Travaux de la commission des affaires économiques
Mercredi 16 février 2005
- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président. -
Emploi - Réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise - Examen du rapport pour avis
La commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport pour avis de Mme Elisabeth Lamure sur la proposition de loi n° 181 (2004-2005), adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.
Après avoir rappelé le contexte théorique de la réduction du temps de travail (RTT) et souligné en quoi la question des 35 heures constituait l'une des lignes de fracture majeures distinguant la droite de la gauche,Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a dressé un bilan synthétique de la réforme, engagée en 1998 et poursuivie en 2000, en s'appuyant notamment sur les travaux menés en 2004 par la mission commune d'information de l'Assemblée nationale sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail, par M. de Virville sur le code du travail ou encore M. Camdessus sur les déterminants de la croissance.
Elle a d'abord estimé que la RTT avait déstabilisé le tissu des entreprises françaises, qui n'étaient pas égales devant la nouvelle donne. Elle a ainsi souligné que les groupes et les grandes entreprises avaient tiré parti de la nouvelle législation, qui leur avait permis de rationaliser leur organisation productive, jouer avec la modulation pour augmenter leur productivité, prendre le temps de négocier avec les organisations syndicales, externaliser les activités qui devenaient trop onéreuses, optimiser le bénéfice des aides publiques associées à la réforme. Mais elle a constaté qu'à l'inverse, les effets avaient été dévastateurs pour les PME, notamment celles soumises à la concurrence internationale : enchérissement général des coûts, incapacité à répondre en flux tendu aux évolutions de la demande et aux exigences de clients, difficultés de recrutement de cadres ou de main-d'oeuvre qualifiée, toujours tentés de rejoindre des grandes entreprises ...
Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a par ailleurs observé que beaucoup de salariés avaient subi de plein fouet les conséquences de la modération salariale sur laquelle avait été gagée une partie de la réforme des 35 heures, ainsi que les limites contraignantes imposées dans la gestion de leur temps. Elle a souligné que la réduction du temps de travail avait directement affecté la rémunération de dizaines de milliers de salariés, surtout parmi les plus modestes, si bien qu'aujourd'hui l'amélioration du pouvoir d'achat était redevenue la question primordiale de nos concitoyens.
Enfin, elle a constaté qu'avec cette réforme, la France s'était singularisée parmi les pays industrialisés, puisque nulle part ailleurs, la diminution n'avait été brutalement décidée par le pouvoir politique, ni réalisée avec tant d'ampleur aussi rapidement, et qu'aucun pays partenaire, même ceux dirigés par des gouvernements socialistes, n'avait jamais cherché à nous imiter.
Dans ce contexte, Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a estimé que la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale venait à point nommé. Elle a indiqué que ce texte ne remettait nullement en cause les 35 heures, dispositif législatif auquel s'étaient adaptées, malgré les difficultés, la plupart des entreprises françaises concernées qui, dorénavant, avaient avant tout besoin de stabilité. Elle a rappelé qu'aujourd'hui, plus des deux tiers des salariés du secteur marchand, soit 10,5 millions de personnes, et 40 % des entreprises, étaient soumis à ce régime, que la durée moyenne du travail à temps complet s'établissait à 35,6 heures par semaine, que 80 % des salariés travaillaient moins de 36 heures et qu'il n'était donc pas envisageable de revenir sur ce droit acquis, comme l'avait au reste rappelé le Président de la République lors de son intervention, le 14 juillet 2004.
Rappelant que la proposition de loi s'inscrivait dans le cadre du « Contrat France 2005 » défini le 9 décembre 2004 par le Premier ministre, Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a annoncé que, faisant suite aux assouplissements apportés par la loi « Fillon » du 17 janvier 2003, et complétés par celle du 4 mai 2004, qui ont modifié les dispositions les plus pénalisantes de la législation sur le temps de travail, ce texte ouvrait simplement aux salariés des espaces de liberté nouveaux leur permettant, dans le cadre d'une protection individuelle garantie par des accords collectifs, d'exercer véritablement un choix de rythme de travail et d'arbitrer entre revenus supplémentaires ou temps libre grâce à une amélioration de la gestion du compte épargne-temps, au développement du temps choisi et à des dispositions temporaires propres aux entreprises de vingt salariés au plus.
A l'issue de cette présentation générale, Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a présenté dans le détail les trois articles du texte, le quatrième, qui était le gage rendant recevable la proposition de loi au regard de l'article 40 de la Constitution, ayant été supprimé à l'initiative du Gouvernement.
Elle a ainsi indiqué que l'article 1er procédait à la réécriture de l'article L. 227-1 du code du travail organisant le compte épargne-temps (CET), afin d'en favoriser le développement par une simplification de son mécanisme et un assouplissement de ses conditions d'alimentation et de liquidation. En ce qui concerne la simplification, elle a souligné qu'étaient supprimées la condition d'ancienneté dans l'entreprise pour pouvoir ouvrir un CET, ainsi que la limite de durée de cinq ans pour l'exercice de ses droits par le salarié.
S'agissant de l'assouplissement des conditions d'alimentation, elle a précisé que l'idée force structurant la réforme était d'élargir au maximum les canaux actuels en supprimant toutes les restrictions existantes, en particulier celle limitant à vingt-deux jours l'abondement maximal autorisé chaque année. Elle a constaté que le CET pourrait être désormais abondé en temps par :
- tous les jours de congé payés annuels dépassant le minimum de 24 jours ouvrables que le droit communautaire impose au salarié de prendre dans l'année ;
- toutes les heures de repos compensateur, qu'il s'agisse du repos compensateur de remplacement prévu par la voie conventionnelle, comme aujourd'hui, ou du repos compensateur obligatoire, innovation du texte ;
- tous les jours de congés et de repos accordés au titre d'un régime de réduction du temps de travail ;
- ainsi que, à l'initiative de l'employeur, les heures effectuées au-delà de la durée collective du travail lorsque les caractéristiques des variations de l'activité le justifient, sans limite quantitative.
Pour ce qui est de l'abondement du CET en argent, indifféremment ouvert au chef d'entreprise et au salarié, elle a relevé que l'élargissement reposait pour l'essentiel sur la faculté ouverte à ce dernier, à son initiative, d'alimenter son compte avec tout revenu, augmentation ou complément de salaire, ne constituant pas son salaire contractuel de base.
Enfin, en ce qui concerne l'utilisation du CET, Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a souligné que la même philosophie de liberté inspirait la réforme afin d'offrir au salarié un large panel de choix adaptés à ses priorités, qui pouvaient être diverses et surtout évolutives tout au long de sa carrière. S'agissant des congés pouvant actuellement servir à indemniser, elle a indiqué que la proposition de loi supprimait le plancher minimal de deux mois, avant que de reprendre, en en simplifiant la rédaction, les dispositions permettant de financer un passage à temps partiel, une période de formation en dehors du temps de travail ou encore, en fin de vie active, une cessation anticipée d'activité, progressive ou immédiate.
Puis elle a insisté sur le fait que ces facultés d'utiliser le CET sous forme d'indemnisation du temps libéré étaient complétées par celles d'y puiser, à l'initiative du salarié, sous forme monétaire :
- soit à court terme, en tant que complément de rémunération, dans la limite des droits acquis dans l'année sauf si l'accord ou la convention prévoit une disposition contraire ;
- soit à terme différé, par abondement d'un plan d'épargne d'entreprise, d'un plan d'épargne interentreprises, d'un plan d'épargne pour la retraite collectif ou d'un régime de retraite supplémentaire d'entreprise.
Elle a souligné que seule l'utilisation des droits affectés au CET par l'employeur échappait à cette absolue liberté d'usage reconnue au salarié, puisque cette utilisation devra être formellement précisée par la convention ou l'accord collectif. Elle a également indiqué qu'afin de favoriser la constitution d'épargne pour la retraite, la proposition de loi accordait aux abondements en temps ou en argent de l'employeur utilisés pour alimenter un PERCO le bénéfice des dispositions sociales et fiscales dérogatoires applicables au dispositif.
Puis Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a présenté l'article 2, qui institue le régime du temps choisi permettant aux salariés, en accord avec le chef d'entreprise, de travailler plus s'ils souhaitent augmenter leur rémunération. Elle a tout d'abord rappelé que l'un des effets pervers du mécanisme légal d'organisation du temps de travail dans l'entreprise était d'empêcher les salariés le souhaitant individuellement de travailler plus pour augmenter leurs revenus, et que la modération salariale ayant accompagné le processus progressif de mise en oeuvre des 35 heures avait contraint un certain nombre de travailleurs à subir la stagnation de leur pouvoir d'achat sans disposer de la faculté d'accroître leur rémunération par une augmentation de la durée de leur travail. Elle a ajouté qu'à l'inverse, nombre de PME se trouvaient souvent conduites à refuser de répondre favorablement à une possibilité d'accroissement temporaire de leur activité, étant trop petites pour disposer d'un volant de main-d'oeuvre permettant de jouer, par le jeu du contingent légal ou conventionnel des heures supplémentaires, avec les aléas de cette activité, ou incapables d'embaucher un nouveau salarié en cas d'accroissement ponctuel de la demande.
Après avoir déploré cette situation paradoxale où la loi interdit d'accroître temporairement la durée du travail quand bien même le salarié et le chef d'entreprise le souhaiteraient et y auraient tous deux intérêt,Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a jugé nécessaire de prendre en compte la situation de diverses catégories de cadres ne pouvant concilier l'organisation de leur travail et les impératifs de résultats auxquels ils sont soumis qu'en renonçant, sans contrepartie, à certains de leurs droits. Aussi s'est-elle félicitée des dispositions de l'article 2 de la proposition de loi ouvrant :
- aux salariés soumis à ce qu'on pourrait qualifier de régime général des heures supplémentaires, la faculté de demander à en effectuer au-delà du contingent légal ou conventionnel applicable à l'entreprise ou à l'établissement qui les emploie ;
- aux cadres et salariés relevant d'une convention individuelle de forfait établi sur une base annuelle et exprimé en heures, la même faculté d'effectuer des heures au-delà de la durée annuelle de travail prévue par ladite convention ;
- aux cadres relevant d'une convention individuelle de forfait annuelle et exprimée en jours, la possibilité de renoncer à une partie de leurs jours de repos en contrepartie d'une majoration de salaire.
Elle a précisé que cette liberté nouvelle ouverte individuellement aux salariés devra s'inscrire dans un cadre protecteur collectif qui en fixera les conditions de mise en oeuvre, c'est-à-dire qu'elle sera subordonnée à la signature d'une convention ou d'un accord collectif de branche, de groupe, d'entreprise ou d'établissement destiné à préciser, notamment, les conditions dans lesquelles seront effectuées les heures supplémentaires choisies, ainsi que les majorations salariales auxquelles donneront lieu ces heures ou la renonciation à une partie des jours de repos.
Abordant enfin l'article 3 du texte, Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a indiqué qu'il visait à répondre à la situation spécifique des petites entreprises de vingt salariés au plus qui, faute de l'existence d'une convention ou d'un accord collectif, ne pouvaient pas mettre en oeuvre un régime conventionnel de rémunération des heures supplémentaires dérogeant au droit commun ni proposer à leurs salariés d'ouvrir un CET.
Elle a en effet souligné que, malgré les délais laissés par les loi Aubry puis par la loi Fillon de 2003, un nombre significatif de petites entreprises n'avait pas encore été en mesure d'organiser, par la voie de la négociation collective, un régime propre de majoration des heures supplémentaires. Observant alors que les conditions mêmes du dialogue social avaient été substantiellement modifiées par la seconde loi Fillon de 2004, elle a estimé nécessaire d'ouvrir un délai supplémentaire aux partenaires sociaux pour leur permettre de s'approprier et de mettre correctement en oeuvre ces nouvelles conditions.
En outre, par parallélisme avec les mesures d'assouplissement envisagées en ce qui concerne le CET et le développement du temps choisi, elle a considéré qu'il était opportun et équitable de permettre aux salariés de ces très petites entreprises de valoriser, eux aussi, une partie des temps de repos dont ils disposaient en contrepartie monétaire. Elle a toutefois souligné que, tout comme la mesure précédente, cette innovation ne pourrait être que temporaire, dans l'attente que des accords collectifs permettent le développement du CET dans les entreprises.
Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a dès lors précisé que l'article 3 prévoyait tout d'abord de prolonger jusqu'au 31 décembre 2008, et tant que n'aura pas été conclu une telle convention ou un tel accord, le dispositif, institué en 2000 et prolongé par la loi Fillon de 2003 jusqu'au 31 décembre 2005, limitant à 10 % le taux de majoration des quatre premières heures supplémentaires hebdomadaires. Elle a ajouté que, par souci de cohérence, il prolongeait également jusqu'au même terme la faculté de n'imputer sur le contingent légal des heures supplémentaires que celles effectuées au-delà du seuil de 36 heures hebdomadaires, et non de 35 comme pour les autres entreprises.
Par ailleurs, elle a indiqué que, par analogie avec la souplesse supplémentaire apportée à l'utilisation du compte épargne-temps, l'article 3 instituait un régime également transitoire, devant lui aussi s'achever au 31 décembre 2008, ouvrant aux salariés et aux cadres au forfait la faculté de renoncer chaque année à 10 jours (ou à 70 heures) de repos, les périodes ainsi travaillées devant bénéficier d'une majoration salariale au moins égale à 10 % et n'étant pas imputées sur le contingent légal ou conventionnel des heures supplémentaires.
Puis elle a relevé qu'à l'initiative du Gouvernement, ces deux dispositifs temporaires avaient été réservés aux entreprises et unités économiques et sociales dont l'effectif serait au plus égal à vingt salariés à la date de promulgation de la loi. Tout en observant que cette restriction du champ d'application de l'article pourrait pénaliser environ 5.000 à 6.000 petites entreprises qui, jusqu'à présent, continuaient à bénéficier des dérogations Aubry puis Fillon bien qu'elles soient passées, au cours des cinq dernières années, à plus de vingt salariés, elle a reconnu qu'elle était indispensable pour assurer la constitutionnalité des dispositifs dérogatoires.
Enfin, après avoir annoncé qu'elle proposerait un amendement formalisant de manière juridique l'engagement pris publiquement par le Premier ministre que les régimes dérogatoires institués par l'article 3 seraient bien temporaires jusqu'au 31 décembre 2008 seulement,Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a préconisé qu'un avis favorable soit donné à cette proposition de loi qui, sans remettre en cause le principe des 35 heures, apporte au dispositif des éléments de souplesse ouverts aux salariés.
Un large débat s'est ouvert après cette présentation.
Considérant qu'en s'opposant à la proposition de loi, le groupe socialiste ne faisait qu'exprimer le mal qu'en pensaient les salariés et même beaucoup d'entreprises, M. Daniel Reiner a dénoncé l'illusion entretenue, selon lui, par le Gouvernement, qui cache derrière une présentation anodine du texte sa volonté idéologique de remettre en cause les 35 heures et de poursuivre ainsi son oeuvre de démantèlement du code du travail. Contestant que la réforme du temps de travail ait déstabilisé les entreprises, ou à tout le moins les plus petites d'entre elles, il a affirmé que jamais autant d'accords collectifs n'avaient été négociés et conclus qu'au cours des années 1998 à 2002 et estimé que la majorité actuelle ne pouvait se prévaloir d'une telle intensité du dialogue social. Puis, observant que les sondages démontraient l'attachement des Français aux 35 heures, il a jugé qu'il était possible de satisfaire leur souhait légitime d'augmenter leur pouvoir d'achat autrement qu'avec ce texte et que le slogan « travailler plus pour gagner plus », ressassé sur tous les tons par la majorité, devrait être prioritairement tourné vers les chômeurs, dont le nombre de 2,5 millions n'a pas diminué depuis plus de deux ans, et les centaines de milliers de salariés contraints au temps partiel et qui souhaiteraient effectivement travailler plus sur des emplois à temps plein. Il a par ailleurs dénoncé les assouplissements proposés pour le compte épargne-temps, dont il a dit craindre qu'ils permettent de faire travailler les salariés sur de très importantes amplitudes horaires, et contesté la notion de « temps de travail choisi », estimant qu'elle ne recouvrait en réalité qu'un asservissement supplémentaire des salariés aux exigences des employeurs. En conclusion, il a réaffirmé que le groupe socialiste s'opposerait à l'adoption de cette proposition de loi ne répondant à aucune demande de la part des salariés, s'intégrant dans le cadre du démontage actuel du code du travail et dont les effets pratiques seraient inefficaces.
Après que M. Jean-Paul Emorine, président, a considéré qu'un débat « idéologique » était somme toute normal dans une assemblée politique, M. Daniel Dubois, s'appuyant sur les conclusions du groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus qui, malgré la diversité d'origine et d'opinion de ses membres, avait à l'unanimité fait le constat simple et factuel que la France était le pays européen où le temps de travail des salariés était le plus faible et le taux de chômage le plus élevé, a estimé que la démonstration était ainsi faite que le partage du travail constituait une erreur économique majeure. A cet égard, considérant que le travail ne se partageait pas mais se créait grâce à la croissance économique, dès lors qu'elle était au moins égale à 2,5 à 3 % par an, il a indiqué qu'à titre personnel, il jugeait qu'il aurait été nécessaire d'aller plus loin que les simples assouplissements suggérés par la proposition de loi.
Appelant à la modestie en relevant que si une solution miracle existait en matière de travail et de lutte contre le chômage, elle aurait été mise en oeuvre depuis fort longtemps, M. Dominique Mortemousque a souligné qu'il convenait de développer au niveau européen les comparaisons et les échanges d'informations sur les bonnes pratiques afin de développer un modèle social européen cohérent et convergent, à l'évidence différent du modèle asiatique ou américain. Relevant que les salariés pouvaient avoir des rapports au travail variables selon leur âge, étant désireux de travailler beaucoup au début de leur vie active pour accumuler suffisamment de revenus au regard de leurs diverses aspirations (acquisition d'un logement, éducation des enfants, bien-être matériel de la famille, etc.) puis, plus tard, une fois installés dans la vie ou les enfants partis, pouvant être plus sensibles à un allègement de leurs obligations de travail pour disposer de davantage de temps, il a estimé que la proposition de loi ne prenait pas le contre-pied systématique des 35 heures mais qu'elle offrait des solutions adaptées aux besoins, très différents les uns des autres, des salariés. A cet égard, soulignant que ces besoins ne s'exprimaient pas seulement en termes monétaires et que le travail représentait aussi beaucoup en termes de considération sociale et de valorisation de l'individu, il s'est dit convaincu de la nécessité de dépasser le simple slogan de la réduction du temps de travail pour continuer à avancer sur le chantier de l'adaptation des normes du travail aux besoins de nos concitoyens.
Répondant à cette première série d'intervenants,Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a tout d'abord récusé l'affirmation de M. Daniel Reiner quant au démantèlement des 35 heures, la durée hebdomadaire de travail restant bien légalement fixée à ce nombre et la proposition de loi n'ayant d'autre objet que d'apporter davantage de souplesse à la législation pour l'adapter aux besoins des salariés. Rappelant que les grandes entreprises avaient été fortement aidées et que, lorsque la faible durée du travail leur posait un problème, elles avaient dans certains cas délocalisé leur activité, elle a souligné que le nouveau dispositif était plus orienté vers les salariés des PME, ces entreprises étant confrontées à la variabilité des commandes et à l'absence de recrutements nombreux et réguliers. Après avoir indiqué que les trois quarts des salariés à temps partiel étaient volontaires, elle a souligné que l'augmentation progressive du SMIC de 11,4 % sur trois ans constituait une amélioration du pouvoir d'achat des bas salaires que nul ne pouvait sérieusement contester. Enfin, elle a estimé que dans la majorité des PME, la proximité entre les salariés et l'employeur favorisait un dialogue et une compréhension qui ne cadraient pas avec l'image négative de leurs relations qu'en donnaient les socialistes.
En outre, après avoir indiqué partager le constat dressé par M. Daniel Dubois,Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a souligné l'intérêt de l'intervention de M. Dominique Mortemousque et affirmé, comme lui, qu'il était nécessaire de permettre aux salariés d'adapter leur investissement au travail en fonction des périodes de leur vie et de leurs aspirations.
Puis, s'étonnant que l'examen de constats objectifs ne fasse pas consensus, M. Dominique Braye a rappelé que la France était la « championne du monde » du chômage des jeunes de moins de 25 ans et des seniors de plus de 55 ans, que, sur l'ensemble de sa vie active, le Français travaillait 36 % de moins que la moyenne des salariés européens et que, dans tous les pays de l'Union européenne, plus la durée moyenne du travail était faible, plus le taux de chômage était élevé. Pour confirmer ces réalités statistiques incontestables démontrant le caractère illusoire de l'image du « gâteau-travail » qu'il suffirait de découper en parts plus petites pour en donner à chacun, il a rappelé la réaction du Chancelier Schröder à l'adoption de la législation sur la réduction du temps de travail : « Les 35 heures, c'est une grande chance pour l'Allemagne ». Prenant ensuite appui sur les témoignages de chefs d'entreprises d'établissements implantés dans le bassin mantois, il a confirmé que si les grandes entreprises, telles Renault et Peugeot, ne souhaitaient pas la remise en cause du dispositif actuel en raison du « pactole » d'aides publiques dont elles bénéficiaient et des gains de productivité réalisés grâce à la flexibilité, les PME étaient très affaiblies par l'importance du coût du travail qui, sous l'effet conjugué des 35 heures, des majorations des heures supplémentaires, de l'élévation du SMIC et du niveau des charges sociales, était prohibitif comparé à celui de la concurrence internationale, au point que certaines d'entre elles envisageaient de délocaliser. Indiquant enfin que les études de l'INSEE démontraient que les bénéficiaires des 35 heures étaient les cadres et les « bo-bos » parisiens, il a conclu que les autres salariés, c'est-à-dire le peuple, souhaitaient davantage de pouvoir d'achat.
Reprochant au Gouvernement et à la majorité parlementaire de ne pas assumer leur idéologie, Mme Bariza Khiari a estimé que la proposition de loi visait à abroger les 35 heures, et non à en assouplir le dispositif, comme prétendu. Elle a également brocardé la manière dont, en passant par une proposition de loi, le Gouvernement tentait d'échapper à sa promesse, faite en 2003 à l'occasion de l'adoption de la loi Fillon, de ne pas toucher au code du travail sans concertation préalable avec les partenaires sociaux. Puis regrettant que dans la présentation du rapporteur pour avis avaient été passés sous silence les résultats de la réduction du temps de travail en matière d'emploi (400.000 emplois ayant été créés ou sauvegardés grâce à la réforme), elle a considéré qu'avec le texte adopté par l'Assemblée nationale, les salariés allaient être doublement pénalisés : hier, par les rigueurs de la flexibilité et de la modération salariale ayant accompagné dans bien des cas le passage aux 35 heures, et demain, par la soumission de fait aux exigences du patronat en matière de volume des heures supplémentaires et par le lissage des pourcentages de majoration conduisant à ce que ces heures soient en définitive moins payées. Enfin, après s'être étonnée de la prétendue nécessité de donner du temps « choisi » aux salariés alors même que les entreprises sont loin de recourir à l'intégralité du contingent d'heures supplémentaires qui leur est ouvert, la moyenne par salarié étant de l'ordre de 60 heures par an, elle a contesté la réforme du compte épargne-temps, estimant qu'elle allait permettre aux employeurs de décider unilatéralement des conditions d'alimentation et d'utilisation de celui-ci à la place du salarié.
Revenant sur les constats statistiques, M. Jean Bizet a souligné qu'on ne pouvait s'étonner de l'accroissement du fossé séparant les performances économiques des Etats-Unis et de la France quant, malgré une des meilleures productivités du monde, le salarié français travaillait 36 % de moins sur l'ensemble de sa vie active que son homologue américain. Puis observant que l'édification de l'Union européenne nécessitait une harmonisation des législations, laquelle ne saurait cependant remettre en cause certains principes essentiels comme le démontrait la position similaire des groupes de la majorité et de l'opposition du Sénat sur la directive Bolkestein relative à la libéralisation des services, il a jugé que la France ne pouvait durablement se singulariser de ses partenaires en matière de durée du travail et qu'il importait par conséquent de rechercher la convergence sans désespérer quiconque. A cet égard, il a rappelé, en précisant que ses propos étaient sans caractère polémique ni malice, qu'au lendemain du choc du 21 avril 2002, nombreux avaient été les dirigeants socialistes à estimer que les 35 heures n'étaient pas totalement étrangères à cette situation.
Après avoir remercié MM. Dominique Braye et Jean Bizet pour leurs interventions et leur soutien,Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a rappelé qu'il ne s'agissait pas, avec la proposition de loi, d'abrogation des 35 heures, mais simplement d'ajustements. S'agissant du temps choisi, elle a souligné que la moyenne nationale des heures supplémentaires annuellement effectuées par salarié, avancée par Mme Bariza Khiari et qu'elle ne contestait pas, ne tenait précisément pas compte des différences entre les secteurs d'activité ni entre les entreprises, voire entre les salariés, et que dans bien des circonstances, le plafond du contingent était atteint : dans ces conditions, elle a indiqué ne pas comprendre ce qui pouvait justifier de récuser le temps choisi institué par la proposition de loi, dès lors qu'il était fondé sur le volontariat. Quant aux heures de travail collectives affectées au CET par l'employeur, elle a précisé que le texte ne modifiait en rien la situation actuelle.
M. Christian Gaudin a alors apporté son soutien à la proposition de loi en s'appuyant sur son expérience de président du groupe de travail sur la délocalisation des industries de main-d'oeuvre et sur les témoignages apportés au cours des travaux dudit groupe et relatifs à la nécessité pour les entreprises, et singulièrement les PME, de s'adapter à la concurrence internationale malgré les rigidités et la complexité du droit du travail. Il a ainsi indiqué qu'au cours du déplacement du groupe de travail en Alsace l'an dernier, au moment où l'Allemagne envisageait d'accroître la durée du temps de travail dans de nombreuses branches, il avait été frappé d'entendre, lors d'une rencontre avec des managers d'entreprises transfrontalières, un patron allemand relever que dans cette hypothèse, les entreprises françaises allaient elles aussi devoir augmenter le temps de travail. Il a enfin exprimé sa conviction que les PMI pourraient révéler d'importants gisements d'emplois et d'innovation si davantage de souplesse de gestion leur était offerte.
Saluant le dynamisme des 250.000 Français ayant décidé d'entreprendre l'an dernier, M. Michel Houel a estimé que l'assouplissement de la législation sur les 35 heures devait donner un espoir à ces créateurs d'entreprise. Puis après avoir estimé que le caractère le plus grave de la réforme du temps de travail avait été de passer de 39 à 35 heures de travail hebdomadaire en continuant à payer les salariés sur la base de 39 heures, il a souligné qu'en Allemagne, il n'y avait pas eu de couperet légal comme en France et que la durée du travail s'y négociait à l'intérieur des branches, certaines d'entre elles étant au demeurant parvenues à des accords prévoyant une durée inférieure à 35 heures par semaine, en particulier dans les secteurs ou pour les métiers les plus difficiles.
Relevant l'intérêt des témoignages de MM. Christian Gaudin et Michel Houel,Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a confirmé que la réduction du temps de travail à 35 heures avait surtout pénalisé les PME, en particulier celles relevant de secteurs d'activité connaissant une pénurie de main-d'oeuvre, et a souligné que l'assouplissement apporté à la législation devait être aussi un signe d'encouragement aux créateurs d'entreprises.
Contestant la réalité de certaines affirmations exprimées au cours du débat, M. Daniel Reiner a tenu à indiquer :
- que les sondages démontraient que 77 % des salariés français étaient satisfaits des 35 heures et ne voulaient pas de leur remise en cause ;
- que les délocalisations d'entreprises avaient commencé bien avant la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail et ne sauraient donc leur être imputées ;
- que nul ne contestait que le temps de travail des salariés français au cours de leur vie active était trop court, mais que la raison en était que l'entrée sur le marché du travail était trop tardive et, surtout, sa sortie trop rapide, et non pas que la durée hebdomadaire du travail était trop faible ;
- que plus de 400.000 emplois avaient été créés ou sauvegardés grâce aux lois Aubry, alors qu'on comptait 200.000 chômeurs supplémentaires depuis le retour de la droite au gouvernement, la loi Fillon n'ayant pas eu d'effet positif en la matière ;
- que la réduction du temps de travail ne pouvait être rendue responsable des 500.000 offres d'emploi non pourvues actuellement ;
- et enfin que si les objectifs de la stratégie de Lisbonne décidée par les Etats membres de l'Union européenne nécessitaient à l'évidence une convergence des législations, celle-ci ne pouvait prendre la forme d'un affaiblissement du modèle social européen, d'autant qu'il n'était raisonnablement pas possible d'espérer concurrencer des pays comme la Chine ou l'Inde sur le temps de travail ou sur son coût et qu'il fallait donc trouver d'autres arguments compétitifs.
Après que M. Jean-Paul Emorine, président, eut invité à la modestie des comparaisons statistiques en rappelant que bien des chiffres avancés par M. Daniel Reiner concernaient une époque de forte croissance économique internationale, M. Dominique Braye a répondu à ce dernier :
- que l'augmentation du chômage avait repris dès l'année 2000, au moment de l'essoufflement de la croissance économique ;
- que, compte tenu de la puissance de cette croissance, le nombre d'emplois créés sur la période aurait pu être bien supérieur aux 400.000 revendiqués si la réforme des 35 heures n'avait pas été imposée ;
- qu'il convenait de s'appuyer sur des études sérieuses, comme celle de l'INSEE portant sur les bénéficiaires de la réduction du temps de travail, plutôt que sur des sondages pour connaître les effets réels de cette législation sur les travailleurs ;
- que les exemples étrangers témoignaient que des solutions innovantes étaient plus efficaces que l'illusion du partage du travail, comme le démontrait le Danemark, qui connaît la législation sur le licenciement la plus souple d'Europe, tout en protégeant efficacement les salariés privés d'emploi et en les aidant à retrouver rapidement du travail, ce qui explique un taux de chômage inférieur à 5 %.
Observant que si 77 % des salariés étaient satisfaits de la situation actuelle, cela signifiait que 23 % étaient favorables à d'éventuels changements,Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a estimé que la proposition de loi ne pouvait que rencontrer l'unanimité, les assouplissements qu'elle suggérait étant exclusivement fondés sur le volontariat des salariés. Puis, reconnaissant qu'il ne s'agissait pas, avec ce texte, de régler tous les problèmes, elle a considéré que si simplement 10 à 15 % des salariés souhaitaient en bénéficier, ce serait tout à fait positif, pour eux comme pour les entreprises. Enfin, elle a de nouveau contesté la vision conflictuelle des rapports dans l'entreprise véhiculée par ses collègues socialistes, considérant que les quelques exemples de clivage qu'il était toujours possible de trouver ne témoignaient pas de la réalité habituelle des relations entre employés et employeurs, en particulier dans les PME.
Puis, Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis, a présenté son amendement à l'article 3 visant à confirmer de manière claire et explicite la disparition des régimes dérogatoires après le 31 décembre 2008 et à traduire ainsi juridiquement l'engagement pris à cet égard par le Premier ministre, amendement qui a été adopté à la majorité de la commission, les groupes socialiste et communiste républicain et citoyen votant contre.
Elle a ensuite indiqué à MM. Gérard Bailly et Benoît Huré, qui s'inquiétaient des conditions d'application du compte épargne-temps dans les collectivités locales et de leur transparence, que les CET des fonctions publiques ne relevant pas du code du travail, ils n'étaient pas concernés par la réforme envisagée par l'article 1er de la proposition de loi, et qu'en tout état de cause, celle-ci ne modifiait en rien, s'agissant des techniques pratiques de comptabilisation des droits, les règles de fonctionnement des CET.
Enfin, la commission a adopté l'ensemble du rapport présenté et le projet de loi amendé à la majorité de ses membres, les groupes socialiste et communiste républicain et citoyen votant contre.
Nomination d'un rapporteur
Puis M. Jean-Paul Emorine, président, a rappelé que deux propositions de résolution avaient été déposées sur la directive « services », dite aussi directive « Bolkestein », l'une par les membres du groupe socialiste, l'autre par M. Jean Bizet. Il a proposé que M. Jean Bizet soit désigné comme rapporteur et qu'il soit accompagné dans ses travaux préalables d'auditions, tant à Paris qu'à Bruxelles, par un membre du groupe socialiste.
Après une intervention de M. Daniel Reiner, la commission a approuvé ces deux propositions. Elle a nommé M. Jean Bizet, rapporteur, sur les propositions de résolution n° 177 (2004-2005) de M. Jean-Pierre Bel et n° 182 (2004-2005) de M. Jean Bizet, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (E.2520).