Table des matières
- Mercredi 7 avril 1999
- Nomination de rapporteur
- Mission d'information - Mexique (20 au 28 février 1999) - Compte rendu
- Traités et conventions - Lutte contre la corruption d'agents publics étrangers - Examen du rapport
- Traités et conventions - Convention et protocoles relatifs à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes et de la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l'Union européenne - Union européenne - Examen du rapport
- Droit international - Justice - Cour pénale internationale - Examen du rapport d'information
- Affaires étrangères - Situation au Kosovo - Audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères
- Affaires étrangères - Audition de S. Exc. M. Nicolaï Afanassievski, ambassadeur de la Fédération de Russie en France
Mercredi 7 avril 1999
- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -
Nomination de rapporteur
La commission a d'abord désigné M. Robert Del Picchia comme rapporteur sur le projet de loi n° 293 (1998-1999) relatif aux volontariats civils institués par l'article L.111-2 du code du service national.
Mission d'information - Mexique (20 au 28 février 1999) - Compte rendu
Puis M. Xavier de Villepin, président, a présenté le compte rendu de la mission d'information au Mexique effectuée, du 20 au 28 février 1999, par une délégation de la commission composée de MM. Xavier de Villepin, Jean-Luc Bécart, André Boyer, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Jean Puech, André Rouvière et Serge Vinçon.
Après avoir rappelé que cette mission s'était inscrite dans le prolongement de la visite d'Etat du Président de la République au Mexique du 12 au 14 novembre 1998 et dans la perspective du prochain sommet Union européenne-Amérique latine qui doit se dérouler en juin prochain sous coprésidence brésilienne et mexicaine, M. Xavier de Villepin, président, a présenté le déroulement de la mission de la délégation, qui a été accompagnée tout au long de son déplacement par M. Bruno Delaye, ambassadeur de France au Mexique, et par Mme Sandra Fuentes, ambassadeur du Mexique en France :
- Durant son séjour à Mexico, la délégation a été accueillie avec chaleur par les plus hautes autorités mexicaines : le Président de la République, M. Ernesto Zedillo, le maire de Mexico, M. Cuauthemoc Cardenas, les ministres des affaires étrangères, de l'intérieur, de la défense et de la marine, le procureur général de la République, la présidente du Sénat et de nombreux parlementaires mexicains. La délégation a ensuite effectué deux déplacements en province, l'un à Monterrey, dans le nord du Mexique, où elle a abordé les questions relatives au développement économique du Mexique et à ses relations avec les Etats-Unis, et l'autre dans le Chiapas, afin de tenter de mieux comprendre la situation complexe de cet Etat pauvre du sud mexicain, confronté depuis 1994 à un mouvement insurrectionnel dirigé par le médiatique " sous-commandant Marcos " ; la délégation a notamment rencontré à cette occasion Monseigneur Ruiz, évêque du Chiapas, considéré comme proche des zapatistes.
Après avoir souligné que le Mexique était ainsi apparu à la délégation dans toute sa diversité, sous des facettes profondément différentes, M. Xavier de Villepin, président, a alors résumé les conclusions de la délégation.
Sur le plan économique, d'abord, M. Xavier de Villepin, président, a souligné que le Mexique, pays qui atteindra le cap des 100 millions d'habitants dès l'an 2000 et constitue la 13è puissance commerciale du monde, est très étroitement lié aux Etats-Unis et connaît un développement soutenu mais inégal et rendu fragile par les faiblesses structurelles.
Après avoir relevé le poids élevé de l'économie informelle et les inégalités de développement et de revenus que recouvre la situation économique du Mexique, M. Xavier de Villepin, président, a noté que le Mexique -après avoir remarquablement surmonté la crise de 1994-1995- est parvenu à maintenir un taux de croissance relativement soutenu dans un contexte de crise internationale et, avec 4,5 %, a connu en 1998 la croissance la plus élevée de tous les pays latino-américains. L'étroitesse des liens avec les Etats-Unis -qui représentent à eux seuls 87 % des exportations et 75 % des importations mexicaines- souligne, a-t-il relevé, la dépendance de l'économie mexicaine par rapport à la conjoncture américaine. Enfin, en dépit de ces bons résultats, la crise internationale -a estimé M. Xavier de Villepin,président- a ravivé les faiblesses structurelles de l'économie mexicaine, notamment en matière fiscale et dans le domaine du système financier.
Abordant alors la scène politique intérieure, M. Xavier de Villepin, président, a marqué que le Mexique poursuit, sous l'impulsion du Président Zedillo, le processus de démocratisation et de modernisation des institutions mexicaines, caractérisées depuis 1929 par l'inébranlable domination du PRI (parti révolutionnaire institutionnel). Cette démarche -a-t-il relevé- a été notamment illustrée par les élections du 6 juillet 1997 qui ont mis fin à la majorité du PRI à la chambre des députés et qui ont conduit M. Cuauhtemoc Cardenas, leader du PRD (parti révolutionnaire démocratique), à être élu gouverneur de la mairie de Mexico.
M. Xavier de Villepin, président, a toutefois estimé incertaines les conséquences de ce processus de démocratisation. C'est ainsi que les prochaines élections présidentielles, à l'été 2000, apparaissent extrêmement ouvertes. Si le PRI est sur une pente électorale déclinante, il conserve dans tout le pays, et à tous les niveaux, des positions extrêmement fortes, ainsi que l'ont illustré ses succès récents à des élections partielles. Et si l'opposition s'est renforcée, elle demeure souvent désunie entre le PRD et le PAN (parti d'action nationale).
Enfin, au-delà des échéances électorales, M. Xavier de Villepin, président, a souligné qu'un enjeu majeur de la démocratisation du pays réside dans sa capacité à maîtriser les phénomènes de violence qui l'assaillent : criminalité et délinquance quotidiennes, activités du narcotrafic et mouvements de guérillas.
Evoquant en troisième lieu la situation dans l'Etat du Chiapas, M. Xavier de Villepin, président, a relevé l'apaisement relatif qui prévalait aujourd'hui tout en estimant qu'il ne devait pas dissimuler les tensions persistantes et l'enlisement du dialogue.
Après avoir souligné que l'objectif de la délégation sénatoriale avait été de tenter de mieux comprendre une situation particulièrement complexe et de transmettre le désir de la France d'encourager les efforts de dialogue, M. Xavier de Villepin, président, a relevé que les autorités mexicaines, longtemps accusées d'avoir laissé le Chiapas se marginaliser sur le plan économique, avaient mis en place des programmes économiques et sociaux importants pour tenter de répondre aux besoins de la population chiapanèque.
Sur le terrain, a relevé M. Xavier de Villepin, président, des effectifs militaires substantiels sont déployés dans la région tandis que l'EZLN (armée zapatiste de libération nationale) paraît relativement affaiblie (quelque 500 combattants et quelques dizaines de milliers de sympathisants).
Sur le plan politique, si les zapatistes bénéficient d'un certain appui de l'église catholique, le dialogue demeure aujourd'hui dans l'impasse -malgré la volonté réaffirmée des autorités mexicaines d'en renouer les fils-, y compris au sein de la " COCOPA " (commission parlementaire de conciliation et de pacification).
M. Xavier de Villepin, président, a toutefois rappelé que le massacre d'Acteal en décembre 1997 avait, une nouvelle fois, illustré l'exacerbation des tensions. Il a estimé que l'émergence difficile d'une solution durable supposerait, avec la reprise nécessaire du dialogue, l'apaisement de tensions sociales et institutionnelles qui demeuraient fortes.
M. Xavier de Villepin, président, a enfin abordé les relations bilatérales franco-mexicaines pour souligner que le Mexique était désireux de s'appuyer sur la France pour approfondir ses relations et libéraliser ses échanges avec l'Union européenne.
Il a souligné que la récente visite d'Etat du Président de la République au Mexique avait donné aux relations bilatérales un nouvel essor dont la délégation sénatoriale s'était efforcée de prolonger les effets, de dresser un premier bilan et, chaque fois que possible, d'assurer le suivi des engagements pris.
M. Xavier de Villepin, président, s'est félicité de la volonté des deux pays de bâtir un partenariat franco-mexicain plus solide et plus dense, y compris au niveau des échanges interparlementaires. Il a en revanche regretté la modestie des relations économiques bilatérales, très en deçà des capacités respectives des deux pays. Il a, dans cet esprit, déploré les récentes augmentations de tarifs douaniers décidées par le Mexique, souhaité la ratification rapide de l'accord de protection réciproque des investissements signé le 12 novembre dernier, et rappelé que de nombreuses opportunités demeuraient à saisir sur le marché mexicain où d'importantes privatisations restaient à réaliser.
La France -a estimé M. Xavier de Villepin, président- peut être le partenaire privilégié du Mexique au sein de l'Union européenne, avec laquelle Mexico souhaite approfondir et libéraliser rapidement ses échanges et échapper ainsi partiellement à l'omniprésence américaine. C'est dans cet esprit que doit être soulignée la portée politique du prochain sommet Union européenne-Amérique latine, à l'origine duquel se trouve la France et dont le Mexique attend des résultats concrets.
Le Mexique -a souligné M. Xavier de Villepin, président- ambitionne ainsi de devenir le point d'articulation entre le nord et le sud des Amériques, mais aussi entre l'Amérique latine et l'Europe. C'est pourquoi, a-t-il conclu, il attache -ainsi que le président Zedillo l'a souligné devant la délégation sénatoriale- une particulière importance aux négociations commerciales engagées en novembre dernier avec l'Union européenne.
A l'issue de l'exposé de M. Xavier de Villepin, président, M. Hubert Durand-Chastel a rappelé l'importance du poids du passé pour les Mexicains, héritiers d'une histoire et de cultures exceptionnelles. Il a souligné que si les populations indiennes avaient été longtemps délaissées, elles faisaient désormais l'objet d'un effort important des autorités mexicaines. M. Hubert Durand-Chastel a ensuite estimé que l'étroitesse des relations américano-mexicaines constituait à la fois un atout précieux et un risque pour le Mexique qui souhaite parallèlement un aboutissement rapide des négociations actuellement engagées avec l'Union européenne. M. Hubert Durand-Chastel, après avoir rappelé que le grave phénomène d'insécurité qui sévit au Mexique est malheureusement largement répandu sur le continent américain, a conclu en considérant que la France avait un rôle particulier à jouer pour favoriser le rapprochement entre le Mexique et l'Europe.
M. André Rouvière s'est, pour sa part, déclaré frappé par les excès et les contradictions apparentes qui caractérisent, à ses yeux, le Mexique. Il a notamment cité la situation dans l'Etat du Chiapas, marginalisé économiquement mais non dépourvu de richesses, ainsi que les relations de plus en plus étroites du Mexique avec les Etats-Unis allant de pair avec un désir affirmé d'approfondissement des relations avec l'Europe.
M. André Boyer a souligné le sentiment ambivalent de fascination et de répulsion que les Etats-Unis suscitent au Mexique. Il a par ailleurs souhaité que notre pays réponde mieux, y compris au plan parlementaire, au souhait de nos partenaires mexicains -et, plus généralement, latino-américains- de densifier leurs relations avec la France.
M. Serge Vinçon a enfin évoqué les conséquences potentielles, à ses yeux très importantes, pour l'avenir, d'une éventuelle " dollarisation " des économies latino-américaines.
M. Xavier de Villepin, président, a alors apporté les précisions suivantes :
- il a souligné le poids extrêmement important du passé dans le Mexique d'aujourd'hui ;
- il a confirmé que le Mexique était apparu à la délégation comme un pays de contrastes ;
- il a souligné que le Mexique -par delà l'étroitesse de ses liens avec les Etats-Unis- partageait avec la France le souci d'éviter la constitution d'un monde unipolaire ;
- il a précisé qu'il avait fait part au groupe sénatorial d'amitié compétent du désir de son homologue mexicain d'intensifier les échanges parlementaires entre les deux pays ;
- il a enfin estimé que l'éventuelle " dollarisation " des économies latino-américaines constituerait un événement majeur mais qu'il ne pouvait s'agir que d'un objectif lointain, rien ne garantissant que les Etats-Unis étaient prêts à une telle évolution.
La commission a alors autorisé la publication du rapport d'information qui lui avait été présenté.
Traités et conventions - Lutte contre la corruption d'agents publics étrangers - Examen du rapport
La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport de M. Christian de La Malène sur le projet de loi n° 172 (1998-1999) autorisant la ratification de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, faite à Paris le 17 décembre 1997.
M. Christian de La Malène, rapporteur, a replacé la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales dans le contexte plus large des initiatives prises par de nombreuses organisations internationales pour lutter contre la corruption et promouvoir la " bonne gouvernance ". Il a souligné l'importance pour la France, quatrième exportateur mondial, d'un texte qui entend encadrer la compétition internationale pour la conquête des marchés à l'exportation.
Le rapporteur a rappelé que les Etats-Unis étaient largement à l'origine de l'élaboration, dans le cadre de l'OCDE, de cette convention car leurs industriels souhaitaient une extension à l'ensemble des pays industrialisés des règles anti-corruption posées par la loi américaine de 1977, le " Foreign Corrupt Practices Act ", bien que cette loi n'ait donné lieu qu'à un très faible nombre de poursuites.
Adoptée le 17 décembre 1997, cette convention, a-t-il indiqué, a pour objet principal d'obliger les pays signataires à introduire dans leur droit pénal l'incrimination de la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales et elle établit, à cet effet, une définition de la corruption d'agents publics étrangers qui sera commune à tous ces pays, tout en posant le principe de sanctions pénales efficaces, proportionnées et dissuasives et d'un régime de responsabilité des personnes morales. Il a ajouté que la convention comportait plusieurs clauses relatives à la procédure pénale et à l'entraide judiciaire, ainsi qu'un mécanisme de surveillance et de suivi fondé sur un examen mutuel par les pays signataires des mesures nationales de mise en oeuvre de la convention.
M. Christian de La Malène, rapporteur, a précisé que la convention avait été signée par 34 Etats, dont les 29 pays de l'OCDE, puis ratifiée par 12 d'entre eux, dont les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne, le Royaume-Uni et le Canada.
Le rapporteur a ensuite évoqué les mesures d'application de la convention envisagées par la France, dans le cadre d'un projet de loi modifiant le code pénal et le code de procédure pénale, déposé au Sénat, qui prévoit notamment des sanctions pénales sévères. Le projet de loi, a-t-il souligné, prévoit que les poursuites ne pourront être exercées qu'à la requête du ministère public et que la nouvelle législation ne s'appliquera qu'aux contrats conclus après son entrée en vigueur et ne couvrira donc pas l'exécution des engagements pris dans le cadre de contrats antérieurs à la promulgation de cette loi.
M. Christian de La Malène, rapporteur, a insisté sur l'arrière plan constitué par la compétition commerciale internationale en soulignant que les performances françaises à l'exportation ne laissaient pas insensibles les Etats-Unis. Il a ensuite relevé plusieurs difficultés soulevées par l'application de cette convention :
- son caractère partiel, puisqu'elle ne réunit que 34 pays et se limite à la corruption active, pratiquée par le vendeur, sans aborder la corruption passive, c'est-à-dire celle touchant l'acquéreur, le plus souvent à l'origine de la corruption ;
- le risque d'apparition d'une " zone grise " dans laquelle pourraient subsister des formes moins visibles, plus complexes et plus sophistiquées de corruption ;
- enfin, un risque de distorsion dans l'application de la convention par les différents pays, notamment quant au régime des sanctions et aux procédures de mise en oeuvre des poursuites pénales.
Sur ce dernier point, il a rappelé qu'aux Etats-Unis, le monopole des poursuites en matière de corruption appartenait à l'Attorney General, alors qu'en France, par exemple, les 181 procureurs seraient juges de l'opportunité des poursuites.
M. Christian de La Malène a émis la crainte que cette application différenciée selon les pays ne rompe l'égalité de traitement entre les entreprises exportatrices, l'effet dissuasif des sanctions pénales n'étaient pas identique dans chaque pays signataire.
En conclusion, le rapporteur a proposé à la commission de donner un avis favorable à l'adoption du projet de loi, compte tenu des objectifs de cette convention et de sa ratification par nos principaux partenaires, mais a toutefois suggéré à la commission d'assortir cette approbation de quatre observations :
- la nécessité d'oeuvrer pour l'extension à un plus grand nombre de pays, par exemple à tous ceux de l'Organisation mondiale du commerce, des règles mises en oeuvre au sein de l'OCDE ;
- la nécessité de veiller à une stricte transposition de la convention dans le droit français, par un régime de sanctions pénales et de mise en oeuvre des poursuites comparable à celui de nos partenaires, ce qui suppose en particulier de réserver l'engagement des poursuites au ministère public ;
- le souhait que le dépôt effectif des instruments de ratification de la convention par la France n'intervienne qu'après l'adoption de la loi interne, afin que les deux textes entrent en vigueur à la même date ;
- enfin, l'exigence d'une vigilance toute particulière du Gouvernement français dans la procédure de suivi, afin que ses représentants au sein du groupe de travail contre la corruption de l'OCDE veillent à une application uniforme du texte dans l'ensemble des pays signataires.
A l'issue de l'exposé du rapporteur, la commission a procédé à un large débat.
M. Michel Caldaguès a déclaré partager les préoccupations et les craintes du rapporteur. Il a évoqué l'influence des Etats-Unis dans l'élaboration de cette convention en soulignant que leur statut d'hyperpuissance leur permettrait d'user de leur influence politique pour conquérir des marchés, leurs entreprises se trouvant, de ce fait, dans une situation différente de celles des puissances moyennes. Il a émis la crainte que cette convention n'encourage des pratiques malsaines de délation. M. Michel Caldaguès a évoqué le rôle de l'organisation non gouvernementale " Transparency International ". Il a insisté sur la vigilance nécessaire vis-à-vis de la transposition de la convention en droit interne et s'est demandé s'il ne conviendrait pas d'attendre l'aboutissement du processus législatif interne avant de ratifier la convention.
M. Guy Penne a demandé plusieurs précisions sur le rôle du groupe de travail de l'OCDE sur la lutte contre la corruption, sur les risques de pratiques diverses en matière d'engagement des poursuites, et sur l'incidence de la convention sur les pratiques en vigueur dans les pays qui ne l'ont pas signée.
M. Jean-Guy Branger a constaté que cette convention ne donnerait pas lieu à une application uniforme dans les pays qui l'ont signée et il a craint que notre pays, compte tenu de son système juridique, ne soit handicapé dans la compétition commerciale internationale au détriment d'autres concurrents. Il a déploré que de telles difficultés n'aient pas été suffisamment perçues par les gouvernements qui ont participé à l'élaboration et la signature de la convention. Il a déclaré que, dans ces conditions, il n'était pas favorable à l'adoption du présent projet de loi.
M. Xavier de Villepin, président, a souligné l'importance particulière de la convention pour l'industrie de défense française, en insistant sur le contexte de " guerre économique " sur les marchés à l'exportation dans lequel il convenait de la replacer. Il a évoqué les inquiétudes des entreprises françaises, qui doutent qu'une telle convention fasse disparaître la corruption dans les pays qui l'ont jusqu'ici largement pratiquée pour l'accès à leur marché, et qui craignent que certains de leurs concurrents ne contournent la convention ou soient en pratique moins exposés à des poursuites pénales. Après avoir demandé au rapporteur des précisions sur la réaction des industries de défense françaises et du ministère de la défense face à l'entrée en vigueur de la convention, il l'a appuyé dans ses conclusions, estimant indispensable de faire valoir les réserves et les observations que cette convention appelait. Il a également insisté sur la nécessité de renforcer la coordination de l'action des différents ministères au service de la promotion des exportations françaises, à l'image de ce que pratiquent plusieurs de nos partenaires.
M. Guy Penne a alors souhaité que le Gouvernement favorise également une plus grande implication des parlementaires dans le domaine de l'exportation.
M. Robert del Picchia a soulevé la question de l'application de la convention aux filiales étrangères des sociétés dans des pays non signataires.
M. Emmanuel Hamel a dénoncé l'hypocrisie caractérisant, à ses yeux, un instrument international qui ne fera pas disparaître les pratiques de corruption mais favorisera les pays dont le système judiciaire ou les pratiques économiques permettront de contourner la convention. Il s'est déclaré hostile à l'adoption du projet de loi.
En réponse aux différents intervenants, M. Christian de La Malène, rapporteur, a apporté les précisions suivantes :
- le groupe de travail de l'OCDE sur la lutte contre la corruption est une structure permanente au sein de laquelle a été préparée l'élaboration de la convention ; ce groupe est composé de représentants des gouvernements des Etats membres et il aura pour mission de veiller à l'application équivalente de la convention par les pays signataires ; ce groupe aurait également -semble-t-il- mis à l'étude l'élaboration d'une deuxième convention, appelée à étendre et renforcer le dispositif de la première ;
- bien que signée par 34 pays seulement, cette convention s'appliquera aux relations commerciales entre ces 34 pays et l'ensemble des pays du monde, y compris ceux qui ne l'ont pas signée ;
- l'application de la convention aux filiales étrangères de groupes industriels des pays signataires demeure un motif d'incertitude et pourrait donner lieu à des jurisprudences diverses selon les pays signataires ;
- l'entrée en vigueur prochaine de la convention devrait conduire à adapter l'organisation commerciale à l'étranger des sociétés exportatrices d'armement ; elle accélérera le retrait de l'Etat, cohérent avec les privatisations en cours, dans les activités de promotion commerciale à l'étranger, au sein notamment des " offices d'armement " ;
- le dépôt des instruments de ratification une fois la loi d'application interne adoptée permettrait de veiller au respect de la cohérence des deux textes tout en retenant une date d'entrée en vigueur unique pour les deux dispositifs.
A l'issue de ce débat, la commission a approuvé les conclusions et les observations du rapporteur puis a approuvé le projet de loi qui lui était soumis.
Traités et conventions - Convention et protocoles relatifs à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes et de la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l'Union européenne - Examen du rapport
La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport de M. Christian de La Malène sur les projets de loi n°s 173, 174, 175, 176 et 177 (1998-1999) autorisant la ratification de la convention et des protocoles relatifs à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes et de la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l'Union européenne.
Après avoir indiqué que les cinq textes soumis à la commission s'inscrivaient dans le cadre de la lutte contre la fraude affectant les intérêts financiers des Communautés européennes, M. Christian de La Malène, rapporteur, a précisé qu'ils visaient à permettre, dans les quinze pays membres, l'adoption d'une même définition des comportements frauduleux au préjudice des Communautés européennes, l'incrimination pénale de ces comportements et l'édiction de sanctions pénales d'une même sévérité.
Le rapporteur a fourni des précisions sur la nature et l'étendue des fraudes au budget communautaire, tant en matière de recettes que de dépenses. Il a souligné le caractère largement transnational de ces fraudes et le rôle des filières criminelles internationales organisées. Il a rappelé que la lutte contre la fraude impliquait les différentes institutions communautaires mais aussi, au premier chef, les Etats membres qui, par leurs administrations fiscales et douanières, étaient le plus à même de déceler les fraudes, alors que l'engagement des poursuites relevait des institutions judiciaires nationales.
Le rapporteur a ensuite présenté les deux conventions et les trois protocoles élaborés au sein de l'Union européenne entre 1995 et 1997, qui répondent à un objectif commun : réaliser une certaine harmonisation des droits pénaux des Etats membres et garantir une coordination des procédures pénales, de manière à renforcer l'efficacité des enquêtes, des poursuites et de la répression des fraudes au budget communautaire et de la corruption.
Il a détaillé l'édifice juridique qui résulterait de la juxtaposition de ces cinq textes, caractérisés par :
- l'introduction dans le droit pénal des quinze Etats membres de l'incrimination de la fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes, de la corruption passive ou active d'un fonctionnaire national ou d'un fonctionnaire communautaire et du blanchiment de capitaux des produits de la fraude et de la corruption ;
- le principe de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, de la responsabilité pénale du chef d'entreprise, de sanctions pénales ou non pénales à l'encontre des personnes morales ;
- les principes de coopération et d'entraide judiciaire ;
- et une compétence à titre préjudiciel de la Cour de justice des Communautés européennes pour l'interprétation des conventions et des protocoles.
M. Christian de La Malène, rapporteur, a précisé que la mise en oeuvre par la France de ces textes impliquait une modification du code pénal et du code de procédure pénale, prévue par le projet de loi relatif à la lutte contre la corruption déposé au Sénat.
Soulignant que la voie de la coopération intergouvernementale devait s'avérer la plus capable de réaliser, à court et moyen termes, les avancées les plus significatives dans le combat contre la fraude, il a conclu en proposant à la commission de donner un avis favorable à l'adoption des cinq projets de loi.
A l'issue de cet exposé, MM. Emmanuel Hamel, Xavier de Villepin, président, et Christian de La Malène, rapporteur, ont évoqué le rôle de la Cour des comptes européenne et les difficultés parfois constatées dans ses relations avec les cours des comptes nationales.
La commission a alors approuvé les cinq projets de loi qui lui étaient soumis.
Droit international - Justice - Cour pénale internationale - Examen du rapport d'information
M. Xavier de Villepin, président, a enfin présenté, au nom de M. André Dulait empêché, le rapport d'information rédigé par ce dernier sur la Cour pénale internationale à la suite des auditions de la commission sur le thème : " diplomatie, défense et justice pénale internationale ".
M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que le Sénat serait prochainement saisi, après l'Assemblée nationale, de la révision constitutionnelle préalable à la ratification, qui sera ultérieurement soumise au Parlement, du statut créant la Cour pénale internationale. C'était, a rappelé M. Xavier de Villepin, président, pour éclairer ces débats à venir, que la commission avait décidé d'élaborer un rapport d'information.
M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que c'est le 18 juillet 1998 que la convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale a été adoptée par 120 Etats, 7 ayant voté contre et 21 s'étant abstenus. M. Xavier de Villepin, président, a précisé que ce texte était aujourd'hui signé par 79 Etats, ratifié par un seul -le Sénégal- et a indiqué que 60 ratifications seraient nécessaires pour permettre son entrée en vigueur.
La Cour pénale internationale -a-t-il rappelé- aura à juger les auteurs de crimes qui par leur gravité, constituent une menace à la paix : les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et les crimes d'agression, ces derniers devant cependant faire l'objet ultérieurement d'une définition plus précise.
La Cour, a poursuivi M. Xavier de Villepin, président, ne pourra juger que les auteurs de crimes commis après son entrée en vigueur, laquelle ne devrait pas intervenir avant plusieurs années. Elle ne pourra juger l'auteur d'un crime que si l'Etat où s'est déroulé le crime est partie à son statut, ou si l'Etat, dont le criminel est ressortissant, est partie à son statut.
Cette règle de compétence a été, a précisé M. Xavier de Villepin, président, à l'origine du refus du statut par les Etats-Unis. En effet, cette disposition permettrait par exemple à la Cour d'ouvrir une enquête sur un crime de guerre commis par un soldat américain sur le territoire d'un Etat partie, alors même que, pour les Etats-Unis, l'hypothèse de voir un de leurs citoyens jugé par un tribunal autre qu'américain est traditionnellement inacceptable.
La Cour n'interviendra -a souligné M. Xavier de Villepin, président- que de façon complémentaire aux juridictions nationales. En d'autres termes, les auteurs d'un crime relevant de la compétence de la Cour pourront et devront être d'abord attraits devant les tribunaux du pays dont ils sont ressortissants. Ce n'est que si un Etat ne voulait ou ne pouvait pas procéder au jugement d'un criminel que la Cour pénale internationale interviendrait.
M. Xavier de Villepin, président, a ensuite abordé la partie du rapport de M. André Dulait concernant les liens entre la paix et le principe d'une justice pénale internationale.
Les crimes qui relèveront de la compétence de la Cour sont -a-t-il relevé- le plus souvent commis dans des situations de conflits, internationaux ou non. Ils peuvent également être perpétrés dans le cadre de régimes autoritaires exerçant à l'égard de leurs opposants une répression massive, violente et systématique.
M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que les deux tribunaux pénaux actuellement en exercice étaient associés à un règlement de paix international (Dayton pour l'ex-Yougoslavie) ou national (Rwanda). Ils ont cependant été créés par une résolution du Conseil de sécurité, c'est-à-dire dans un contexte de rétablissement de la paix après une appréciation politique conduite par le Conseil. C'est d'ailleurs là, a relevé M. Xavier de Villepin, président, une de leurs limites principales : on a ainsi pu dire qu'ils symbolisaient une justice sélective dans la mesure où ce qui a été décidé pour le Rwanda ou l'ex-Yougoslavie ne l'a pas été pour d'autres conflits où des crimes comparables avaient été commis. Tel ne serait pas le risque encouru par la CPI, dans la mesure où sa compétence serait plus large et qu'elle aurait surtout un caractère permanent.
La justice pénale internationale, s'est ensuite interrogé M. Xavier de Villepin, président, aiderait-elle ou pourrait-elle au contraire fragiliser la paix, surtout dans les situations internes ? Ainsi était posée la question des démarches de réconciliations nationales conduites par certains pays, comme le Salvador ou l'Afrique du Sud. Pour préserver ces démarches de réconciliation, le statut n'oblige pas le Procureur à ouvrir une enquête dès qu'il serait saisi d'une plainte. Une disposition lui donne la possibilité, dans certains cas, de renoncer à enquêter s'il estime qu'une telle action irait à l'encontre des intérêts de la justice, compte tenu des circonstances.
Le statut de la CPI est par ailleurs, a estimé M. Xavier de Villepin, président, parvenu à établir un équilibre subtil avec les prérogatives du Conseil de sécurité des Nations unies, en charge, prioritairement, de la paix et de la sécurité internationales. Si une action judiciaire de la CPI risque ainsi de compromettre le fragile équilibre de la paix ou la reconstruction d'un Etat, le Conseil pourra demander à la Cour de suspendre son action pendant une durée de douze mois renouvelable.
Au demeurant, a rappelé M. Xavier de Villepin, président, si c'est le Conseil de sécurité qui saisit la Cour, celle-ci aura une compétence accrue, par rapport aux deux autres modes de saisine, par un Etat partie ou par le Procureur lui-même. Elle pourra ainsi intervenir même si l'Etat en cause n'est pas partie au texte, en vertu du chapitre VII de la Charte. M. Xavier de Villepin, président, a précisé que M. André Dulait se félicitait de cet équilibre, rappelant qu'au début des négociations, plusieurs délégations demandaient une totale indépendance entre la CPI et le Conseil de sécurité.
M. Xavier de Villepin, président, a ensuite abordé l'incidence de la Cour pénale internationale sur la souveraineté des Etats. La règle de compétence de la Cour lui permettra ainsi, a-t-il précisé, d'ouvrir une enquête sur une personne ressortissante d'un Etat non partie. La Cour pourra également se saisir d'une affaire alors même que le crime commis aurait fait l'objet d'une amnistie dans le pays de son auteur ou que ce pays aurait prescrit le crime commis par cette personne. C'était là -a rappelé M. Xavier de Villepin, président- l'un des points relevés par le Conseil constitutionnel et qui faisait l'objet du projet de révision constitutionnelle.
Enfin, à travers le Conseil de sécurité, la Cour pourra être saisie, quelle que soit la nationalité de l'auteur du crime ou l'Etat sur lequel il aura été commis. Certains Etats -comme l'Inde- avaient contesté cette disposition comme une atteinte à leur souveraineté, qui a entraîné leur refus final d'adhérer à la Cour pénale internationale.
Enfin, les Etats parties auront l'obligation de coopérer avec la Cour dans l'exercice de sa mission. Pas plus que les tribunaux spéciaux, la Cour pénale internationale ne disposera en effet en propre de l'appareil judiciaire ou policier nécessaire à la conduite d'une enquête, à l'audition de témoins, au rassemblement de preuves ou encore à l'arrestation de personnes soupçonnées de crimes. Sans le concours des Etats, la Cour pénale internationale serait paralysée et impuissante.
M. Xavier de Villepin, président, a ensuite évoqué les rapports entre la CPI et certaines questions de défense. La commission des affaires étrangères et de la défense s'était en effet interrogée sur les incidences possibles de la CPI sur nos forces, engagées à l'extérieur dans des opérations de maintien de la paix.
M. Xavier de Villepin, président, a rappelé qu'au cours de la négociation certaines délégations avaient initialement souhaité inscrire la notion de responsabilité pénale pour " omission ", " non assistance à personne en danger ", voire " négligence " dans le statut, alors même que les forces de l'ONU étaient souvent contraintes, de par leur mandat même, à ne pas intervenir militairement, sauf en cas de légitime défense. Le statut final ne prévoyait de responsabilité pénale que si l'intention de commettre le crime est avérée.
M. Xavier de Villepin a alors abordé la question de la clause de limitation temporaire de la compétence de la Cour en ce qui concerne les crimes de guerre. Cette clause, dont la France a déjà indiqué qu'elle y aurait recours, prévoit que, par déclaration spéciale, des Etats pourront, pendant une durée de sept ans, ne pas accepter la compétence de la Cour pour les crimes de guerre les concernant.
Les ONG, a précisé M. Xavier de Villepin, président, critiquent ce dispositif proposé par la France. Elles estiment que des garanties suffisantes figurent dans le statut pour éviter des plaintes abusives. Si le Gouvernementfrançais reconnaît l'existence de ces garanties, il est néanmoins soucieux de bénéficier d'un délai permettant d'apprécier leur bon fonctionnement. De fait, a estimé M. Xavier de Villepin, président, les dommages politiques et même militaires qui pourraient résulter, pour une mission de maintien de la paix, de plaintes fantaisistes et sans fondement, teintées d'arrière pensées politiques, et relayées pendant des semaines par les médias, pourraient être considérables, voire irréparables.
Le statut de cette Cour pénale internationale, a conclu M. Xavier de Villepin, président, repose sur un équilibre entre la nécessaire efficacité d'une justice pénale internationale et le respect, tout aussi nécessaire, de la souveraineté des Etats qui fonde la société internationale. La Cour pénale internationale pourra avoir un effet dissuasif. Si, malgré tout, des crimes aussi graves que ceux qui relèvent de la compétence de la Cour étaient commis, chacun saura, du criminel à la victime, que l'impunité ne sera plus aussi facile qu'auparavant.
Beaucoup -a précisé M. Xavier de Villepin, président- reste cependant encore à négocier pour que la Cour fonctionne dans de bonnes conditions. Au surplus, l'absence ou l'hostilité de certains Etats importants constituent un risque pour la crédibilité de la Cour pénale internationale. La CPI devra bénéficier de cette crédibilité sans laquelle son objectif dissuasif à l'égard des auteurs de crimesparticulièrement graves ne pourrait être atteint.
Un débat s'est ensuite instauré entre les commissaires.
M. Robert del Picchia s'est déclaré peu convaincu par le projet de Cour pénale internationale. Il a relevé que de nombreux Etats, parmi les plus peuplés -la Chine, l'Inde, les Etats-Unis- s'étaient opposés au statut, ce qui augurait mal de la viabilité de la Cour. Il a rappelé que les crimes relevant de la compétence de la Cour pouvaient faire l'objet de définitions différentes selon les pays. Il s'est enfin inquiété de la nouvelle modification constitutionnelle nécessitée par certaines dispositions du statut de la Cour pénale internationale.
M. Christian de La Malène s'est dit également plus que réservé sur le projet de Cour pénale internationale. Il s'est notamment interrogé sur la réalité de l'équilibre entre les prérogatives du Conseil de sécurité de l'ONU, d'un côté, et celles de la Cour pénale internationale de l'autre. Il s'est déclaré, sur ce point, en accord avec la position des Etats-Unis.
M. Xavier de Villepin, président, a alors rappelé que le rapport d'information présenté par M. André Dulait, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, avait pour objet d'éclairer le débat qui s'ouvrirait au Sénat, d'abord à l'occasion de la révision constitutionnelle, puis lors de l'examen du projet de loi de ratification.
M. Emmanuel Hamel s'est inquiété des risques de mise en cause pénale que pourraient encourir des responsables militaires français en opérations extérieures.
Enfin, M. Serge Vinçon a fait part de ses réserves sur le projet et a estimé qu'il ne fallait pas, à ce stade, anticiper sur le vote autorisant la ratification de la convention de Rome.
Puis la commission a autorisé la publication du rapport d'information de M. André Dulait.
Jeudi 8 avril 1999# - Présidence de M. Xavier de Villepin, président -
Affaires étrangères - Situation au Kosovo - Audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères
La commission a procédé à l'audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la situation au Kosovo.
M. Hubert Védrine a tout d'abord indiqué que les opérations militaires de l'OTAN au Kosovo se poursuivaient avec un même objectif : porter un coup décisif à la capacité militaire et répressive serbe. Tout en reconnaissant que les opérations militaires s'avéraient plus longues que prévu en raison des conditions météorologiques, mais aussi du souci d'éviter des victimes civiles, il a considéré que les frappes aériennes montraient désormais pleinement leur efficacité en entamant de manière significative les capacités de l'armée et des forces spéciales serbes à se coordonner et à se regrouper.
Le ministre des affaires étrangères a ensuite fait le point sur la situation humanitaire qui avait nécessité une mobilisation considérable en très peu de jours.
Il a estimé que la situation des réfugiés se présentait de manière très différente dans les trois pays qui les avaient accueillis. Si la société albanaise faisait preuve d'une grande disponibilité pour recevoir un nombre important de réfugiés kosovars, il n'en allait pas de même en Macédoine compte tenu du fragile équilibre qui caractérisait ce pays. Face au risque de déstabilisation d'une société où coexistent plusieurs communautés, les autorités macédoniennes souhaitaient que les réfugiés soient dirigés vers d'autres pays d'accueil et, en premier lieu, l'Albanie.
M. Hubert Védrine a précisé que l'idée de disperser les réfugiés dans les divers pays de l'Alliance ne recueillait l'assentiment ni des organisations humanitaires, ni des réfugiés eux-mêmes. Aussi l'aide humanitaire devra-t-elle permettre, dans un premier temps, le transfert en Albanie des réfugiés présents en Macédoine, puis se prolonger par un soutien plus important et plus durable à l'Albanie, qui devra accueillir l'essentiel des réfugiés.
Le ministre a indiqué que les possibilités d'aide aux réfugiés se trouvant au Monténégro étaient beaucoup plus réduites, les pays de l'Alliance ne disposant, par définition, d'aucune capacité dans ce pays alors que des incertitudes demeuraient sur la possibilité, pour les organisations non gouvernementales, d'y étendre leur action. Il a ajouté que, pour l'heure, les pays de l'Alliance cherchaient à aider le président monténégrin à faire face aux fortes pressions qu'il subit de la part des autorités de Belgrade. Le ministre a en outre indiqué que l'aide aux réfugiés kosovars constituerait l'une des principales questions à l'ordre du jour du Conseil européen du 14 avril.
Enfin, M. Hubert Védrine a évoqué l'évolution de la situation sur le plan politique et diplomatique.
Il a précisé qu'il procédait, avec les ministres des affaires étrangères américain, britannique, allemand et italien, à une évaluation quotidienne de la situation en vue de coordonner les réactions des cinq principaux pays de l'Alliance. Il a ainsi rappelé la réaction concertée à l'annonce de cessez-le-feu par les autorités serbes, qui visait à demander au président Milosevic des garanties sur la réalité de ce cessez-le-feu, sur le retrait de ses troupes du Kosovo, sur le droit au retour des réfugiés, sur la mise en place du cadre politique prévu par les accords de Rambouillet et sur le déploiement d'une force de sécurité internationale.
Évoquant les actions diplomatiques en cours, M. Hubert Védrine a déclaré que les priorités du Gouvernement consistaient à maintenir la cohésion du groupe des pays occidentaux, tout en cherchant à renouer le dialogue avec les autorités russes. Il a estimé que la recherche d'un règlement politique se fondait sur le cadre élaboré à l'issue des discussions de Rambouillet, afin de déterminer les éléments qui demeuraient valables et ceux qui devaient être revus. Il a indiqué que le Gouvernement français maintenait sa position en faveur d'une autonomie substantielle du Kosovo au sein de l'ensemble yougoslave, mais il a reconnu que les événements intervenus au cours des dernières semaines ne pouvaient pas rester sans incidence sur la nature des liens qui relieraient le Kosovo à l'autorité fédérale. Il a également observé que les dispositions relatives à la force de sécurité internationale devraient être reformulées et qu'un volet relatif au retour des réfugiés serait indispensable.
Le ministre des affaires étrangères a souligné qu'aux yeux du Gouvernement français, il était indispensable que le Conseil de sécurité des Nations unies ait la responsabilité de l'approbation de la mise en oeuvre d'une solution politique. Il a souligné l'importance, dans cette perspective, d'une reprise des discussions avec les autorités russes tout en reconnaissant que le point le plus délicat serait celui de la nature d'une future force de sécurité internationale.
Le ministre a ensuite répondu aux questions des commissaires.
M. André Boyer s'est interrogé sur le rôle joué par l'UCK contre les forces serbes et sur les liens qui unissaient l'UCK à l'OTAN.
M. Alain Peyrefitte s'est étonné que les stratèges de l'OTAN n'aient pas prévu que les frappes aériennes pourraient déchaîner une offensive de purification ethnique contre les Kosovars albanophones. Pourquoi donc rien n'avait-il été prévu sur le plan humanitaire ? Il a regretté qu'une certaine forme de suivisme de la France à l'égard de l'OTAN et des Etats-Unis n'ait pas permis l'affirmation d'une originalité diplomatique française, notamment à l'égard de la Russie, ou vis-à-vis de la demande de trêve formulée par le Pape. M. Alain Peyrefitte s'est étonné des communiqués triomphalistes de l'OTAN au regard des résultats obtenus. Pouvait-on enfin, s'est interrogé le sénateur, imaginer encore une coexistence possible entre Albanais et Serbes du Kosovo ?
M. Bertrand Delanoë a souhaité que le prochain sommet européen, qui sera consacré à la situation des réfugiés, soit également l'occasion d'exprimer une initiative politique de l'Europe. Il s'est enquis des forces sur lesquelles la Russie pourrait s'appuyer pour jouer un rôle dans la crise présente. Il s'est enfin demandé si le retour de l'ONU dans la gestion diplomatique de la crise ne pourrait pas être l'occasion, en impliquant d'autres Etats que ceux engagés dans l'opération militaire, d'élargir l'assise d'une solution politique future.
M. Emmanuel Hamel a estimé que la Russie n'était pas totalement absente sur la scène diplomatique, comme l'avait démontrée la récente mission de M. Primakov. Il s'est étonné que l'on se refuse à parler de génocide pour qualifier les actes commis par les Serbes au Kosovo. Il s'est interrogé sur les risques encourus par le Président du Monténégro face à M. Milosevic. Il s'est enfin enquis de la capacité de résistance du régime du président Milosevic aux bombardements de l'OTAN.
M. Michel Caldaguès s'est inquiété de la hiérarchie des rapports entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire au sein de l'OTAN, en particulier de ceux établis entre le secrétaire général de l'Alliance et le commandant militaire suprême de l'OTAN en Europe. La nature de ces rapports était, à ses yeux, plus essentielle encore dans la perspective d'une éventuelle intervention terrestre.
M. Claude Estier a souhaité obtenir des précisions sur le sens à donner aux informations, en provenance du Kosovo, faisant état d'un retour des réfugiés de zones frontalières vers l'intérieur de la province ou de l'accompagnement, par des forces serbes, de journalistes à Pristina.
Mme Danielle Bidard-Reydet a estimé, comme le ministre, que le fait d'éloigner les réfugiés de leur province pour les disséminer dans différents pays du monde, ne constituait pas la meilleure solution. Mme Danielle Bidard-Reydet s'est inquiétée par ailleurs de l'avenir réservé à une Serbie que les bombardements de l'OTAN auraient détruite. Quelle serait, par ailleurs, a demandé Mme Danielle Bidard-Reydet, la nature d'une prochaine force d'interposition ? Ne conviendrait-il pas que la Russie soit fortement impliquée dans une telle force ?
M. Christian de La Malène a reconnu, avec le ministre, la difficulté pour les responsables occidentaux de gérer, sur le plan de la communication, une coalition aussi vaste que celle qui était impliquée dans l'opération militaire actuelle. Elle aboutissait à des surenchères verbales conduisant à disqualifier des interlocuteurs potentiels. Il a souhaité savoir si les buts de guerre des Etats-Unis étaient identiques à ceux de la France et des Européens.
M. Aymeri de Montesquiou s'est étonné de l'obstination manifestée par M. Milosevic, alors que l'issue à laquelle elle avait abouti était largement prévisible et risquait de conduire à la destruction de la Serbie. Il a relevé le contraste entre l'importance des dépenses militaires consenties par les Européens et la nécessité pour eux de bénéficier, malgré tout, de l'appui américain dans une opération armée.
M. Jean-Luc Mélenchon s'est interrogé sur le rôle qui pourrait revenir à l'UCK dans la suite des événements. Quelle serait également la place qui serait faite aux Kosovars albanophones modérés conduits par M. Rugova ? L'accord conclu par ce dernier avec les autorités serbes revêtait-il une certaine valeur ou devait-il être considéré comme nul et non avenu ? Si les Etats-Unis étaient réticents à replacer l'ONU au centre du dispositif diplomatique, quel serait le cadre alternatif pour une solution politique ? Enfin, M. Jean-Luc Mélenchon constatant les qualificatifs sévères dont M. Milosevic faisait l'objet depuis quelques jours, s'est interrogé sur la possibilité, dans ces conditions, de continuer de le considérer comme un interlocuteur crédible pour des négociations futures.
M. Xavier de Villepin, président, a enfin interrogé le ministre sur l'hypothèse d'une partition du Kosovo.
Le ministre a alors apporté aux sénateurs les précisions suivantes.
Le recours à la force n'avait été décidé qu'en dernière instance par tous les gouvernements concernés. Il était le résultat de l'obstination et de la politique répressive de M. Milosevic, et la conséquence de ses multiples refus et de sa politique de terreur vis-à-vis des populations civiles kosovares albanophones.
L'ordre international tel que la France le concevait impliquait pour notre pays un effort diplomatique intense. Pour autant, il n'y avait eu aucun suivisme des Etats-Unis par la France ou les Européens dans la crise actuelle. La décision de déclencher les opérations militaires n'avait pas été prise sous une quelconque pression des Etats-Unis. Ceux-ci s'étaient, au contraire, largement impliqués dans les efforts diplomatiques qui avaient précédé. La question de la crédibilité de l'OTAN constituait sans doute un enjeu particulier pour les Etats-Unis.
L'UCK était une formation regroupant divers courants qui avaient commencé à s'ordonner lors des négociations de Rambouillet. Elle ne constituait pas l'interlocuteur unique de la communauté internationale. Il fallait se souvenir que M. Rugova a toujours été animé par un idéal de paix. Toutefois, il existait une incertitude sur les conditions dans lesquelles M. Rugova avait été amené à faire une déclaration conjointe avec les autorités de Belgrade.
La population civile albanophone du Kosovo avait subi des exactions avant le déclenchement de l'action militaire. M. Milosevic avait sans doute prémédité les décisions qui entraînent aujourd'hui une situation humanitaire tragique. La communauté internationale a su se mobiliser. Au demeurant, après trois jours de confusion, les organisations humanitaires étaient en état d'agir efficacement.
La relation entre la France et la Russie restait très forte. La coordination avec les responsables russes avait été particulièrement dense, notamment lors des négociations de Rambouillet. Le Président de la République avait d'ailleurs encouragé la mission de bons offices effectuée par M. Primakov auprès de M. Milosevic.
Les inconvénients entraînés par les frappes aériennes devaient être mis au regard de ceux qu'aurait provoqués l'inaction.
Le Conseil européen qui se tiendra la semaine prochaine sera également l'occasion de souligner l'engagement européen et la nécessaire implication de l'ONU dans tout règlement futur.
La tentation existait chez M. Milosevic de déstabiliser le régime du Président du Monténégro. La France avait exprimé publiquement son entier soutien à ce dernier.
Les démarches récentes du Président Milosevic ne témoignaient pas d'un véritable revirement.
La chaîne de décisions qui avaient précédé le lancement de l'opération militaire avait fonctionné dans de bonnes conditions. C'est sur la base de la volonté politique exprimée dans le cadre du Conseil atlantique que le Secrétaire général de l'OTAN avait donné les instructions au commandement militaire. On ne pouvait pas, à cet égard, parler d'un quelconque dessaisissement de la décision politique au profit des militaires.
Le refus exprimé par la France de contribuer à la dispersion des réfugiés dans différents pays n'empêchait pas un accueil au cas par cas sur la base d'une volonté clairement exprimée par les intéressés.
La communauté internationale n'était pas en conflit avec la Serbie mais avec un régime qui était devenu insupportable aux yeux mêmes de ses soutiens traditionnels. La politique conduite par M. Milosevic depuis des années avait eu un résultat catastrophique pour le peuple serbe. Il s'agissait, dès maintenant, de réfléchir à la place qu'occuperait la Serbie dans l'Europe future.
Il pourrait y avoir des discussions entre les Etats-Unis et certains pays européens sur l'issue de la crise actuelle en ce qui concerne le rôle respectif qui serait reconnu à l'OTAN et au Conseil de sécurité.
La réaction du président Milosevic sur le Kosovo n'était pas comparable à celle qu'il avait eue sur la crise en Bosnie-Herzégovine. Le Kosovo constituait en fait la base principale de sa nouvelle carrière politique, ce qui l'avait amené, sur ce dossier, à considérer tout compromis comme une menace.
Le maintien du Kosovo dans le cadre de la République yougoslave, qui était la position de la communauté internationale, ne devait pas empêcher de réfléchir à des modalités institutionnelles particulières permettant d'organiser une coexistence possible entre serbes et albanophones du Kosovo.
Affaires étrangères - Audition de S. Exc. M. Nicolaï Afanassievski, ambassadeur de la Fédération de Russie en France
Puis la commission, élargie au groupe sénatorial d'amitié France-Russie, a entendu S. Exc. M. Nicolaï Afanassievski, ambassadeur de la Fédération de Russie en France.
M. Xavier de Villepin, président, a d'abord rappelé que M. Afanassievski, nouvel ambassadeur de Russie en France, avait été, de 1990 à 1994, ambassadeur en Belgique et représentant de son pays auprès de l'OTAN et de l'Union de l'Europe occidentale (UEO), puis de 1994 à 1999, vice-ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie.
M. Nicolaï Afanassievski a d'abord exprimé son inquiétude sur l'évolution des relations entre la Russie et la France en raison des positions divergentes adoptées sur la crise du Kosovo, alors même que nos deux pays avaient témoigné jusqu'alors d'une profonde communauté de vues. Il a souligné la nécessité de préserver le dialogue entre la France et la Russie afin de favoriser des initiatives destinées à restaurer la paix dans les Balkans.
M. Nicolaï Afanassievski a ensuite évoqué la situation en Russie et les perspectives de développement des relations bilatérales. Il a estimé que son pays connaissait une transition douloureuse et difficile, même si la réalité était sans commune mesure avec la présentation excessive qui en était parfois faite par la presse. Il a ajouté que beaucoup d'erreurs avaient été commises dans les premières années qui avaient suivi la dissolution de l'Union soviétique, avec la mise en place, notamment, d'une économie de marché sans contrôle. Il a observé que le Gouvernement russe ne souhaitait pas revenir à la situation antérieure mais poursuivrait, au contraire, la politique des réformes, en accordant cependant une attention plus grande, d'une part, au secteur productif qui sera mieux soutenu et, d'autre part, à la protection sociale de la population.
L'ambassadeur de la Fédération de Russie a alors estimé que la situation économique de son pays serait encore très difficile cette année, même si l'on pouvait percevoir certains signes de stabilisation, s'agissant en particulier de l'évolution des prix. Il a insisté sur la volonté affirmée de la Russie d'honorer ses dettes et espéré que soit rapidement signé un accord avec le Fonds monétaire international, dont le directeur s'était récemment rendu à Moscou.
M. Nicolaï Afanassievski a insisté sur le souci des autorités russes de relancer les investissements en mettant en place un cadre suffisamment attractif et sûr. Il a souhaité, à cet égard, que les entreprises françaises manifestent plus de dynamisme vis-à-vis du marché russe dont plusieurs secteurs apparaissaient prometteurs (notamment l'aéronautique, l'industrie spatiale, le nucléaire et les télécommunications). Il a regretté le décalage entre les déclarations d'intention et le blocage des crédits qui avaient pourtant fait l'objet d'accords de principe. Il a estimé que cette situation était d'autant plus dommageable que ces crédits devaient permettre de fournir des biens d'équipement français à des sociétés mixtes franco-russes.
L'ambassadeur de la Fédération de Russie a ensuite attiré l'attention des commissaires sur les perspectives prometteuses qui s'ouvraient en matière économique dans les régions russes. Il a observé que, même si les partenaires de la Russie avaient l'habitude de traiter avec le gouvernement central, il fallait prendre aujourd'hui la mesure des pouvoirs et des compétences transférés au niveau régional. Il a relevé que son ambassade encouragerait toutes les initiatives permettant de mieux reconnaître cette dimension nouvelle de l'évolution de la Russie.
M. Nicolaï Afanassievski a conclu en soulignant que la décision prise le 24 mars dernier par l'OTAN de procéder à des bombardements sur la Serbie avait ouvert une grave période d'incertitudes. Il a par ailleurs souhaité des contacts plus denses avec le Parlement français et formé l'espoir que nos deux pays conjuguent de nouveau leurs efforts au service de grandes causes.
A la suite de l'exposé de l'ambassadeur de la Fédération de Russie, M. Jacques Chaumont, président du groupe sénatorial d'amitié entre la France et la Russie, est revenu sur la crise du Kosovo en indiquant que la France et la Russie avaient partagé, pour l'essentiel, une analyse commune de la situation, même si les positions de nos deux pays divergeaient aujourd'hui. Il a souhaité connaître le sentiment de M. Afanassievski sur les perspectives d'un règlement politique du conflit.
M. Emmanuel Hamel, après avoir rappelé l'admiration que lui inspirait l'histoire héroïque du peuple russe, notamment dans la lutte contre l'envahisseur nazi, a interrogé l'ambassadeur de la Fédération de Russie sur les craintes qu'il avait exprimées dans son exposé quant à l'évolution des relations franco-russes. Il s'est demandé par ailleurs quelle appréciation l'on pouvait porter sur la puissance militaire russe.
M. Claude Estier s'est interrogé sur le rôle que pouvait jouer la Russie pour favoriser une issue à la crise actuelle dans le Kosovo. Il s'est demandé notamment si une initiative telle que le déplacement de M. Evgueni Primakov à Belgrade pourrait être renouvelée dans les jours qui viennent.
M. Xavier de Villepin, président, a rappelé son soutien à la politique conduite par la France dans la crise actuelle au Kosovo, en soulignant qu'il était impossible de se résigner à l'entreprise de purification ethnique conduite par les forces serbes. Il a souligné cependant sa conviction que la Russie pourrait jouer un rôle essentiel afin de favoriser un règlement pacifique de ce conflit. Il a ajouté que, malgré les difficultés économiques du moment, la Russie retrouverait nécessairement toute la place qu'elle doit occuper sur le continent européen.
M. Nicolaï Afanassievski est alors revenu sur l'appréciation que la Russie porte sur le conflit du Kosovo. Il a d'abord rappelé les différentes initiatives prises par son pays pour favoriser une issue pacifique à la crise. Il a notamment cité le déplacement que le Premier ministre russe avait été conduit à entreprendre à Belgrade, démarche dans laquelle il avait été en particulier encouragé par le Président de la République française. Il a souligné la volonté de la Russie de trouver une solution politique et a regretté que les différents signaux émis par les autorités serbes dans le sens d'un apaisement depuis le début des frappes de l'OTAN n'aient pas été entendus par les puissances occidentales.
Evoquant ensuite les cinq conditions formulées par les Alliés au sein de l'OTAN, sans que la Russie ait été consultée, pour un arrêt des frappes sur la Serbie, M. Nicolaï Afanassievski a indiqué qu'à l'exception de la dernière, qui posait le principe du déploiement d'une force de sécurité internationale -question sur laquelle avaient buté les négociations de Rambouillet- elles lui paraissaient acceptables par la partie serbe, sous réserve que leurs modalités soient précisées. Il a ajouté que les Serbes ne pourraient pas donner leur accord à une force d'occupation qui ne jouerait pas un véritable rôle d'interposition entre les parties en conflit au Kosovo. L'ambassadeur de la Fédération de Russie a jugé nécessaire que les Occidentaux donnent des gages de leur détermination à reprendre la négociation, en retrouvant le sens de l'équilibre et de l'objectivité qui avait présidé aux travaux du groupe de contact, s'agissant notamment du règlement du conflit bosniaque.
M. Nicolaï Afanassievski a alors rappelé la mobilisation de l'opinion publique russe en faveur de la Serbie. Il a souligné aussi les risques que ce consensus ne repose sur une base nationaliste, alors même que les autorités russes s'étaient efforcées depuis plusieurs années de convaincre la population de l'intérêt pour la Russie de faire partie intégrante de l'Europe. Il a estimé que, même si l'OTAN occupait une place essentielle dans le dispositif de sécurité européen, cette organisation ne pouvait s'arroger le droit de juger, seule, de l'opportunité d'intervenir dans un conflit. Il a souligné l'importance des risques de déstabilisation et de désintégration pour la région dans son ensemble entraînés par l'intervention des Alliés. Il a estimé par ailleurs que le président Milosevic restait un partenaire incontournable pour la négociation et a ajouté qu'il était indispensable aujourd'hui de surmonter l'actuelle logique de guerre ; la Russie, pour sa part, s'emploierait à poursuivre ses efforts pour trouver une solution négociée au conflit du Kosovo.