COMMISSION MIXTE PARITAIRE CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DU PROJET DE LOI RELATIF À LA LIMITATION DU CUMUL DES MANDATS ÉLECTORAUX ET DES FONCTIONS ET À LEURS CONDITIONS D'EXERCICE

JEUDI 9 DÉCEMBRE 1999

- Présidence de Mme Tasca, présidente. La commission mixte paritaire a tout d'abord procédé à la nomination de son bureau qui a été ainsi constitué :

--  Mme Catherine Tasca, députée, présidente ;

--  M. Michel Duffour, sénateur, vice-président.

La commission a ensuite désigné M. Bernard Roman, député, et M. Jacques Larché, sénateur, respectivement rapporteurs pour l'Assemblée nationale et le Sénat.

M. Jacques Larché, rapporteur pour le Sénat, a souhaité rappeler au préalable l'état de la discussion. Il a tout d'abord observé que le Sénat et l'Assemblée nationale étaient parvenus à un accord sur un certain nombre de points importants, alors que subsistaient aussi des difficultés d'inégale ampleur. En premier lieu, il a noté que les deux chambres s'étaient accordées sur le principe de la limitation du cumul à deux mandats exercés simultanément, ainsi que sur l'incompatibilité entre deux fonctions exécutives locales.

S'agissant de la question de la prise en compte des fonctions exercées au sein des établissements publics de coopération intercommunale, il a souligné qu'elle avait suscité un débat approfondi au Sénat, des opinions fort diverses s'étant exprimées sur ce sujet. Il a indiqué que le Sénat avait jugé qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte ces fonctions intercommunales dans le champ des incompatibilités pour ne pas porter atteinte à la dynamique nouvelle insufflée à la coopération intercommunale par la loi du 12 juillet 1999. Observant, en effet, que souvent les maires étaient à l'origine de la création de structures intercommunales, il a estimé qu'il était souhaitable que ces élus puissent ensuite endosser des responsabilités au sein de ces établissements publics. Il a ajouté que, si les maires ne pouvaient devenir présidents de tels établissements, leur engagement en faveur de l'intercommunalité risquait d'être moindre. Considérant qu'à un terme plus ou moins rapproché, les dirigeants des structures intercommunales seraient sans doute élus au suffrage universel direct, il a estimé qu'il conviendrait d'examiner à nouveau cette question à cette occasion.

Par ailleurs, il a rappelé que le Sénat n'avait pas retenu le dispositif adopté par l'Assemblée nationale visant à interdire à un maire, démissionnant de sa fonction pour cause d'incompatibilité, de bénéficier ensuite d'une délégation en qualité d'adjoint. Il a considéré, en effet, que le maire devait garder en la matière la liberté de choisir les élus municipaux auxquels il entendait confier des responsabilités.

Il a, par ailleurs, souligné que le Sénat n'avait pas jugé souhaitable de retenir les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale relatives aux incompatibilités avec des fonctions non électives, le Gouvernement ne s'étant d'ailleurs pas révélé hostile à la démarche sénatoriale. Il a ajouté que le Sénat avait également supprimé la disposition portant à 18 ans l'âge d'éligibilité pour tous les mandats mais qu'en revanche, il avait voté les articles relatifs au statut de l'élu. A ce sujet, il a observé que certaines dispositions n'avaient pas encore été examinées par l'Assemblée nationale, en particulier celles relatives aux indemnités de fonction, à la suspension du contrat de travail et à l'application immédiate de la majoration des indemnités des maires. Il a relevé, enfin, que demeurait en suspens la question du statut du député au Parlement européen. A ce titre, il a considéré qu'il n'était peut-être pas cohérent que la commission mixte paritaire examine le projet de loi simple alors que le projet de loi organique relatif aux incompatibilités applicables aux parlementaires restait en débat.

M. Bernard Roman, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a exprimé son accord avec M. Jacques Larché sur le fait que l'articulation entre la loi organique, telle qu'elle a été adoptée par le Sénat, et la loi ordinaire, dans sa rédaction résultant des travaux de l'Assemblée, manquait de logique. Indiquant qu'il aurait souhaité qu'un troisième texte de nature constitutionnelle relatif aux incompatibilités applicables aux ministres soit soumis aux assemblées, il a tenu à rappeler la cohérence de la réforme d'ensemble souhaitée par l'Assemblée nationale. Il a indiqué que la démarche retenue par la majorité gouvernementale se fondait sur le souci d'améliorer la disponibilité des élus et de réduire les conflits d'intérêts dus à l'exercice simultané de plusieurs mandats et fonctions. Soucieux de faire prévaloir cette logique, il a considéré qu'il n'était pas envisageable que la commission mixte paritaire aboutisse à un accord, alors même que le Sénat use de son pouvoir de blocage pour les dispositions de la loi organique. Il a tenu à souligner l'absence de logique de la majorité sénatoriale, qui admet qu'un maire ne peut assurer la présidence d'un conseil général, mais souhaite cependant qu'il puisse continuer à siéger à l'Assemblée nationale ou au Sénat.

Il a ensuite rappelé que les deux projets de loi relatifs au cumul des mandats poursuivaient trois objectifs : la rupture du lien entre l'exercice d'une fonction exécutive locale et un mandat national, la limitation à deux du nombre de mandats exercés et, enfin, la transparence. Il a souligné que, pour l'Assemblée, la limitation du nombre des mandats devrait s'appliquer à compter du prochain renouvellement général de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire en 2002, alors que le Sénat entendait reporter pour ses membres l'échéance à l'expiration de leur mandat de sénateur, c'est-à-dire à 2001, 2004 et 2007.

Il a regretté que le Sénat refuse de distinguer les incompatibilités applicables aux mandats et aux fonctions exécutives locales pour les parlementaires et qu'il exclue, dans le même temps, du champ des incompatibilités les présidences d'établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Puis il a exprimé son désaccord avec le dispositif adopté par le Sénat pour les membres du Parlement européen, maintenant la possibilité de cumul avec un exécutif local, alors même que le rythme de travail de cette assemblée et l'exigence du vote personnel requièrent la disponibilité des élus.

Insistant sur la nécessité de promouvoir la transparence, il a observé qu'il s'agissait notamment de répondre aux critiques formulées par la majorité sénatoriale sur le cumul de fonctions ministérielles avec des fonctions exécutives locales ; faisant observer que l'interdiction pour les exécutifs locaux de confier des délégations à des élus démissionnaires pour des raisons d'incompatibilité permettait de répondre à ces critiques, il s'est étonné que ce dispositif n'ait pas pour autant été retenu par le Sénat. Par ailleurs, il a jugé que la règle de l'abandon du mandat le plus ancien en cas d'incompatibilité relevait du respect des électeurs dont les suffrages sont sollicités. Quant aux incompatibilités introduites par l'Assemblée nationale avec certaines fonctions non électives, il a souligné qu'elles visaient à répondre au risque de confusion d'intérêts dans la sphère publique.

Pour toutes ces raisons, après avoir rappelé l'attachement des Français à la limitation du cumul des mandats, il a déclaré qu'il n'y avait guère d'espace de négociation possible au sein de la commission mixte paritaire, à moins que le Sénat ne se rallie aux principes fondamentaux retenus par la majorité de l'Assemblée nationale.

Tout en indiquant qu'il comprenait le point de vue exprimé par le rapporteur pour l'Assemblée nationale, M. Jacques Larché, rapporteur pour le Sénat, a précisé qu'il ne le partageait évidemment pas. Il a indiqué qu'il n'avait pas mentionné les incompatibilités ministérielles en raison du manque de sérieux avec lequel les ministres démissionnant de leur fonction de maire devenaient ensuite premier adjoint en conservant tous les attributs de leur précédente fonction. Il a également réaffirmé sa conviction profonde, nourrie d'un argument nouveau, en faveur du maintien de la compatibilité entre les fonctions parlementaires et celles d'exécutif local. Observant l'évolution de l'outre-mer français, il a, en effet, relevé que la départementalisation y était à bout de souffle et estimé que l'apparition de nouvelles structures, originales comme en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française, était inéluctable. A l'aune de cette perspective d'évolution, il a considéré que le maintien de la compatibilité entre des mandats nationaux et locaux constituerait, dans ces collectivités, un des éléments fondamentaux pour maintenir l'outre-mer dans l'ensemble français.

Mme Catherine Tasca, présidente, a indiqué qu'elle rejoignait M. Jacques Larché dans son intérêt porté aux questions relatives à l'outre-mer. Soulignant que la relation entre la métropole et l'outre-mer devait être améliorée, elle a estimé que le constat de la coupure entre ces régions périphériques et l'Etat central était juste, mais qu'il ne légitimait pas, pour ces territoires, une trop grande concentration du pouvoir entre les mains de quelques-uns. Remarquant, par ailleurs, que des avancées avaient eu lieu au Sénat du fait de la limitation à deux du nombre de mandats cumulables, elle a cependant relevé que des points de désaccord lourds demeuraient entre les deux assemblées, s'opposant à un rapprochement sur le fond en raison de la volonté de blocage manifestée par la seconde chambre sur la loi organique.

M. Pierre Albertini a d'abord indiqué qu'il s'exprimait au titre de la position de principe commune adoptée par les groupes RPR, UDF et DL. Il a jugé que la loi organique et la loi ordinaire constituaient un tout, et que leur découplage allait entraîner une situation ubuesque sur le plan politique. Considérant que l'exercice simultané du mandat parlementaire et d'une fonction exécutive locale permettait de conforter la décentralisation, il s'est prononcé en faveur du maintien de la compatibilité de ces responsabilités politiques. Il a, en revanche, regretté que le Sénat ait exclu du champ des incompatibilités les structures intercommunales à fiscalité propre, estimant que cette exclusion pouvait conduire à des situations de monopole dans l'exercice du pouvoir local. Il a, en outre, approuvé l'alignement du régime des parlementaires européens sur celui des parlementaires nationaux, jugeant que la mise en place d'un régime plus sévère pour cette catégorie d'élus serait profondément injuste. Enfin, il a considéré que l'extension du champ des incompatibilités aux membres du bureau des chambres consulaires constituait une véritable ineptie.

M. Patrice Gélard a exprimé son accord avec les propos tenus par M. Pierre Albertini. Il a, en revanche, constaté que le rapporteur pour l'Assemblée nationale avait défendu une logique que le Sénat désapprouvait. Contrairement à la volonté exprimée à l'Assemblée nationale, il a noté que la seconde chambre avait choisi de privilégier la progressivité de la démarche, et non la brutalité du passage d'un système à un autre. Il a appelé de ses voeux le respect de différentes étapes, comme cela avait été fait avec la loi de 1985, afin d'éviter de graves distorsions entre l'échelon local et l'échelon national.

Il a notamment jugé que les liens nécessaires et naturels entre les exécutifs locaux et les responsables des établissements publics de coopération intercommunale n'avaient pas fait l'objet d'une analyse suffisante, et que l'on ne s'était pas interrogé réellement sur les conséquences concrètes qui pourraient naître d'un découplage de ces différentes fonctions. En outre, il a estimé que les dispositions relatives aux incompatibilités applicables aux membres des chambres consulaires et des chambres d'agriculture, ainsi qu'aux juges des tribunaux de commerce étaient contraires à la Constitution, dès lors que d'autres fonctions juridictionnelles, ou consulaires, n'étaient pas incluses dans ce dispositif.

Rappelant que le Sénat étant le " grand conseil des communes de France " aux termes mêmes de la Constitution, il a jugé nécessaire que soit maintenu le lien qui l'unit aux collectivités territoriales. Regrettant que, malgré les deux logiques différentes exprimées par les assemblées, un terrain d'entente n'ait pu être trouvé, qui aurait permis de faire évoluer la loi dans un sens favorable, il a considéré que les principes de transparence et de disponibilité ne sortiraient nullement renforcés d'une limitation du cumul, les véritables lieux de pouvoir étant très vite identifiés et investis par les élus. Estimant que les situations antérieures seraient finalement maintenues, il a observé qu'un député privé de mandat local devrait passer encore plus de temps dans sa circonscription pour être réélu. Exprimant la conviction que nombre de députés de la majorité souhaitaient en fait que le projet de loi n'aboutisse pas et comptaient sur les sénateurs pour le faire échouer, il s'est indigné de l'hypocrisie d'une telle attitude.

Soulignant qu'il serait souhaitable d'éviter les procès d'intention, Mme Catherine Tasca, présidente, a considéré que le problème majeur était de donner une réelle efficacité à la réforme du cumul des mandats. Notant que la question était abordée de manière divergente par les deux assemblées, elle a jugé qu'au-delà de la question de la disponibilité, le problème posé par l'existence de conflits d'intérêts appelait une réponse forte, la défense des intérêts d'une collectivité locale n'étant pas toujours compatible avec l'exercice d'un mandat national fondé sur la défense de l'intérêt général.

Relevant l'existence de deux logiques opposées, M. Bernard Roman, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a considéré que les Français en seraient les arbitres. Il a souligné que l'Assemblée n'avait pas souhaité, à ce stade, freiner le développement de l'intercommunalité en prohibant d'emblée le cumul entre la fonction de maire et la présidence d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. Il a insisté sur la complexité des liens entre le cumul des mandats et la centralisation, rappelant que Michel Debré déclarait à ce sujet que " le cumul des mandats est un des procédés de la centralisation française ". Il s'est, par ailleurs, étonné que l'on puisse soutenir qu'une injustice serait faite aux membres du Parlement européen, relevant que le nouveau régime des incompatibilités n'avait pas pour objet de punir quelques-uns, mais de satisfaire le plus grand nombre. Enfin, il a rejeté toute idée d'une entrée en vigueur progressive ou d'un report de la réforme en considérant qu'elle correspondait à une attente forte de l'opinion publique.

Mme Catherine Tasca, présidente, a tenu à faire part de son désaccord sur le régime des incompatibilités proposé pour les responsables des organismes consulaires, estimant que la citoyenneté devait s'enrichir d'expériences diversifiées.

M. Paul Girod s'est déclaré choqué par la manière dont le rapporteur pour l'Assemblée nationale avait abordé ce débat. Il a, en revanche, exprimé sa satisfaction sur la position que venait d'exprimer Mme Catherine Tasca, présidente, au sujet des incompatibilités applicables aux membres des bureaux des chambres consulaires.

M. Guy Allouche a considéré que si le rôle du Sénat était bien de représenter les collectivités locales, aucune disposition n'imposait, pour ce faire, d'élire au Palais du Luxembourg des titulaires de fonctions exécutives locales. Constatant qu'il existait deux logiques pour aborder l'évolution de la démocratie en France, il a jugé que celle de la majorité sénatoriale n'allait pas dans le sens d'une plus grande modernité et qu'il fallait, au contraire, aller plus loin vers le partage de tous les pouvoirs. Il a conclu que l'incompatibilité de ces deux cultures rendait malheureusement impossible une conciliation des positions de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Mme Frédérique Bredin a déclaré qu'il était temps de changer la culture politique française en s'interrogeant sur le système institutionnel de demain. Elle a considéré que la réforme du cumul des mandats, parallèlement à celle portant sur la parité, devait apporter une bouffée d'oxygène au système politique en permettant l'arrivée aux responsabilités publiques de nouvelles générations d'élus, composées notamment de jeunes et de femmes.

Répondant aux deux précédents intervenants, M. Jacques Larché, rapporteur pour le Sénat, a tenu à préciser que nul n'avait le monopole de la modernité en politique.

Relevant les profondes divergences exprimées, Mme Catherine Tasca, présidente, a constaté l'échec de la commission mixte paritaire.