Actes du colloque Vive la Loi
La loi contrôlée
M. Guillaume DRAGO, Directeur adjoint, Centre d'Etudes constitutionnelles et politiques, Université Paris II
Il s'agira de s'interroger sur le fondement du contrôle de la loi, ainsi que sur ses mécanismes, puis de se demander si des améliorations peuvent être apportées aux effets que produit ce contrôle.
I. La légitimité du contrôle de la puissance législative
La question de la légitimité du contrôle de la puissance législative, notamment de celle du contrôle de constitutionnalité, est au coeur de la démocratie.
Les débats relatifs à l'acceptation des principes de la démocratie constitutionnelle ayant déjà été nourris, je ne développerai pas davantage ce point.
II. Les moyens de contrôle de la loi et leurs effets
Il existe des formes de contrôle en amont de la loi et d'autres formes en aval.
1. Le contrôle en amont de la loi
a. La technique rédactionnelle
La loi est tout d'abord contrôlée par l'existence d'une technique rédactionnelle rigoureuse. Or cette technique vient souvent supplanter l'exercice de la volonté législative. Il convient en effet de s'interroger sur les techniques de rédaction de la loi, car les techniciens en viennent à se substituer au législateur. Cette question essentielle renvoie à l'organisation même des rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.
b. Le Conseil d'Etat
La doctrine de la codécision appliquée aux projets de loi, liée à l'intervention préventive exercée par le Conseil d'Etat, en vertu de l'article 39 de la Constitution, est une compétence majeure de ce dernier. Depuis la décision du 3 avril 2003 du Conseil constitutionnel, il convient cependant de s'interroger sur les limites de cette doctrine. Dans un article consacré à cette décision, le sénateur Patrice Gélard a ainsi pu souligner que la « troisième chambre » n'était pas en réalité le Conseil constitutionnel, comme on le pense souvent, mais bien le Conseil d'Etat, qui intervient, quant à lui, avant les deux premières.
c. Le contrôle de constitutionnalité
Par son caractère préventif, le contrôle de constitutionnalité tient parfois lieu de volonté législative. La loi et la Constitution elle-même sont en effet écrites en fonction de la jurisprudence constitutionnelle. Un auteur a ainsi pu parler d'une véritable « intériorisation » de la jurisprudence du Conseil constitutionnel par les parlementaires. Ceux-ci en viennent en effet parfois à précéder les exigences constitutionnelles, dès les débats en séance et les discussions en commission.
On peut se réjouir de ce réflexe constitutionnel, qui joue d'ailleurs aussi bien en faveur de la majorité que de l'opposition, chacune voyant le parti qu'elle peut tirer de la jurisprudence constitutionnelle. Si cette influence est parfaitement compréhensible à l'égard des projets de loi, on remarque toutefois qu'elle s'exerce aussi en matière de révision constitutionnelle. Par exemple, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République montre que le constituant n'a pas entendu surmonter une jurisprudence constitutionnelle, mais a plutôt voulu la consacrer, en l'inscrivant dans la Constitution - ce qui est le comble du constitutionnalisme !
d. Le droit communautaire
Le droit communautaire représente également une contrainte majeure pour l'exercice de la fonction législative, comme l'a développé un précédent intervenant.
2. Le contrôle de constitutionnalité en aval de la loi
a. Le caractère pacificateur et aiguilleur du contrôle de constitutionnalité
Le contrôle de constitutionnalité représente aujourd'hui un instrument de pacification du débat politique. Le doyen Favoreux parle ainsi de la politique « saisie par le droit ». Ce contrôle exerce une fonction majeure dans l'ordre juridique et dans l'ordre politique, car il a le mérite, par un déplacement du discours, de transformer le débat politique en débat juridique.
A cet égard, la déclaration d'inconstitutionnalité ne relève pas d'une volonté de stigmatisation de l'expression législative, ni de sanction à l'égard de la loi. Elle a plutôt pour fonction d'aiguiller la norme.
b. La prévisibilité et l'imprévisibilité du contrôle de constitutionnalité
Les interrogations des parlementaires, quant aux décisions prévisibles du Conseil constitutionnel, peuvent s'analyser comme la puissance de la loi mise sous le boisseau constitutionnel. Il ne devrait toutefois pas être toujours nécessaire de s'interroger sur la sanction constitutionnelle à venir, car l'exercice de la puissance législative ne peut en être que d'autant plus limitée.
Deux éléments constitutifs du contrôle de constitutionnalité restent malgré tout imprévisibles : les objectifs de valeur constitutionnelle et les réserves d'interprétation. Le recours à ces deux techniques par le Conseil constitutionnel doit faire l'objet d'un examen critique, d'une part, parce qu'elles provoquent un déplacement du contrôle vers d'autres autorités que le juge constitutionnel - vers l'administration qui met en oeuvre la loi et vers le juge ordinaire qui en contrôle la bonne application -, d'autre part, parce que ces techniques affaiblissent le contrôle lui-même en opérant un glissement de la sanction du juge constitutionnel vers une technique de directive normative, qui demeure imprévisible pour le législateur. Il est demandé au juge constitutionnel de trancher et de sanctionner, et non de guider le juge ordinaire.
III. Les améliorations à apporter au contrôle de la loi
1. Recadrer le domaine de la loi
Pour que la loi vive mieux, quelques améliorations doivent être apportées au contrôle, visant à redonner toute sa place à la création législative.
Il convient notamment de recadrer la compétence législative, en mettant un terme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 30 juillet 1982, relative au blocage des prix et des revenus, c'est-à-dire en ne favorisant pas le développement inconsidéré du domaine législatif et en évitant ainsi la dilution et la perte de sens de la loi. Le Gouvernement est en partie responsable de cet état de fait, dans la mesure où il a l'initiative des projets de loi et la maîtrise de l'ordre du jour des assemblées. Le Conseil constitutionnel a cependant fortement accentué cette tendance en ne donnant plus qu'une définition formelle de la loi. En se montrant trop compréhensif à l'égard de la Constitution et en étendant inconsidérément le domaine législatif, le Conseil constitutionnel offre pourtant une victoire à la Pyrrhus au législateur, en favorisant un développement anarchique de la loi, et ce, au profit du Gouvernement et non de la puissance de la loi.
2. Repenser le processus de codification
La jurisprudence du Conseil constitutionnel s'est également montrée trop compréhensive à l'égard des lois d'habilitation en matière de codification. Il s'agit d'un dessaisissement très grave de la puissance législative dans le processus de codification. La codification à droit constant mériterait par ailleurs d'être mieux élaborée.
3. Redonner son efficacité aux offices parlementaires d'évaluation
L'Office parlementaire d'évaluation de la législation a été créé en 1996, sur la proposition de Pierre Mazeaud lui-même. Le juge constitutionnel qu'il est devenu contrôle la loi par rapport à la Constitution. Or ce contrôle pourrait fort bien se combiner d'une évaluation de l'effectivité de la loi, contrôle certes plus technique, mais qui n'en est pas moins politique.
Le contrôle de la loi peut être la pire comme la meilleure des choses dans une démocratie. Le contrôle de constitutionnalité fait partie de l'arsenal des démocraties constitutionnelles contemporaines, parce qu'il veille au respect d'une volonté encore plus haute, celle qu'exprime le constituant. C'est donc ce contrôle qu'il faut privilégier, car il est l'expression de la légitimité la plus éminente, tant qu'il reste fidèle à l'esprit de la Constitution et à la volonté de ses auteurs. Tous les autres types de contrôle (techniques, préalables) sont en revanche contestables, car ils ne sont pas parfaitement légitimes du point de vue de la démocratie.