Table des matières
- Mardi 5 juin 2001
- Politique française de coopération et de développement - Audition de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie
- Mercredi 6 Juin 2001
- Audition de M. Paul Grossrieder, directeur général du Comité international de la Croix-Rouge (CICR)
- Traités et conventions - Convention internationale pour la répression du terrorisme - Examen du rapport
- Jeudi 7 juin 2001
- Audition de M. Jacques de Lajugie, directeur des affaires financières du ministère de la défense
Mardi 5 juin 2001
- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -
Politique française de coopération et de développement - Audition de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie
La commission a procédé à l'audition de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la politique française de coopération et de développement.
M. Charles Josselin a tout d'abord souhaité replacer l'action de la France en faveur du développement dans le contexte de la mondialisation. Il a en effet estimé qu'elle posait, au Nord comme au Sud, des défis qui ne pourront qu'être réglés en commun. Le Nord est particulièrement sensible aux questions d'environnement, de risque sanitaire, de stabilité et de diversité culturelle, alors que le Sud, lui, doit faire face à trois séries de problèmes posés par la libéralisation des échanges : la concentration des richesses, 20 % des pays les plus pauvres ne détenant qu'1 % du total de la richesse mondiale ; l'interdépendance croissante de leurs économies, entraînant des chocs et une instabilité défavorable au développement ; enfin la sophistication croissante des normes techniques, qui constitue un handicap considérable pour les pays du sud, sans doute plus difficile à surmonter encore que l'ouverture des frontières.
Dans ce contexte, la France doit rendre plus efficace son action aux niveaux multilatéral et bilatéral, a souligné M. Charles Josselin. Au niveau européen, tout particulièrement, la réforme des procédures d'aide a été engagée sous présidence française et s'est concrétisée par une déclaration du « conseil développement » du 10 novembre 2000. Cette déclaration met l'accent sur la définition des principes de l'action européenne en matière de développement et l'établissement d'une grille de lecture commune aux quinze, prône le recentrage de l'aide notamment en faveur de la promotion de l'intégration régionale ou du lien entre commerce et développement, et enfin, favorise la déconcentration des responsabilités. Celle-ci est d'ores et déjà mise en oeuvre à travers un plan d'action qui prévoit la création d'un office « Europ-Aid », l'ouverture de 300 postes supplémentaires, et permet que l'aide européenne puisse désormais passer par des organismes nationaux lorsque ceux-ci sont les mieux placés pour agir.
M. Charles Josselin a ensuite abordé la participation française aux actions multilatérales. Il a fait référence à l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Ainsi, a-t-il indiqué, grâce à l'insistance française, sur les 41 pays concernés, 22 ont nettement progressé vers l'effacement de leur dette dès la fin de l'année 2000. Pour obtenir ce résultat, l'Union européenne a fait front commun et a mobilisé le reliquat du Fonds européen de développement, soit 1 milliard d'euros. Le ministre délégué a également fait remarquer que, selon le souhait français, les orientations sociales sont de plus en plus préservées par les organismes financiers internationaux qui les considèrent désormais comme essentielles au développement. Des institutions comme le FMI, la Banque mondiale et le PNUD agissent de plus en plus souvent de concert, la France elle-même a signé le 29 juin dernier un accord avec le PNUD pour favoriser leur travail en commun.
Évoquant la question de la lutte contre le sida, M. Charles Josselin a rappelé que l'effort massif, demandé par la France, en faveur des pays pauvres les plus touchés serait l'un des sujets abordés lors de la session spéciale des Nations unies fin juin et du G8 en juillet. Il ne s'agit pas seulement -a-t-il expliqué- d'assurer l'accès aux médicaments mais plus globalement l'accès aux soins. Il faut donc envisager une aide globale au système de santé de ces pays. Le 31 mai dernier, M. Lionel Jospin, Premier ministre, a d'ailleurs annoncé trois engagements de la France : le maintien à 100 millions de francs par an de l'aide-projet consacrée à la lutte contre le sida ; l'utilisation de 10 % du montant de l'ensemble de la contribution française au programme PPTE, soit 1 milliard d'euros sur 10 ans ; et une contribution de 50 millions d'euros par an au fonds global santé sida des Nations unies.
Abordant les actions bilatérales de coopération, M. Charles Josselin a insisté sur l'effort de transparence à l'égard, en particulier, des acteurs de la coopération par la publication du premier rapport annuel d'activité de la Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), des orientations stratégiques du FSP (Fonds de solidarité prioritaire), et par la participation à des événements comme la journée mondiale de l'eau.
M. Charles Josselin a par ailleurs indiqué que dans le cadre de l'initiative visant à effacer la dette des pays les plus pauvres, la France, dans le volet bilatéral, conclura des contrats de désendettement et de développement « C2D » visant à accroître l'articulation des activités, sur le terrain, de l'Agence française de développement et du fonds de solidarité prioritaire et à favoriser l'association de la société civile à la mise en oeuvre de l'aide. La France poursuit également la réforme de son assistance technique en suivant la logique de fusion des ministères. Cela conduit à harmoniser les conditions d'emploi des personnels et à intégrer des besoins nouveaux en matière d'expertise.
Le ministre délégué a ensuite abordé la question des moyens de l'assistance technique au développement à la suite de la publication, par le comité d'aide au développement de l'OCDE, de statistiques provisoires relatives à l'année 2000. Dans ces statistiques, l'effort français en matière d'aide publique au développement apparaissait en recul, à 0,33 % du PIB, tout en restant le plus important des pays du G7. Ce chiffre, inférieur à l'objectif de 0,70 % que s'est fixé la France, ne prend toutefois pas en compte les effets des reports de crédits d'une année sur l'autre, l'aide attribuée aux territoires d'outre-mer, et, exprimé en dollars et non en euros, ne tient pas compte de l'effet-change. Il n'intègre pas non plus d'autres actions qu'entreprend la France en faveur du développement à travers la coopération militaire, la francophonie ou la coopération décentralisée. Le ministre délégué a également fait remarquer qu'en matière d'aide publique au développement il ne pouvait être question seulement de montants bruts, l'efficacité de sa mise en oeuvre étant essentielle. Il a enfin indiqué que, dans l'avenir, la part française devrait croître à nouveau car l'effort fait en faveur du désendettement ne viendra pas se substituer aux actions de développement entreprises par le ministère des affaires étrangères et la DGCID mais s'y additionner. Nos actions de coopération devraient également se développer à nouveau avec la Côte d'Ivoire, le Cameroun et le Congo, qui sont nos trois plus importants partenaires.
Abordant enfin les questions relatives à l'action culturelle extérieure de la France, M. Charles Josselin a expliqué qu'un accord avait été trouvé avec le personnel de l'Agence française pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) sur le statut des « faux résidents », qui verront leur traitement et leur couverture sociale améliorés. Le nombre des visas attribué à des étudiants étrangers, venant poursuivre des études supérieures en France, a été multiplié par deux en trois ans et a atteint 170 000 pour l'année universitaire 2000-2001, a-t-il souligné. La France a, en outre, obtenu de ses partenaires la simplification des structures de TV5, laissant espérer une nette amélioration de la qualité du service fourni par notre audiovisuel public extérieur. Enfin, il a estimé que la francophonie politique avait beaucoup progressé depuis 1997. La déclaration de Bamako, de novembre 2000, faisant notamment référence aux droits de l'homme, constitue à cet égard une avancée importante, qui devrait être consolidée au sommet de Beyrouth, au cours duquel sera également abordée la question de la diversité culturelle.
A la suite de l'exposé du ministre, Mme Paulette Brisepierre s'est interrogée sur la cohérence entre les objectifs très ambitieux de la coopération française et la réduction régulière des crédits qui lui étaient affectés. Elle s'est inquiétée en particulier de l'appauvrissement des centres culturels français, ainsi que de la réduction des moyens destinés à l'enseignement français à l'étranger.
M. Hubert Durand-Chastel a souhaité connaître l'état d'avancement des réformes relatives à l'assistance technique, ainsi que les décisions qui pourront être prises sur ce sujet lors du prochain comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID). Il a également demandé quelles étaient les perspectives d'évolution du budget de la coopération pour 2002.
M. Jacques Pelletier a d'abord attiré l'attention sur les difficultés de mise en oeuvre de l'aide communautaire au développement ainsi que sur l'importance des reliquats de crédits non dépensés. Il a noté les améliorations sensibles enregistrées par la France en matière de visas, même si les conditions de l'accueil des étrangers par nos postes doivent encore être améliorées. Il a également évoqué l'évolution positive des institutions financières internationales sur les questions de développement en soulignant, en particulier, la volonté de la Banque mondiale d'impliquer davantage les parlements nationaux dans les opérations qu'elle conduisait. Il a rappelé que l'Agence française de développement (AFD) constituait un outil performant au service des orientations arrêtées par le gouvernement. Il a regretté, toutefois, la réduction régulière des crédits consacrés à l'aide publique au développement au cours des cinq dernières années. Il s'est demandé si cette tendance pourrait être inversée en 2002. Il a mentionné, en particulier, la contraction des concours de l'Agence française de développement et s'est inquiété de la baisse de la part de l'aide-projet réservée aux pays de la zone franc, qui était passée de 37 % en 1999 à 27 % en 2000. Il a craint que nos positions traditionnelles soient remises en cause par l'influence croissante des États-Unis sur le continent africain.
M. André Rouvière a demandé au ministre délégué de préciser les conditions dans lesquelles seraient utilisés les crédits dégagés par les opérations d'annulations de dettes. Il a constaté, par ailleurs, que la contribution française à l'aide européenne souffrait d'une faible visibilité ; dans ces conditions, l'effort accordé par notre pays aux concours multilatéraux, en l'absence d'une progression parallèle de l'aide bilatérale, pourrait desservir les objectifs poursuivis par la francophonie.
M. Emmanuel Hamel a souhaité que la politique française puisse être mieux défendue, en particulier auprès d'institutions telles que l'OCDE. Il s'est interrogé en outre sur les conditions à même de favoriser le retour des étudiants étrangers formés en France vers leur pays d'origine. Enfin, il a souhaité connaître le sentiment du ministre délégué sur la possibilité d'adopter une loi de programmation en matière d'aide au développement qui permettrait de mieux soutenir, sur la durée, l'effort budgétaire dans ce domaine.
M. Charles-Henri de Cossé-Brissac a attiré l'attention sur la nécessité de renforcer, dans le cadre de la coopération décentralisée, les actions respectives de l'Etat et des collectivités locales. Enfin, il a évoqué les risques de concurrence que pourraient susciter, à terme, certaines productions développées dans les pays du sud grâce au soutien des bailleurs de fonds.
M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur la portée des nouveaux instruments mis en place par la réforme de la coopération, et notamment sur la composition de la zone de solidarité prioritaire, alors même que les crédits d'aide au développement diminuent. Il a souhaité savoir si certaines régulations budgétaires étaient intervenues sur l'exercice en cours. Il s'est demandé en outre quelles seraient les perspectives d'évolution du budget de la coopération pour 2002, au moment où le ralentissement de la conjoncture économique risquait de peser sur les arbitrages budgétaires. Enfin, il a souhaité connaître l'appréciation du ministre délégué sur la situation en Tunisie et en Centrafrique, à la suite des déplacements qu'il avait effectués dans ces deux pays.
En réponse aux commissaires, M. Charles Josselin a d'abord observé que nos partenaires traditionnels en Afrique ne souhaitaient plus s'enfermer dans une relation exclusive avec la France ; notre pays lui-même a cherché à développer ses liens avec l'ensemble des pays du continent. Il a relevé que le Royaume-Uni tendait, quant à lui, à cantonner son influence aux pays avec lesquels il entretenait des liens historiques. S'agissant des États-Unis, il convenait de distinguer entre les discours et la pratique ; ainsi, la mise en oeuvre de l'ouverture du marché américain aux produits africains se heurterait sans doute à la résistance des différents groupes de pression ; l'Union européenne avait, pour sa part, décidé l'ouverture progressive de ses frontières à l'ensemble des produits des pays les moins avancés, à l'exception des armes. La politique américaine en Afrique accordait, a souligné le ministre délégué, une place particulière aux enjeux pétroliers. Le véritable atout des États-Unis résidait dans l'accueil de près de 40 % de l'élite universitaire mondiale ; la France, pour sa part, notamment à travers la francophonie, cherchait à conjurer le risque d'une uniformisation culturelle.
Le ministre délégué à la coopération et à la francophonie a rappelé ensuite le souci du gouvernement de mieux accueillir les étudiants étrangers sur le territoire national, et d'impliquer à cette fin les universités en vue de mobiliser les moyens nécessaires pour améliorer en particulier l'environnement général des études. La France, a-t-il observé, conserve une grande influence en Afrique subsaharienne, comme en témoigne le dernier sommet France-Afrique de Yaoundé ; il conviendrait, sans doute, de regretter plutôt l'insuffisance de la présence des autres puissances dans la mesure où notre pays ne dispose pas, seul, des moyens nécessaires pour apporter au continent l'aide dont il a besoin.
M. Charles Josselin a rappelé que la zone de solidarité prioritaire avait été définie en fonction de différents critères qui conjuguaient la fidélité à nos liens historiques, ainsi que la cohérence régionale de nos actions ; elle n'emportait pas un droit automatique, pour les pays qui y figuraient, à bénéficier des crédits d'aide au développement. La situation de certains pays, a-t-il observé par ailleurs, ne permettait pas toujours de mener à bien les projets d'aide initialement prévus par la France.
M. Xavier de Villepin, président, a souhaité savoir à cet égard si la position défendue par la France vis-à-vis de la Côte d'Ivoire n'était pas isolée au sein de la communauté des bailleurs de fonds. Le ministre délégué a estimé que la stabilisation de la situation, dans ce pays, pouvait laisser espérer la conclusion, avant la fin de l'année, d'un accord avec le FMI. Il a indiqué, par ailleurs, que l'Union européenne avait décidé, lors du dernier conseil Affaires générales, le principe d'une reprise « progressive et mesurée » de l'aide à la Côte d'Ivoire.
M. Charles Josselin a souligné sa volonté de préserver les moyens du réseau culturel français, même si la question de la révision de la carte actuelle des centres culturels était posée. Il a ajouté que les effectifs de l'enseignement français à l'étranger progressaient et qu'il conviendrait d'impliquer davantage l'éducation nationale dans le cadre d'un véritable partenariat pour dégager les moyens nécessaires à notre action dans ce domaine. Le ministre délégué a noté, par ailleurs, qu'il importait de trouver le point d'équilibre entre l'assistance technique de présence -pour laquelle s'imposait un principe de mobilité- et une nouvelle coopération plus souple, axée sur des missions d'expertise ponctuelles. Il a souligné qu'il entendait préserver les moyens budgétaires de l'assistance technique afin de maintenir un effectif à hauteur de 2.000 postes. Le prochain CICID, a-t-il poursuivi, devrait décider la création de 500 emplois budgétaires pour l'expertise ponctuelle et la création d'une filière de formation pour les personnels employés aux actions de coopération internationale.
Le ministre délégué à la coopération et à la francophonie a relevé que les reliquats, au titre du FED, s'élevaient à 9 milliards d'euros. Il a ajouté que sous la présidence française de l'Union européenne le principe d'une déconcentration de l'aide communautaire et d'une meilleure coordination des efforts bilatéraux et multilatéraux avait été arrêté afin de raccourcir notamment les délais de mise en oeuvre des crédits de l'ordre de 5 à 6 ans pour le FED. Il a relevé en outre que si l'on avait pu observer une baisse relative de l'aide-projet en faveur de l'Afrique subsaharienne, une inversion de tendance était aujourd'hui perceptible. Il a estimé, par ailleurs, intéressante l'idée d'une loi de programmation qui permettrait de mieux soutenir l'effort consacré à l'aide publique au développement. Les conditions d'une utilisation rigoureuse des ressources dégagées par les opérations d'annulations de dettes pourraient être assurées par une plus grande transparence et l'implication de la société civile. La prise de conscience de la priorité nécessaire accordée à la lutte contre la corruption s'imposait progressivement chez les dirigeants africains.
M. Charles Josselin a souligné que les concours multilatéraux représentaient 27 % de l'aide publique française. Il a relevé par ailleurs la forte pression exercée par la montée des contributions obligatoires liée aux opérations de maintien de la paix. Le ministre délégué a observé ensuite que le prochain CICID se prononcerait de nouveau sur la composition de la zone de solidarité prioritaire au regard de critères variés tels que la position des pays bénéficiaires vis-à-vis du blanchiment d'argent. Il a poursuivi en relevant que le budget de la coopération avait supporté cette année des mesures de régulation d'un montant de 100 millions de francs sur le titre VI et de 130 millions de francs sur le titre IV, dont 80 millions de francs pour l'assistance technique.
M. Charles Josselin a enfin noté que la situation en Tunisie présentait plusieurs signes d'apaisement. Il a rappelé que sa visite dans ce pays témoignait de la volonté de la France de poursuivre le dialogue. Il a exprimé l'espoir que la Tunisie offre l'image d'un pays moderne, dans toute l'acception de ce terme, et estimé que les messages qu'il avait transmis aux autorités tunisiennes semblaient avoir été entendus. S'agissant de la Centrafrique, il a relevé qu'à la suite de la récente tentative de coup d'Etat condamnée par la France, le Président Patassé avait obtenu le soutien de certaines puissances extérieures. Il a noté par ailleurs que plusieurs chefs d'Etat africains étaient intervenus afin de favoriser l'apaisement et éviter toute dérive vers un conflit interethnique qui aurait des conséquences dramatiques.
Mercredi 6 Juin 2001
- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -
Audition de M. Paul Grossrieder, directeur général du Comité international de la Croix-Rouge (CICR)
La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Paul Grossrieder, directeur général du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
M. Paul Grossrieder a d'emblée souligné, avant de décrire le fonctionnement du CICR, combien les problèmes de sécurité étaient cruciaux pour le fonctionnement, au jour le jour, de cette institution. Ainsi ces dernières semaines ont-elles été marquées par l'assassinat de six collaborateurs du CICR dans l'est de la République démocratique du Congo, par la perte d'un pilote au sud-Soudan, par les graves blessures par balles infligées à un employé du Comité en Tchétchénie, et par le meurtre d'une collaboratrice au Kenya.
Cette dangereuse pression -trois incidents doivent être gérés quotidiennement par le CICR- implique une nécessaire et rapide flexibilité de ses actions sur le terrain, alors que nombre de bailleurs de fonds privilégient trop souvent des programmes amples, mais rigides, pour lutter contre le dénuement des populations assistées par le Comité.
Puis M. Paul Grossrieder a rappelé que le CICR avait reçu, par les quatre conventions de Genève, un mandat de la communauté internationale pour aider et protéger toute victime de conflits armés, avec, comme principes d'action, le respect de l'indépendance politique de l'institution, de sa neutralité et de son impartialité. Avec un budget annuel de 4 milliards de francs français, le CICR emploie 12.000 collaborateurs, dont 2.000 expatriés, qui travaillent au sein de 70 délégations et de 200 « postes d'ancrage », ces derniers étant particulièrement situés à proximité des populations à aider.
La France participe, à hauteur de 30 millions de francs français par an, au financement de ce budget, ce qui la place au 14e rang des pays donateurs.
Le directeur général a ensuite décrit les deux axes stratégiques qui régissent l'action du Comité : proximité envers les victimes, ce qui permet une évaluation précise de leurs besoins, et action auprès des responsables des divers conflits pour s'efforcer de modifier leur attitude à l'égard de ces victimes. La situation mondiale actuelle est marquée, selon M. Paul Grossrieder, par une extension des zones de combats, et donc d'intervention du CICR -10 nouvelles délégations ont ainsi été créées en 2000-, par une globalisation des phénomènes conflictuels et par un renforcement des facteurs ethniques, religieux et nationalistes dans le déclenchement des conflits.
Le directeur général a précisé qu'en 2000, le CICR avait réalisé 89 % de son budget, ce qui illustre sa forte capacité de réaction. La priorité a été donnée, l'an passé, au problème des disparus, notamment en Bosnie et au Kosovo, ainsi qu'à celui des prisonniers politiques, dont 230.000 au total ont pu recevoir la visite d'un délégué du Comité.
Le CICR étant apolitique n'est pas partie à l'ONU, a rappelé M. Paul Grossrieder ; il y dispose, cependant, d'un statut d'observateur depuis dix ans.
Au sein des institutions de l'ONU, le CICR collabore cependant étroitement avec le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), ainsi qu'avec le programme alimentaire mondial (PAM). Il a, par ailleurs, des relations suivies avec les organisations non gouvernementales (ONG). La difficulté du travail quotidien, dans un environnement difficile et dangereux, conduit à une forte coopération concrète entre les personnels de ces différentes organisations.
Puis le directeur général a passé en revue quelques-unes des principales zones d'intervention du Comité durant les derniers mois, dont Israël et les territoires autonomes palestiniens, l'Irak, l'Afghanistan, et la région des grands lacs en Afrique centrale. Il a déploré, s'agissant de cette dernière région, que le caractère délibéré des meurtres dont ont été récemment victimes six délégués du CICR ait obligé son organisation à se replier sur la ville de Goma, abandonnant ainsi à leur sort des populations dont les besoins humanitaires sont considérables. A ce sujet, il a fait valoir qu'il n'était pas possible d'être optimiste sur la situation prévalant à l'est de la République démocratique du Congo.
La situation au Rwanda, quant à elle, peut être considérée, pour l'instant, comme stabilisée.
En conclusion de son exposé, M. Paul Grossrieder a souligné que les parlementaires français pouvaient soutenir l'action du CICR en défendant les principes qui fondent le droit international humanitaire, en protégeant la spécificité des interventions du Comité, fondées sur la neutralité et la priorité accordées au respect de la dignité humaine, et en sollicitant le gouvernement français, et, plus largement, ceux des pays membres de l'Union européenne, pour qu'ils accroissent sensiblement leurs contributions au profit du CICR.
Après l'exposé de M. Paul Grossrieder, un débat s'est engagé avec les commissaires.
Mme Paulette Brisepierre a souhaité savoir si les camps de réfugiés rassemblant, dans des conditions de précarité extrême, plusieurs dizaines de milliers de personnes, et situés à la frontière du Kenya et de la Somalie, étaient placés sous la responsabilité du CICR.
M. Robert Del Picchia a demandé des précisions sur les besoins financiers du CICR et s'est interrogé sur ses relations avec le Croissant Rouge et avec les ONG qui, d'une part, attirent une part importante de la générosité internationale et, d'autre part, ne respectent pas toujours le même souci d'impartialité.
M. André Dulait s'est inquiété de ce que les ONG risquaient d'occulter, dans les médias, l'action pourtant essentielle sur le terrain du CICR.
M. André Rouvière s'est demandé quelles comparaisons pouvaient être faites entre la Croix Rouge et le Croissant Rouge et si le CICR était encore aujourd'hui interdit d'accès dans certains pays du monde.
M. Xavier de Villepin, président, a souhaité savoir quelle était l'action du CICR dans les territoires palestiniens et en Tchétchénie.
M. Paul Grossrieder a alors apporté les précisions suivantes :
- le CICR ne s'occupe pas des camps à la frontière entre le Kenya et la Somalie, vraisemblablement placés sous la responsabilité du HCR, qui peut en déléguer partiellement la gestion à des sociétés nationales de Croix Rouge ;
- le budget du CICR, qui s'élève à 4 milliards de francs par an, est effectivement assez modique, compte tenu de l'ensemble des programmes menés. Le CICR ne cherche toutefois pas à étendre son champ d'action au-delà de son mandat et donc à accroître son budget ;
- le CICR est placé à la tête d'un mouvement universel qui comprend 189 sociétés nationales de Croix Rouge et de Croissant Rouge. Elles ont une action différente du CICR et n'entrent donc pas en concurrence avec lui. Cela n'exclut pas que le Comité international puisse intervenir pour inciter ces sociétés nationales à ne pas cantonner leur aide à une nationalité ou une confession particulière et à respecter certaines distances vis-à-vis des forces armées nationales. Avec les sociétés nationales les plus riches, le CICR mène à bien des programmes qu'elles prennent en charge ;
- le CICR développe des relations différentes avec les ONG, selon qu'elles sont réellement indépendantes, ou non, des gouvernements. Avec certaines grandes ONG, il est tout à fait possible de coordonner des actions sur le terrain en préservant la spécificité du mandat de la Croix Rouge auprès de toutes les victimes des conflits. Dans certains cas, le grand nombre des ONG présentes peut conduire la Croix-Rouge à réduire son action pour se concentrer sur d'autres zones géographiques où d'autres besoins s'expriment. Le CICR coopère notamment avec l'organisation française MSF qui est proche des positions du CICR en ce qui concerne la défense du droit international humanitaire, les interventions humanitaires avec appui armé et la neutralité vis-à-vis des conflits, tout en gardant une capacité de « témoignage » sur les réalités du terrain, ce que ne pratique pas le CICR ;
- le CICR intervient aujourd'hui en Birmanie, en Algérie ou au Cachemire. Il n'a pas encore la possibilité d'effectuer des visites de détenus en République populaire de Chine ;
- mieux faire connaître l'action du CICR est un souci permanent mais il faut prendre en compte le fait qu'il est, par nature, une organisation discrète impartiale, qui privilégie la possibilité d'accès aux victimes, ce qui le conduit à s'abstenir de faire des déclarations à caractère politique. Les rapports qu'il établit, à la suite des visites dans les prisons, ne sont qu'exceptionnellement rendus publics. Les interventions du CICR sont exclusivement mues par le souci de la protection des populations, quelles que soient leur origine ethnique ou l'attention que peuvent leur porter les médias internationaux.
M. Robert Del Picchia a alors fait remarquer que le CICR pourrait néanmoins gérer sa communication de manière plus volontariste, afin de mieux faire connaître les actions qu'il conduit.
M. Paul Grossrieder a indiqué que les délégués du CICR n'étaient plus présents en Tchétchénie à titre permanent depuis que six membres de l'organisation avaient été tués dans un attentat en décembre 1996. Ils y pénètrent néanmoins régulièrement et y sont escortés par les troupes du ministère russe de l'intérieur. Le CICR, pour faire face aux immenses besoins, distribue de l'aide alimentaire et médicale dans la partie nord de cette république.
Au sujet de la Palestine, M. Paul Grossrieder a souligné la pauvreté croissante des territoires palestiniens depuis le début de la nouvelle Intifada, les populations de Gaza souffrant de la surpopulation et du chômage. Agissant aux côtés de l'UNRWA (United nations relief and works agency), le CICR apporte désormais une aide alimentaire aux Palestiniens.
Traités et conventions - Convention internationale pour la répression du terrorisme - Examen du rapport
La commission a ensuite entendu le rapport de M. André Rouvière sur le projet de loi n° 259 (2000-2001) autorisant la ratification de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme.
M. André Rouvière, rapporteur, a rappelé que le terrorisme, phénomène d'ampleur internationale, devait être combattu en s'appuyant sur une coopération interétatique. Il a indiqué qu'il existait déjà 11 conventions touchant à cette question, mais que la convention du 10 janvier 2000 s'inscrivait dans une démarche nouvelle, visant non plus seulement à réprimer des actes terroristes déjà commis, mais à s'attaquer, en amont, à la préparation de ces attentats, en luttant contre leur financement.
M. André Rouvière a expliqué que cette convention avait été proposée par la France, à la suite des attentats de Dar-es-Salam et Nairobi, en 1998, contre les ambassades des États-Unis. Elle a pour objectif de lutter contre les sources de financement du terrorisme qui peuvent provenir d'activités comme la prostitution ou le commerce de stupéfiants. Les actes terroristes peuvent être financés par des dons privés, émanant d'individus comme M. Ben Laden, soupçonné d'être le commanditaire et le financier des attentats de 1998.
La présente convention a un champ d'application particulièrement vaste. Elle définit largement l'infraction de financement du terrorisme qui permettra de poursuivre toutes les personnes qui y participent directement ou indirectement, du moment qu'elles sont conscientes de l'utilisation des fonds, qu'ils aient ou non été employés. Elle renforce la répression en faisant du financement du terrorisme une infraction pénale, en autorisant le gel ou la saisie des fonds concernés et en permettant leur utilisation afin d'indemniser les victimes. Elle met en place un mécanisme poussé d'entraide judiciaire prévoyant la suppression du secret bancaire ; elle fait obligation aux professions financières de signaler tous les mouvements suspects de fonds et prévoit l'interdiction des comptes numérotés.
Le rapporteur a également indiqué que la présente convention reprenait les acquis des conventions précédentes sur le terrorisme. Ainsi est repris le principe « juger ou extrader », qui oblige les Etats à poursuivre les personnes coupables d'infraction, si elles ne les extradent pas. Elle reprend également le principe de « dépolitisation » des infractions terroristes qui sont condamnées sans équivoque et sont considérées comme injustifiables, quelles que soient les circonstances. Les États se réservent toutefois la possibilité de refuser une extradition qui aurait un mobile politique. La convention reprend également les dispositions traditionnelles sur les garanties offertes aux personnes détenues, sur l'intégrité territoriale et la souveraineté des Etats, le principe de non-ingérence et reconnaît l'arbitrage de la Cour internationale de justice.
Cette convention, a précisé M. André Rouvière, rapporteur, était signée, au 30 avril 2001, par 41 Etats, dont seulement 3 l'avaient ratifiée. Les ratifications de 22 Etats seront nécessaires pour son entrée en vigueur.
En conclusion, M. André Rouvière a invité la commission à autoriser la ratification de cette convention, afin que la France, qui est à l'origine de ce texte, soit parmi les premiers Etats à le ratifier.
A la suite de son exposé et en réponse à MM. Serge Vinçon et Robert Del Picchia, M. André Rouvière, rapporteur, a précisé que la Suisse et le Luxembourg ne figuraient pas parmi les signataires de la convention. M. Xavier de Villepin, président, a demandé si la convention s'appliquait également aux actions terroristes commises dans un seul Etat. M. André Rouvière a indiqué que la convention ne s'appliquait que si deux Etats au moins étaient concernés, ce qui est en fait extrêmement fréquent en matière de financement du terrorisme.
La commission a alors approuvé à l'unanimité le présent projet de loi.
Jeudi 7 juin 2001
- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -
Audition de M. Jacques de Lajugie, directeur des affaires financières du ministère de la défense
La commission a procédé à l'audition de M. Jacques de Lajugie, directeur des affaires financières du ministère de la défense, dans le cadre des réflexions préliminaires à la future loi de programmation militaire.
M. Jacques de Lajugie a tout d'abord effectué plusieurs remarques sur les caractéristiques générales de l'actuelle loi de programmation militaire.
Il a, en premier lieu, souligné que, pour la première fois depuis trente ans, une loi de programmation militaire serait menée à son terme et qu'il s'agissait là d'une situation d'autant plus remarquable que cette loi était ambitieuse par ses objectifs et son périmètre, la programmation couvrant à la fois le titre III, le titre V et les effectifs.
Il a ensuite observé qu'au cours de l'actuelle loi de programmation, le titre III avait pris une part prépondérante, désormais nettement supérieure à celle du titre V. Ainsi, au cours de l'année 2000, les dépenses réalisées au titre III se sont élevées à 111 milliards de francs, contre 79 milliards de francs au titre V. En dix ans, la part du titre III est passée de 46 % à 56 % du budget de la défense. Depuis le début des années 1970, le niveau du titre III, en francs constants, est resté sensiblement le même, mais cette stabilité n'a été acquise qu'au prix d'une très forte diminution des effectifs. Parce qu'il touche à la rémunération des personnels, à leurs conditions de vie et à l'activité des forces, le titre III possède une sensibilité particulière dans le dispositif d'une armée professionnelle, notamment au moment où se pose avec davantage d'acuité la question du parallélisme entre l'évolution de la société civile et celle des armées.
M. Jacques de Lajugie a, enfin, indiqué que la montée en puissance du titre III, pour partie induite par la professionnalisation, avait été compensée par une diminution symétrique du titre V. En effet, au cours de la décennie 1990-2000, le titre III avait progressé de 20 % alors que le titre V avait diminué de 19 %. Au sein du titre III lui-même, les dépenses de rémunération et de charges sociales avaient augmenté au cours de la même période de 36 %, passant de 70,5 à 80 % du total des dépenses du titre III, alors que l'on enregistrait parallèlement une diminution tendancielle des crédits de fonctionnement de l'ordre de 19 % sur la période considérée.
M. Jacques de Lajugie a ensuite effectué un bilan, arrêté à la fin de l'année 2000, de l'exécution de la loi de programmation militaire 1997-2002.
S'agissant du titre III, il a précisé que les dotations inscrites en loi de finances initiale avaient été conformes, et même légèrement supérieures, d'environ 1 milliard de francs, au montant prévu par la loi de programmation militaire. La réalisation des objectifs restait cependant suspendue à deux incertitudes : d'une part, la réalisation des emplois civils prévus par la loi, le nombre de postes non pourvus, supérieur à 9.000 à la fin de l'année 1999, ayant été ramené à 5.300 fin 2000 et devant continuer à décroître, vraisemblablement jusqu'à 2.000 postes à l'horizon de la fin de l'année 2002, et, d'autre part, la forte contraction des crédits de fonctionnement courant, qui a justifié un effort de rattrapage à partir de l'année 2000, notamment en matière de carburants et d'activité des forces.
Évoquant ensuite le titre V, M. Jacques de Lajugie a jugé paradoxale la situation telle qu'elle se présente après 4 années de mise en oeuvre de la loi de programmation militaire. En effet, la modernisation des équipements militaires a suivi un cours globalement conforme à celui défini dans la loi de programmation corrigée par la « revue de programmes », alors que le niveau des crédits inscrits dans les différentes lois de finances a été inférieur à ce qui avait été initialement prévu.
M. Jacques de Lajugie a précisé qu'en matière d'équipement, l'ensemble des opérations prévues par la loi de programmation et la « revue de programmes » ont été mises en place ou le seront avant 2002, les engagements comptables, qui avaient été ramenés à 60 milliards de francs en 1996, avaient sensiblement augmenté, puisque leur montant s'était établi à 80 milliards de francs en 1997 et 1998, 86 milliards de francs en 1999 et 107,4 milliards de francs en 2000. Dans le même temps, a-t-il poursuivi, on a pu constater que l'écart entre les crédits inscrits en loi de finances initiale et ceux qui avaient été prévus soit dans le cadre de la programmation initiale, soit dans le cadre de la revue des programmes, représentait environ 10 milliards de francs sur la période 1997-2000. Cet écart doit être relativisé, d'une part en tenant compte des ressources disponibles telles que les fonds de concours et les reports de crédits qui viennent s'ajouter aux dotations de la loi de finances initiale, et d'autre part, en le rapportant aux écarts constatés par le passé qui étaient, par exemple, deux fois supérieurs au cours de la période 1993-1996.
M. Jacques de Lajugie a cependant ajouté qu'au-delà du niveau global des dotations, le contenu en pouvoir d'achat réel du titre V avait été grevé par des scories telles que la contribution au budget civil de recherche et développement (BCRD) et les crédits consacrés au développement de la Polynésie. Imputées sur le budget de la défense, ces charges ont représenté 9 milliards de francs sur la période 1997-2000, soit un montant pratiquement aussi important que celui de l'écart constaté entre les dotations des lois de finances initiales et celles qui avaient été prévues initialement soit par la loi de programmation, soit par la revue des programmes. S'agissant de la convention passée avec la Polynésie française, elle s'appliquera jusqu'en 2006, le montant des besoins en crédits de paiement augmentant avec le temps et s'établissant pour cette année à environ 700 millions de francs.
M. Jacques de Lajugie a ensuite évoqué les principaux facteurs influant sur la préparation de la future loi de programmation militaire 2003-2008.
Il a observé qu'avec la réalisation de la professionnalisation et la stabilisation du format des armées dès la fin de l'année 2002, les raisons d'inclure le titre III dans la future programmation n'étaient plus aussi fortes que pour la programmation actuelle. Il a notamment précisé que, hors le cas particulier de la gendarmerie, le format des armées n'était pas appelé à évoluer sensiblement au cours des prochaines années.
Il a ensuite indiqué que, si la mise en oeuvre de la professionnalisation avait été facilitée par le « vivier » constitué par les appelés et la situation alors peu favorable du marché de l'emploi, il deviendrait désormais nécessaire d'accentuer l'effort pour attirer, conserver et renouveler un effectif suffisant en quantité et en qualité. Enfin, il importera d'éviter que ne se renouvelle l'éviction des crédits de fonctionnement sous l'effet de la pression exercée par les rémunérations et charges sociales. Pour cela, les objectifs quantitatifs et qualitatifs, assortis d'indicateurs physiques et financiers, pourraient être mis en place afin de veiller à la situation des postes les plus sensibles du titre III tels que les carburants, l'activité des forces ou l'alimentation.
Abordant le titre V, M. Jacques de Lajugie a rappelé qu'au regard des objectifs que s'était fixés la France, et des politiques menées par nos principaux partenaires, le modèle d'armée 2015 apparaissait comme calculé au plus juste, sans excès d'ambition ni risques de dépenses inutiles. Citant l'exemple des cibles retenues en matière d'avions de combat, de capacités de transports tactiques ou de capacités aéronavales, il a estimé que ce modèle s'inscrivait dans la norme des puissances comparables à la nôtre.
Il a alors cité les principaux facteurs qui pèseraient sur le niveau de ressources nécessaires lors de la période 2003-2008. Il a rappelé qu'au cours de cette période une vingtaine de programmes majeurs passeront du stade du développement et de l'industrialisation à celui de la fabrication, alors qu'une trentaine d'autres, dont la phase de production aura été amorcée avant la fin 2002, verront leurs cadences de livraison accélérées. Ainsi, l'annuité moyenne du programme Rafale qui s'élevait à 5,5 milliards de francs pour la période 1997-2002 se montera à 9 milliards de francs pour la période 2003-2008.
S'agissant des contraintes pesant sur la construction du titre V au cours de la prochaine loi de programmation, M. Jacques de Lajugie a tout d'abord insisté sur l'importance du « socle » constitué par les programmes de cohérence opérationnelle, les munitions, l'entretien programmé des matériels, l'entretien programmé des personnels et les crédits d'études. Ils représentent à eux seuls 50 milliards de francs sur les 83 milliards de francs du titre V. Moins visibles et moins spectaculaires que les grands programmes d'armement, ils conditionnent l'efficacité opérationnelle de l'ensemble et ne sauraient être pénalisés sans dommages.
La prochaine loi de programmation devra également prendre en compte le poids du passé, c'est-à-dire la réalisation des engagements pris avant la fin de l'année 2002. Ainsi, hors transferts, et en retenant l'hypothèse de la commande de 50 avions de transport A400M en 2001, les paiements inéluctables pourraient représenter 60 à 70 milliards de francs en 2003 et 45 à 50 milliards de francs en 2004.
C'est en tenant compte de ces éléments que sera effectué, par les autorités politiques, le choix des mesures nouvelles pour la période 2003-2008.
A la suite de cet exposé, un débat s'est engagé avec les membres de la commission.
M. Serge Vinçon s'est interrogé sur la préparation de la loi de finances pour 2002, en soulignant que, selon ses informations, les besoins de paiement en matière d'équipement avoisineraient 90 à 92 milliards de francs, ce qui exigerait un relèvement très significatif du niveau du titre V. Il a également considéré qu'une attention accrue devra être portée aux conditions de vie et au pouvoir d'achat des personnels, à l'heure où se développe, dans la communauté militaire, le sentiment que les efforts considérables de restructuration n'ont guère été récompensés par des avantages comparables à ceux qui, par ailleurs, ont été accordés à la société civile. Il a enfin souligné que l'exécution budgétaire du titre V aura été très inférieure au niveau défini par la loi de programmation et que les restrictions imposées en matière d'entretien programmé des matériels s'étaient traduites par une dégradation de la disponibilité opérationnelle de l'ensemble des matériels majeurs, créant un décalage de plus en plus net entre les ambitions affichées et la réalité des capacités opérationnelles de nos armées.
M. André Dulait s'est interrogé sur la situation patrimoniale des armées à la suite des nombreuses libérations d'emprises induites par la restructuration des forces et la réduction du format. Il a demandé des précisions sur la part qui serait réservée aux programmes nucléaires dans la prochaine loi de programmation militaire.
M. Christian de La Malène a considéré que le bilan globalement satisfaisant de l'exécution de l'actuelle loi de programmation militaire dressé par le directeur des affaires financières du ministère de la défense contrastait nettement avec la tonalité pessimiste qui s'exprimait, budget après budget, au sein de la commission, en raison des écarts considérables constatés entre le niveau des crédits prévus par la loi de programmation militaire, celui des lois de finances initiales, et celui des crédits réellement consommés. Soulignant les retards constatés dans la réalisation de programmes majeurs, et la dégradation inquiétante de la disponibilité des matériels, il a déploré l'érosion de l'effort de défense, en craignant de ne pas trouver dans la future loi de programmation la volonté, à ses yeux indispensable, de le renforcer.
M. Charles-Henri de Cossé-Brissac, évoquant les indications fournies par le ministre de l'économie et des finances sur la préparation du projet de loi de finances, a émis la crainte que le ministère de la défense soit une nouvelle fois sacrifié dans la hiérarchie des priorités gouvernementales.
Enfin, M. Xavier de Villepin, président, a demandé des précisions sur la consommation des crédits d'équipement par le ministère de la défense, sur les procédures de planification ou de programmation chez nos partenaires européens, sur le financement des opérations extérieures, sur les incidences de la réforme de l'ordonnance organique relative aux lois de finances et sur l'évolution des crédits de recherche.
En réponse à ces différentes interventions, M. Jacques de Lajugie a apporté les précisions suivantes :
- tels qu'évalués aujourd'hui, les besoins en crédits de paiement au titre V pour 2002 sont très sensiblement inférieurs aux 90 milliards de francs et 92 milliards de francs évoqués par M. le sénateur Serge Vinçon ;
- un effort de rattrapage, qui ne peut être que progressif, a été amorcé, tant en matière de fonctionnement courant que d'entretien programmé des matériels ;
- un effort financier important pourrait être consacré, par la prochaine loi de programmation militaire, à la consolidation de la professionnalisation ;
- la prochaine loi de programmation verra la poursuite du renouvellement de nos forces nucléaires et du programme de simulation selon les calendriers prévus ;
- la réalisation des quatre premières années de la loi de programmation militaire fait apparaître un respect absolu des engagements pris au titre III et, au titre V, un écart entre les ressources attendues et les ressources disponibles, sans pour autant que cet écart provoque de façon sensible des conséquences physiques sur la réalisation de la modernisation des équipements ;
- les crédits effectivement consommés par le ministère de la défense au titre V se sont établis, hors transferts, autour de 69-70 milliards de francs par an de 1998 à 2000 ; ce niveau relativement bas traduit l'effet différé de la baisse brutale du volume des engagements, qui avait été ramené à 60 milliards de francs par an, en 1996, au lieu de 90 milliards de francs par an durant les années antérieures ; la reprise des engagements à partir de 1997 devrait, en revanche, se traduire par une augmentation tendancielle des besoins en crédits de paiement pour les années à venir ;
- les observations effectuées par la Cour des comptes ont démontré qu'au cours des années récentes, la capacité du ministère de la défense à consommer ses crédits d'équipement était plutôt supérieure à celle des ministères civils ;
- les opérations extérieures ne sont aujourd'hui provisionnées qu'à un niveau extrêmement modique, environ 160 millions de francs en loi de finances initiale, alors que le niveau des dépenses constatées s'établit en moyenne au cours des dernières années à 2,5 milliards de francs par an ; toutefois, le provisionnement d'un tel montant en loi de finances initiale, bien que souhaitable, risque de n'être pas compatible avec la contrainte budgétaire ;
- le Royaume-Uni pratique une programmation glissante sur 3 ans dont le ministère de la défense s'est inspiré, dans ses procédures internes, avec la mise en place de la « version actualisée du référentiel » de programmation ; portant sur une période moins longue, actualisée plus souvent, la programmation britannique se caractérise par ailleurs par un lien plus direct avec l'exécution budgétaire ;
- dans la perspective de la réforme de l'ordonnance organique relative aux lois de finances, le ministère de la défense achève, selon deux méthodes entre lesquelles il n'a pas encore été tranché, la mise au point d'une présentation budgétaire par programmes et la définition d'indicateurs d'objectifs et de résultats.