Travaux de la commission des affaires économiques
Mercredi 1er juin 2005
- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président. -
Union européenne - Aménagement du temps de travail dans le secteur des transports
La commission a examiné le rapport pour avis de M. Yannick Texier sur le projet de loi n° 287 (2004-2005) ratifiant l'ordonnance n° 2004-1197 du 12 novembre 2004 portant transposition de directives communautaires et modifiant le code du travail en matière d'aménagement du temps de travail dans le secteur des transports.
M. Yannick Texier, rapporteur pour avis, a tout d'abord rappelé que ce projet de loi visait à ratifier une ordonnance publiée le 12 novembre dernier, conformément à la loi d'habilitation du 18 mars 2004, transposant en droit français deux directives communautaires en matière d'aménagement du temps de travail dans le secteur des transports. Il a précisé que ce texte concernait le transport routier de marchandises et de voyageurs, le transport fluvial et le transport ferroviaire, mais excluait les transports urbains de voyageurs et les entreprises à statut (SNCF, RATP...), régis par d'autres textes. Il a ensuite indiqué que l'ordonnance comportait en fait deux catégories de dispositions :
- des dispositions visant à transposer en droit national la directive 2000/34 du 22 juin 2000.
Cette directive, a-t-il expliqué, rend applicables aux salariés du secteur des transports les règles sociales prévues par une directive de 1993 pour l'ensemble des salariés, s'agissant notamment du droit à un repos quotidien, à des pauses pendant la journée de travail, à un repos hebdomadaire, mais également de la limitation de la durée hebdomadaire de travail et de la durée du travail de nuit. Après avoir précisé que la législation française, reproduisant le schéma communautaire, avait en partie exclu l'application du droit commun aux salariés « mobiles » du secteur des transports, qui étaient néanmoins protégés par des normes de nature réglementaire ou conventionnelle, il a considéré que l'inscription de garanties au niveau législatif constituait une avancée pour ces personnels. A titre d'exemple, il a cité le nouvel article L. 213-11 du code du travail, qui limite à huit heures par jour en moyenne la durée du travail des travailleurs de nuit et fixe un plafond absolu de dix heures quotidiennes pour les routiers travaillant la nuit. Il a toutefois noté que cette intégration dans le droit commun s'accompagnait d'adaptations et maintenait la possibilité de dérogations par décret et par convention ;
- des dispositions d'adaptation, pour l'essentiel en matière de durée du travail.
Il a indiqué que ces dispositions visaient en pratique à permettre l'adaptation du droit national à la directive 2002/15 du 11 mars 2002 relative au temps de travail des conducteurs routiers et notamment à introduire dans notre code du travail les souplesses prévues par ce texte, afin d'améliorer la compétitivité des entreprises françaises de transport routier.
Il a alors insisté sur la véritable crise économique que connaît ce secteur depuis 2003, relevant notamment l'atonie de l'activité, la diminution de l'emploi, la dégradation des trésoreries des entreprises, la multiplication des défaillances et le recul des parts de marché des transporteurs français. Ces difficultés, a-t-il constaté, ont pour partie leur source dans des facteurs conjoncturels tels que l'augmentation du prix du gazole, la faiblesse de la croissance et la surcapacité chronique du pavillon routier. Il a confirmé que leur impact était accentué par un environnement de plus en plus concurrentiel, qui empêche les entreprises du secteur de répercuter l'augmentation des coûts de production dans les prix du transport et explique l'écrasement tendanciel des marges nettes. Après avoir pris acte des craintes suscitées par l'élargissement de l'Union européenne à l'Est, il a noté que ses effets étaient pour l'instant encore modestes, malgré le développement de la pratique illégale du cabotage. Il a admis, en outre, que le pavillon français souffrait d'un différentiel de compétitivité par rapport à ses voisins immédiats de « l'Europe des Quinze », en raison de deux handicaps structurels : le poids de la fiscalité (4,4 milliards d'euros, soit 13,2% du chiffre d'affaires) et le coût du travail, véritable « talon d'Achille » du transport routier de marchandises. Il a considéré, à cet égard, que le problème n'était pas tant le coût global du travail que le différentiel de coût horaire moyen avec les autres Etats membres. Ainsi, a-t-il fait valoir, le coût d'une heure de conduite en France est supérieur de 20 % à la moyenne des sept pays européens les plus limitrophes. Cette situation, a-t-il poursuivi, résulte du coût élevé des heures supplémentaires, du niveau des charges sociales, mais aussi d'une durée du travail qui s'est progressivement réduite depuis dix ans, en raison de la mise en place d'une réglementation contraignante et déconnectée des règles applicables dans le reste de l'Union européenne. Il a alors cité la prise en compte de la durée légale hebdomadaire de 35 heures et l'attribution de repos compensateurs qui, a-t-il insisté, n'existent pas chez nos voisins européens.
Il a indiqué que, sans une adaptation de la législation sociale applicable, le transport routier français, selon les témoignages recueillis auprès de professionnels, était voué à disparaître ou, à tout le moins, à évoluer vers la sous-traitance et le contournement des règles. Il a alors rappelé l'enjeu économique de ce secteur de 42.000 entreprises, qui compte 330.000 emplois et présente un chiffre d'affaires de 30 milliards d'euros.
Puis il a expliqué que la principale mesure d'adaptation prévue par l'ordonnance était la possibilité de décompter la durée du travail -et donc les heures supplémentaires- des salariés du transport routier sur un maximum de trois mois (voire sur quatre mois en vertu d'un accord), alors que la période de référence dans le droit commun est la semaine. Cette mesure, a-t-il fait valoir, permettra de moduler la durée du travail et la répartition des heures supplémentaires en fonction des besoins de l'activité et de réduire le nombre de repos compensateurs. Ayant relevé qu'avant l'ordonnance, la durée du travail et les heures supplémentaires dans le transport routier de marchandises étaient déjà décomptées sur une période de référence dérogatoire (un mois) en vertu de dispositions réglementaires, il a considéré que prévoir dans la loi la possibilité d'une période de référence dérogatoire apportait à la fois plus de souplesse et une plus grande sécurité juridique. Il a fait observer, en outre, que cette modulation se traduirait par un gain salarial pour les salariés, puisque les jours de travail remplaçant les repos compensateurs constitueront autant d'heures supplémentaires payées à un taux majoré.
Evoquant une autre mesure d'adaptation de l'ordonnance, il a cité l'augmentation modérée des maxima hebdomadaires moyens autorisés, qui s'établissent désormais, pour les salariés du transport routier et fluvial, à 46 heures par semaine en moyenne sur trois mois, contre 44 heures dans le droit actuel, le maximum absolu de 48 heures sur une semaine isolée demeurant, quant à lui, inchangé.
Après avoir signalé les corrections apportées par le projet de loi de ratification à l'ordonnance, en particulier les modifications apportées par l'Assemblée nationale visant notamment à mieux articuler la transposition des deux directives en matière de travail de nuit des personnels roulants et à prendre en compte l'organisation particulière du travail dans la batellerie, il a estimé que ce texte était désormais parvenu à un équilibre satisfaisant entre l'exigence de compétitivité et la nécessaire protection des conditions de travail et qu'en conséquence, il ne proposait pas de l'amender.
Evoquant les autres problèmes auxquels les transporteurs routiers de marchandises sont confrontés, il a jugé nécessaire l'harmonisation des règles applicables à l'échelle européenne en matière de fiscalité sur le gazole. Il a ensuite mis l'accent sur le développement illégal du cabotage. Rappelant que depuis 1998, tout transporteur d'un Etat membre peut effectuer des prestations de transport à l'intérieur d'un autre Etat membre sous réserve que ce soit « à titre temporaire » et « dans le respect de certaines réglementations du pays d'accueil », il a souligné les lacunes du droit applicable puisque le règlement communautaire relatif au cabotage, a-t-il constaté, ne précise pas ce que signifie ce caractère temporaire, ni ne détermine la loi sociale applicable au conducteur de l'entreprise qui cabote. Il a expliqué que ce « flou juridique » avait rendu impossible toute caractérisation du cabotage irrégulier et conduit à une absence de contrôles encourageant les dérives, notamment depuis l'élargissement de l'Union en mai 2004. Plaidant en faveur de sanctions efficaces, comme l'immobilisation du véhicule, il a proposé d'interroger le ministre en charge des transports sur les initiatives que celui-ci compte prendre dans ce domaine. Puis il a suggéré de donner un avis favorable à l'adoption de ce projet de ratification.
A l'issue de cette présentation, un débat s'est engagé entre les commissaires.
Evoquant le déplacement récent du Bureau de la commission des affaires économiques à Bruxelles et son entretien avec M. Jacques Barrot, commissaire européen en charge des transports, M. Jean-Paul Emorine, président, a insisté sur l'implication déterminante de celui-ci dans le dossier de l'harmonisation des temps de travail et de conduite des chauffeurs routiers à l'échelle européenne.
Après avoir souligné la dimension très politique d'un texte d'apparence technique, M. Daniel Reiner a regretté que le gouvernement tire prétexte d'une transposition de directives communautaires, dont l'objectif était d'élever le niveau des normes sociales dans certains pays européens, pour imposer aux transporteurs routiers français un recul du droit du travail qui leur est applicable. Il a considéré que ce sont des démarches comme celles-ci qui alimentent le sentiment anti-européen d'une partie de l'opinion publique. Rappelant qu'il était à l'origine de la saisine pour avis de la commission des affaires économiques sur ce texte, il s'est interrogé sur le recours formé devant le Conseil d'Etat contre l'ordonnance et son premier décret d'application du 31 mars 2005. Observant que la mise en oeuvre de ces mesures allait se traduire par un allongement de la durée du travail, une réduction significative du nombre de repos compensateurs et par une perte de revenu liée à la modulation des heures supplémentaires, il a considéré qu'elle allait également à l'encontre de l'objectif de sécurité routière et contredisait l'ambition d'une politique de report modal en faveur du transport ferroviaire et fluvial. Enfin, il a déploré l'insuffisance des contrôles exercés sur les chauffeurs routiers étrangers pratiquant le cabotage.
M. Jean-Paul Emorine, président, a rappelé que l'enjeu était le maintien des entreprises de transport françaises. Il a estimé qu'une meilleure harmonisation européenne permettrait d'améliorer les contrôles et a cité, à titre d'exemple, la prochaine mise en service à l'échelle européenne du chronotachygraphe numérique qui, a-t-il fait valoir, allait faciliter le contrôle du temps de travail des conducteurs routiers.
Ayant considéré qu'il n'était pas satisfaisant qu'un des décrets d'application ait été publié avant la ratification de l'ordonnance, M. Yannick Texier, rapporteur pour avis, a indiqué que le Conseil d'Etat ne s'était pas encore prononcé sur le recours. Il a rappelé que compte tenu du différentiel de compétitivité dont souffrent les entreprises françaises de transport routier, c'étaient la survie économique de ce secteur et sa capacité à créer des emplois qui étaient en jeu. Il a également fait observer que l'ordonnance ne faisait que prévoir la possibilité de dérogations qui, a-t-il insisté, restent modérées par rapport à celles qu'autorise la directive. Par ailleurs, il a considéré qu'un recul du pavillon routier français ne bénéficierait pas au transport ferroviaire et fluvial, mais plutôt aux transporteurs routiers étrangers, eu égard aux avantages de la route pour assurer le transport des marchandises d'un point à un autre. Enfin, il a fait valoir que le règlement européen n° 3820 du 20 décembre 1985 relatif aux temps de conduite, qui impose aux chauffeurs routiers des interruptions régulières de leur travail, continuait à s'appliquer et garantissait le maintien des règles de sécurité routière.
Considérant que le fret ferroviaire était voué à se développer, compte tenu des faibles marges désormais offertes par la route pour absorber l'augmentation du trafic, M. Jean-Paul Emorine, président, a souhaité que l'ouverture à la concurrence dynamise le transport ferroviaire de marchandises. Il a regretté, par ailleurs, l'abandon en 1997 du projet de liaison fluvial à grand gabarit entre le Rhin et le Rhône, qui aurait permis de faire face à l'engorgement prévisible du réseau routier.
M. François Gerbaud a tout d'abord constaté que le cabotage était à l'origine de distorsions de concurrence. Evoquant le rapport qu'il avait remis, avec M. Hubert Haenel, au Premier ministre, sur ce sujet, il s'est déclaré favorable au développement du fret ferroviaire, regrettant à cet égard les réactions de rejet manifestées par les cheminots français à l'occasion de la mise en circulation récente du premier train privé de marchandises en Moselle. Il a plaidé en faveur de la création d'une taxe, analogue à celles en vigueur en Allemagne et en Suisse, sur les camions étrangers transitant par la France sans y apporter de valeur ajoutée. Ayant également mis l'accent sur l'intérêt de développer le transport combiné, il a invité la commission des affaires économiques à prêter attention à ce sujet.
M. Gérard Bailly s'est tout d'abord fait l'écho de l'inquiétude exprimée par les salariés et les chefs d'entreprise du transport routier de son département face à l'intensification de la concurrence. Il a noté que le problème du niveau élevé des coûts de production, et en particulier du coût du travail, se posait à d'autres secteurs exposés à la concurrence étrangère, comme la lunetterie et la fabrication de jouets. Constatant l'augmentation récente du nombre de transporteurs étrangers sur les routes françaises, il s'est prononcé pour le développement du fret ferroviaire et a lui aussi regretté l'abandon du projet de canal Rhin-Rhône. Enfin, il a plaidé en faveur de la relance de grands programmes d'infrastructures ferroviaires, dans une perspective d'aménagement du territoire.
Après avoir mis en cause certains discours démagogiques entendus pendant la campagne référendaire, M. Dominique Braye a considéré que la « régression sociale » ne résidait pas dans l'allongement du temps de travail, mais dans la dégradation des conditions de travail induite par la mise en oeuvre des 35 heures. Soulignant le retard de compétitivité de l'Union européenne par rapport aux autres ensembles régionaux à l'échelle mondiale, il a constaté l'impossibilité d'une harmonisation européenne « vers le haut » et a plaidé en faveur de mesures réalistes.
Relevant que le contrôle des chauffeurs d'origine étrangère pratiquant le cabotage était rendu difficile par l'obstacle de la langue, M. Yannick Texier, rapporteur pour avis, a plaidé en faveur d'une meilleure maîtrise des langues étrangères par les corps de contrôle. S'agissant de la taxation des poids lourds en transit sur le territoire français, il a souligné que la directive européenne, dite « Euro-vignette », en cours de révision, permettrait d'avancer dans cette direction.
Après avoir souhaité que soit respectée la réponse des Français au référendum du 29 mai dernier, M. Bruno Retailleau a mis l'accent sur la concurrence déloyale liée à la pratique du cabotage. Mettant en cause le manque de contrôles et les lacunes de la réglementation applicable, il a appelé la commission des affaires économiques à prendre des initiatives dans ce domaine. Il a souhaité savoir, par ailleurs, si le décret de 2003 autorisant la location transfrontalière de véhicules avec chauffeur avait été rapporté.
Revenant sur le résultat négatif du référendum sur le traité constitutionnel et sur la crise de confiance qu'il reflétait, M. Dominique Mortemousque a estimé qu'un dossier tel que celui du transport routier devait donner l'occasion de relancer la concertation avec ses partenaires européens, mais également de mieux expliquer aux Français les enjeux de la concurrence à l'échelle européenne.
M. Benoît Huré a tout d'abord indiqué que les problèmes de distorsion de concurrence entre Etats membres se poseraient de plus en plus à l'avenir. Evoquant le poids des charges sociales en France, il s'est interrogé sur l'opportunité d'asseoir le financement de la politique sociale et environnementale sur le facteur travail. Enfin, il a suggéré d'inventer un dispositif inspiré des montants compensatoires monétaires afin, notamment, de corriger les distorsions de concurrence entre les Etats membres.
En réponse aux interventions des commissaires, M. Yannick Texier, rapporteur pour avis, a convenu que le message du 29 mai 2005 devait être entendu. Après avoir insisté sur la nécessité d'un renforcement des contrôles pour lutter contre le cabotage irrégulier, il a précisé que la location transfrontalière de véhicules avec chauffeurs avait été récemment interdite, mais que les contrats en cours demeuraient toutefois valables.
Puis la commission a donné, à la majorité, un avis favorable à l'adoption du rapport de M. Yannick Texier, le groupe socialiste votant contre.
Nomination d'un rapporteur
La commission a ensuite désigné Mme Bariza Khiari en qualité de rapporteur sur le projet de loi n° 354 (2004-2005) ratifiant l'ordonnance n° 2004-1391 du 20 décembre 2004 relative à la partie législative du code du tourisme.