Actes du colloque Vive la Loi


Le système français de la loi vu de l'étranger :
la renaissance de la loi

M. Francis DELPEREE, Professeur de droit constitutionnel, Université de Louvain

I. Le déclin de la loi : une exception partagée

S'il est plus courant en Belgique de crier « Vive le roi » que « Vive la loi », je m'appuierai sur l'expérience belge pour interroger la pertinence du discours actuel sur le déclin et la renaissance de la loi en France.

Le déclin annoncé de la loi ne constitue pas une exception française, mais est propre à un ensemble de sociétés démocratiques, notamment en Europe. La situation est même souvent plus désastreuse dans d'autres pays qu'en France. La Belgique, par exemple, connaît non seulement le problème des lois mosaïques, ces conglomérats de dispositions disparates que le Gouvernement tend à faire passer dans des lois programmes, sans respect pour les institutions parlementaires, ainsi que le problème des lois de transposition du droit communautaire, instrument normatif qui se borne à reproduire sans originalité des textes conçus dans d'autres enceintes, mais également les difficultés posées par la multiplication des lois de délégation, par lesquelles le législateur accepte - sans trop rechigner, il faut l'admettre - que le Gouvernement prenne sa relève.

Contrairement à la France, la Belgique est en outre marquée par deux autres phénomènes. Le fédéralisme, tout d'abord, qui concerne également l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse et peut-être demain l'Italie ou l'Espagne, engendre un nombre important de lois fédérées ayant la même valeur que les lois fédérales. L'inflation législative y trouve son compte mais, comme en matière monétaire, celle-ci est également signe de dévaluation. Ensuite, les pays composites, comme la Belgique, qui pratiquent la représentation proportionnelle, sont victimes d'une certaine désinvolture vis-à-vis de l'Etat de droit. La coalition de partis au pouvoir compose ainsi des lois bancales, qui sont soumises au Conseil d'Etat pour avis, mais dont l'avis négatif n'est jamais suivi. Or les contrôles en amont et en aval de la loi ne sont véritablement utiles que s'ils sont effectivement effectués et généralement respectés.

II. La renaissance de la loi : un espoir commun

Une renaissance de la loi reste cependant possible. Il y a place en effet pour une exception francophone ou romano-germaniste. Les pays de l'espace francophone partagent en effet le souci de concevoir la loi de manière claire, intelligible et cohérente et font l'effort de codifier la loi pour valoriser sa pertinence et sa cohérence. De plus, la tradition civiliste de l'interprétation ne laisse pas au juge le soin de concevoir lui-même la solution des litiges, mais lui donne un ensemble de directives qui sont inscrites dans la loi. Ces valeurs, qui méritent d'être protégées, participent d'un possible renouveau de la loi.

Certaines évolutions, qui se dessinent par ailleurs à l'échelle européenne, peuvent également être mises à profit. De plus en plus de pays reconnaissent la valeur du contrôle de la constitutionnalité de la loi, qui, loin d'affaiblir cette dernière, lui confère toute sa puissance, dès lors que le juge constitutionnel s'étant prononcé en sa faveur, elle devient intangible et ne peut plus être remise en cause. En outre, l'instauration de lois particulières au sein du système législatif - lois ordinaires, lois organiques, lois spéciales, lois votées à la majorité qualifiée -, loin de constituer une forme de déclin de la loi, nous invite à repenser et à construire une nouvelle hiérarchie des règles de droit.

Enfin, les lois expérimentales, les lois de circonstance ou les lois soumises à évaluation sont autant d'instrument permettant d'évaluer l'impact d'une loi, en termes économiques, sociaux et financiers, ainsi que son intérêt du point de vue des institutions, des citoyens et des finances publiques. Il n'est plus possible, en effet, de légiférer à l'aveugle. Un consensus large peut être recherché à ce sujet, même si les méthodes parlementaires méritent, dans cette perspective, d'être améliorées.

Faire la loi est une question de courage politique. Il peut en effet être tentant de faire long, de faire obscur ou de légiférer dans le vide. C'est également une question de technique. Légiférer est un réel métier, qui n'est pas à la portée de tous, mais s'apprend et se perfectionne. Il ne suffit pas de vouloir légiférer pour le faire toujours dans les termes adéquats. Un peu de courage et des compétences certaines doivent ainsi permettre de légiférer à bon escient.

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