compromettent pas l'effort de redressement engagé ;
- les effectifs engagés par l'armée de terre en opérations extérieures devraient aller en diminuant dans les prochains mois, du fait de l'allègement de notre présence dans les Balkans ;
- les opérations extérieures ont considérablement pesé sur l'exécution budgétaire du titre III et ont été financées par des annulations correspondantes au titre V ; si l'on isole ce facteur, l'évolution du titre III est demeurée proche des prévisions initiales, bien qu'il ait fallu financer les mesures de revalorisation des bas salaires décidées après le vote de la loi de programmation militaire 1997-2002 ;
- si toutes les lois de programmation connaissent une exécution imparfaite, il convient de rappeler que la loi de programmation 1997-2002 se traduisait, par rapport aux lois précédentes, par une réduction très sensible des crédits d'équipement militaire ; la « revue de programmes » de 1998 a opéré un abattement supplémentaire sur cet objectif déjà réduit par rapport à la décennie précédente ; il est regrettable que ces engagements n'aient pas été honorés, en dépit des marges de manoeuvre budgétaire permises par le contexte économique de la dernière législature ;
- beaucoup de collectivités locales ont pu réaliser des opérations très satisfaisantes à la faveur des restructurations de défense ;
- les crédits d'infrastructure financent les actions destinées à la remise en état d'emprises militaires désaffectées ;
- le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 prévoit une augmentation de 700 postes de personnels civils de l'armée de terre pour la période ; cette augmentation devrait commencer à prendre effet à partir de 2005 ; en dépit de ces objectifs, le projet de loi de finances procède à une suppression de 145 postes de civils dans l'armée de terre par non-remplacement de certains départs en retraite.
PJLF pour 2003 - Crédits consacrés à la défense (gendarmerie) - Examen du rapport pour avis
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Puis la commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Philippe François sur les crédits du ministère de la défense inscrits dans le projet de loi de finances pour 2003 (Gendarmerie).
M. Philippe François, rapporteur pour avis, a tout d'abord indiqué que le budget de la gendarmerie s'élèvera à 4,2 milliards d'euros en 2003. Il s'inscrit dans un budget du ministère de la défense en hausse de 7,5 % par rapport à 2002, où dépenses de personnel et de fonctionnement progresseront de 4,7 % et celles d'investissement, de 11,2 %. Le budget de la gendarmerie, quant à lui, progressera de 8,4 %, le titre III de 6,6 % et les crédits d'investissement (titres V et VI) de 53 % en autorisations de programme et de 27 % en crédits de paiement. Le rapporteur pour avis a donc souligné que les crédits prévus aussi bien par la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) pour les années 2003-2007 et par le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008, étaient bien inscrits dans le projet de budget.
En 2003, 1.200 postes de militaires seront créés dans la gendarmerie et l'effectif budgétaire total dépassera les 99.000 hommes. En outre, d'importants moyens sont dégagés pour financer les mesures indemnitaires en faveur de la condition militaire, qu'il s'agisse de l'extension en année pleine du dispositif de temps d'activité et d'obligation professionnelle des militaires (TAOPM) ou de l'augmentation de certaines primes, comme l'harmonisation de l'indemnité spéciale pour sujétion de police (ISSP) à hauteur de 24 % pour tous les sous-officiers. D'autres mesures pourraient être décidées rapidement dans un esprit d'équilibre avec la police, comme l'intégration de l'ISSP dès 50 ans dans le calcul de la pension et l'augmentation de la prime d'officier de police judiciaire.
Par ailleurs, les crédits de fonctionnement vont être réévalués pour permettre à la gendarmerie de payer l'ensemble de ses loyers. En 2003, ce rebasage représentera, pour les loyers, 59,4 millions d'euros. En matière d'investissements, enfin, les crédits inscrits permettront la rénovation des logements et le renouvellement des matériels tout en facilitant l'équipement des personnels recrutés. Ainsi, 3 hélicoptères EC 145, 3.000 véhicules et 42.000 gilets pare-balles seront livrés et 3.620 véhicules pour les brigades et 42.000 gilets pare-balles à port discret seront commandés. 1.235 unités logements seront construites ou rénovées. A cette fin, les crédits de paiement s'élèveront à 182,4 millions d'euros.
M. Philippe François a ensuite abordé l'évolution de l'organisation de la gendarmerie. Evoquant la question du statut militaire, il a estimé que la singularité de la gendarmerie par rapport aux armées s'était accentuée et que le rapprochement avec la police avait renforcé la tentation d'une égalité parfaite entre les deux corps même s'il était indispensable pour améliorer la coordination de leur emploi. Le rapporteur pour avis a estimé qu'il fallait préserver le statut militaire de la gendarmerie dans la mesure où, face aux risques de terrorisme et compte tenu de l'effacement de la frontière entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, la gendarmerie reste la force la mieux à même d'assurer la continuité entre la défense civile et la défense militaire. Les gendarmes, qui sont attachés à ce statut, doivent avoir conscience qu'ils ne peuvent obtenir une totale identité de conditions de travail avec la police sans abandonner le statut militaire qui implique notamment une obligation de disponibilité.
M. Philippe François, rapporteur pour avis, a en outre indiqué que pour préserver le statut militaire, il lui paraissait utile de maintenir ou de rétablir les liens qui existent entre la gendarmerie et les autres armées pour le recrutement et la formation continue, sans que cette question se limite uniquement au recrutement des officiers. Il est également souhaitable de veiller à ce que la gendarmerie continue d'être disponible pour ses missions militaires, notamment dans le cadre des opérations extérieures, même si, sur le territoire national, les groupements de gendarmerie départementale pourraient être placés sous l'autorité directe des préfets pour les missions de sécurité intérieure.
Le rapporteur pour avis a enfin abordé la question des redéploiements et de la réorganisation territoriale de la gendarmerie. Il a expliqué que deux réformes différentes se cumulaient. D'une part, vont être mises en place des communautés de brigades. Leur constitution ne pose pas de problème de principe, mais des inquiétudes quant à leur mise en oeuvre, un grand nombre de brigades travaillant déjà en binôme ou en trinôme. Les principales différences avec le précédent dispositif sont l'instauration d'un commandement unique et d'une organisation permettant de résoudre les problèmes posés par la présence de nuit, l'extension du territoire à surveiller et les délais d'intervention.
D'autre part, les redéploiements entre la police et la gendarmerie suscitent plus d'inquiétude. L'objectif est de constituer des zones homogènes d'intervention et, en ce qui concerne la gendarmerie, de ne maintenir en zone de police, notamment en région parisienne, que les brigades nécessaires à la continuité des enquêtes judiciaires et des missions militaires. M. Philippe François, rapporteur pour avis, a souligné qu'il était important, en particulier dans les départements ruraux, de ne pas tenir compte simplement du nombre de gendarmes et de policiers par habitant ou de l'évolution de la criminalité, mais aussi des délais d'intervention, du contrôle de l'espace, de l'environnement économique et de l'aménagement du territoire. Il a estimé que tel devrait être le cas puisque le ministre de l'intérieur avait choisi une méthode pragmatique faisant remonter les propositions de la base en concertation avec les élus.
En conclusion, M. Philippe François s'est félicité du projet de budget 2003 pour la gendarmerie. Les moyens nouveaux ont d'ores et déjà produit un effet significatif sur le moral et le travail des personnels et prouvent la cohérence de l'action du gouvernement en matière de sécurité intérieure et de défense. Il a donc proposé que la commission émette un avis favorable au projet de budget pour 2003.
A la suite de l'exposé du rapporteur pour avis, un débat s'est engagé avec les commissaires.
M. Xavier de Villepin a souligné l'importance du maintien du statut militaire de la gendarmerie et s'est interrogé sur l'ampleur de l'harmonisation des régimes indemnitaires entre la police et la gendarmerie.
M. Didier Boulaud, après avoir renouvelé les interrogations du groupe socialiste quant à l'exécution intégrale du budget 2003 et le fait que le projet de budget soit examiné avant la loi de programmation militaire, a souligné que les redéploiements devaient tenir compte de la diversité des territoires et, notamment, des contraintes géographiques, déterminantes pour les délais d'intervention. Il a enfin rappelé que le groupe socialiste s'abstiendrait lors du vote des crédits.
M. Daniel Goulet a souligné que le statut militaire de la gendarmerie était la garantie de sa disponibilité et de sa proximité et qu'il n'excluait en rien une meilleure complémentarité et une plus grande cohérence avec l'action de la police. Il a, en outre, indiqué que la problématique de l'aménagement du territoire devait être prise en compte dans les redéploiements, dans la mesure où, dans les départements ruraux, la gendarmerie était un service public essentiel.
MM. Louis Moinard et Serge Vinçon se sont inquiétés des modalités de remplacement des commissariats par les gendarmeries, le nombre de gendarmes risquant d'être très sensiblement inférieur à celui des policiers. M. Serge Vinçon a estimé que la méthode impliquant une concertation étroite avec les élus locaux était positive. Il a par ailleurs rappelé l'importance du dualisme des forces de police et du rôle spécifique de la gendarmerie dans le renseignement et dans la défense opérationnelle du territoire.
M. Jean-Pierre Masseret a estimé que la consultation des élus était nécessaire, ceux-ci ayant un rôle d'explication à fournir auprès des populations sur les redéploiements. Dans les départements ruraux, il fallait prendre garde à la hausse sensible de l'insécurité. Il a en outre mis en exergue le lien qui s'était établi entre les revendications de la police, de la gendarmerie et des armées, et a souhaité que ce lien puisse à l'avenir être mieux maîtrisé.
M. Christian de La Malène a rappelé le rôle important de la gendarmerie pour le maintien du lien armée-nation et la bonne image des armées auprès des Français, depuis la professionnalisation.
M. Xavier de Villepin a souhaité que la différence entre la police et la gendarmerie soit rappelée afin que le rapprochement en cours ne puisse constituer un risque pour la communauté militaire.
M. Philippe François, rapporteur pour avis, a alors apporté les précisions suivantes :
- l'harmonisation des indemnités entre policiers et gendarmes respecte le principe du « dualisme équitable » qui vise à la fois à maintenir un équilibre entre les deux forces et à préserver leur statut respectif ;
- les redéploiements s'effectuent, dans chaque département, sous l'autorité du préfet après avis du directeur départemental de la police et du commandement de groupement de la gendarmerie départementale. Des consultations sont d'ores et déjà en cours avec les élus ;
- la gendarmerie a une mission de police militaire. Il n'est pas souhaitable qu'elle soit accomplie par les armées.
Loi de programmation militaire 2003-2008 - Audition de M. François Heisbourg, président de la Fondation pour la recherche stratégique
La commission a procédé à l'audition de M. François Heisbourg, président de la Fondation pour la recherche stratégique, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008.
M. François Heisbourg a tout d'abord exprimé sa satisfaction sur le contexte renouvelé dans lequel s'inscrit son intervention sur le projet de loi de programmation militaire. Il a estimé que, sur le plan stratégique, l'innovation apportée par la loi de programmation militaire était plus importante qu'il n'y paraissait.
Reprenant les différentes fonctions stratégiques énumérées par la loi de programmation, dissuasion, prévention, projection et protection, il a considéré que le contenu du volet « prévention » constituait un apport substantiel. Bien que différente du concept américain qui inclut notamment l'idée de frappes préventives, la conception française de la prévention résulte directement des événements du 11 septembre. Cette fonction stratégique spécifique, qui comprend le développement de capacités de veille et d'alerte précoce, ainsi que de renseignement a été identifiée comme une réponse à la menace émanant de groupes non-étatiques. Elle constitue une actualisation du Livre blanc de 1994, qui évoquait le terrorisme sans y apporter le même type de réponse.
La nouvelle loi de programmation militaire résulte tant des événements du 11 septembre que du constat d'un décalage croissant entre les efforts de défense français d'une part, et britanniques d'autre part : 37 milliards d'euros ont été consacrés à la défense par le Royaume-Uni contre 25,5, hors gendarmerie, par la France sur la dernière période de programmation.
La réforme des armées, combinée à la multiplication des opérations extérieures avec un budget inchangé, a conduit à la dégradation de la disponibilité des matériels. La loi de programmation militaire, donnant une priorité claire au maintien en condition opérationnelle des forces, apporte des réponses satisfaisantes à une question urgente. Le niveau des crédits consacrés au titre V, de l'ordre de 15 milliards d'euros par an, constitue également un motif de satisfaction.
Certaines interrogations subsistent cependant. L'exécution budgétaire et la nécessité de réaliser des dépenses en temps et en heure sont une première source d'incertitude. M. François Heisbourg a estimé qu'en l'absence de refonte du Livre blanc de 1994, la loi de programmation ne posait pas suffisamment la question de l'arbitrage entre les différents types d'opérations que la France peut mener. Prenant l'exemple de l'Afghanistan, il a indiqué que, seule, la France menait à la fois des opérations militaires, de maintien de la paix dans le cadre de l'ISAF et de formation de la nouvelle armée. De ce point de vue, les Britanniques établissent une hiérarchie plus nette dans leurs priorités. Il a considéré que ce choix devait être mis en rapport avec la logique de fonctionnement d'une armée professionnelle. Si elle fait l'objet de sollicitations trop nombreuses, des tensions sur le recrutement risquent d'être observées à terme.
La loi de programmation militaire n'aborde pas non plus la question de la convergence entre sécurité extérieure et sécurité intérieure. La mise en place de conseils de sécurité intérieure, au même niveau que les conseils de défense, constitue un début de mise en cohérence.
M. François Heisbourg a conclu sur la question de l'européanisation de notre défense dans un contexte de retrait britannique et de restriction budgétaire en Allemagne.
Un débat s'est ensuite instauré avec les commissaires.
M. Xavier de Villepin a souhaité savoir si le niveau de l'effort français en matière de recherche et développement ainsi que dans le domaine de l'espace était suffisant, alors que l'on observe une augmentation très forte de la dépense américaine dans ces domaines. Il a par ailleurs souhaité connaître l'opinion de M. François Heisbourg sur les évolutions de l'OTAN et de la défense européenne.
M. Hubert Durand-Chastel s'est interrogé sur l'impact économique, notamment en termes d'emploi, de la recherche en matière de défense. Il a considéré que cet impact pouvait constituer une incitation pour certains pays neutres à investir davantage dans le secteur militaire.
M. Serge Vinçon a sollicité l'opinion de M. François Heisbourg sur l'évolution attendue de l'attitude des Etas-Unis par rapport à l'OTAN. S'agissant des efforts comparés de défense, il s'est interrogé sur la sortie des crédits correspondants des critères du pacte de stabilité. Il a enfin souhaité des éléments de précision sur le rôle de la dissuasion nucléaire dans le contexte stratégique actuel.
M. Jean-Pierre Masseret a souhaité connaître les moyens de réponse dont dispose notre pays face aux menaces bactériologiques et chimiques. Il s'est interrogé sur les rôles respectifs de la défense européenne et de l'OTAN, dans un contexte où le champ d'intervention de cette dernière pourrait être élargi.
M. Christian de La Malène, partageant l'opinion de M. François Heisbourg selon laquelle la France ne peut prétendre assigner un champ trop vaste aux missions de ses forces armées, lui a demandé si, de son point de vue, le projet de loi de programmation militaire opérait, à ce sujet, des choix suffisamment clairs. Il s'est notamment interrogé sur la fréquence et l'importance des opérations extérieures auxquelles la France prenait part, et sur les retombées de nos efforts en faveur du développement de capacités militaires européennes de gestion de crise, compte tenu des difficultés de la politique européenne de sécurité et de défense.
Mme Hélène Luc a demandé des précisions sur le rôle futur de l'OTAN et sur la place que lui réserveraient les Etats-Unis. Elle s'est inquiétée de la relative faiblesse des crédits consacrés au renseignement. Elle a souligné la nécessité, pour la France, de s'engager davantage dans la reconstruction de l'Afghanistan, en particulier en matière d'équipements scolaires et sanitaires.
M. Robert Del Picchia a évoqué les incertitudes pesant sur l'étendue exacte des missions dites « de Petersberg » que devrait assumer l'Union européenne. Il asouligné que certains de nos partenaires ne souhaitaient pas aller au-delà de missions de maintien de la paix et n'envisageaient pas de missions de rétablissement de la paix. Il a par ailleurs interrogé M. François Heisbourg sur les perspectives d'intervention militaire américaine en Irak.
Mme Josette Durrieu a évoqué l'évolution du dossier de l'avion de transport A 400 M et la situation en Macédoine à l'approche de la fin de la mission de l'OTAN.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a souhaité des précisions sur la nature du parti qualifié d'islamiste modéré qui vient de remporter les élections turques. Elle s'est demandé dans quelle mesure l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne pouvait constituer un moyen de rapprocher les civilisations et les cultures.
M. Pierre Biarnès, évoquant l'Irak, a déploré que la communauté internationale ne soit pas suffisamment déterminée à faire appliquer les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies au Proche-Orient. Il a souligné qu'Israël possédait des armes de destruction massive, notamment nucléaires.
M. André Dulait, président, a souhaité connaître l'opinion de M. François Heisbourg sur l'efficacité de l'organisation de nos services de renseignement. Il a par ailleurs demandé comment la Convention sur l'avenir de l'Europe prendrait en compte les questions de défense. Il s'est enfin interrogé sur l'adaptation de notre politique nucléaire militaire au nouveau contexte international.
En réponse à ces différentes interventions, M. François Heisbourg a apporté les précisions suivantes :
- la recherche et le développement constituent les domaines qui ont été les plus affectés, ces dernières années, par la réduction du budget de défense français, alors qu'ils ont au contraire été constamment préservés aux Etats-Unis, quel que soit le contexte budgétaire ; l'effort consacré par la France en la matière ne représente plus qu'environ la moitié du niveau atteint au début des années 1990 ; par ailleurs, la délégation générale pour l'armement a renoncé, à partir de 1997, à conduire elle-même des recherches-amont ;
- à la différence des dernières décennies, c'est désormais en grande partie la recherche civile qui « tire » la recherche militaire, car les cycles technologiques sont beaucoup plus courts que les cycles d'acquisition des armements ; il est donc nécessaire de réduire la durée de ces cycles d'acquisition d'équipements militaires afin de bénéficier davantage des retombées de la recherche civile ;
- le renforcement des programmes spatiaux militaires est, pour la France, une nécessité ; il est heureux à cet égard que le projet de loi de programmation militaire, même s'il demeure discret sur le sujet, prévoie des études sur la mise au point de systèmes d'alerte satellitaires, indispensables à la détection et à la localisation des tirs de missiles balistiques ;
- les Etats-Unis continuent à accorder une grande importance politique à l'OTAN, mais considèrent qu'avec la disparition de la menace soviétique, son intérêt militaire s'est considérablement réduit ; de fait, 92% de la structure des forces américaines n'est pas rattachée pour emploi à l'OTAN et fonctionne selon des procédures et des standards différents de ceux de l'Alliance atlantique, ce qui crée des difficultés pour nos forces lorsqu'elles sont appelées, comme en Afghanistan, à opérer avec des unités ne relevant pas du commandement américain en Europe ; cette évolution laisse présager un déclin de l'OTAN en tant qu'organisation de défense collective ;
- la proposition américaine de force de réaction rapide au sein de l'OTAN, davantage soutenue par la Maison Blanche que par le Pentagone, présente un intérêt militaire réduit ; son effectif sera minime, sa capacité à être très rapidement engagée est incertaine, notamment dans une Alliance élargie ; elle permettra cependant de promouvoir l'interopérabilité entre les différentes armées y prenant part ;
- la force européenne de réaction rapide, telle qu'elle a été définie à Helsinki par le Conseil européen, ne paraît pas en mesure de pouvoir mener des actions de projection de vive force ; insuffisamment ambitieux, si l'on considère que l'Europe doit pouvoir conduire des opérations de guerre loin de ses frontières, le projet est en revanche sur-dimensionné s'il ne s'agit que de mener des opérations de maintien de la paix comme celles actuellement en cours en Bosnie-Herzégovine ;
- l'institut d'étude et de sécurité de l'Union européenne travaille actuellement à la rédaction d'un livre européen sur la défense ; la question se pose, dans ce cadre, de savoir si l'Europe de la défense doit se limiter aux missions de Petersberg ;
- la Convention sur l'avenir de l'Europe aura également à s'intéresser aux développements de la politique européenne de sécurité et de défense ; on peut par exemple se demander si, comme la Constitution française, la future Constitution européenne comportera une disposition relative à l'intégrité territoriale de l'Union européenne ;
- la France est aujourd'hui mieux préparée à la lutte contre le risque chimique qu'à celle contre le risque biologique ; une implication plus forte des institutions européennes est nécessaire dans ce domaine ; il est également indispensable de procéder à des exercices sur le terrain, comme l'exercice Eurotox récemment organisé à Canjuers, mais également à des exercices de gestion de crise par l'échelon politique, comme l'on fait les Etats-Unis au printemps 2001 en testant les lacunes de leur appareil de décision face à la propagation du virus de la variole ;
- la part de la dissuasion nucléaire représente actuellement environ 20% des crédits d'équipement de la défense, ce qui est supérieur à ce que l'on constate aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni ; il n'est donc pas illégitime de se demander s'il serait possible, tout en préservant la dissuasion, ce qui demeure indispensable, de réduire l'effort financier qui lui est consacré ; on peut regretter qu'un débat plus ouvert ne se soit pas produit sur la nécessité de construire un 4e sous-marin nucléaire lanceur d'engins de nouvelle génération, ou d'engager le programme de missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP/A) ;
- il est en revanche important d'envisager, pour la crédibilité même de notre dissuasion, une capacité de détection et d'alerte ; la prolifération des missiles balistiques et des armes de destruction massive rend indispensable la capacité de détection et d'identification d'un éventuel agresseur ; un tel système, d'un coût évalué entre 400 et 500 millions d'euros, est à la portée du budget de défense français ;
- s'agissant de l'avion de transport A 400 M, il aurait été préférable que l'Allemagne indique clairement, dès le départ, le nombre d'appareils qui lui étaient réellement nécessaires ;
- le parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan, qui vient de remporter les élections législatives en Turquie, représente effectivement une ligne modérée et ne saurait en aucun cas être mis sur le même plan que le FIS algérien ; certains ont pu, à juste titre, parler d'une version musulmane de la démocratie chrétienne, telle que nous la connaissons en Europe ;
- les Européens ont fait preuve d'une grande inconséquence dans leur attitude vis-à-vis de la Turquie depuis plusieurs années ; cette dernière peut à bon droit évoquer les engagements clairs, énoncés notamment lors du Conseil européen d'Helsinki en 1999, sur sa vocation à intégrer l'Union européenne ; il est regrettable de constater sur ce point un profond décalage entre les déclarations officielles de l'Union européenne et le sentiment réel des différentes capitales ;
- la diplomatie française aura montré, dans la gestion du dossier irakien aux Nations unies, de grandes qualités d'efficacité et de professionnalisme ; si un compromis était trouvé autour d'une résolution acceptable par la France, cette dernièreserait bien entendu liée par ce compromis et devrait en conséquence participer à une éventuelle opération militaire en cas de non-respect par l'Irak de ses obligations ; une participation française devrait en revanche être exclue si une action américaine intervenait en dehors des résolutions du Conseil de sécurité ;
- les attentats dont la France a été victime au cours des vingt dernières années l'ont incitée à mettre en place une bonne coordination des services de renseignement ; celle-ci peut être aujourd'hui jugée efficace ;
- Israël a commencé à développer un programme nucléaire, bien avant la conclusion du traité de non-prolifération (TNP) ; cet Etat n'a d'ailleurs pas signé ce traité et n'est donc pas en contradiction avec ses engagements internationaux, contrairement à l'Irak et à la Corée du Nord ; en ce qui concerne les résolutions du Conseil de sécurité sur le Proche-Orient, elles s'adressent à la partie israélienne comme à la partie palestinienne et ne sont pas fondées, à la différence des résolutions concernant l'Irak, sur le chapitre VII de la Charte des Nations unies relatif aux menaces contre la paix et au recours éventuel à la force par l'ONU.
Enfin, répondant à une question de M. Xavier de Villepin, M. François Heisbourg a évoqué les conditions dans lesquelles a été révélée l'existence d'un programme nucléaire nord-coréen. Il a souligné que la situation ainsi créée ne pouvait être comparée à celle de l'Irak, car il ne s'agissait pas de l'acquisition potentielle de la capacité nucléaire, mais de sa possession, ce qui, entre autres raisons, excluait toute option militaire. Il a reconnu la relative modération des réactions internationales, en particulier aux Etats-Unis et au Japon, ce dernier pays étant soumis à d'intenses pressions de Pyongyang pour normaliser, dans un sens très favorable à la Corée du Nord, les relations bilatérales. Il a jugé que la révélation du programme nucléaire nord-coréen ne rendait que plus inquiétants les soupçons de transferts de technologies vers des pays proliférants, comme l'Iran ou la Libye.
Jeudi 7 novembre 2002
- Présidence de M. André Dulait, président -
PJLF pour 2003 et loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 - Audition de M. Denis Ranque, président-directeur général de Thales
La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Denis Ranque, président-directeur général de Thales, sur la loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008.
M. Denis Ranque a tout d'abord présenté les trois métiers principaux de la société Thales : les systèmes électroniques de défense, qui concourent à 50 % du chiffre d'affaires global, les systèmes aéronautiques, tant civils que militaires, et enfin les technologies de l'information et les services dans le secteur des transactions, de la sécurité et du positionnement.
Puis M. Denis Ranque a présenté l'évolution récente de sa société, dont 50 % des effectifs sont aujourd'hui basés à l'étranger, pour répondre aux impératifs d'une stratégie dite « multidomestique », qui vise à répondre à un double défi : d'une part, la mondialisation du marché et d'autre part, la nécessité de maintenir des protections nationales dans des domaines aussi sensibles, liées à la sécurité, la souveraineté ou le contrôle des exportations.
Cette stratégie multidomestique donne de bons résultats. La société Thales est aujourd'hui le premier fournisseur de la Délégation générale pour l'armement en France, le deuxième fournisseur en Grande-Bretagne, et elle est également présente dans de nombreux autres pays, dont l'Australie et la Corée du sud. Ce succès est largement dû à la stratégie de Thales, qui vise à impliquer les économies des différents pays partenaires dans les retombées économiques des dépenses d'armement. Prenant l'exemple de l'Australie, M. Denis Ranque a souligné que le partenariat avec Thales avait permis à ce pays le développement, sur son sol, de plusieurs industries qui exportent dans la zone Pacifique. Ce concept multidomestique innovant a permis une croissance de l'activité de la société, notamment en matière de défense et ceci dès 1997, alors que les crédits militaires français étaient en réduction. Au total, le marché français représente aujourd'hui 15 % des ventes en matière militaire, et les activités ont été développées dans plusieurs autres pays européens.
Puis M. Denis Ranque a mis en exergue les domaines dans lesquels sa société exerçait une prééminence sur le plan mondial, immédiatement derrière certaines sociétés américaines. Ces domaines sont les systèmes navals et aéronautiques, l'optronique, ainsi que les systèmes de communication - commandement et de défense aérienne.
Abordant ensuite le contenu de la loi de programmation militaire 2003-2008, M. Denis Ranque a salué la rupture qu'elle opérait avec la période antérieure. Cette rupture est d'autant plus opportune que l'après guerre froide a été marquée par une décroissance générale des budgets militaires, alors même que les incertitudes internationales réclamaient de nouvelles modalités d'emploi des forces. Il a ainsi repris la comparaison entre les dépenses consacrées à la défense par les quinze pays membres de l'Union européenne qui, au total, n'avoisinent que la moitié des dépenses consacrées par les Etats-Unis à leur équipement militaire, l'effort européen de recherche et développement ne dépassant pas le quart de l'effort consenti en la matière outre-atlantique. La deuxième dérive que la loi de programmation militaire vise à interrompre tient à la disponibilité opérationnelle des équipements des forces armées qui, faute de crédits dans la période antérieure, a chu de façon considérable aboutissant à l'immobilisation d'un nombre croissant de matériels. Enfin, a-t-il estimé, cette loi de programmation permettra à la France de restaurer une prééminence en Europe qui lui était contestée par la Grande-Bretagne, pays qui a su maintenir de façon constante son effort de défense.
Au total, M. Denis Ranque a jugé que cette loi de programmation était une bonne initiative tant pour les industries de la défense que pour les citoyens. Il a cependant assorti ses propos optimistes d'une restriction portant sur la nécessité que cette loi, à la différence des précédentes lois de programmation militaire, soit effectivement et pleinement appliquée. Dans le cas contraire, le phénomène de sous-équipement persisterait avec, comme conséquence négative, un renchérissement des différents programmes d'armement, comme cela a été malheureusement le cas notamment pour le Rafale. En effet, les amputations budgétaires successives qui ont affecté ce programme ont conduit à majorer considérablement son coût de développement, ainsi qu'à affecter ses possibilités d'exportation. Si cet exemple démontre les nombreuses conséquences perverses des annulations budgétaires successives, M. Denis Ranque a souligné qu'en contrepartie de cet effort financier important consenti par la nation, les forces armées devaient s'engager résolument à accroître leur efficacité financière, en se dégageant du poids de certains services qui sont délégables et en rendant plus réactifs les mécanismes de décision. Si d'importants progrès ont été accomplis tant par les industriels que par la Délégation générale pour l'armement s'agissant des équipements neufs, des progrès similaires restent à faire dans le domaine de la maintenance. A cet égard, M. Denis Ranque a évoqué les exemples britanniques ou norvégiens, dont les procédures permettent de reverser, au budget de la défense, toute somme économisée grâce à des efforts de productivité ou de rationalisation du processus de décisions. Il a fait valoir que les efforts considérables accomplis récemment par les forces armées dans le cadre de leur professionnalisation démontraient leur capacité à se moderniser.
Abordant ensuite les conséquences industrielles des crédits inscrits dans la loi de programmation militaire, il a salué la priorité accordée au secteur naval. Rappelant que le marché français, en ce domaine, est dominé par le rôle de la Direction des constructions navales (DCN), il a mis en évidence que celle-ci pouvait s'appuyer sur un marché dynamique. De surcroît, ce domaine est au coeur des opérations de projection, qui constituent l'axe des opérations militaires modernes. M. Denis Ranque a rappelé que Thales avait créé avec DCN une société commune, dénommée Armaris. Cette communauté de projet doit accentuer la nécessité d'une bonne maîtrise des coûts par la DCN, dont le nouveau statut constitue un pas nécessaire mais non suffisant pour une réforme globale. Dans le domaine aéronautique, qui constitue un domaine d'excellence de l'Europe, où la dualité civile et militaire est totale, M. Denis Ranque a ensuite relevé que les deux grands groupes européens que constituent Thales et EADS seraient de plus en plus confrontés à l'ambition américaine de dominer le secteur. Le succès en Europe du JSF en est un exemple inquiétant, a-t-il déploré. En dehors du marché britannique, qui s'est tourné vers cet avion pour répondre à un besoin spécifique, d'autres pays européens, tels la Norvège, les Pays-Bas ou l'Italie, se sont agrégés au programme en l'absence de réel besoin et sans réelles perspectives de participation industrielle et de transfert technologique.
Enfin, M. Denis Ranque a évoqué l'évolution des systèmes de communication et de décision (C3R), qui avaient permis, en dix ans, de réduire de deux jours à quelques minutes la « boucle » renseignement-détection-commandement-exécution-contrôle. Cette évolution majeure du circuit de décision conduit à un véritable bouleversement des méthodes, et M. Denis Ranque s'est félicité que la loi de programmation militaire contienne des dispositions -notamment un programme de commandement et de planification interarmées, visant à permettre à la France d'être une « nation cadre », et une phase nouvelle du programme Syracuse- en ce domaine.
A la suite de l'exposé de M. Denis Ranque, un débat s'est engagé avec les commissaires.
M. Serge Vinçon a souhaité savoir quelles pouvaient être la participation de Thales et la place de la France dans les futurs programmes de lutte anti-missiles, il s'est interrogé sur la coopération qui pourrait s'instaurer avec les Britanniques pour la construction du second porte-avions. Il a enfin fait part de sa préoccupation à propos de l'avenir des industries européennes d'avions de combat confrontées au programme américain JSF.
M. Xavier de Villepin a demandé comment Thales pouvait développer ses parts de marché aux Etats-Unis. Il a en outre souligné l'importance pour les Européens de participer aux programmes anti-missiles et de renforcer leur effort en matière de recherche et développement face aux Etats-Unis. A cet égard, il a souhaité savoir quelles étaient les parts respectives des industriels et de l'Etat. Abordant l'évolution du statut de DCN, il a estimé que la transformation en société nationale ne pouvait être qu'une étape. Enfin, il s'est interrogé sur l'avenir du dispositif français d'aide aux exportations d'armements à l'étranger.
M. Jean-Pierre Masseret s'est interrogé sur les solutions politiques et industrielles qui pourraient permettre à l'Europe de mettre en place une alternative au JSF. Il a par ailleurs souhaité des précisions sur l'évolution possible de l'actionnariat de Thales.
M. Didier Boulaud, notant la part importante des composants américains dans les avions Airbus, s'est demandé comment accroître les parts de marché des industriels européens chez les constructeurs américains.
M. Denis Ranque a alors apporté les précisions suivantes :
- le marché des composants aéronautiques fait l'objet de mises en concurrence où Thales est confronté à des compétiteurs américains forts d'une longue expérience. Il est donc normal, compte tenu de la durée des programmes, qu'ils disposent d'une part importante du marché ;
- les Etats-Unis vont effectivement poursuivre leur programme anti-missiles et il sera très difficile aux industriels européens d'y participer tant que l'Europe elle-même n'aura pas de programme propre. Cependant, même s'il n'est pas dans l'ambition de l'Europe de se doter d'un bouclier comparable à ce que préparent les Etats-Unis, le besoin des Européens est réel pour protéger leurs forces déployées face à des missiles tactiques. Le projet de loi de programmation militaire prévoit d'ailleurs d'étendre la portée de détection des radars associés au système anti-missile de théâtre SAMP-T. Il sera nécessaire de réfléchir ultérieurement à l'évolution du missile lui-même ;
- les Britanniques poursuivent leur projet de construction de deux grands porte-avions. Thales est en compétition sur ce programme avec BAe-Systems. La phase d'étude financée par le gouvernement britannique s'achève fin novembre, le premier contractant devant être choisi au mois de février ou de mars. La mise en chantier du second porte-avions français n'interviendra que dans deux ans mais son entrée en service est prévue pour la même période que les porte-avions britanniques. La solution d'un porte-avions construit en coopération avec les Britanniques sera vraisemblablement la moins coûteuse, même si des adaptations pourraient être nécessaires, les besoins n'étant pas strictement identiques. Trouver une base commune est envisageable puisque les Britanniques, tout en choisissant un porte-avions sans catapulte, ont préservé la possibilité d'installer ultérieurement un tel système ;
- seule une partie du pacte d'actionnaires liant Dassault et Alcatel se dénoue en 2003, le pacte d'actionnaires lui-même, conclu pour huit ans, s'achèvera en 2006. L'actionnariat de Thales est entré dans une phase d'évolution en raison de la diminution de la part dans le capital d'Alcatel et de l'Etat. Les actionnaires actuels ont soutenu la stratégie et la transformation de la société et il est souhaitable que Thales puisse compter sur le même soutien à l'avenir. La présence de l'Etat dans le capital semble moins justifiée que par le passé en raison de l'évolution du marché mondial. Elle apparaît aujourd'hui comme une singularité et parfois comme un handicap, notamment lorsqu'il s'agit de prendre des participations dans le capital de sociétés étrangères. Une évolution de la part de l'Etat ne conduirait pas à un risque de perte de contrôle, l'actionnaire public représentant 15 % du chiffre d'affaires de Thales et 15 % supplémentaires par le biais des autorisations d'exportation. L'Etat conserve, en outre, à travers sa « golden share » (action spécifique), la possibilité de contrôler l'évolution du capital. Par ailleurs, s'il a été utile, en 1998, d'adosser Thales à un partenaire privé, il ne serait pas souhaitable que l'actionnaire de référence futur de la société soit un groupe qui aurait des intérêts concurrents ou divergents ;
- la présence sur le marché américain est indispensable pour tous les grands groupes français ou européens, même si elle est plus difficile dans le domaine de la défense. Pour parvenir à cet objectif, Thales pourra s'appuyer sur la dualité civile et militaire de ses activités. Il s'agit du défi majeur de la décennie à venir, comme l'européanisation a été l'enjeu des années passées ;
- d'un point de vue quantitatif, la relance de la recherche développement par le projet de loi de programmation militaire est très positive. D'un point de vue qualitatif, il serait souhaitable de développer la construction de démonstrateurs technologiques ;
- il sera nécessaire, après la transformation de DCN en société nationale, de passer rapidement à une autre étape ;
- le dispositif commercial à l'exportation est en évolution. Les sociétés commerciales intermédiaires vont vraisemblablement se transformer en partenaires des grands industriels. L'Etat, notamment à travers le réseau diplomatique, fait un effort accru pour soutenir les exportations ;
- pour une alternative au programme JSF, il est nécessaire de développer l'effort national pour soutenir l'exportation du Rafale, appareil extrêmement compétitif techniquement et économiquement. Cela passe par une mobilisation du pouvoir exécutif et par un financement, en coopération avec les industriels, d'une version export. Il est par ailleurs nécessaire, au niveau européen, de préparer l'avenir à travers, notamment, la conception de systèmes d'avions de combat non pilotés.