Travaux de la commission des affaires étrangères
Mardi 18 octobre 2005
- Présidence de M. Serge Vinçon, président -
PJLF pour 2006 - Mission « Défense » - Audition du général Bernard Thorette, chef d'état-major de l'armée de terre
La commission a procédé à l'audition du général Bernard Thorette, chef d'état-major de l'armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2006.
Le général Bernard Thorette, chef d'état-major de l'armée de terre, a tout d'abord décrit les profondes évolutions qui ont marqué l'armée de terre au cours des dernières années et qui en font, aujourd'hui, un réel pôle d'excellence au service de notre pays.
La totalité des unités a acquis une vraie expérience opérationnelle, ce qui constitue un changement notable par rapport au passé et une caractéristique encore peu partagée en Europe. Aujourd'hui, ce sont plus de 22.000 hommes et femmes qui sont en posture opérationnelle, en opération ou en alerte. Depuis 2002, plus de 50.000 de nos soldats ont été engagés en Côte d'Ivoire, 15.000 dans les Balkans et 7.000 en Afghanistan.
La plupart des opérations auxquelles participe l'armée de terre sont multinationales et nos forces y ont acquis une vraie crédibilité, due à la fiabilité des personnels et à la qualité des équipements, même si nombre de ces derniers arrivent désormais en fin de vie. Cette capacité d'engagement vient d'être renforcée par la création, sous enveloppe de crédits et d'effectifs, du quartier général du corps de réaction rapide de la France, à Lille. Elle est également attestée par la participation française à la « Nato response force » (NRF) de l'OTAN et aux groupements tactiques 1.500 hommes de l'Union européenne.
Enfin, la grande qualité du système de recrutement, de formation et d'entraînement est reconnue par tous. Le nouveau centre d'entraînement au combat en zone urbaine de Sissonne en constituera une nouvelle illustration, tout en plaçant les forces terrestres françaises en pointe parmi leurs homologues européennes.
L'armée de terre devra cependant faire face à trois défis principaux au cours des années à venir.
Sur fond d'un engagement opérationnel important et permanent, elle devra d'abord adapter son organisation, à l'image de l'ensemble du ministère de la défense qui a amorcé un processus de modernisation de grande ampleur. Au-delà du nouveau statut général des militaires et du décret relatif aux pouvoirs du chef d'état-major des armées, qui replacera l'opérationnel au centre des priorités du ministère, l'armée de terre est fortement impliquée dans la création du service d'infrastructure de la défense et de la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) constitue également une opportunité de réforme, grâce à l'exigence de performance qui la sous-tend, notamment dans la réalisation du contrat opérationnel, et au nouveau mode de gestion des effectifs par la masse salariale qui permettra notamment de mieux adapter la pyramide des grades aux besoins, 320 postes de sous-officiers étant par exemple transformés en 500 postes de militaires du rang en 2006.
A ce défi institutionnel s'ajoute un défi opérationnel dans un contexte nouveau. Face aux situations de guérilla urbaine, la frappe à distance de sécurité à l'aide d'un armement sophistiqué paraît surpassée par le principe d'action au contact, qu'il s'agisse du contact de l'adversaire ou de celui de populations démunies. Les opérations actuelles demandent des effectifs importants en personnels bien formés, aptes à comprendre des situations complexes et à s'engager, s'il le faut, dans des opérations de combat. L'armée de terre représente aujourd'hui 80 % des effectifs engagés en opérations et paie le prix du sang. Nos alliés reconnaissent aux forces françaises une réelle efficacité en matière de savoir-faire auprès des populations et d'aptitude à l'engagement. La technologie n'est pas absente pour autant : elle participe à la maîtrise de l'information, à la protection des soldats et à la mobilité.
Le troisième défi concerne la place de l'armée de terre dans la société. Un jeune français sur 12 sollicite chaque année un engagement dans l'armée de terre, qui en recrute 15 000 annuellement. Chaque année, 11 000 jeunes rejoignent le marché de l'emploi en quittant ses rangs, souvent munis d'une vraie qualification. Depuis 1997, environ 100 000 Français sont sortis des forces terrestres.
Le général Bernard Thorette, chef d'état-major de l'armée de terre, a ensuite abordé les moyens consacrés aux forces terrestres, soulignant qu'ils représentaient un effort important, même si le rythme actuel des opérations en hypothèque une part essentielle. En effet, si l'armée de terre était restée « tenue en réserve » pendant la guerre froide, elle est aujourd'hui devenue une armée d'emploi avec trois conséquences principales. Elle « consomme » davantage de potentiel de ses matériels qu'elle n'en produit par l'entretien, la revalorisation ou l'acquisition d'équipements neufs. Le rythme opérationnel est devenu un élément majeur du moral des personnels qui y trouvent une réponse à leur motivation, des compensations financières et des conditions d'exercice du métier plus favorables qu'en métropole, du fait notamment d'une disponibilité supérieure des matériels. Enfin, le taux d'utilisation de nos unités, bien qu'acceptable, limite par simple manque de temps leurs capacités à s'entraîner.
Estimant qu'il fallait désormais concilier un engagement opérationnel effectif et permanent et les nécessités de la préparation de l'avenir, le général Bernard Thorette a considéré que l'effort financier maintenu en faveur de la défense permettait des avancées réelles, avec la poursuite de la mise en oeuvre du plan d'amélioration de la condition militaire et du fonds de consolidation de la professionnalisation d'une part et la budgétisation prévisionnelle du surcoût occasionné par les opérations extérieures d'autre part.
Pourtant, il a souligné que dans l'effort important consenti à son profit, l'armée de terre peinait à préserver une part suffisante pour préparer l'avenir.
La masse salariale attribuée à l'action « forces terrestres » dans le cadre du programme « préparation et emploi des forces » s'élève à 7,5 milliards d'euros, ce qui correspond à un effectif moyen réalisé de 124 000 militaires en 2006, 12 000 emplois budgétaires étant par ailleurs transférés vers d'autres actions ou programmes de la défense. A périmètre identique, les effectifs restent pratiquement stables. Le sous-effectif en personnels civils, qui atteint désormais 5,9 % des emplois, apparaît plus préoccupant pour l'avenir.
Une contrainte particulière pèsera sur les crédits de fonctionnement, qui s'élèvent à 813 millions d'euros mais n'ont pas été réactualisés depuis 2003, ainsi que sur les crédits d'entretien programmé des matériels, le coût du maintien en condition opérationnelle des équipements vieillissants tendant à augmenter, alors que les équipements modernes ont un coût d'entretien important.
Les commandes et livraisons d'équipement pour l'armée de terre seront concentrées sur trois priorités : les systèmes de commandement, d'information et de renseignement (système d'information régimentaire et postes de radio de 4e génération), le combat de contact (VBL, VAB, chars AMX 10 RC, système Félin) et l'aéromobilité (hélicoptère Tigre).
Les autorisations d'engagement de l'armée de terre inscrites dans le programme « équipement des forces » s'élèvent à 1,9 milliard d'euros et celles inscrites dans le programme « soutien de la politique de défense » à 320 millions d'euros, les crédits de paiement pour les actions correspondantes s'élevant respectivement à 1,7 milliard d'euros et à 420 millions d'euros.
En conclusion, le général Bernard Thorette, chef d'état-major de l'armée de terre, a estimé que l'effort effectué au profit de l'armée de terre devra être consolidé dans l'avenir pour renforcer la place de celle-ci comme pôle d'excellence de notre pays. Il a pris pour exemple la numérisation complète de deux brigades qui sera effective à l'été 2009 et qui traduira une avance au regard des autres armées européennes. Il a souligné l'enjeu capital que constituera, pour l'armée de terre, la prochaine loi de programmation militaire, dans la mesure où devront être renouvelés une grande partie de ses matériels majeurs, aériens et blindés notamment.
A l'issue de cet exposé, M. Serge Vinçon, président, a demandé au général Bernard Thorette comment avaient été résolues, en 2005, les difficultés en matière de réalisation d'effectifs militaires qui avaient été évoquées lors du débat budgétaire, et si la situation resterait satisfaisante en 2006. Il l'a également interrogé sur les besoins financiers prévisibles de l'armée de terre d'ici à la fin de la loi de programmation militaire et au-delà de 2008.
M. Didier Boulaud a tout d'abord salué, au nom de son groupe, l'action des militaires français en opérations extérieures. Il a demandé des précisions sur les projets de réorganisation du dispositif militaire français en Afrique, sur les raisons du déficit en personnels civils, sur le volume de forces projetables en opérations par l'armée de terre, sur les raisons et les conséquences des décalages constatés sur les programmes Leclerc et Tigre, sur les observations de la Cour des comptes à propos des difficultés persistantes en matière de maintien en condition opérationnelle et sur l'état des commandes d'hélicoptères de transport NH 90. Il a également souhaité savoir quels étaient, pour l'armée de terre, les programmes prioritaires pour les 10 prochaines années.
M. Philippe Nogrix a souhaité que le général Bernard Thorette précise ses observations relatives à l'engagement prioritaire de nos forces dans des actions de contact et il s'est demandé si, en conséquence, certains types d'équipement ne devaient pas être privilégiés au détriment de capacités devenues désormais moins essentielles.
Mme Dominique Voynet a demandé si l'engagement plus fréquent des forces en opération avait, ou allait avoir dans l'avenir, une incidence sur la charge financière représentée par les pensions. Elle a souhaité savoir si le ministère de la défense allait contribuer financièrement à l'opération « Défense 2e chance ».
M. Jean-Pierre Fourcade, rappelant que l'armée de terre semblait satisfaite des conditions de recrutement des personnels militaires, a demandé quelle était la nature des difficultés rencontrées pour pourvoir l'ensemble des emplois civils. Il s'est interrogé sur les enseignements tirés des opérations extérieures en matière d'équipement, et a notamment souhaité savoir s'il ne fallait pas privilégier des matériels robustes, adaptés aux théâtres d'opération et à la durée des engagements, de préférence à des équipements extrêmement sophistiqués.
M. Jacques Peyrat a évoqué le char Leclerc en s'interrogeant sur l'adéquation de ce matériel aux nouvelles conditions d'engagement de l'armée de terre. Il a demandé des précisions sur le format et la structure des régiments de l'armée de terre.
Le général Bernard Thorette, chef d'état-major de l'armée de terre, a apporté les réponses suivantes :
- il était apparu, fin 2004, une insuffisance de l'ordre de 85 millions d'euros des crédits de rémunérations et charges sociales pour garantir en 2005 le maintien à 134.000 hommes des effectifs moyens réalisés ; grâce à des crédits supplémentaires obtenus par le décret de virement d'avril 2005, cette insuffisance a pu être comblée et le niveau des effectifs a pu être maintenu ; il en ira de même en 2006, les crédits prévus en matière de masse salariale permettant de financer 134.000 emplois équivalents temps plein travaillés, dont 124.000 dans le cadre de l'action « préparation et emploi des forces terrestres » ;
- la prochaine loi de programmation militaire verra converger les phases de réalisation des principaux programmes d'équipement de l'armée de terre : le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), les hélicoptères de combat Tigre puis les hélicoptères de transport NH 90, ainsi que l'équipement FELIN ;
- le dispositif militaire français en Afrique, question qui relève de la responsabilité du chef d'état-major des armées, pourrait évoluer pour s'adapter à l'organisation des forces africaines elles-mêmes ; en effet, il est envisagé, dans le cadre de l'Union africaine, de créer une brigade pour chacune des trois zones de l'Afrique occidentale, de l'Afrique centrale et de l'Afrique orientale ; au titre du renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP), les forces françaises soutiendront ces trois brigades africaines à partir de points d'appui situés à Dakar, Libreville et Djibouti ; cette organisation, calquée sur celle des forces africaines ne signifie pas, pour la France, l'abandon des autres points de stationnement ; il n'est par exemple pas envisagé de mettre fin à la présence militaire française au Tchad ;
- le taux de sous-effectif sur les postes de personnels civils s'élève actuellement à 5,9 % ; l'armée de terre est habituée, depuis plusieurs années, à fonctionner avec un déficit lié, pour partie, aux restrictions d'embauche et à la mise en réserve de postes pour les personnels de GIAT-Industries et de DCN, dans le cadre de la restructuration de ces entreprises ; ce déficit n'est pas insurmontable mais sa prolongation serait pénalisante, dans la mesure où elle exigerait de continuer à recourir à des personnels militaires pour certaines tâches ;
- l'armée de terre est actuellement capable de maintenir en permanence 10.000 hommes en opérations extérieures sans que cela n'obère son fonctionnement normal, la vie courante des personnels et l'entraînement des unités ; elle serait en mesure, s'il le fallait, de projeter jusqu'à 30.000 hommes, conformément à son contrat opérationnel, mais elle devrait alors s'organiser selon un autre dispositif, impliquant d'autres rythmes pour l'activité des unités et des personnels ;
- initialement prévue pour 2005, la livraison complète des chars Leclerc a été repoussée à 2006, voire 2007, en raison de difficultés industrielles ;
- des retards sont également constatés sur la livraison des premiers hélicoptères Tigre ; de manière à ne pas décaler outre mesure la formation des instructeurs et, au-delà, de l'ensemble des pilotes, l'école franco-allemande du Luc a commencé à fonctionner en utilisant certains appareils appartenant au constructeur ainsi que les moyens de simulation ;
- les constatations de la Cour des comptes sur le maintien en condition des équipements montrent que le potentiel des équipements ne se reconstitue plus assez vite au regard de l'usure provoquée par le vieillissement des matériels et leur utilisation intensive ; il faut souligner qu'en opération extérieure, le taux de disponibilité technique opérationnelle s'élève cependant à 92 % ; quant au taux global de disponibilité, il s'élève, pour les matériels de l'armée de terre, à 73 %, pour un objectif de 75 % en fin de LPM, ce chiffre dissimulant de fortes variations conjoncturelles liées à des difficultés ponctuelles sur certains matériels ou à des utilisations intensives lors d'exercices ;
- si certains retards se sont peut-être produits sur la version « Marine » de l'hélicoptère de transport NH 90, les échéances n'ont pas varié pour l'armée de terre ; 34 hélicoptères seront commandés en 2007, la cible initiale retenue par la loi de programmation étant de 68 appareils, avec une possibilité ultérieure d'aller jusqu'à 100 appareils ; les premières livraisons sont attendues pour 2011 ;
- les principales priorités d'équipement de l'armée de terre portent sur la rénovation des VAB et des VBL, sur le VBCI, dont les premières livraisons sont attendues pour 2008, sur les hélicoptères Tigre et NH 90, sur les équipements FELIN et l'ensemble des systèmes d'information et de commandement ; à ce titre, les commandes de postes de radio de 4e génération ont été réévaluées par rapport à l'objectif de la loi de programmation, ces équipements permettant la transmission de données, désormais indispensable en opérations ;
- les opérations actuelles impliquent fréquemment des actions au contact d'un adversaire qu'il faut contraindre ou neutraliser sans pour autant le détruire, compte tenu des impératifs de reconstruction ; cela ne signifie pas que les armées doivent abandonner toute capacité de destruction ;
- les réservistes constituent, lorsqu'ils effectuent leur période d'engagement, une composante à part entière des armées ;
- l'opération « Défense 2e chance » ne reçoit pas de financements du ministère de la défense et ne fait pas appel à des personnels militaires d'active de l'armée de terre, à l'exception d'un officier qui participe au démarrage du projet ;
- l'armée de terre souhaite des matériels suffisamment robustes et adaptés aux opérations, en évitant toute sophistication excessive ; la remotorisation de l'ERC Sagaie répond par exemple pleinement à ce souci ; pour autant, elle ne peut faire l'impasse sur certaines capacités paraissant peu sollicitées dans les opérations actuelles, mais qui pourraient se révéler indispensables si la France devait mener des opérations de haute intensité dans les prochaines décennies, ce que personne ne peut exclure aujourd'hui ; dans cette perspective, le char Leclerc conserve toute sa pertinence ; il a d'ailleurs été utilisé au Kosovo où ses capacités de dissuasion, de protection, d'observation et de transmission de données ont été très appréciées ;
- le régiment-type regroupe environ 1.000 hommes et compte quatre unités de combat.
M. André Boyer a souhaité des précisions supplémentaires sur l'appréciation portée par l'armée de terre sur le dispositif « Défense 2e chance ».
M. Philippe Nogrix a interrogé le général Bernard Thorette sur les critères de performance et d'efficacité retenus par l'armée de terre dans la perspective d'application de la LOLF.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a demandé si l'armée française menait des réflexions sur le recours à des sociétés militaires privées, telles qu'on en voit agir aux côtés des troupes américaines en Irak.
Le général Bernard Thorette, chef d'état-major de l'armée de terre, a estimé que l'opération « Défense 2e chance », outre sa vocation sociale évidente, pouvait jouer un rôle utile, parmi d'autres actions, dans le renforcement du lien entre l'armée et la Nation.
S'agissant des critères de performance, il a indiqué qu'il disposait de nombreux indicateurs lui permettant de mesurer avec pertinence la situation de l'armée de terre. Il a estimé qu'il fallait désormais transformer ces indicateurs en références de performance, cette notion restant difficile à cerner pour un organisme dont la vocation est d'être engagé au combat. Il a néanmoins cité plusieurs indicateurs et notamment le nombre de jours sur le terrain, le nombre et la qualité des exercices, ainsi que les évaluations régulières des unités au tir, au sein du centre d'entraînement et d'instruction au tir opérationnel du Larzac pour les unités d'infanterie et au camp de Canjuers pour les unités blindées, et les évaluations tactiques au centre d'entraînement au combat de Mailly ou au futur centre d'entraînement au combat en zone urbaine de Sissonne.
Il a indiqué qu'il était très défavorable au recours à des sociétés militaires privées sur les théâtres d'opération dès lors qu'il s'agissait d'employer la force.
Mercredi 19 octobre 2005
- Présidence de M. Serge Vinçon, président -
PJLF pour 2006 - Mission « Défense » - Audition de l'amiral Alain Oudot de Dainville, chef d'état-major de la marine
La commission a procédé à l'audition de l'amiral Alain Oudot de Dainville, chef d'état-major de la marine sur le projet de loi de finances pour 2006.
Evoquant tout d'abord les mesures conservatoires prises à l'encontre de trois militaires de l'armée de terre et dont la presse s'est fait l'écho, l'amiral Alain Oudot de Dainville, chef d'état-major de la marine, a indiqué qu'elles suscitaient, au-delà de la seule armée de terre, l'émotion de l'ensemble de la communauté militaire, qui mettait tout en oeuvre pour mériter la confiance des autorités politiques.
L'amiral Alain Oudot de Dainville, chef d'état-major de la marine, a souligné que le projet de loi de finances pour 2006 s'inscrivait dans un contexte nouveau marqué par l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances, la mise en oeuvre de la stratégie ministérielle de réforme et l'évolution des attributions du chef d'état-major des armées. L'ensemble des acteurs sont donc en phase d' « apprentissage ».
Il a dressé le bilan des actions de la marine en 2005, soulignant que le moral des marins, conscients de la reconnaissance attachée à leur action et sensibles à l'évolution de leur pouvoir d'achat, était bon.
En 2005, la marine a poursuivi l'exercice de la mission de dissuasion qu'elle assure depuis 1972. Elle a participé à la lutte contre le terrorisme, au sein de la « Task Force 150 », actuellement placée sous commandement de l'Amiral Jacques Mazars, qui commande également l'Euromarfor, déployée sur zone. Elle a maintenu le déploiement d'un bâtiment et d'un avion de patrouille maritime au large des côtes occidentales de l'Afrique, en soutien à l'opération « Licorne ». Des missions de surveillance ont également été menées en Méditerranée et dans l'Atlantique.
Le niveau d' « inter-opérabilité » avec les marines alliées a pu être vérifié et certifié au cours de l'année 2005 lors de l'exercice Trident d'Or qui a rassemblé les marines de huit pays en Méditerranée. Le centre de commandement à terre des opérations maritimes, installé à Toulon, a ainsi été certifié par l'OTAN, l'Union européenne pouvant également y avoir recours. Quelque 6.500 marins, soit 15 % des effectifs de la marine, sont déployés en permanence hors de métropole.
Les activités de sauvegarde maritime se sont poursuivies et la marine s'efforce de promouvoir ce concept à l'échelon européen.
En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, la marine a saisi quelque onze tonnes de substances illicites ; elle poursuit ses activités de lutte contre l'immigration clandestine, notamment à Mayotte et en Guadeloupe. En matière de lutte contre la pêche illicite, la mise en oeuvre de radars, conjuguée à la coopération internationale et à la multiplication des patrouilles, porte ses fruits dans les terres australes et antarctiques françaises où aucun contrevenant n'a été détecté en 2005. Des actions de lutte anti-pollution semblent également dissuasives et ont permis de diminuer significativement le nombre de contraventions constatées.
La marine a également mené deux actions humanitaires en 2005, lors de la crise qui a suivi le tsunami en Asie ainsi que dans le soutien aux autorités américaines après le passage du cyclone Katrina.
Evoquant la disponibilité des bâtiments, le chef d'état-major a indiqué que le redressement du taux de disponibilité se poursuivait et qu'il devrait atteindre 70 % en 2005 contre 65 % en 2004, sous l'effet de la modernisation des pratiques du service de soutien de la flotte et d'un début de mise en concurrence de DCN pour l'entretien de bâtiments faiblement armés.
Abordant le projet de loi de finances pour 2006, l'amiral Alain Oudot de Dainville, chef d'état-major de la marine, a tout d'abord rappelé qu'il n'existait plus à proprement parler de « budget de la marine » mais qu'en tant que responsable de la cohérence organique de la marine, il lui revenait de mettre en oeuvre des crédits issus de trois programmes différents : « préparation et emploi des forces », « équipement des forces » et « soutien de la politique de défense ».
L'action « préparation des forces navales » rassemble l'essentiel du personnel civil et militaire, les crédits de fonctionnement ainsi que les crédits d'entretien du matériel. Un budget opérationnel de programme, qui regroupe les crédits de l'action, est placé sous la responsabilité du major général de la marine. La masse salariale représente 2,8 milliards d'euros, dont 1,1 milliard au titre des cotisations et prestations sociales, pensions incluses, ce qui représente 50.612 emplois dont 8.958 civils.
Le budget pour 2006 comprend des mesures à caractère statutaire et indemnitaire en faveur du personnel civil pour un montant de 818.000 euros. Pour les militaires, 6,9 millions d'euros sont consacrés au plan d'amélioration de la condition militaire et au fonds de consolidation de la professionnalisation. L'augmentation des crédits de la réserve, à hauteur de 1,2 million d'euros, devrait permettre de porter le nombre d'engagements à servir dans la réserve de 5.500 à 5.800. La réalisation des effectifs restera cependant placée, comme les années précédentes, sous forte contrainte.
Les crédits de fonctionnement concentrent l'essentiel des efforts de recherche d'économies. 14 millions d'euros supplémentaires sont dévolus à l'achat de combustibles et carburants, ce qui ne permettra pas de reconstituer les stocks. Si le niveau des prix du pétrole continue à augmenter, d'autres mesures seront nécessaires pour soutenir le niveau d'activité. Les crédits destinés aux affrètements des moyens de sauvegarde maritime augmentent de 7 millions d'euros pour faire face à la mise en oeuvre des mesures décidées par le Comité interministériel de la mer.
Les crédits destinés à l'entretien des matériels sont stables, à hauteur de 920 millions d'euros. La disponibilité est un sujet de satisfaction mais aussi de préoccupation pour l'avenir. Un travail avec l'industrie est nécessaire pour prendre en considération l'entretien des matériels dès la phase de conception.
L'amiral Alain Oudot de Dainville, chef d'état-major de la marine, a ensuite indiqué que les crédits destinés à l'équipement des forces navales représentaient 2,4 milliards d'euros, en conformité avec la loi de programmation militaire. Ces crédits permettront d'achever le renouvellement de la composante amphibie avec la livraison des deux bâtiments de projection et de commandement. La cellule de commandement des activités maritimes pourra ainsi être certifiée à la mer selon les normes de l'OTAN. La marine attend prochainement le dénouement des péripéties qui accompagnent la signature du mémorandum d'accords franco-italiens permettant de passer commande des frégates multimissions. Les commandes porteront également sur le deuxième porte-avions, le missile de croisière naval, ainsi que sur les sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda dont le contrat est en phase de discussion avec l'industriel.
Le programme « soutien de la politique de défense » comporte 311 millions d'euros de crédits de paiement, dont 96 millions sont consacrés au fonds d'adaptation industrielle de DCN et 207 millions aux investissements en infrastructures. Ces derniers portent sur l'adaptation des installations de l'Ile Longue aux missiles M51, à celle de la base de Landivisiau aux Rafale F2, ainsi que sur la modernisation et la sécurisation des différentes installations de la Marine.
En conclusion, l'amiral Alain Oudot de Dainville, chef d'état-major de la marine, a considéré que, sous un aspect « ésotérique », le budget permettait la poursuite de la modernisation de l'outil naval tout en traduisant la nécessité d'économies importantes sur le fonctionnement, la marine devant d'ores et déjà envisager la perspective de « l'après pétrole ».
M. Serge Vinçon, président, s'est interrogé sur la signature annoncée du mémorandum d'accord sur les frégates multimissions qui, prévue pour le 13 octobre, n'a finalement pas eu lieu.
L'amiral Alain Oudot de Dainville, chef d'état-major de la marine, a indiqué que cette signature avait été envisagée en marge du sommet des ministres de la défense de l'Union européenne auquel le ministre de la défense italien n'avait pas assisté.
M. André Boyer, rapporteur sur les « forces navales », soulignant l'importance de la qualité du moral des marins, s'est félicité de l'efficacité de l'action de la marine dans ses différents domaines d'intervention. Il a souhaité connaître le coût lié à la restructuration de DCN ainsi que les programmes directement affectés par cette ponction sur les crédits d'équipement. Pour ce qui concerne les frégates multimissions, il a souhaité savoir quel était le montage financier retenu par l'Italie ainsi que le calendrier de livraison des bâtiments français. Il s'est interrogé sur le point de savoir si la gestion des rechanges, reprise à son compte par la marine, pouvait désormais être externalisée. Evoquant les retards prévisibles dans la mise en oeuvre du modèle 2015, il a souhaité connaître les principales échéances d'équipement au-delà de l'actuelle programmation.
M. Didier Boulaud s'est associé aux propos du rapporteur quant à la qualité des actions de la marine. Il a exprimé sa conviction que la loi de programmation ne serait pas respectée, estimant que la « bosse » de financement représenterait entre 5 et 10 milliards d'euros en 2008-2009. Il a considéré que les engagements actuels liés aux différents programmes de la marine s'élevaient à 12 milliards d'euros, auxquels il conviendrait d'ajouter quelque 15 milliards d'euros supplémentaires dans les années à venir, soit un total équivalent à 11 années de crédits de paiement pour la marine. Il s'est interrogé sur la réalité du programme du second porte-avions, considérant que la perspective d'une coopération franco-britannique était limitée par le choix d'un avion à décollage court pour l'équipement du porte-avions britannique. Il a souhaité savoir quelles étaient les perspectives de financement pour ce programme et s'est interrogé sur le point de savoir s'il ne s'effectuerait pas au détriment du nécessaire renouvellement de la flotte de surface.
M. Jean-Pierre Fourcade s'est déclaré confiant quant à l'exécution de la loi de programmation ; en effet, désormais c'est le rythme des commandes qu'il convient d'adapter aux choix arrêtés et non la nature des programmes eux-mêmes comme cela a pu être précédemment le cas. Il a évoqué les difficultés liées aux programmes en coopération, indiquant que les principales inconnues du budget portaient sur le prix du pétrole, sur l'articulation entre personnels civils et personnels militaires et sur les évolutions industrielles entre DCN et Thalès.
M. André Trillard, soulignant l'incompatibilité des systèmes informatiques de DCN avec ceux de ses principaux partenaires industriels, a exprimé des craintes quant aux possibilités d'un travail en coopération efficace.
L'amiral Alain Oudot de Dainville, chef d'état-major de la marine, a apporté les éléments de réponse suivants :
- le coût de la restructuration de DCN pour la marine s'élève à 1,3 milliard d'euros sur la durée de la loi de programmation et l'actuel contrat d'entreprise arrivera à échéance en 2008. A cette date, le paysage industriel européen devrait avoir évolué sous l'effet d'un premier rapprochement franco-français entre DCN et Thalès mais aussi d'une recomposition européenne plus large incluant l'Espagne, l'Italie ou l'Allemagne, avec laquelle un rapprochement représente un véritable enjeu. Actuellement, les discussions portent sur le montant de la soulte dont doit s'acquitter Thalès pour entrer au capital de DCN. En tout état de cause, la marine souhaite pouvoir s'appuyer sur une industrie forte permettant de réduire les coûts ;
- pour ce qui concerne le volet industriel de DCN, deux aspects doivent être distingués : les dotations payées à DCN pour entretenir les installations et la rénovation des infrastructures portuaires de la marine, dont certaines ont plus de cinquante ans ;
- les programmes affectés par la restructuration industrielle de DCN correspondent à la « respiration budgétaire » de la loi de programmation, c'est-à-dire aux programmes décalés pour des raisons réglementaires ou techniques, comme les sous-marins Barracuda ou l'hélicoptère NH 90. Ces décalages ont permis à la marine de financer sa part du surcoût lié à DCN ;
- l'incompatibilité des langages informatiques entre DCN et ses principaux partenaires est effectivement source de difficulté pour les programmes en coopération et les industriels devront s'employer à améliorer ce point ;
- la TVA supportée par la marine, suite au changement de statut de DCN, est compensée pendant toute la durée de la loi de programmation. Le ministère de la défense travaille avec les autres ministères concernés à l'harmonisation des règles de TVA sur la construction militaire navale en Europe, où seuls deux Etats, la France et l'Allemagne, assujettissent ces constructions à cet impôt indirect ;
- en Italie, le financement des frégates multimissions est pris sur les crédits du ministère de la production industrielle. La presse italienne se fait cependant l'écho d'un recours éventuel à l'emprunt. L'implication de l'opinion publique et de la presse italiennes est très forte en faveur de ce programme, en raison du nombre très important d'emplois qu'il induit. La France doit envisager tous les scénarios pour ce programme qui, au-delà de la coopération, présente des atouts certains pour l'exportation ;
- en matière de maintien en condition opérationnelle, la marine a internalisé deux fonctions, les pyrotechnies et les rechanges, avec l'objectif d'en moderniser la gestion. Pour ce qui concerne les rechanges, la marine a mis au point une gestion informatisée et a modifié ses pratiques pour privilégier l'achat de disponibilités auprès des industriels avec des contrats comprenant les pièces et la main-d'oeuvre. Un troisième axe d'effort consisterait à confier la gestion des rechanges réparables à un logisticien professionnel ;
- le modèle 2015 doit être entendu dans une perspective dynamique. La marine cherche à réduire les coûts en réalisant des séries plus longues. Il convient de souligner que les lois de programmation ont toujours suscité des « bosses » budgétaires qu'il faudra surmonter par la baisse des coûts et par l'actualisation des programmes en fonction du contexte stratégique ;
- la part commune des projets français et britannique de porte-avions est d'environ 80 %. La principale modification pour la version française du bâtiment est qu'un pont situé sous le pont d'envol devra être aménagé pour l'installation de catapultes et brins d'arrêt. 926 millions d'euros d'autorisations d'engagements sont inscrits au projet de loi de finances 2006 pour passer les premières commandes. Le partage industriel entre Français et Britanniques reste à préciser, même s'il est acquis que le porte-avions français sera construit en France et les deux bâtiments britanniques au Royaume-Uni.
M. Philippe Madrelle a interrogé le chef d'état-major de la marine sur l'avenir du site de Hourtin.
L'amiral Oudot de Dainville a précisé que le ministère de la défense avait envisagé d'installer sur ce site un centre « Défense 2e chance », mais que la négociation avec un autre repreneur était déjà très avancée et la dépollution du site, programmée. Il aura fallu près de dix années pour la reconversion de ce site, comme pour la plupart des sites de cette importance.
Nomination d'un secrétaire de la commission
La commission a ensuite nommé M. Jacques Peyrat, secrétaire de la commission, en remplacement de M. Simon Loueckhote, démissionnaire.
Défense - Discipline militaire - Côte d'Ivoire - Demande d'audition
Puis la commission a abordé la question des mesures disciplinaires conservatoires à l'égard de militaires français ayant servi en Côte d'Ivoire dans le cadre de l'opération « Licorne ».
M. Didier Boulaud a proposé, au nom du groupe socialiste, que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées puisse entendre Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la décision disciplinaire qu'elle venait de prendre à l'encontre de trois militaires dont un officier général. Cette décision avait provoqué une grande émotion, non seulement dans les armées, mais encore au-delà, et justifiait que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées soit précisément informée des éléments qui l'avaient fondée.
M. Josselin de Rohan s'est interrogé sur la possibilité qu'une telle audition soit organisée, dans la mesure où une action judiciaire venait d'être engagée sur cette affaire. Au surplus, il a fait valoir qu'il ne lui semblait pas d'usage qu'un ministre de la défense ait à rendre compte des mesures à caractère disciplinaire qu'il est amené à prendre.
M. Jacques Peyrat a relevé à son tour qu'une action en justice avait été diligentée sur cette affaire attristante.
Mme Paulette Brisepierre a fait observer que, sans connaître les détails de ce dossier, elle se faisait l'interprète de tous les Français de Côte d'Ivoire, de leur reconnaissance à l'endroit du général Henri Poncet pour l'action que les forces françaises avaient conduites, sous son autorité, pour les protéger lors des émeutes survenues à Abidjan l'an dernier.
M. Didier Boulaud a fait observer que sa proposition ne tendait pas à entendre des magistrats, mais à bénéficier des informations recueillies par l'enquête de commandement demandée par le ministère de la défense.
M. Serge Vinçon, président, a pris acte de la demande du sénateur, indiquant qu'il en ferait part à Mme le ministre de la défense. Il a rappelé que la décision intervenue avait, à ce stade, un caractère conservatoire et qu'en effet, une instruction judiciaire était désormais en cours. Il a exprimé par ailleurs le soutien de chacun aux militaires français engagés en opérations extérieures, dans des conditions souvent très difficiles.