Travaux de la commission des affaires étrangères
Mardi 18 janvier 2005
- Présidence de M. Serge Vinçon, président -
Défense - Statut général des militaires - Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense
La commission a procédé à l'audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le projet de loi n° 126 (2004-2005) portant statut général des militaires.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a tout d'abord considéré que la révision du statut général des militaires avait permis d'apporter à ce texte les meilleures adaptations possibles pour permettre aux militaires de remplir leur mission tout en leur apportant la considération qu'ils méritent. Elle a indiqué que ce texte constituait la synthèse en 100 articles du statut précédent, qui en comportait plus de 400, et qu'elle avait souhaité qu'il ne contienne que des dispositions purement législatives, claires et compréhensibles pour tous. Les projets de décret faisant l'objet d'une préparation simultanée, la mise en oeuvre du statut général devrait être effective à compter du 1er juillet 2005.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a rappelé que depuis l'adoption du précédent statut en 1972, la société française avait changé, de même, d'ailleurs, que la nature des conflits. Les modifications du rapport à l'autorité, le taux d'activité professionnelle des femmes, le développement des mouvements associatifs, ainsi que, plus récemment, la suspension du service national et la professionnalisation des armées sont autant d'éléments qui rendaient des modifications nécessaires. Les armées sont désormais en situation de concurrence avec d'autres employeurs, ce qui suppose de renforcer leur attractivité et de fidéliser les personnels en assurant, notamment, une meilleure cohésion entre militaires de carrière et militaires sous contrat.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a ensuite évoqué les modifications profondes de la nature des conflits et des règles juridiques applicables à l'action des militaires. Elle a également considéré que la modification des liens entre la nation et les armées, à une période où notre pays est exposé au terrorisme et à des risques multiples, nécessitait une attention particulière. Le nouveau statut doit garantir l'efficacité du métier militaire et favoriser l'épanouissement des hommes et des femmes qui ont choisi ce métier. A cette fin, les droits et obligations des militaires, leurs garanties juridiques ainsi que les règles de gestion des personnels ont été modernisés. Le statut réaffirme des principes fondamentaux, l'esprit de sacrifice, la discipline, la disponibilité, la neutralité ainsi que l'unicité du statut militaire, mais il assouplit aussi un certain nombre de sujétions, en supprimant, par exemple, l'autorisation préalable pour contracter mariage avec un étranger, en libéralisant l'exercice de responsabilités associatives et en assouplissant les conditions d'expression. Sur tous ces points, le ministre a considéré que le texte était parvenu à un bon équilibre. Elle a ensuite évoqué le renforcement des protections et des garanties par l'imputabilité au service des accidents survenus en mission et par l'extension de la protection pénale des militaires en opérations extérieures.
Le rôle des instances de concertation est également renforcé et la protection des membres de ces organismes mieux assurée. Le droit disciplinaire est rénové et simplifié, tandis que les règles de gestion font l'objet d'une modernisation significative. La protection et les droits des personnels sous contrat sont améliorés et les limites d'âge rationalisées afin de mieux concilier les conséquences de la réforme des retraites avec l'impératif de jeunesse des personnels qui s'impose aux armées. Le dispositif de reconversion améliore l'accès à la fonction publique civile afin de favoriser le déroulement d'une deuxième carrière au service de l'Etat. Enfin, une commission indépendante d'évaluation de la condition militaire sera chargée d'établir un rapport périodique pour éviter une déconnexion entre la condition des militaires et le reste de la société.
En conclusion, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a considéré que le projet de loi ne constituait pas une « révolution » mais ne se limitait pas non plus à la simple reconduction du droit existant. Les adaptations nécessaires sont réalisées qui concilient les spécificités de l'état militaire et l'ouverture des armées sur la société. Ce texte a recueilli l'adhésion de la communauté militaire qui s'est exprimée par la voie des instances de concertation. Destiné à durer, le projet de loi doit pouvoir faire l'objet de toutes les améliorations nécessaires.
M. André Dulait, rapporteur, a indiqué que les auditions préparatoires au rapport de la commission avaient permis de vérifier le réel consensus autour de ce texte. Il s'est interrogé sur la suppression, par l'Assemblée nationale, de la mention d'indemnités allouées en fonction des résultats obtenus, alors que de telles indemnités existent d'ores et déjà au sein de la gendarmerie. Il a souhaité recueillir l'appréciation du ministre sur la hiérarchie des sanctions disciplinaires telle que définie par le texte issu de l'Assemblée nationale. Il a souhaité savoir quelle mesure permettrait d'assurer l'effectivité de la reconversion dans la fonction publique civile, considérant qu'il était nécessaire de sensibiliser les différentes administrations à cette fin. Evoquant l'article 89 du projet de loi, il s'est enfin interrogé sur l'opportunité de ramener de 15 à 12 ans la durée de service des militaires commissionnés.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a considéré que la suppression par l'Assemblée nationale de la notion de rémunération au mérite, au motif que cette mesure risque de nuire à la cohésion des armées, prive les autorités de la possibilité de manifester leur reconnaissance à l'égard des éléments les plus méritants. Il convient de trouver les critères appropriés à une mise en place équitable de cette mesure. La hiérarchie des sanctions disciplinaires est désormais déconnectée de celle en vigueur au sein de la fonction publique de l'Etat, ce qui pose un problème de principe. Le ministre s'est déclaré favorable au retour des deux sanctions évoquées (l'abaissement définitif d'échelon et la radiation du tableau d'avancement) dans les sanctions du deuxième groupe. La reconversion au sein de la fonction publique doit permettre à l'Etat de valoriser la qualité de la formation des militaires, tout en permettant à des personnels particulièrement sollicités de continuer à le servir au cours d'une deuxième carrière. Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a considéré que le recours aux militaires commissionnés devait rester ponctuel et qu'il ne s'agissait pas d'instaurer pour eux une véritable carrière.
M. Didier Boulaud s'est déclaré en accord avec le ministre de la défense pour considérer que le projet de loi n'apportait pas de bouleversements majeurs par rapport à l'actuel statut général des militaires. Il s'est félicité de plusieurs avancées positives, tout particulièrement s'agissant de l'encadrement de l'usage de la force et de la nouvelle approche de la responsabilité pénale du militaire lors des opérations extérieures. Il a en revanche regretté la timidité du projet de loi dans le domaine des droits civils et politiques avec le maintien de l'interdiction des groupements professionnels et de l'interdiction d'adhérer à un parti politique, cette dernière pouvant d'ailleurs être facilement détournée. Il a également mis en doute le bien-fondé du maintien de l'incompatibilité entre l'exercice d'un mandat électoral et la situation d'activité, y compris pour des mandats municipaux dans de petites communes, les fonctionnaires civils n'étant pas soumis aux mêmes contraintes alors qu'ils peuvent se trouver dans des situations comparables vis-à-vis des obligations de disponibilité ou de mobilité. M. Didier Boulaud a d'autre part estimé que les instances représentatives des personnels militaires, telles qu'elles étaient maintenues par le projet de loi, restaient cantonnées à une fonction strictement consultative et ne pouvaient servir de cadre à une véritable concertation. Le recours au tirage au sort pour la désignation des membres des conseils de fonction militaire d'armées demeure en outre une méthode peu démocratique.
En réponse à ces observations, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a rappelé l'attachement du gouvernement au principe de neutralité de l'institution militaire. Elle a souligné que le droit d'adhérer à un parti politique ne correspondait pas à une attente forte au sein de la communauté militaire. Elle a considéré que le soutien apporté par les Français à leur armée n'était pas sans lien avec le respect de ce principe de neutralité. S'agissant de l'exercice d'un mandat électoral, elle a reconnu que l'assouplissement des règles actuelles pour les mandats locaux dans les petites communes avait donné lieu à un véritable débat lors de la préparation du projet de loi, notamment au sein de la commission de révision du statut général présidée par M. Denoix de Saint Marc. Il est cependant apparu impossible d'opérer des distinctions entre les différents types de mandats et de collectivités, ce qui a conduit à retenir un principe général applicable à tous les mandats électifs. En ce qui concerne les instances consultatives, elle a estimé qu'elles étaient bien le lieu d'une véritable consultation. Pour autant, il sera nécessaire de renforcer la crédibilité de ces instances, la désignation par tirage au sort étant conjuguée, pour les conseils de fonction militaire d'armées, avec l'élection, par ces derniers, des représentants au Conseil supérieur de la fonction militaire. Il est également important que les unités et formations soient en mesure d'être informées des travaux de leurs instances consultatives. A cet effet, il a été proposé de procéder à l'enregistrement des débats en vue de pouvoir les diffuser au sein des armées.
Mme Hélène Luc a tout d'abord tenu à rappeler qu'elle regrettait la suspension du service national compte tenu de son rôle extrêmement formateur pour les jeunes. Elle a d'autre part souligné la difficulté du métier militaire et les responsabilités qu'il comporte, ainsi que les contraintes en résultant pour la vie personnelle et familiale. Elle a souligné enfin la qualité du comportement de nos armées sur les différents théâtres extérieurs où elles sont appelées à servir. Elle a ensuite interrogé le ministre sur la proportion de militaires quittant les armées avant 15 ans de service et sur le taux de féminisation au sein des armées. Constatant que le projet de loi permettait certains progrès en vue de rapprocher le statut des militaires de celui des fonctionnaires civils, elle a estimé souhaitable d'aller plus loin et s'est en particulier interrogée sur l'absence de dispositions relatives au congé d'éducation. De même, elle a déploré le maintien de l'interdiction d'adhérer à un parti politique. Relevant que les militaires n'étaient plus soumis à cette interdiction s'ils sollicitaient un mandat électif et a fortiori s'ils étaient élus, elle a jugé le dispositif du projet de loi peu cohérent dans la mesure où les militaires concernés devraient à nouveau cesser d'appartenir à une formation politique en cas d'échec électoral ou à la fin de leur mandat. Elle a estimé que cette interdiction témoignait d'un manque de confiance dans les militaires, alors qu'aucune limitation n'est imposée aux hauts fonctionnaires de l'Etat.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, revenant sur la question de la suspension du service national, s'est déclarée convaincue que l'armée française ne pourrait certainement pas témoigner de l'efficacité qui est la sienne aujourd'hui si la conscription avait été maintenue. Elle a rappelé qu'elle s'était cependant prononcée à plusieurs reprises en faveur d'un service civil de nature humanitaire et qu'elle s'était employée à initier une réflexion sur les conditions de sa mise en place. Un tel service impliquerait cependant bien d'autres ministères que celui de la défense. S'il devait être obligatoire, il impliquerait la constitution d'un encadrement important ne pouvant reposer, comme par le passé, sur du personnel militaire. Un service volontaire serait plus facile à encadrer mais n'assurerait pas la fonction de brassage social qui caractérisait la conscription.
Soulignant que les armées devaient maintenir une moyenne d'âge répondant aux exigences du métier des armes, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a précisé que près de 50 % des militaires quittaient le service avant 15 ans d'activité, ce qui rend d'autant plus nécessaires les dispositifs d'aide à la reconversion. Elle a ajouté que 96 % des militaires quittant les armées avant 15 ans de service parvenaient à se reconvertir dans le secteur privé et dans le cadre de contrats à durée indéterminée. D'autre part, elle a indiqué que la proportion de femmes s'établissait à 13 % des effectifs militaires. S'agissant de l'instauration éventuelle d'un congé d'éducation qui aurait représenté un service à 80 % du temps, elle a estimé qu'il n'aurait pas été compatible avec les exigences de disponibilité inhérentes au métier militaire. Elle a précisé que des dispositifs relevant actuellement de textes réglementaires permettaient déjà, en pratique, de répondre à certaines situations. Elle a également jugé très souhaitable de faciliter les interruptions de carrière en permettant à des militaires qui choisissent d'exercer un emploi civil pour mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale de réintégrer ultérieurement les armées. Enfin, s'agissant de l'interdiction d'adhérer à un parti politique, elle a considéré que le maintien des dispositions actuelles visait aussi à éviter que des formations politiques se prévalent de la présence de militaires en leur sein.
Après que M. Serge Vinçon, président, eut remercié Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, pour les précisions apportées sur le projet de loi portant statut général des militaires, celle-ci a répondu aux demandes d'information exprimées par les membres de la commission au sujet de la contribution des armées à l'aide internationale en Asie du sud-est et de la situation en Côte d'Ivoire.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a indiqué que dès le 26 décembre au soir, à la suite de la première réunion de crise tenue au niveau interministériel, le ministère de la défense avait fait connaître les moyens aériens, navals et en personnels qu'il pouvait fournir en appui aux actions d'aide d'urgence en faveur des pays touchés par le raz-de-marée. Un premier Airbus militaire s'est envolé vers l'Asie du sud-est le 27 décembre, avec à son bord des équipes médicales et d'identification. Cet appareil a permis de procéder aux premiers rapatriements et depuis lors, les rotations aériennes se sont poursuivies. D'autre part, un avion de reconnaissance maritime a été envoyé sur zone pour contribuer à la recherche des victimes. Enfin, il a été décidé de modifier la mission du porte-hélicoptères Jeanne d'Arc et de la frégate Georges Leygues, qui se trouvaient à ce moment-là en Méditerranée orientale. L'escale à Djibouti, nécessaire pour le ravitaillement des bâtiments, a été mise à profit pour embarquer des hélicoptères de transport, différents personnels, notamment du génie et un hôpital de campagne, indépendamment du bloc opératoire de la Jeanne d'Arc. Repartie de Djibouti le 4 janvier, celle-ci a atteint l'Indonésie le 14 janvier. Elle restera sur zone jusqu'à la fin du mois de février et sera relayée, en cas de besoin, par un transport de chalands de débarquement. Actuellement, les moyens militaires français présents dans la région sont les deuxièmes en importance, après ceux des Etats-Unis.
Évoquant la Côte d'Ivoire, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a fait état d'une situation militaire calme mais toujours fragile compte tenu notamment de la persistance de mises en causes violentes de l'action de la force Licorne sur les ondes de la radio et de la télévision nationales ivoiriennes. Alors que l'on ne constate aucune avancée sur le plan politique, elle s'est déclarée inquiète quant au respect réel de l'embargo décidé par les Nations unies et à la capacité de l'ONUCI à en assurer la mise en oeuvre.
Mercredi 19 janvier 2005
- Présidence de M. Serge Vinçon, président -
Audition de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères
La commission a procédé à l'audition de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères.
M. Michel Barnier a tout d'abord évoqué la récente catastrophe naturelle du tsunami en Asie du sud, précisant que le temps de l'urgence n'est pas complètement terminé, notamment à Sumatra. La catastrophe a déclenché une solidarité mondiale à la hauteur de sa gravité. La réaction de notre pays a été immédiate, des avions transportant des secouristes et du fret se sont rendus dans la région dès le lendemain et leur rotation s'est prolongée pendant 3 semaines. Enfin, la Jeanne d'Arc et le Georges Leygues y sont présents depuis le 14 janvier.
Le deuil est partagé avec beaucoup de familles françaises : 22 Français ont été tués, 74 sont portés disparus et l'on reste sans nouvelle de moins de 50 personnes. La reconstruction qui s'engage doit impérativement être durable, et donc tenir compte du risque sismique. Différents outils seront mobilisés : crédits de coopération, prêts de l'Agence française de développement, allègement de dettes, Fonds européen ....
Il importe désormais de coordonner et organiser cette tâche. A cette fin, M. Jean-Claude Mallet a été nommé délégué interministériel, chargé de coordonner l'action de la France en faveur des Etats touchés par le raz de marée de l'Océan Indien. Le ministre a par ailleurs souhaité que le plan de reconstruction des Nations unies définisse des zones d'intervention précises affectées à tel ou tel pays contributeur.
M. Michel Barnier a estimé que deux leçons principales pouvaient être retirées de cette catastrophe.
En matière de prévention, il est indispensable d'établir, dans l'Océan Indien, un système d'alerte identique à celui existant pour l'Océan Pacifique. M. Xavier Darcos a d'ailleurs récemment proposé que la Réunion soit le lieu d'implantation de ce centre d'alerte. Par ailleurs, ce doit être l'occasion de se pencher de la même manière sur la protection de la Méditerranée et de l'Atlantique, en particulier pour la zone Caraïbe, face à de tels risques.
En matière de réactivité, le ministre a souligné l'intérêt de créer une Force européenne de protection civile qui mutualiserait des unités existantes sous l'autorité d'un Etat-major léger. Il a rappelé par ailleurs qu'un fonds de solidarité européen destiné aux pays membres de l'Union, doté d'un milliard d'euros par an, avait été créé à son initiative en tant que Commissaire européen peu après les inondations catastrophiques ayant affecté l'Allemagne, l'Autriche, la République tchèque et la Slovaquie en 2002.
Une telle tragédie doit aussi conduire à accélérer le rythme de l'aide au développement, notamment en dégageant des sources régulières de financement à cette fin. A défaut, il serait impossible d'atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement définis par l'ONU.
M. Michel Barnier a ensuite évoqué la situation nouvelle créée au Proche-Orient en notant l'ouverture du gouvernement israélien aux travaillistes et l'élection démocratique du Président Abbas à la tête de l'Autorité palestinienne. Il a souhaité que les prochaines élections législatives et municipales palestiniennes se déroulent dans de semblables conditions de transparence et de régularité. Il est indispensable de saisir l'occasion offerte par ce nouveau contexte qui permet la reprise d'un dialogue entre toutes les parties. Il importe cependant d'aller vite pour empêcher d'agir les ennemis de la paix. Le ministre a estimé que, dans le cadre du nouveau dialogue transatlantique, le développement du processus de paix au Proche-Orient est prioritaire et l'Europe n'y sera pour sa part entendue que si elle parle d'une seule voix. La conférence prévue à Londres prochainement n'aura de sens que si elle permet d'aider à la réorganisation de la nouvelle Autorité palestinienne, notamment sur les questions de sécurité. Cette conférence ne doit être qu'une étape avant l'organisation d'une nouvelle conférence internationale en 2005, où tous les acteurs de la feuille de route seraient cette fois réunis.
Evoquant la situation de l'Irak, M. Michel Barnier a souligné l'importance des prochaines élections. Malheureusement, l'instabilité et le chaos affectent une partie du pays et singulièrement Bagdad. Cette situation risque de peser sur la crédibilité des prochaines élections. Elles seront d'ailleurs suivies avant la fin de l'année par l'élaboration d'une Constitution et de nouvelles élections pour lesquelles il faut espérer la participation de tous, dans la perspective d'un Irak libre et souverain. Lors de la visite en France du président irakien, la France a rappelé qu'elle n'enverrait pas de militaires en Irak, mais était disponible pour la formation de gendarmes irakiens hors du pays et plus généralement pour la reconstruction politique et économique du pays.
Après l'exposé du ministre, M. Jean François-Poncet lui a demandé son appréciation sur les informations faisant état d'une éventuelle préparation des Etats-Unis à frapper des sites nucléaires iraniens, sur la crédibilité d'une telle hypothèse et son lien possible avec le rôle de l'Iran à l'égard de la communauté chiite irakienne.
M. Michel Barnier a fait observer que l'Iran pouvait souhaiter avoir de l'influence en Irak. Comme les Français et les Européens, les Etats-Unis ne peuvent que s'inquiéter de l'éventuelle détention par l'Iran d'armes nucléaires. La négociation engagée par la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France a permis de convaincre l'Iran de suspendre ses activités d'enrichissement d'uranium en échange d'un « paquet » comportant trois « paniers » : une coopération sur le nucléaire civil, des négociations commerciales et industrielles, enfin l'engagement d'un dialogue politique. Même si les Etats-Unis demeurent sceptiques sur l'efficacité de cette démarche, il est plus qu'improbable qu'ils décident de l'ouverture d'un « second front » en Iran, en plus de celui de l'Irak. De fait, il n'y avait pas à l'heure actuelle vraiment de démarche alternative à celle conduite par les trois pays européens.
M. Didier Boulaud a interrogé le ministre sur la situation en Côte d'Ivoire.
M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, a précisé que la stabilisation actuelle de la situation était liée à l'acceptation, par tous les acteurs ivoiriens, de discuter avec l'Union africaine et avec le président sud-africain M. M'Beki. Tous les textes de loi prévus par les accords de Marcoussis et Accra III ont enfin été adoptés par l'Assemblée nationale, y compris la révision de l'article 35 de la constitution sur les conditions d'éligibilité à la présidence de la République. La prochaine échéance est celle du début de la mise en oeuvre du cantonnement, préalable au désarmement, et essentiel à la tenue des élections dans des conditions incontestables.
La France est restée présente dans le cadre du mandat des Nations unies.
Après avoir regretté que la prochaine réunion consacrée au Proche-Orient se tienne à Londres et non à Paris, Mme Josette Durrieu s'est félicitée du bon déroulement des élections palestiniennes. Elle a par ailleurs estimé que les Etats-Unis étaient parfaitement capables d'intervenir d'une façon ou d'une autre sur les sites nucléaires iraniens compte tenu de l'obsession que ce sujet représente dans la classe politique américaine.
M. Michel Barnier a fait valoir que la tenue à Londres de la conférence sur le Proche-Orient était notamment liée à la présidence du G8 par la Grande-Bretagne. Il importait que cette conférence ne constitue qu'une première étape pour accompagner les Palestiniens dans leur réorganisation et qu'elle s'inscrive dans le processus plus global de la feuille de route.
Le ministre des affaires étrangères a indiqué qu'en cas d'échec de la négociation conduite par les trois Européens avec l'Iran, le dossier serait porté devant le Conseil de sécurité pour l'adoption d'une résolution définissant l'attitude à tenir par la communauté internationale.
M. Yves Pozzo di Borgo, après avoir évoqué l'intérêt du fonds d'urgence créé à Bruxelles pour faire face aux conséquences des catastrophes naturelles en Europe, s'est inquiété des conséquences de l'organisation en Irak d'un pouvoir qui marginalisait la communauté sunnite.
M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, a précisé que si les sunnites irakiens ne participaient pas dans leur majorité aux élections du 30 janvier, il serait important qu'ils s'impliquent lors des élections ultérieures qui auront lieu avant la fin de cette année.
Relevant avec le ministre la nécessité d'aller rapidement de l'avant au Proche-Orient pour saisir l'opportunité ouverte par les élections palestiniennes, M. Robert Bret a demandé quelles seraient les initiatives françaises dans le cadre de la conférence de Londres. Faisant remarquer que le bon déroulement des élections palestiniennes était lié à la présence d'observateurs internationaux, il a demandé si ce précédent ne pourrait être utilisé pour la mise en oeuvre de la feuille de route. Enfin, faisant état des récentes déclarations de Mme Rice sur le Belarus considéré par elle comme un « avant-poste de la tyrannie », il s'est inquiété de ce qu'une telle approche pourrait conduire à déstabiliser la Russie en la renforçant dans son sentiment d'isolement.
M. Jacques Peyrat, rappelant la secousse sismique qui avait causé la mort de 11 personnes à Nice en 1979, a insisté sur la mise en place en Méditerranée d'un système de surveillance adapté pour répondre à l'inquiétude des populations.
M. Michel Barnier a apporté les éléments de réponse suivants :
- l'implication de l'Union européenne pour la surveillance des risques en Méditerranée est un enjeu essentiel ;
- les prochaines initiatives françaises devraient porter sur plusieurs thèmes : l'accompagnement du retrait israélien de Gaza ; l'articulation de ce retrait avec le reste de la feuille de route ; la préparation de la prochaine conférence internationale qui devra suivre celle de Londres et réunira Israéliens et Palestiniens en vue du règlement du conflit ;
- la France ne pourrait qu'être favorable à la présence d'observateurs européens pour concourir à stabiliser Gaza, si un engagement global était signé par les deux parties ;
- même si la Russie doit renoncer à une certaine nostalgie d'empire, elle reste un Etat-continent dont le rôle géostratégique doit être respecté. Il convient d'établir une relation rénovée de partenariat avec la Russie et dissiper, sur des sujets comme l'Ukraine, le Belarus ou la Moldavie, tout sentiment d'agression que ce pays pourrait éprouver et qui entraînerait son repli sur lui-même.
M. Pierre Mauroy a rappelé qu'il avait proposé la création d'un corps de volontaires en matière de sécurité civile lors de la suspension de la conscription en 1996. Il a ensuite évoqué la rapide évolution de la situation au Proche-Orient depuis la disparition d'Arafat, saluant les qualités d'homme d'Etat démontrées par Ariel Sharon lors du retrait israélien du Sud Liban et de sa décision de retrait de Gaza. Il s'est dit convaincu que le premier ministre britannique, homme sincère, pourrait aider à avancer sur les problèmes internationaux qui préoccupent Américains et Européens. Il a également déploré que les prochaines élections irakiennes ne contribuent pas à la nécessaire réconciliation entre chiites et sunnites. Enfin, il a appelé de ses voeux un retrait syrien du Liban.
Mme Hélène Luc a insisté sur la nécessité de la création rapide d'un observatoire sismique de l'océan indien à la Réunion, et a souhaité que les pays d'Asie du Sud touchés par le raz de marée bénéficient, non d'un moratoire, mais d'une annulation pure et simple de leur dette. Elle s'est également inquiétée de la lenteur avec laquelle se réalisent les objectifs du Millénaire.
M. Jean-Pierre Fourcade a fait observer que dans les débats publics organisés sur la Constitution européenne, la question de la Turquie tenait une place prépondérante.
M. Robert Del Picchia s'est interrogé sur la possible présence d'observateurs de l'Union interparlementaire au bureau de vote installé à Paris pour les Irakiens vivant en France.
En réponse, le ministre a apporté les précisions suivantes :
- la France est, avec l'Autriche, le pays où la question de l'adhésion de la Turquie tient une aussi grande place dans le cadre des débats sur la Constitution européenne. Or la question de l'adhésion turque ne se posera pas -si même elle se pose- avant 10, 15 ou 20 ans. Beaucoup de conditions ont été mises en avant (dont celle de la reconnaissance du génocide arménien), et le calendrier établi est de nature à dissiper les inquiétudes. Il reste qu'il apparaît important pour l'Europe que la Turquie se situe à l'intérieur de ses futures frontières plutôt qu'à l'extérieur ;
- le Président de la République est très profondément engagé dans sa volonté de mettre en oeuvre un mécanisme qui permettra de dégager des sources de financement nouvelles et stables pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement ;
- le centre d'analyse, d'alerte et de prévision pour l'Océan Indien devra être relié à l'ensemble des pays de la zone ;
- le respect de la souveraineté du Liban est un objectif constant de la France. La pression de la Syrie pour modifier les conditions d'élection du président libanais a justifié la résolution 1559 du Conseil de sécurité. La France entend être vigilante quant à son application effective ;
- la décision de retrait de Gaza prise par le Premier ministre israélien a été courageuse. Ce retrait doit cependant s'inscrire dans le cadre plus global de la feuille de route.