Table des matières




Mardi 24 juin 2003

- Présidence de M. Pierre Hérisson, puis de Mme Odette Terrade, vice-présidents -

Commerce - Communication - Confiance dans l'économie numérique - Examen des amendements

La commission a procédé à l'examen des amendements sur le projet de loi n° 195 (2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, pour la confiance dans l'économie numérique.

A l'article additionnel avant l'article 1er A (création d'un fonds d'aménagement numérique du territoire), la commission, après une intervention de MM. Pierre-Yvon Trémel et François Gerbaud, a émis un avis de sagesse sur l'amendement n° 165 de MM. Pierre-Yvon Trémel, Daniel Raoul et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.

A l'article 1er A (conditions d'intervention des collectivités locales dans le secteur des télécommunications), la commission a émis un avis :

- défavorable aux amendements n°s 148 de Mme Odette Terrade, M. Robert Bret et des membres du groupe communiste républicain et citoyen, après une intervention de M.  Daniel Raoul, 101 rectifié et 102 de M. Philippe Marini, 132 de M. René Trégouët, et au sous-amendement n° 199 à l'amendement n° 13 de la commission présenté par M. Jean-François Le Grand et plusieurs de ses collègues ;

- un avis favorable au sous-amendement n° 167 rectifié de MM. Pierre-Yvon Trémel, Daniel Raoul et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, et aux amendements n°s 47, 48 et 49 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois, 142 de M. Christian Gaudin et des membres du groupe de l'Union centriste.

Elle a choisi de demander l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 166 à l'amendement n° 11 de la commission de MM. Pierre-Yvon Trémel, Daniel Raoul et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, et sur l'amendement n° 98 de M. Jean-François Le Grand.

Après l'article 1er A, la commission, après une intervention de MM. Pierre-Yvon Trémel et Daniel Raoul, a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 168 de MM. Pierre-Yvon Trémel, Daniel Raoul et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée ; elle a choisi de demander l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 99 rectifié de M. Jean Pépin, 129 et 130 de M. Jean-Paul Amoudry et des membres du groupe de l'Union centriste, 100 de M. Xavier Pintat ; elle a émis un avis de sagesse sur l'amendement n° 133 de M. René Trégouët. Ces amendements tendent à insérer un article additionnel.

A l'article 1er B (couverture du territoire en téléphonie mobile par la mise en oeuvre prioritaire de prestations d'itinérance locale), après une intervention de Mme Odette Terrade, elle a émis un avis défavorable aux amendements n°s 149 de Mme Odette Terrade, M. Robert Bret et des membres du groupe communiste républicain et citoyen, 1 de M. Christian Gaudin et des membres du groupe de l'Union centriste et 2 rectifié de M. Philippe Nogrix. Après une intervention de M. Daniel Raoul, elle a émis un avis défavorable sur les sous-amendements n°s 169 et 170 de MM. Pierre-Yvon Trémel, Daniel Raoul et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée. Elle a émis un avis favorable au sous-amendement n° 201 du Gouvernement. Après une intervention de MM. Daniel Raoul et Pierre-Yvon Trémel, elle a émis un avis de sagesse sur le sous-amendement n° 171 de MM. Pierre-Yvon Trémel, Daniel Raoul et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.

Après l'article 1er B, la commission a émis un avis défavorable sur les amendements n°s 172 de MM. Pierre-Yvon Trémel, Daniel Raoul et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, et 173 des mêmes auteurs ; elle a choisi de demander l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 174 des mêmes auteurs. Ces amendements tendent à insérer un article additionnel.

A l'article 1er (article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication) (définition de la communication publique en ligne), la commission, après une intervention de M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, a donné un avis de sagesse sur le sous-amendement n° 143 à l'amendement n° 16 de la commission présenté par MM. Bernard Barraux et Jean-Louis Lorrain, et un avis favorable aux amendements n°s 85 de M. Louis de Broissia et 175 de Mme Danièle Pourtaud, M. Henri Weber et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.

Après l'article 1er (substitution du mot « radio » à celui de « radiodiffusion »), elle a émis un avis favorable à l'amendement n° 86 de M. Louis de Broissia tendant à insérer un article additionnel.

A l'article 2 (responsabilité des prestataires techniques), la commission a donné :

- un avis favorable aux amendements n°s 50 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois, après une intervention de son auteur, 51, 52, 53, 54, après une intervention de MM. Alex Türk et Louis de Broissia, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62 et 63 du même auteur, 134 et 138 de M. René Trégouët, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94 et 95 rectifié bis de M. Louis de Broissia, 180 et 183 de Mme Danièle Pourtaud, M. Henri Weber et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, et 153 de Mme Odette Terrade, M. Robert Bret et des membres du groupe communiste républicain et citoyen ;

- un avis défavorable aux amendements n°s 176, 177, 178, 179, 181 et 182 car satisfaits de Mme Danièle Pourtaud, M. Henri Weber et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, 135, 136, 137 et 139 de M. René Trégouët, 150, 152 et 154 car satisfaits de Mme Odette Terrade, M. Robert Bret et des membres du groupe communiste républicain et citoyen, 151 de M. Jack Ralite, Mme Odette Terrade et des membres du groupe communiste républicain et citoyen, 3, 4, 5 et 6 car satisfaits de M. Christian Gaudin et des membres du groupe de l'Union centriste, et 120 et 121 de M. Jean-Louis Lorrain.

A l'article 4 (responsabilité des prestataires techniques intermédiaires), la commission a donné un avis favorable à l'amendement n° 144 de MM. Bernard Barraux et Jean-Louis Lorrain.

A l'article 5 (article L. 34-11 du code des postes et télécommunications) (attribution et gestion des noms de domaine), elle a émis un avis favorable à l'amendement n° 202 du Gouvernement.

A l'article 5 bis (cas d'infraction pénale), la commission, après une intervention de M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, s'est prononcée contre l'amendement n° 184 de Mme Danièle Pourtaud, M. Henri Weber et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, et pour l'amendement n° 96 de M. Louis de Broissia au nom de la commission des affaires culturelles.

A l'article 5 quater (coordination), elle a émis un avis défavorable à l'amendement n° 185 de Mme Danièle Pourtaud, M. Henri Weber et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.

Après l'article 5 quater, elle a donné un avis favorable à l'amendement n° 97 de M. Louis de Broissia au nom de la commission des affaires culturelles tendant à insérer un article additionnel.

A l'article 6 (définition du commerce électronique et de l'établissement), la commission a statué pour l'amendement n° 64 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois et contre l'amendement n° 186 de MM. Pierre-Yvon Trémel, Daniel Raoul et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, car satisfait.

A l'article 7 (principe de liberté du commerce électronique, exceptions et détermination de la loi applicable), après une intervention de M. Alex Türk, rapporteur pour avis de la commission des lois, elle a donné un avis favorable à l'amendement n° 65 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois.

Après l'article 7, elle a émis un avis favorable à l'amendement n° 66 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois, tendant à insérer un article additionnel.

A l'article 8 (clause de sauvegarde), la commission s'est prononcée pour les amendements n°s 67 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois et 187 de MM. Pierre-Yvon Trémel, Daniel Raoul et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.

A l'article 9 (éléments d'information obligatoires permettant l'identification du prestataire), elle a donné un avis défavorable aux amendements n°s 188 de M. Pierre-Yvon Trémel, Daniel Raoul et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, 122 de M. Jean-Louis Lorrain et au sous-amendement n° 155 à l'amendement n° 68 de la commission des lois présenté par Mme Odette Terrade, M. Robert Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen. Elle a donné un avis favorable aux amendements n°s 203 du Gouvernement, après une intervention de M. Daniel Raoul, et 68 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois. Elle a choisi de demander l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 189 de MM. Daniel Raoul, Pierre-Yvon Trémel et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.

Avant l'article 12, la commission a émis un avis favorable au sous-amendement n° 145, à l'amendement n° 33 de la commission, de MM. Bernard Barraux et Jean-Louis Lorrain, tendant à insérer un article additionnel.

Mercredi 25 juin 2003

- Présidence de M. Marcel Deneux, vice-président puis de M. Gérard Larcher, président.-

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques - Durée de vie des centrales nucléaires et nouveaux types de réacteurs - Audition de M. Claude Birraux, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et de M. Christian Bataille, rapporteur

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a, tout d'abord, entendu M. Claude Birraux, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et M. Christian Bataille, rapporteur, sur les conclusions de leur rapport sur la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs.

M. Claude Birraux a tout d'abord indiqué que la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale avait saisi l'Office parlementaire, le 6 novembre 2002, et que celui-ci avait présenté son rapport le 14 mai 2003, après avoir auditionné 180 personnes et étudié 4 pays étrangers.

Puis M. Christian Bataille a présenté la problématique du vieillissement des centrales nucléaires, rappelant que le parc électro-nucléaire mondial comporte 441 réacteurs en service, d'un âge moyen de vingt ans, et que le parc nucléaire français est l'un des plus jeunes du monde puisqu'il a été mis en service dans les années 1980-1990. Il a observé que la courbe de vieillissement du secteur électro-nucléaire national était caractérisée par un « effet de falaise » résultant de la construction d'un parc très important en un temps très court, dont la diminution pourrait être aussi rapide. Il a ajouté que, dans ces conditions, si la durée d'exploitation effective ne dépassait pas la durée de vie de conception, soit 40 ans, treize réacteurs seraient arrêtés d'ici à 2020 et vingt-quatre autres entre 2020 et 2025. Il a enfin présenté les deux principales causes de vieillissement d'une centrale nucléaire, à savoir :

- des facteurs matériels (irradiation, chocs thermiques, fatigue mécanique, composition des aciers et bétons) ;

- et des facteurs immatériels (amélioration des méthodes de mesure, absence de pièces de rechange, pertes de compétences et modification du référentiel de sûreté).

Puis M. Claude Birraux a évoqué la question du vieillissement des générateurs de vapeur et des couvercles des cuves des réacteurs. Il a indiqué que les premiers avaient été changés dans onze centrales EDF et que les seconds ont été remplacés sur 42 tranches électro-nucléaires entre 1992 et 2003. Il a noté qu'un défaut relatif au revêtement intérieur est observé sur certaines cuves, lequel résulte d'une fissuration à froid survenue lors de la fabrication, à cause de mauvaises conditions métallurgiques et d'une imperfection dans l'opération de dépôt du revêtement par soudage, tout en soulignant que, d'une manière générale, la robustesse à 30 ans des réacteurs d'EDF était « en ligne avec les prévisions ».

Abordant la question du fonctionnement du parc électro-nucléaire en « suivi de charge », ce qui signifie que la puissance développée varie en fonction des besoins du réseau, il a cité Framatome ANP qui considère « qu'il n'existe actuellement pas d'éléments objectifs montrant que les tranches fonctionnant en suivi de charge seraient plus dégradées que les tranches fonctionnant en base ». Observant que selon l'IRSN ce mode de fonctionnement aurait un impact sur la durée de vie de certains composants (mécanismes de commande des grappes de contrôle en particulier), il a considéré que la plus grande attention devait être accordée à cette question et que des efforts de recherche et de développement devraient y apporter des réponses convaincantes.

Puis M. Christian Bataille a abordé la réglementation française relative aux autorisations de création d'une installation nucléaire. Il a observé qu'il n'existait pas, en France, de limitation de la durée de vie, mais qu'un réexamen de la sûreté pouvait être demandé par l'autorité compétente qui, en pratique, en a fixé la périodicité à dix ans. En outre, a-t-il ajouté, cette autorité considère que le terme des trente premières années de fonctionnement constitue une étape fondamentale. Il s'est interrogé sur l'opportunité de donner une plus grande lisibilité à la réglementation et aux perspectives d'exploitation des réacteurs nucléaires. Jugeant nécessaire de faire coïncider la procédure de délivrance du permis de construire avec l'autorisation de création, il a en outre estimé souhaitable qu'une autorisation de fonctionnement soit délivrée en bonne et due forme alors qu'en l'état actuel du droit, les autorités compétentes ne font connaître qu'une non-opposition au fonctionnement des installations.

S'interrogeant sur la durée d'exploitation des centrales de l'hexagone, M. Claude Birraux a constaté que les facteurs déterminants pour la durée de vie de ces installations tenaient à l'état des composants non remplaçables, la cuve et l'enceinte de confinement. Eu égard au fait que la fragilisation de la cuve soumise à des radiations semble moins rapide que prévue et que, pour les enceintes de confinement, des solutions techniques ont été trouvées, il a jugé que l'objectif d'une durée d'exploitation de quarante années ne semblait pas impossible à atteindre pour la majorité des réacteurs d'EDF et qu'elle pourrait être prolongée, au-delà, à un coût économique acceptable pour la plupart des réacteurs, mais probablement pas pour la totalité.

M. Christian Bataille a estimé que l'extension de la durée de vie des centrales s'avérait un enjeu économique capital, considérant que la prolongation d'une année de fonctionnement d'un réacteur nucléaire amorti se traduisait par une économie annuelle de coûts de production de 100 millions d'euros, et qu'il convenait d'améliorer encore les performances d'exploitation de ces installations de production.

M. Claude Birraux a jugé souhaitable d'accroître la recherche et le développement sur le vieillissement des centrales nucléaires, estimant que les moyens financiers mis en oeuvre en France et en Europe étaient inférieurs à ceux des Etats-Unis. Puis il a considéré comme nécessaire que de nouveaux réacteurs entrent en fonctionnement dès 2020, afin de faire face à toute éventualité pour viser, à l'horizon 2050, le renouvellement d'un parc électronucléaire d'une taille de 50 GWe. Il a enfin noté que si le renouvellement commençait en 2025, la durée de vie des réacteurs en service devrait atteindre 52 ans et même 59 ans si le renouvellement était repoussé à 2035.

Puis M. Christian Bataille a évoqué les nouveaux types de réacteurs et les dates de leur éventuelle mise en service. En ce qui concerne le projet European pressurized water reactor (EPR), dont il a rappelé les principales caractéristiques technologiques, il a estimé que le coût de production du Mégawatt, soit 30,9 euros, était compétitif par rapport au cycle combiné à gaz dont le prix par Mégawatt s'élève à 35,1 euros dans le cadre d'une hypothèse médiane relative au prix du gaz. Il a ajouté que, selon EDF, le coût de production du courant issu de l'EPR resterait compétitif par rapport au prix du gaz si une série de quatre tranches est réalisée.

S'agissant des projets des autres constructeurs, M. Claude Birraux a mentionné :

- l'Advanced boiling water reactor de General Electric (réacteur avancé de 1.350 MWe) ;

- le réacteur SWR 1000, également à eau bouillante, de Framatome ANP ;

- et enfin les réacteurs à eau pressurisée APWR 1500 et AP 1000 de Westinghouse et VVER 1000 de Minatom (Russie).

Il a observé que le réacteur AP 1000 semblait combiner le retour d'expérience issu des réacteurs à eau pressurisée et une volonté d'innovation qui suscitent l'intérêt des exploitants et des responsables de la politique énergétique.

Evoquant la question de la construction d'une « tête de série » de l'EPR, M. Christian Bataille a rappelé la problématique économique qui préside à ce choix, avant d'estimer qu'il est impératif de ne pas rééditer le « sprint » de dix à quinze ans effectué par l'industrie nucléaire française dans les années 80, considérant qu'un rythme trop élevé de constructions nécessite des investissements massifs, pèse sur les coûts de fabrication et aboutit à une longue période sans construction qui nuit à la bonne utilisation des compétences.

Il a ajouté que pour que la concurrence sur le marché électrique soit compatible avec des investissements à long terme, il s'avère nécessaire d'instituer des taxes sur les émissions polluantes et des aides financières au développement, à l'instar de ce que propose un membre du Sénat des Etats-Unis selon lequel des facilités de crédit devraient être accordées à l'industrie nucléaire. Il a considéré indispensable de réintroduire l'impératif de la longue durée dans les choix énergétiques de la France.

M. Claude Birraux s'est ensuite intéressé aux différents types de réacteurs susceptibles d'exister en 2035, dont il a dressé une typologie, avant que M. Christian Bataille n'évoque la coopération de General Atomics et du ministère russe de l'énergie atomique pour créer un réacteur GT-MHR d'une puissance de 300 MWe qui pourrait consommer 250 kilogrammes de plutonium par an et serait localisé en Russie, au plut tôt en 2010.

Puis M. Claude Birraux a évoqué le réacteur à très haute température VHTR, qui se distingue du précédent par une température nettement plus élevée, destinée à brûler de l'uranium faiblement enrichi et à incinérer, outre du plutonium, des actinides mineurs. Ce réacteur, a-t-il considéré, est une priorité pour les Etats-Unis qui souhaitent développer la production d'hydrogène, objectif central pour la politique énergétique de l'administration Bush.

M. Christian Bataille a envisagé l'avenir des réacteurs à neutrons rapides et, notamment, du RNR refroidi au sodium, qui intéresse, outre la France, le Japon, la Russie et les Etats-Unis. Il a également mentionné l'utilisation des réacteurs à eau légère et la transmutation des déchets, considérant que le choix de nouveaux réacteurs, à l'horizon 2030, devrait tendre à minimiser les déchets de haute activité à vie longue, ce qui ne suffirait pas à résoudre le problème posé par les déchets issus des réacteurs en fonctionnement. C'est pourquoi, a-t-il observé, il conviendra de disposer de réacteurs spécialisés dans la transmutation, ce qui nécessitera un débat sur la filière technologique la plus appropriée en la matière (réacteur hybride ou réacteur à neutrons rapides).

M. Claude Birraux a enfin rappelé que la France possède une réelle avance en matière de réacteurs à sels fondus et à cycle de thorium, filières qui doivent se voir reconnaître une place spécifique dans la recherche et le développement nucléaire, pour laquelle, d'un point de vue plus général, la coopération internationale d'une part, et la coopération entre le CEA, le CNRS, les universités et l'industrie, d'autre part, sont indispensables dans le cadre d'une recherche pluraliste.

Après avoir remercié les deux orateurs pour la qualité de leurs travaux, M. Henri Revol s'est interrogé sur le risque qui s'attacherait à attendre la mise en service des réacteurs révolutionnaires au lieu de recourir à l'EPR.

M. Claude Birraux lui a répondu que rien n'assurait que les réacteurs de quatrième génération seraient réellement opérationnels en 2035 et que si un défaut survenait d'ici là, il obligerait à recourir à des centrales à cycle combiné-gaz dont le fonctionnement occasionne d'importantes émissions atmosphériques, hypothèse qu'il a estimée n'être ni raisonnable ni responsable.

A M. Daniel Raoul qui se demandait si le pari sur la mise en service des réacteurs de génération IV retardait le lancement d'une génération intermédiaire, M. Christian Bataille a précisé que le démonstrateur VHTR entrerait en service en 2017 au plus tôt et que tous les projets de génération IV étant, pour le moment, des « technologies papier », on ne pouvait présumer de leur mise en service effective. Il a souligné l'intérêt que présentaient les réacteurs « évolutionnaires », tant en France qu'aux Etats-Unis, d'autant qu'il existe un débouché pour cette technologie dans le monde. M. Claude Birraux a ajouté que la technologie des réacteurs de quatrième génération se heurtait, pour le moment, à des problèmes tenant aux matériaux.

A une autre question du même orateur qui s'interrogeait pour savoir si la France était capable d'accompagner le lancement de l'EPR tout en conservant ses compétences en ce qui concerne les technologies de quatrième génération, M. Claude Birraux a répondu que l'EPR était un projet franco-allemand et que, s'agissant des réacteurs de génération IV, même si la France y consacrait des moyens conséquents, seule une coopération internationale permettrait de réaliser des progrès suffisants pour éviter que les technologies reposant sur l'hydrogène ne soient, à terme, l'apanage des Etats-Unis.

M. Jean-Pierre Vial ayant demandé si le démantèlement de Superphénix est irréversible, et si l'on envisageait de reconvertir le site, M. Claude Birraux a estimé que le retrait du sodium étant engagé, tout retour en arrière était techniquement impossible, observant en outre que plusieurs régions françaises s'étaient déclarées candidates pour accueillir un EPR.

Répondant à M. Christian Fouché qui l'interrogeait sur le coût, arrêt compris, de Superphénix, M. Christian Bataille a répondu que celui-ci était estimé à 60 milliards de francs.

M. Daniel Reiner ayant souligné la dimension politique de la décision d'implanter un EPR et le caractère très malléable de l'opinion, eu égard au caractère parfois irrationnel de ses craintes, M. Christian Bataille a souligné que l'Office parlementaire menait, outre une analyse scientifique, une réflexion politique.

Commerce - Communication - Confiance dans l'économie numérique - Examen des amendements

La commission a poursuivi l'examen des amendements sur le projet de loi n° 195 (2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, pour la confiance dans l'économie numérique.

A l'article 12 (lutte contre le spamming), elle a donné :

- un avis favorable aux amendements n°s 103 et 104, 112 et 115 de M. Roger Karoutchi ;

- un avis défavorable aux amendements n°s 105 à 111, 114, 116, 118 car satisfaits, et 119 de M. Roger Karoutchi, 204, 205 et 206 du Gouvernement, 131, 200, 7 et 8 de M. Christian Gaudin et des membres du groupe de l'Union centriste, 123 de M. Jean-Louis Lorrain et 156 de Mme Odette Terrade, M. Robert Bret et des membres du groupe communiste républicain et citoyen, après une intervention de Mme Odette Terrade.

Elle s'en est remise à la sagesse du Sénat sur les amendements n°s 113 et 117 de M. Roger Karoutchi, et 157 de Mme Odette Terrade, M. Robert Bret et des membres du groupe communiste républicain et citoyen.

A l'article 14 (régime des actes et contrats souscrits et conservés sous forme électronique), la commission s'est prononcée pour les amendements n°s 69 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois, après une intervention de son auteur, 70 et 71 du même auteur, 9 de M. Christian Gaudin et des membres du groupe de l'Union centriste ; et contre les amendements n°s 192 de M. Michel Pelchat et 207 du Gouvernement.

A l'article 18 (utilisation, fourniture, transfert, importation et exportation de moyens de cryptologie), elle a émis un avis favorable aux amendements n°s 72 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois et 208 du Gouvernement ; elle s'en est remise à la sagesse du Sénat pour l'amendement n° 126 de M. Jean-Louis Lorrain.

A l'article 19 (régime de la prestation de services de cryptologie), la commission a donné un avis favorable à l'amendement n° 73 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois.

A l'article 20 (responsabilité des prestataires de services de cryptologie à des fins de confidentialité), elle a statué pour les amendements n°s 74 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois et 190 de MM. Pierre-Yvon Trémel, Daniel Raoul et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.

A l'article 21 (responsabilité des prestataires de services de cryptologie à des fins de certification), elle a donné un avis favorable aux amendements n°s 75 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois, 209 du Gouvernement et un avis défavorable à l'amendement n° 210 du Gouvernement car satisfait.

A l'article 23 (sanctions pénales), la commission s'est déclarée favorable aux amendements n°s 76 et 77 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois et a demandé l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 140 de M. René Trégouët.

A l'article 24 (pouvoirs d'investigation et agents habilités à rechercher et constater les infractions), elle a donné un avis favorable à l'amendement n° 78 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois.

A l'article 25 (aggravation des sanctions pénales en cas d'utilisation d'un moyen de cryptologie pour préparer ou commettre une infraction), elle a émis un avis favorable aux amendements n°s 79 et 80 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois, et défavorable aux amendements n°s 158 de Mme Odette Terrade, M. Robert Bret et des membres du groupe communiste républicain et citoyen, et 191 de MM. Pierre-Yvon Trémel, Daniel Raoul et des membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.

A l'article 26 (obligation pour les personnes fournissant des prestations de cryptologie de remettre leurs conventions de déchiffrement), la commission s'est prononcée pour l'amendement n° 81 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois, et contre les amendements n°s 159 et 160 de Mme Odette Terrade, M. Robert Bret et des membres du groupe communiste républicain et citoyen.

A l'article 27 (réquisition des moyens de décryptage), la commission a émis un avis favorable à l'amendement n° 82 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois.

Après l'article 32, la commission a donné un avis favorable à l'amendement n° 83 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois tendant à insérer un article additionnel.

A l'article 34 (création d'une nouvelle incrimination en matière de droit de l'informatique), elle a émis un avis favorable à l'amendement n° 84 de M. Alex Türk au nom de la commission des lois, et défavorable aux amendements n°s 161 à 164 de Mme Odette Terrade, M. Robert Bret et des membres du groupe communiste républicain et citoyen.

A l'article 37 bis (contribution au fonds de financement du service universel des télécommunications), la commission s'est déclarée défavorable à l'amendement n° 141 de M. René Trégouët et s'en est remise à la sagesse du Sénat pour l'amendement n° 127 de M. Jean-Louis Lorrain.

Après l'article 37 bis, la commission s'est déclarée favorable à l'amendement n° 193 de M. Michel Pelchat et défavorable aux amendements n°s 194, 195, 196 et 197 de M. Michel Pelchat tendant à insérer un article additionnel.

A l'article 38, la commission a donné un avis défavorable à l'amendement n° 147 de MM. Bernard Barraux et Jean-Louis Lorrain car satisfait..

Nomination d'un rapporteur

La commission a enfin procédé à la nomination, à titre officieux, de M. Pierre André en qualité de rapporteur sur le projet de loi n° 950 (AN XIIe législature) d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine.

Mission en Russie - Audition de MM. Hugues Pernet, directeur de l'Europe continentale au ministère des affaires étrangères, Arnaud de Sury, conseiller du ministre, et Pierre Cochard, sous-directeur à la direction de l'Europe continentale

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a, dans le cadre de la préparation de son déplacement en Russie en septembre 2003, entendu MM. Hugues Pernet, directeur de l'Europe continentale au ministère des affaires étrangères, Arnaud de Sury, conseiller du ministre, et Pierre Cochard, sous-directeur à la direction de l'Europe continentale.

M. Arnaud de Sury a tout d'abord présenté les objectifs poursuivis par le Président Vladimir Poutine pour mettre un terme à la désorganisation du système socio-économique connue par la Russie dans les années 90 et ayant conduit à la profonde crise de 1998, et brossé un tableau général de la situation actuelle du pays.

S'agissant des objectifs, il a indiqué que l'exécutif russe cherchait à restaurer la confiance de la société russe en elle-même et de ses partenaires étrangers, et à moderniser l'économie. M. Arnaud de Sury a ainsi souligné que, pour insuffler un nouvel état d'esprit, M. Vladimir Poutine entendait rassurer et stabiliser, en mettant fin aux changements incessants de politiques économiques et de gouvernements, caractéristiques des années précédant son mandat ; qu'il visait à instaurer la légalité en s'appuyant sur le concept de « dictature de la loi » pour clarifier les responsabilités et les compétences des structures politiques nationales et locales, « débureaucratiser » le système politico-économique et l'adapter aux exigences de la modernité en agissant dans tous les domaines par l'édiction de codes intégrant les concepts permettant à la loi d'avoir prise sur la réalité (code du travail qui reconnaît le contrat de travail privé, code foncier qui autorise la propriété privée, code fiscal qui institue un impôt sur le revenu, code pénal et code civil qui établissent des procédures de droit, etc.) ; qu'il cherchait enfin à structurer les relations économiques et les relations du travail, par exemple en associant le RSPP (le MEDEF russe) à la définition de la norme de droit.

M. Arnaud de Sury a par ailleurs indiqué qu'au plan économique, le Président Poutine souhaitait, pour rallier la Russie à l'OMC et la rapprocher de l'Union européenne, assainir les finances publiques, diminuer la dette, stabiliser la monnaie, réformer les grands monopoles, développer les capacités de production et restaurer la consommation intérieure.

Face à cet ambitieux programme de réformes, M. Arnaud de Sury a estimé que la Russie se trouvait « au milieu du gué ». La croissance économique est réelle (entre 8 et 10 % chaque année entre 1999 et 2001), même si elle a un peu faibli en 2002, la consommation progresse d'environ 9 % annuellement, la production agricole et industrielle reste vive et le taux de change est stabilisé. Toutefois, le pays est confronté à un déséquilibre structurel de ses échanges, tributaires des prix internationaux des matières premières et énergétiques ; il connaît toujours de réels problèmes de corruption. Il est confronté à la nécessité de diversifier son réseau industriel et de bâtir un réseau d'épargne locale, et doit créer les conditions propres à attirer les investissements étrangers.

S'agissant des relations entre la France et la Russie, M. Arnaud de Sury a souligné l'importance de leur partenariat stratégique au plan politique : d'excellents contacts personnels entre les Président, de fréquentes rencontres entre les Premiers ministres, de nombreuses relations entre les acteurs économiques, ou encore le soutien français à la réinsertion de la Russie sur la scène internationale, comme en témoigne sa récente participation au Sommet du G8, et à son rapprochement avec l'Union européenne, exprimé lors de la rencontre de Saint Petersbourg en mai dernier. Il a ajouté que ces bonnes relations existaient également au plan économique : les contrats noués avec Airbus ou Gaz de France, le projet « Soyouz à Kourou », le maintien d'environ 400 entreprises françaises en Russie après la crise de 1998, en dépit de la chute de l'activité qui l'a suivie, l'importance de la présence française dans des secteurs d'activité importants, tels l'agroalimentaire (Danone, Bonduelle) ou l'énergie. Il a toutefois relevé que des difficultés pouvaient persister, tenant en particulier à la protection de la propriété intellectuelle et à des problèmes fiscaux (rencontrés notamment par TotalFinaElf).

Estimant que la Russie était, pour la France, un partenaire essentiel au plan géopolitique, M. Hugues Pernet a quant à lui souligné que, malgré ses récents progrès très importants, ce pays était encore économiquement fragile. Après avoir rappelé que le seul budget de la défense américain était supérieur à 350 milliards de dollars, il a observé que le PIB russe était estimé entre 300 et 600 milliards de dollars, ce qui expliquait les difficultés de ce pays à disposer de capitaux lui permettant d'investir pour moderniser son appareil de production et de transformation : c'est pourquoi, a-t-il indiqué, la Russie est essentiellement un pays vivant de ses rentes, c'est-à-dire des ressources de son sous-sol et de son agriculture, qu'il transforme très peu.

Rappelant ensuite que ce pays avait connu un traumatisme majeur en passant du statut de « super-grand » à celui de moyenne puissance, M. Hugues Pernet a relevé que son exceptionnelle superficie et sa situation géographique (frontières communes avec la Chine, l'Afghanistan, l'Iran, les pays du Caucase, la Turquie, l'Union européenne, et même les Etats-Unis et le Japon) en faisaient néanmoins un partenaire indispensable pour la résolution de tout problème géostratégique. Il a observé que la période du Président Eltsine avait permis de gérer le démembrement d'un empire sans crise majeure comparable à celles connues en d'autres circonstances et d'autres lieux, même si de nombreux problèmes demeuraient et que le pays n'avait pas immédiatement acquis tous les réflexes démocratiques. M. Hugues Pernet a considéré qu'après cette période de transition relativement pacifique, le Président Poutine cherchait, parfois certes par la voie de méthodes autoritaires, à redonner une cohérence à ce très vaste ensemble privé de son « épine dorsale » qu'avait longtemps constitué le Parti communiste. Il a d'ailleurs rappelé que des élections parlementaires se tiendraient avant la fin de l'année et que des élections présidentielles, sans danger pour l'exécutif actuel, auraient lieu en 2004. Il a enfin estimé que le problème tchétchène, très important au plan moral, humanitaire, politique et militaire, constituait un révélateur des défis que doit affronter la Russie et de la capacité de son système politique à surmonter les difficultés.

M. Gérard Larcher, président, s'étant interrogé sur ce qu'il était advenu de l'industrie soviétique et sur la place qu'occupait aujourd'hui en Russie l'outil de défense, M. Hugues Pernet a rappelé que l'industrie de défense, qui a longtemps représenté la majeure partie de l'activité économique soviétique, était toutefois déconnectée de l'armée soviétique elle-même, et que le processus de production était réparti sur l'ensemble de l'Union soviétique, chaque république en disposant d'une partie. Cette situation historique est à l'origine des difficultés survenues dans les années 90 avec l'explosion de l'empire, aucun Etat nouvellement indépendant n'étant en mesure, à lui seul, de poursuivre une activité industrielle autonome. A cette observation, qui explique la nécessité pour ces Etats de poursuivre une étroite collaboration avec la Russie, s'ajoute l'obsolescence de l'outil productif, faute d'investissements depuis la fin des années 60. Ayant ajouté que la Russie et l'Ukraine disposaient toutefois d'une capacité propre de production d'armements supérieure à leurs besoins, ce qui les conduisait à exporter leurs surplus qu'on retrouvait dans tous les conflits du globe, M. Hugues Pernet a indiqué que cette situation interpellait la France et, plus largement, l'Union européenne, qui avaient pour objectif de contribuer à l'éviter.

Revenant alors sur la parcellisation de l'industrie russe, M. Arnaud de Sury a relevé qu'elle résultait tout autant du démembrement de l'Union soviétique que de la privatisation qui l'a suivi, et sur son état d'obsolescence, qui est à peu près général. Il a souligné que la situation actuelle avait pour conséquence sociale d'entretenir un mythe et une nostalgie soviétiques (« avant, on faisait peur au monde, on se déplaçait dans toute l'URSS, le système de santé soignait, etc. »), ce qui expliquait que le Parti communiste dispose encore d'un important électorat.

Après avoir estimé que, paradoxalement, l'URSS faisait peur par sa puissance alors que la Russie inquiétait par sa faiblesse, M. Hugues Pernet a relevé que le pays avait été confronté à un véritable problème de confiance de la part de ses partenaires, qui s'interrogeaient sur les possibilités réelles de coopération, la crédibilité des engagements russes, la présence des réseaux mafieux, le contrôle des installations nucléaires, etc. Soulignant qu'il était nécessaire, mais difficile, pour les autorités françaises d'encourager les investisseurs français à s'établir en Russie, alors même que les détenteurs russes de capitaux désinvestissaient, il a indiqué que plus de 20 milliards de dollars étaient chaque année exportés illégalement hors de Russie à la fin des années 90. Grâce aux efforts vis-à-vis du Groupe d'action financier international (Gafi), ce mouvement tendait à décélérer. Pour conclure, M. Hugues Pernet a cependant observé que les touristes russes, qui sont très nombreux à l'étranger, revenaient tous dans leur pays, ce qui devait conduire à penser que la vie en Russie était jugée satisfaisante par ses ressortissants.

A la suite de ces propos, M. Gérard Bailly a demandé qui étaient les propriétaires des capitaux russes et comment s'était déroulée leur acquisition, quels étaient les produits russes susceptibles d'être exportés, comment pouvait être gérée par la France et ses partenaires européens l'intégration dans l'Union européenne de la Pologne, pays qui entend néanmoins conserver avec la Russie des relations économiques privilégiées, et quelle était la politique des autorités russes à l'égard de leur parc nucléaire, dont l'obsolescence ne laisse pas d'inquiéter.

M. Georges Gruillot s'est interrogé sur ce qu'il était advenu de l'armée russe, ainsi que sur son état et sur son fonctionnement actuels. A cet égard, M. Hilaire Flandre a souhaité être informé plus particulièrement sur l'importance et l'entretien des stocks nucléaires militaires russes, avant de demander des précisions sur les exportations de capitaux.

Prenant pour exemple les tentatives avortées des enseignes de la grande distribution française de s'établir en Russie dans les années 90, M. Dominique Braye a estimé que le partenariat occidental pour accompagner le développement économique du pays ne pouvait être envisagé que si les deux parties y trouvaient intérêt. Pour sa part, M. Christian Gaudin a demandé dans quelles conditions fonctionnait le secteur agricole russe.

En réponse, M. Hugues Pernet a tout d'abord indiqué que l'industrie russe de l'armement souffrait tout à la fois de l'éclatement de l'Union soviétique, de l'absence de commandes par l'armée fédérale soviétique puis russe depuis plusieurs années, et de l'absence d'investissements en recherche-développement, toutes raisons qui expliquent que l'outil industriel très performant au début des années 70 soit aujourd'hui largement obsolète. Alors même que le budget fédéral est insuffisant pour moderniser cet outil, M. Hugues Pernet a estimé que la vente des stocks ne pouvant plus être entretenus, et qui sont dispersés partout où existent des conflits, constituait une menace sérieuse. Il a ajouté que la déliquescence de l'armée russe, qui traverse une crise morale et matérielle majeure, la rendait incapable de mener des opérations militaires cohérentes, comme en témoignait la persistance du conflit en Tchétchénie, zone à peine grande comme trois départements français. Il a considéré que ce conflit empêchait au demeurant la réforme et la modernisation de l'armée russe, laquelle, forte seulement de 1,4 à 1,7 million d'hommes pour la défense d'un territoire colossal, est toujours organisée dans une logique de « guerre froide » avec l'Occident qui ne répond plus du tout aux nouvelles réalités géostratégiques : nécessité de contrôler 4.000 km de frontière commune avec la Chine et, au Sud, proximité de zones au fort potentiel de déstabilisation (Afghanistan, Iran, Turquie...).

Rappelant que la conscription fonctionnait très mal en Russie (nombreuses désertions, faible qualification des troupes, problèmes de ventes illégales d'armes et de munitions par les soldats, etc.), M. Pierre Cochard a alors indiqué que si l'objectif du Président Poutine était de professionnaliser l'armée russe, cette réforme n'avait pas encore pu être engagée, faute notamment de financements suffisants. S'agissant des stocks d'armes conventionnelles, il a souligné que la Russie s'était engagée en 1991 dans le cadre du traité sur les forces conventionnelles en Europe sur un programme massif de destruction, qui avait été bien respecté selon les rapports des inspections réalisées par les Occidentaux. Enfin, en ce qui concerne l'armement nucléaire, il a précisé que les russes n'étaient plus en mesure, pour des raisons budgétaires, d'atteindre les plafonds autorisés par les accords russo-américains, et que le problème était même l'entretien des stocks actuels. A cet égard, M. Hugues Pernet a rappelé que les USA et l'Union européenne étaient disposés à aider la Russie à démanteler ses stocks et à transformer la matière fissile pour un usage civil, tout comme au demeurant les stocks d'armements bactériologiques et chimiques, mais qu'il existait un véritable problème de confiance sur l'utilisation exacte par les Russes des fonds ainsi dégagés par la communauté internationale.

M. Arnaud de Sury a ajouté que les autorités russes considéraient que leur faiblesse actuelle constituait précisément un moyen de conduire les Occidentaux, soucieux de stabilité et de sécurité, à participer à leur effort de modernisation du pays, dans une logique « gagnant-gagnant ». Il a ainsi estimé que si la présence américaine en Asie centrale constituait une manifestation de la faiblesse de la Russie, elle permettait aussi à ce pays de bénéficier d'une sécurisation de son flanc sud à moindre frais. De même, la participation de l'Union européenne, qui cherche à diversifier ses sources d'approvisionnement pétrolier, à la modernisation et au développement du réseau de transport pétrolier russe est intéressant pour l'Etat fédéral. Enfin, l'adhésion de la Russie au Gafi lui permet de mieux appréhender la traçabilité de ses flux financiers, tandis qu'elle participe du mouvement de sécurisation exigé par les Etats occidentaux, pour favoriser l'investissement international dans le pays.

Abordant la question du nucléaire civil, M. Hugues Pernet a considéré que le renforcement de la sûreté de l'outil nucléaire russe constituait un enjeu fondamental nécessitant la mobilisation de sommes colossales. A cet égard, il a observé qu'une sérieuse ambiguïté existait quant aux intentions exactes des autorités russes, dont la logique productiviste ne s'était jusqu'ici guère souciée de préoccupations environnementales, ni même de la garantie d'une sûreté maximale à l'égard des populations.

En réponse aux interrogations relatives au partenariat franco-russe en matière économique, M. Arnaud de Sury a souligné que la situation en Russie aujourd'hui était extrêmement différente de celle que connaissait le pays il y a cinq ans, et que les investisseurs français ne s'y trompaient pas : il a ainsi cité Auchan, qui a ouvert plusieurs hypermarchés ces deux dernières années, ou Renault, et indiqué que les entreprises françaises pouvaient, en raison de leurs compétences reconnues en la matière, obtenir d'importants contrats dans la gestion des services municipaux (eau, gaz, déchets, voirie, assainissement, etc.), où les besoins sont immenses en Russie. S'agissant du secteur agricole, il a rappelé que deux années extraordinaires de production céréalière avaient conduit la Russie (et l'Ukraine) a exporter massivement, ce qui avait totalement saturé les marchés internationaux et rendu nécessaire, de la part de l'Union européenne, une réaction rapide pour protéger son propre secteur céréalier et, dans un second temps, l'engagement d'une réflexion pour aider l'agriculture russe à se diversifier.

Qualifiant l'économie agricole russe de « rentière », M. Hugues Pernet a pris l'exemple de la filière sylvicole pour souligner que la Pologne pouvait en effet avoir intérêt à maintenir d'importants flux économiques avec la Russie dans la mesure où la transformation de produits bruts importés lui assurait de substantielles plus-values. Il a souligné que, ces dernières années, les acteurs économiques russes adoptaient un comportement commercial qui « cassait » les marchés internationaux (diamant, métaux précieux, produits agricoles, etc.) et remettait en cause les acquis de nombre de leurs partenaires, dont la France. Il a conclu qu'en tout état de cause, les Etats occidentaux étaient obligés d'aider, d'accompagner et de policer cette économie russe, même si une telle politique pouvait conduire à la rendre plus concurrentielle à l'égard de leurs propres économies.

A propos de l'agriculture, M. Pierre Cochard a rappelé qu'elle représentait 6 à 7 % du PIB de la Russie et que le mouvement de privatisation connu par d'autres secteurs, notamment en milieu urbain par la mise en oeuvre d'un nouveau code foncier, n'avait pas encore été engagé. Il a souligné que, compte tenu de la structuration actuelle du foncier et de la faiblesse de l'épargne populaire, la privatisation des terres risquait de donner le premier rôle aux grands groupes industriels. Il a indiqué que la coopération française dans le domaine agricole (dans l'élevage, en matière vétérinaire, dans la normalisation, etc.) était importante.

S'agissant de la fuite illégale des capitaux russes, M. Pierre Cochard a précisé qu'elle était revenue de plus de 20 milliards de dollars en 2000 à environ 11 milliards en 2002, et surtout qu'il était constaté un mouvement de retour des capitaux en Russie, en particulier en provenance de Chypre, pays qui avait accueilli une partie importante de cette évasion (et, de ce fait, aujourd'hui deuxième Etat d'origine des investissements « étrangers » en Russie).

Enfin, à M. Hilaire Flandre qui demandait comment avaient pu se constituer en Russie, en si peu de temps, des fortunes aussi importantes, M. Arnaud de Sury a indiqué que les privatisations avaient souvent bénéficié aux ex-cadres du parti communiste, dans la mesure où ils avaient une excellente connaissance de la rentabilité réelle de l'outil productif.A cet égard, M. Pierre Cochard a précisé que plusieurs des « oligarques » russes étaient d'anciens responsables des organisations de masse (Komsomol).