Actes du colloque : Tremplin Recherche - 2ème édition



Palais du Luxembourg - 21 février 2006
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Introduction

Jacques VALADE,
sénateur de la Gironde, Président de la commission des affaires culturelles

Je vous prie d'excuser Monsieur Christian Poncelet, Président du Sénat, qui est actuellement retenu auprès du Premier Ministre. Certains sujets d'actualité mobilisent en effet le Sénat et son Président. Il nous rejoindra dans quelques minutes.

Je suis ravi de vous accueillir au Sénat. Philippe Adnot et moi-même sommes impressionnés par la qualité de l'assistance à l'occasion de cette nouvelle édition du colloque « Tremplin Recherche ». Sans plus attendre, je cède la parole à monsieur François Goulard, Ministre Délégué à l'Enseignement Supérieur et à la Recherche.

Ouverture

François GOULARD,
Ministre Délégué à l'Enseignement Supérieur et à la Recherche

Je souhaiterais d'abord me réjouir de me retrouver au Sénat ce matin. Entre les deux assemblées parlementaires de notre pays, le Sénat est l'institution qui se préoccupe sans doute le plus du long terme. Lors de l'examen en première lecture du projet de loi d'orientation sur la recherche, nous avons pu constater la considération et l'implication manifestées par les nombreux sénateurs présents pour la recherche. Le nombre de réunions et de colloques consacrés à cette problématique essentielle pour notre pays me semble véritablement impressionnant. Il est donc particulièrement agréable pour moi de prononcer quelques mots à l'occasion de ce colloque afin de réaffirmer le poids stratégique de la recherche et de l'innovation pour notre pays. Ce poids de la recherche et de l'innovation est certes une donnée traditionnelle, dans la mesure où notre pays consacre depuis longtemps des moyens importants à la recherche. Mais, dans le monde qui est le nôtre, la recherche émerge au premier rang de nos priorités.

La recherche et l'innovation sont indissociablement liées. Opposer recherche fondamentale et recherche appliquée relève d'une méconnaissance profonde des réalités actuelles de la recherche. C'est une évidence, mais cette erreur est si couramment constatée qu'il est nécessaire de le réaffirmer : il n'y a pas de recherche appliquée efficace sans une recherche fondamentale forte. Cette dernière nourrit l'application et l'innovation. Nous évoquons une préoccupation récurrente des cercles scientifiques : la valorisation de la recherche.

La recherche a besoin d'aide dans la valorisation des travaux entrepris. L'organisation et les structures doivent être adaptées au transfert de connaissances et de moyens entre la recherche et l'industrie. En effet, valoriser la recherche requiert un savoir-faire, des techniques et des moyens. Ces fonctions de valorisation doivent être développées, tant au sein des établissements publics qu'au sein des Universités. Nous devons de surcroît mettre en avant les unités de recherche qui se distinguent par la qualité de leurs travaux. C'est dans cette perspective de valorisation que le gouvernement a initié à la fin de l'année dernière les « Instituts Carnot ». Dans quelques jours, nous disposerons de la liste des premiers labels Carnot décernés.

Chacun en a conscience : la recherche, l'innovation, le transfert de savoirs entre le monde scientifique et le monde de l'économie représentent des enjeux fondamentaux pour un pays comme le nôtre. Nous devons y travailler et mettre en lumière les meilleures pratiques. Nous devons de surcroît opérer des comparaisons à l'échelle internationale. À l'heure actuelle, le Québec est particulièrement mis à l'honneur. Cet exemple doit conforter nos ambitions.

Désormais, les colloques « Tremplin Recherche » sont devenus un rendez-vous incontournable au service de la recherche. Les travaux menés dans le cadre de ces colloques sont utiles. C'est pourquoi je souhaite un vif succès aux travaux entrepris et débattus au cours de cette journée.

Conférence inaugurale

Professeur Georges CHARPAK,
Prix Nobel de Physique, Fondateur de la Société Biospace

Mesdames et messieurs les représentants du peuple, je suis très honoré d'être invité à ouvrir ce colloque. Vous concevez manifestement le désir que j'évoque les aventures d'un fondateur de société en France. Vous risquez d'être déçus, dans la mesure où j'ai tout oublié de l'époque où j'ai fondé la Société Biospace.

J'ai pris l'habitude d'intervenir dans des domaines qui échappent à ma sphère de compétences. Après avoir obtenu le Prix Nobel de Physique, j'ai été invité à faire partie du jury...de l'élection de Miss France ! J'ai refusé cette invitation, mais j'ai accepté d'autres sollicitations tout aussi incongrues. Ainsi, j'ai participé à divers comités en dépit de mon manque de compétences avéré dans les domaines concernés. Cependant, étant chercheur et animé d'une véritable passion pour mon métier, je ne l'ai pas abandonné.

I. Un usage électronique nouveau a permis de révolutionner l'étude des particules

La première image que je souhaiterais vous soumettre de ce métier n'appartient pas au cadre traditionnel de la vie réelle. Cependant, la vision de ce qu'était l'Univers avant le Big Bang mérite la curiosité des humains. Cette première image vous montre donc la raison pour laquelle mon esprit était plongé dans une certaine perplexité. Sur une distance de deux à trois mètres, vous constatez l'existence de deux particules hautement énergétiques qui s'entrechoquent. De ce choc jaillit une « purée » de particules. Si vous avez l'oeil fin, vous constatez que toutes ces particules ne sont pas identiques. Or, lors du Big Bang, il a existé un million d'événements de cet ordre par seconde ! La tâche extrêmement ardue des chercheurs a consisté à isoler des particules rarissimes : les chercheurs parvenaient à en extraire dix par an. Si j'ai obtenu le Prix Nobel, c'est pour avoir remplacé un détecteur de particules, la chambre à bulles, qui ne pouvait prendre que dix photos par seconde.

Grâce à un usage électronique nouveau, nous avons pu déterminer la position des particules, qui possèdent une charge spécifique, et la trajectoire de ces particules. L'imagerie joue bien évidemment un rôle considérable dans cette démarche. L'électronique apporte également son échos : chaque détecteur possède des millions de canaux. Mon ignorance était totale en matière d'électronique. Il m'a cependant été possible d'utiliser cet outil de façon adéquate en dépit de mes lacunes. Grâce à la conception de ce nouveau système électronique, plusieurs de mes collègues ont obtenu le Prix Nobel. Ils avaient découvert de nouvelles particules en utilisant ce nouvel outil.

Bien plus tard, j'ai moi-même reçu le Prix Nobel de Physique en 1992. En réalité, depuis plusieurs années, je m'intéressais à toute autre chose qu'aux particules. En effet, je me focalisais sur les applications offertes par la détection des particules en matière de médecine et de biologie. Pour « noircir » certaines zones sur une radio, il fallait qu'environ 1 000 photons X soient détectés simultanément au même endroit. Pour ma part, je les détectais l'un après l'autre, à grande vitesse (entre une microseconde et un milliardième de seconde). Il s'avérait que les applications potentielles étaient extrêmement séduisantes mais difficiles à mettre en place. Nous avons longtemps erré. À la suite de ces travaux, j'ai créé la Société Biospace.

II. La Société Biospace, spécialisée dans la radiologie

Celle-ci existe encore. Pourtant, si l'on considère nos faibles compétences industrielles de l'époque, notre Société n'aurait pas dû survivre. Or cette petite entreprise réalise désormais trois millions d'euros de chiffre d'affaires, et peut se vanter d'une croissance annuelle de 20 %. Elle vient d'être cédée à une joint-venture capitaliste. J'émets le souhait que mon ancienne Entreprise parviendra à conquérir le monde. Néanmoins, je ne crois pas que le domaine de la radiographie représente un attrait considérable pour le monde capitaliste. De surcroît, lancer des projets dans le secteur de la radiologie relève d'une forme de mégalomanie : les concurrents sur le marché se nomment Philips, Siemens, General Electric...À juste titre, les investisseurs manifestaient une forte perplexité lorsque nous leur soumettions nos projets dans le secteur de la radiologie.

Pourtant, même si la taille de notre entreprise était extrêmement réduite, nous gagnions de l'argent. Nous disposions des moyens suffisants pour rémunérer nos ingénieurs. Certes, nous avons connu une période difficile pendant la guerre d'Irak. Les Américains ont en effet refusé d'acheter des produits français. Heureusement, cette période n'a pas duré. Nous avons en outre réussi à créer un prototype d'appareil radiologique imposant le minimum de radiations aux patients radiographiés. Ce produit s'est avéré particulièrement efficace en ce qui concerne les enfants âgés de moins de deux ans. En effet, l'abus de radiographies effectuées avec des appareils traditionnels accroissait considérablement le risque de déclencher un cancer.

J'ai pensé à l'époque que notre seul espoir de pérenniser l'Entreprise reposait sur mon adhésion au parti des Verts. Je souhaitais jouer sur le fait que notre prototype produisait moins de radiations. Il s'avère que les Verts sont plus puissants que nous. De surcroît, je n'entretenais pas les meilleures relations avec les membres de ce parti, dans la mesure où j'estimais l'usage de l'énergie nucléaire incontournable. En raison de leur manichéisme fondamental, je me suis retrouvé de facto avec l'étiquette de traître.

Lorsque certains médecins ont mis en avant les qualités de notre matériel, notre situation a évolué favorablement. Nous avons accru nos investissements et conclu une collaboration avec un établissement qui disposait de capacités intellectuelles dépassant le strict cadre des radiations, l'Ecole des Arts et Métiers. Le fruit de cette collaboration est un petit appareil dont nous sommes très fiers. Je ne vous montrerai pas les premières radiographies réalisées sur moi-même, mais seulement quelques images. Vous constatez qu'il s'agit des tissus d'une souris radiographiée. En arrière-plan, vous distinguez un squelette, le mien. L'aspect le plus remarquable de cette radiographie est qu'il s'agit d'une radiographie tridimensionnelle. Pour obtenir un tel résultat avec un scanner à rayons X, il faut soumettre le patient à une dose cent fois supérieure de radiations. C'est pourquoi l'Ecole des Arts et Métiers et la Société Biospace ont décidé de vendre ce nouveau concept. En ce qui concerne les radiographies pédiatriques, le résultat s'avère très convaincant.

Quel est le processus de radiographie ? Le patient est radiographié par-devant et sur la gauche. À partir de ces deux prises radiographiques, l'appareil reconstitue une vue tridimensionnelle. En effet, nous connaissons par avance la forme du squelette. Il est bien sûr hors de question de travailler à l'aveugle. Nous avons donc rempli un objectif : une société de joint-venture s'est associée à nous. Nous essayons de convaincre les cliniques destinées aux enfants d'adopter notre nouvel appareil.

Nous réalisons de surcroît des radiographies d'animaux d'expérimentation afin de déterminer leur taux de radioactivité. La présente image vous montre un embryon de souris, avec une précision de 15 microns. L'image suivante vous indique comment les radiographies réalisées peuvent être utilisées pour poser un corset sur un enfant. L'avantage de notre radiographie tridimensionnelle est qu'elle permet d'avoir une vue plongeante depuis la tête de l'enfant vers l'intérieur. Les médecins affirment qu'ils disposent ainsi d'un angle d'observation inédit. Certaines corrections ont ainsi pu être réalisées grâce à notre appareil.

III. Une nouvelle ambition : améliorer l'éducation scientifique des enfants

Des professionnels sont donc pleinement mobilisés par ce projet. Pour ma part, j'ai changé de métier. Je me suis intéressé à la question de l'éducation des enfants. J'ai découvert de nombreuses lacunes dans ce domaine. Avec des amis, en particulier américains ou chinois, nous avons engagé un vaste programme afin de modifier fondamentalement la manière dont sont enseignées les sciences à l'école. Nous relevons le défi de l'information médiatique : nous avons ainsi réussi à toucher un tiers des instituteurs. L'Union européenne a également été intéressée par notre projet, puisqu'elle nous a accordé une subvention de 1,750 million d'euros. Cette somme nous permettra de mettre en place l'enseignement que nous prêchons dans les écoles de douze villes européennes. Dans ces écoles, vous constatez que les enfants sont heureux d'apprendre et les instituteurs heureux d'enseigner. C'est pourquoi j'en appelle à votre générosité : nous avons besoin de fonds supplémentaires. Cette méthode repose sur la prépondérance de l'expérimentation et non sur les cours magistraux. Les sommes consacrées à l'achat du matériel nécessaire sont donc considérables.

J'en ai fini avec mon exposé. Mes préjugés m'ont conduit à éviter de participer au jury de Miss France. Par ailleurs, j'ai écrit des livres sur l'énergie nucléaire qui m'ont conféré le statut d'expert. Dans la vie, il n'est pas forcément souhaitable de rester le spécialiste d'un unique domaine. Je pense qu'il est plus intéressant de s'ouvrir à des horizons variés.

Ouverture de « Tremplin Recherche »

Christian PONCELET, Président du Sénat

Monsieur Charpak, vous venez de nous donner une magnifique leçon de pragmatisme tant scientifique qu'économique.

Je sollicite votre indulgence pour mon retard. J'étais retenu à Matignon. Je souhaite à toutes et à tous, en mon nom et au nom de l'ensemble des sénatrices et des sénateurs, la bienvenue au Sénat. Nous sommes réunis à l'occasion de la deuxième édition du colloque « Tremplin Recherche ». J'espère que cette édition vous laissera un agréable souvenir.

I. Le projet de loi d'orientation et de programmation pour la recherche

Le Sénat a examiné voici quelques semaines le projet de loi d'orientation et de programmation pour la recherche. Vous fûtes, Monsieur Valade, l'un des artisans principaux des débats en cette occasion. Le monde de la recherche attendait ce texte avec impatience. Mes collègues Jacques Valade et Henri Revol présenteront cet après-midi la position du Sénat sur ce projet de loi. Je me réjouis qu'un tel texte ait vu le jour. Il a fait l'objet de multiples réflexions, consultations et négociations. D'aucuns estiment qu'il n'est pas parfait. Atteindre la perfection est une prétention qui échappe à l'être humain. Toutefois, ce projet de loi a le mérite d'apporter des réponses concrètes aux défis auxquels est confrontée la recherche en France.

Le groupe d'experts indépendants présidé par un ancien Ministre finlandais a remis son rapport à la Commission européenne voici un mois. Ce document intitulé « créer une Europe innovante » appelle les Européens à prendre des mesures radicales en matière de recherche et d'innovation avant qu'il ne soit trop tard. Lorsque j'embrasse l'Histoire de notre pays, j'ai le sentiment que nous avons parfois agi trop tard. Nous ne pouvions donc rester plus longtemps aveugles dans un environnement en pleine mutation. La France, sans véritable politique de recherche ambitieuse au niveau européen et mondial, sera vite reléguée aux oubliettes du futur.

II. La vocation du Sénat : « bâtir » les lois et faire évoluer les mentalités

Mes collègues sénatrices et sénateurs ont eu l'occasion de remplir leur mission de bâtisseurs de lois. En l'occurrence, ils ont brillamment poursuivi l'oeuvre de l'un de mes prédécesseurs, Jules Ferry. Ce dernier expliquait que « le Sénat avait, entre autres mérites, celui de veiller à ce que la loi soit bien faite ». Nous avons suivi ce précepte. Je salue en particulier et publiquement l'implication de Jacques Valade, Henri Revol et Maurice Blin au sein de la Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi de programme. Cette Commission rassemble des délégués de chaque commission intéressée aux projets de l'Assemblée sénatoriale. Cette mission législative s'accompagne d'une section de contrôle, dirigée notamment par Philippe Adnot, Président du Conseil général et de la Technopole de l'Aube. À l'occasion du contrôle budgétaire sur la valorisation de la recherche dans les Universités françaises, cette section a établi une étude comparative avec d'autres pays membres de l'Union européenne, mais également avec Israël et le Canada.

Au-delà de sa mission législative et de contrôle, le Sénat se doit de faire évoluer les mentalités. C'est une tâche délicate. En effet, un pays ne se gouverne pas avec des intentions et des formules. Fidèle à sa vocation de chambre de réflexion, le Sénat a souhaité jeter le plus de passerelles possibles entre le monde politique, le monde des entreprises et le monde des chercheurs. C'est le sens de notre rencontre d'aujourd'hui. Les sénatrices et les sénateurs sont devenus des acteurs de terrain. Depuis huit ans, les stages d'immersion en entreprise des sénateurs se sont ainsi érigés en rendez-vous incontournables. Le Sénat est la seule assemblée au monde à proposer à ses élus d'effectuer un stage en entreprise. Certes, j'ai rencontré quelques réticences. Désormais, plus de la moitié des membres du Sénat ont participé à ces stages.

III. Un objectif : agir concrètement en faveur de la recherche

Le Sénat se doit également d'agir concrètement en faveur de la recherche. C'est pourquoi les stages proposés aux sénatrices et aux sénateurs s'étendent désormais aux organismes de recherche, tels que l'INSERM, l'INRIA et le CNRS. Un partenariat a d'ailleurs été récemment conclu entre l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et l'Académie des Sciences, à l'initiative d'Henri Revol. Animés de cette même volonté, nous sommes aujourd'hui rassemblés à l'occasion de cette deuxième édition du colloque « Tremplin Recherche ». Cette manifestation, menée en étroite collaboration avec le monde de l'entreprise et le monde de la recherche, réunit au Palais du Luxembourg chercheurs, universitaires, investisseurs, entrepreneurs et politiques. L'objectif est de réfléchir collectivement afin de proposer des mesures concrètes et utiles en faveur d'une valorisation de la recherche. Cette deuxième édition de « Tremplin Recherche » est l'occasion de mettre en avant le thème de l'énergie, élevé au rang de priorité nationale par le Président de la République. Nous avons institué ce thème comme fil rouge de cette journée.

Nous accueillons également un invité d'honneur que je salue cordialement : le Québec. En matière de valorisation de la recherche, nous pouvons apprendre énormément de la réussite de La Belle Province. Je vous invite à découvrir dans le foyer Clemenceau les 25 lauréats de « Tremplin Recherche », sélectionnés par notre Comité scientifique pour la qualité de leurs projets et de leurs recherches.

En guise de conclusion, je vous propose par ailleurs de visiter l'exposition de portraits « Les Noms de l'Innovation », qui se tient dans les jardins du Luxembourg. Vous découvrirez comment Ampère, Dassault, Eiffel et Diesel ont laissé leurs noms dans l'Histoire.

Je vous souhaite à toutes et à tous une excellente journée ponctuée de fructueux débats. Je vous remercie pour votre attention.

Table ronde n°1 : « Passer de l'innovation à l'industrialisation :
défi énergétique et technologies propres »

Modérateur :

Jean-Baptiste DEMENTHON , Vice-Président Business Développement, Aaqius et Aaqius

Participants :

Jean-Claude FAYARD , Product Director, ExoClean

Pierre MACAUDIERE , Head of Engine and Transmission System, PSA

Guy PICHON , Performance and Aftertreatment Responsible, Renault VI Powertrain Division

Christophe GAS , Catalysis Director, Rhodia

Jean-François BERARD , Vice-Président Research, Inergy Automotive Systems

Jean-Pierre JOULIN , Président-directeur général, Céramiques Techniques et Industrielles

Daniel LE-BRETON , Directeur du département Transport & énergie, Total France

Ouverture de la table ronde :

Marion GUILLOU, Présidente-directrice générale, INRA

C'est un honneur pour moi d'intervenir après de si brillants esprits. Je suis Présidente de l'Institut National de la Recherche Agronomique. J'avoue que certaines phrases entendues ce matin ont stimulé ma réflexion quant à cette présentation sur l'émergence d'une Europe innovante. Pour ma part, dans le cadre du thème d'aujourd'hui, « le défi énergétique et les technologies propres », je me focaliserai spécifiquement sur l'aspect recherche à l'innovation. Toutes les sommités ici présentes évoqueront soit la recherche, soit l'innovation, soit l'industrialisation.

1. L'énergie propre : un enjeu crucial

Pourquoi une spécialiste de recherche agronomique ose-t-elle évoquer le sujet de l'innovation devant ce parterre prestigieux ? En réalité, via les biocarburants et la chimie verte, l'agronomie intègre le domaine de l'énergie et des technologies propres. Je souhaitais évoquer brièvement le contexte qui explique cette ingérence légitime des agronomes dans le domaine de l'énergie. De nombreux spécialistes ont pris conscience des problèmes engendrés par l'effet de serre. Ce phénomène climatique génère des coûts financiers, des risques politiques et humains. Plusieurs filières se sont donc interrogées sur des innovations possibles afin d'utiliser le carbone renouvelable plutôt que le carbone fossile. Ce dernier est mis en cause pour des raisons énergétiques, stratégiques et environnementales.

Qu'est-ce qu'une énergie propre ? Il est possible de définir le concept d'énergie propre tant à l'échelle locale qu'à l'échelle mondiale. Ce concept peut également se définir par le cycle de vie du produit, ou par la biodiversité. Pour ma part, mon analyse se fondera sur un point de vue combinant la durabilité globale du système de production, l'émission de gaz à effet de serre et les essais de substitution pour réduire l'utilisation du carbone fossile. Une telle substitution serait possible grâce au carbone renouvelable généré par la photosynthèse.

Vous êtes nombreux à être conscients des enjeux concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre. D'après les estimations du Groupement International d'Etude sur le Changement Climatique, les émissions de combustibles fossiles atteignent une masse de 6,4 gigatonnes, avec une incertitude de 0,4 gigatonne. Cette donnée inquiétante est liée à la déforestation croissante de la forêt tropicale. De surcroît, l'écosystème terrestre ne parvient à absorber annuellement que 1,6 gigatonne du carbone fossile utilisé. L'incertitude de 0,8 gigatonne s'explique par les importantes variations climatiques observées.

Pour revenir au sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, je me focaliserai sur la production d'énergie et de carburant. En effet, le pétrole représente un enjeu majeur, dans la mesure où il est difficilement substituable. Les énergies que j'évoquerai sont produites à partir de produits végétaux, le diester (oléagineux), l'éthanol ou les éthyltertiobutyléthers. La filière de la ligno-cellulose, que nous explorons actuellement devrait être sollicitée de manière intensive. Pourquoi ? La production de matière sèche présente des rendements considérables à l'hectare. Par ailleurs, les espoirs d'obtenir via la filière thermochimique ou via la filière enzymatique et biologique de l'éthanol nous ouvrent des voies extraordinaires. En France, l'IFP et le CEA travaillent très activement sur ces thèmes de recherche. L'INRA concentre ses efforts sur la filière biologique.

2. Les énergies d'origine végétale : des énergies propres

S'intéresser aux biocarburants est lié à l'intérêt énergétique global et aux faibles quantités de gaz carbonique rejetées par ces substances. Vous constatez sur ce graphique la quantité de CO² émis en grammes par kilomètre en fonction des sources d'énergies considérées. Les énergies les plus économes sont l'électricité et l'hydrogène produits grâce aux centrales nucléaires. Des limitations techniques rendent difficiles le développement de ces énergies. En troisième position émergent les esters méthyliques d'huile végétale que nous développons actuellement.

Je vous présente désormais un graphique quelque peu complexe. Il montre l'échelle de coût de la tonne de gaz carbonique évité (c'est-à-dire non émis) en fonction des systèmes de production d'énergie utilisés. Le scénario de référence repose sur l'utilisation d'énergies fossiles, représentée par le petit cercle à droite du graphique. La grande ellipse centrale correspond à la biomasse conventionnelle, les points et les pointillés symbolisant les incertitudes liées à la consommation d'engrais et à l'émission de N²O. En vert clair, vous distinguez l'éthanol issu du blé ; enfin vous trouvez à gauche du graphique l'éthanol issu de la betterave. Le graphique envisage divers scénarii de valorisation des coproduits. Plus ces derniers sont valorisés, plus la courbe s'accentue vers la gauche du graphique. Les points marron représentent le scénario diester. Enfin, le symbole le plus intéressant est l'ovale situé en haut du graphique correspondant à la biomasse avancée. Celle-ci regroupe les produits ligno-cellulosiques sur lesquels nous travaillons collectivement, tant sur les processus biologiques permettant leur fractionnement et leur fermentation, que sur la sécurisation de l'approvisionnement énergétique.

Les perspectives de production s'avèrent très intéressantes : 15 tonnes de matière sèche par hectare, alors que la production de matière sèche atteint 3,3 tonnes par hectare pour le colza.

3. Deux pistes de recherche pour l'INRA

Qu'est-ce que ces données supposent en matière de recherche et de contribution à l'innovation pour un organisme tel que l'INRA ? La première exigence est d'inverser la démarche : au lieu de partir du produit agricole, nous nous focalisons sur le produit final qui peut être valorisé. Pour aboutir à l'équilibre économique de ces filières, il est impératif de valoriser les biocarburants et les coproduits. En guise d'exemple de développement de ces coproduits, je souhaiterais évoquer les tensioactifs biodégradables, mis au point à partir de tourteaux de colza transformés et fonctionnalisés.

En résumé, deux pistes de recherche s'offrent à nous. D'une part, nous travaillons sur la biotechnologie verte, qui regroupe toutes les recherches sur les plantes. Comment la plante produit-elle sa lignine ? Comment intervenir sur les mécanismes de la photosynthèse ? Le programme Génoplante, associant des instituts de recherche, des semenciers et des chimistes s'intéressent particulièrement à cette problématique. D'autre part, nous travaillons en termes d'innovation. Comment faire pour obtenir des systèmes de production de blés et de céréales à faibles intrants ? Comment limiter les émissions de N²O ? Comment obtenir une meilleure productivité des grandes cultures ? Dans cette optique, nous avons développé la biotechnologie blanche, axée sur les fermentations et sur les enzymes. Comment travailler sur des procédés simultanés de saccharification et de fermentation ? Comment optimiser l'industrialisation de ces processus ?

L'intérêt de tous ces travaux est de produire des filières durables, dans la mesure où la déforestation devient inutile et de proposer des productions de carburants propres. Ces résultats sont obtenus en travaillant sur la sécurisation des approvisionnements et sur la valorisation de la plante entière. Nous sommes convaincus que nous aboutirons à des filières durables et rentables. C'est une belle piste de développement d'avenir pour l'énergie, pour l'environnement et pour l'agriculture. Qu'en est-il du passage de l'innovation à l'industrialisation ? De nombreux spécialistes ici présents s'avèrent plus renseignés que moi pour évoquer cet aspect fondamental. Je vous remercie de votre attention.

Débat

Jean-Baptiste DEMENTHON

Je souhaiterais remercier le Sénat pour l'organisation de cette deuxième édition du colloque « Tremplin Recherche ». C'est un grand honneur pour moi d'intervenir après de si éminents orateurs et d'animer une table ronde s'articulant autour du thème suivant : passer de l'innovation à l'industrialisation, défi énergétique et technologies propres. Pour conduire ce débat, je suis entouré d'intervenants prestigieux de l'industrie automobile et pétrolière, et d'inventeurs.

Assurer le transfert d'une innovation réussie vers l'industrialisation est un parcours semé d'embûches. Cette démarche s'avère complexe et doit répondre à un timing très précis. Une idée possède son existence propre, qu'elle jaillisse de l'esprit d'un inventeur ou qu'elle résulte d'un processus créatif plus structuré dans le cadre d'un laboratoire. Pour réussir ce passage ardu, il est nécessaire de faire coïncider l'émergence de cette idée avec un certain nombre de cycles inhérents à la vie de l'industrie : le cycle du marché (renouvellement des besoins), le cycle financier (attente raisonnable d'un retour sur l'investissement) et le cycle du développement technologique, incluant la notion de temps nécessaire au développement du produit créé.

Le mécanisme global s'avère donc extrêmement périlleux. Il est possible de le résumer ainsi : toute innovation possède un avenir incertain. Existe-t-il une approche ou une méthodologie à suivre pour favoriser l'émergence de cette innovation ? Le domaine que nous allons étudier aujourd'hui est le domaine des énergies propres, et en particulier des transports propres. Comment trouver dans les années à venir les technologies qui nous permettront de relever le défi de l'environnement ?

En matière de pollution dans les transports, nous sommes confrontés à deux types de pollution distincts : la pollution globale (rejet de gaz à effet de serre) et la pollution locale (rejet de produits toxiques). A l'heure actuelle, le moteur à essence génère un niveau d'émission tout à fait acceptable en termes de pollution locale. Le constat s'avère moins réjouissant en ce qui concerne la production de gaz toxiques. Quant au moteur diesel, les résultats sont meilleurs dans la catégorie « émission de gaz à effet de serre », mais moins bons dans le domaine de la pollution locale. En l'occurrence, les propriétés manifestées par ces deux carburants sont complémentaires.

La première stratégie pour fabriquer des véhicules propres consiste à conserver les propriétés respectives des deux types de carburant. Il est ainsi possible d'utiliser le moteur à essence tout en réduisant le rejet de gaz à effet de serre. A contrario , une solution alternative consiste à produire des moteurs diesel, dont l'émission de polluants locaux serait fortement réduite. Il me semble cependant nécessaire de réfléchir à de nouvelles technologies, qui permettront de progresser dans la voie du transport propre. L'ensemble de ces axes de réflexions sont des champs privilégiés pour l'investigation industrielle, pour l'incitation politique, pour la Recherche et Développement et pour l'investissement. La création de valeur est en effet tout à fait envisageable.

La table ronde d'aujourd'hui se concentre sur le « green diesel ». Comment parvenir à ce que le diesel génère moins de pollution locale tout en conservant ses propriétés en matière de limitation des émissions de gaz à effet de serre ? Afin de préciser mon propos, je me tourne vers Daniel Le-Breton, Directeur du département Transport & Énergie chez Total. J'aimerais que vous nous parliez des normes qui s'imposent en matière de réduction de la pollution automobile.

Daniel LE-BRETON, Directeur du département Transport & Énergie, Total

Je me concentrerai sur l'esprit de la loi et des normes à respecter, sans rentrer dans les détails. Ces normes existent depuis 35 ans. A l'heure actuelle, nous sommes parvenus à réduire ces émissions originelles de 80 à 99 %, selon le polluant concerné. Tout au long de ces années, le législateur a pris soin de ne pas écarter le diesel, qui a trouvé une place dans les normes, grâce à des niveaux d'émissions différenciés. Cette démarche a permis le développement de la technologie « common rail », extrêmement performante d'un point de vue énergétique. Les Américains ont choisi une politique différente : les normes imposés aux véhicules diesel sont calquées sur les normes des véhicules à essence. Cette disposition interdit pratiquement la mise sur le marché de véhicules diesel.

Le législateur européen cherche quant à lui à rapprocher les deux niveaux de normes considérés. Nous n'y sommes pas encore, mais l'espoir existe de remplir cet objectif d'ici cinq à dix ans. La dernière norme entrée en vigueur est connue sous l'appellation « Euro 5 ». Le législateur a hésité entre plusieurs optiques. L'un des scénarii envisagés invoquait la nécessité de réduire les émissions d'oxydes d'azote et de particules polluantes contenus dans les carburants. Nous savons désormais que la réduction de l'émission de particules est technologiquement possible. Reconnaissant la difficulté réelle des constructeurs en matière de réduction de la pollution de type NO, le législateur a opté en priorité pour une limitation des rejets de particules. La prochaine étape en termes de dépollution interviendra peut-être vers 2014.

J'insiste sur le fait que ces progrès technologiques en matière de dépollution ne sont pas le fruit d'initiatives japonaises ou même américaines, mais européennes.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Nous constatons que le couple constructeur automobile-pétrolier a mené un effort conjoint en ce qui concerne la réduction des émissions polluantes des carburants. Comment résumeriez-vous les efforts menés par l'industrie pétrolière ?

Daniel LEBRETON

Une fois encore, les progrès ont été initiés par le législateur, bien que l'échelle de temps fût différente. En effet, ces évolutions sont plus récentes, dans la mesure où la production de carburants répond aux innovations technologiques. Ainsi, l'arrivée des pots catalytiques a permis l'élimination du plomb dans les carburants. La dépollution était privilégiée par rapport au rendement du carburant.

Au cours des années 90, le législateur a entrepris de se montrer plus directif, afin d'adapter l'évolution des carburants à l'évolution technologique. Ce mouvement a été impulsé conjointement entre les deux industries, sous l'égide de la Commission européenne. Le résultat de ces réflexions fut la directive sur les carburants publiée en 1998. Celle-ci instituait les évolutions nécessaires de la production jusqu'en 2009. La prochaine révision, programmée cette année, amendera probablement quelques caractéristiques prévues des carburants dans cette directive.

L'évolution la plus structurante initiée par le législateur a été décidée en fonction de l'industrie automobile. Nous avions en effet besoin de moteurs limitant les rejets de dioxyde d'azote, particulièrement sensible au soufre. Cette technologie nous contraignait donc à éliminer le soufre des carburants. C'est ce qui a été fait. Pour une fois, les carburants ont précédé la technologie automobile. En effet, la mise au point de cette technologie s'est avérée complexe. Elle est d'ailleurs encore en cours.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Des efforts considérables sont donc entrepris en matière de dépollution. Pierre Macaudière, vous êtes responsable du Département Emissions de Carburants et Dépollution chez PSA. Qu'en est-il des initiatives des constructeurs automobiles en la matière ?

Pierre MACAUDIERE, Responsable du Département Emissions de Carburants et Dépollution, PSA

Je vous soumets quelques données chiffrées : un moteur diesel génère une consommation moindre de 25 % à performance égale par rapport à un moteur à essence. En 1998, la mise sur le marché des technologies à rampe commune a engendré un véritable saut technologique dans le secteur des moteurs diesel. L'impact de cette évolution a été considérable : la consommation de carburant baissait de 20 %, et l'émission de polluants locaux était réduite de 50 %. De surcroît, le confort de conduite était amélioré, alors que l'émission de bruit du moteur diesel diminuait.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Intéressons-nous maintenant à ces fumées noires et à ces particules de charbon émises par les véhicules à moteur diesel. Ces rejets posent un grave problème de santé publique. PSA a été l'initiateur d'une révolution technologique : le filtre à particules. Il me semble intéressant d'en connaître l'histoire.

Pierre MACAUDIERE

Cette innovation est née d'une volonté stratégique de l'entreprise. Constatant qu'en dépit des progrès réalisés en 1998, le moteur diesel n'atteignait pas le niveau de propreté du moteur à essence, la Direction de PSA a décidé de concilier diesel et environnement. En même temps que se développait le moteur HDI, les chercheurs de PSA travaillaient sur un moyen efficace de réduire l'émission de particules. Cette ambition ne répondait à aucune contrainte normative. Nous étions en effet soumis au régime « Euro 3 ».

Les premiers résultats observés sur la Peugeot 607 indiquaient que l'émission de particules se limitait à 5 milligrammes par kilomètre. A titre de comparaison, la norme « Euro 4 » impose depuis 2005 un taux de rejet de particules inférieur à 25 milligrammes par kilomètre. Nous respectons déjà les normes « Euro 5 » qui entreront en vigueur en 2010 ! Désormais, plus de 1,5 million de véhicules de PSA circulent sur les routes équipés de cette technologie.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Pouvez-vous évoquer le fonctionnement de ce système ? Tout le problème réside dans la régénération du filtre à particules tous les mille kilomètres...

Pierre MACAUDIERE

En effet. Toute la difficulté repose sur la fiabilité du filtre exposé à des températures extrêmement élevées pendant environ 200 000 kilomètres, la durée de vie du véhicule. Pour éviter d'étouffer le moteur par l'accumulation de suies, il convient de régénérer le filtre. Le paradoxe est qu'un moteur diesel fonctionne à 250 degrés, mais que les suies ne peuvent être brûlées qu'à partir de 600 degrés. C'est là qu'intervient l'innovation : la première solution a consisté à réduire la température de combustion des suies via un additif catalytique. La deuxième solution repose sur le fameux « common rail » qui permet de contrôler l'accumulation des suies. Ces méthodes s'opèrent en toute transparence vis-à-vis du conducteur.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Nous commençons à entrevoir les principaux éléments qui favorisent le succès d'une innovation. Quels sont les événements clé qui ont jalonné la réussite industrielle d'un grand groupe comme le vôtre ?

Pierre MACAUDIERE

Le principal paramètre repose sur la volonté stratégique de l'entreprise. Cette volonté peut répondre à des nécessités économiques ou d'image. Elle peut également être liée à des contraintes normatives. En tout état de cause, il faut être capable de mobiliser des moyens considérables, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros. Enfin, il est nécessaire de solliciter les compétences requises : physiciens, chimistes, équipementiers...Le maître-mot est la confiance.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Nous avons insisté sur la notion de plate-forme. Christophe Gas, vous êtes Directeur catalyse chez Rhodia. Votre société a développé un additif fondamental du filtre à particules. Comment l'idée de cet additif a-t-elle germé ?

Christophe GAS, Directeur catalyse, Rhodia

Plusieurs étapes président à ce type d'innovation. La première étape a été une innovation chimique : la mise en suspension dans un fluide de nanoparticules de cérium. Cette première innovation date des années 80. Nous sommes rentrés dans une phase de gestation du projet. Nous sentions les potentialités d'une telle invention, mais nous n'avions pas structuré le projet. Celui-ci est venu à maturité en 1990, autour de l'additif pour les filtres à particules. L'étape suivante a consisté à finaliser le produit, à l'industrialiser et à le lancer commercialement. La dernière phase a été la phase de décollage, grâce à l'intérêt éprouvé en 1998 par un grand constructeur pour notre produit. En deux ans, la phase de lancement du produit a abouti à un grand succès avec la mise sur le marché des premiers véhicules PSA équipés du filtre à particules en 2000.

Nous sommes désormais entrés dans une phase d'accélération de l'innovation. Nous abordons en effet la troisième génération de ces produits, dont les performances ont été sensiblement améliorées.

Jean-Baptiste DEMENTHON

La persévérance et la mise en commun de technologies complémentaires sont donc nécessaires. Rhodia est désormais un partenaire privilégié de PSA.

Christophe GAS

Effectivement, mais nos partenariats ne se limitent pas à PSA. Nous sommes en effet obligés de conclure des partenariats avec des constructeurs tels que Ford pour répondre à leurs contraintes technologiques (moteur ou plate-forme).

Jean-Baptiste DEMENTHON

L'ensemble des constructeurs vont-ils désormais suivre la démarche de PSA. Comment peuvent-ils réussir à s'adapter ?

Pierre MACAUDIERE

La décision du législateur d'inclure les progrès technologiques générés par le filtre à particules dans les contraintes normatives « Euro 5 » a été un facteur déclenchant. Les constructeurs européens seront obligés de fabriquer des véhicules respectant les normes entrant en vigueur en 2010. A cette échéance, 90 à 100 % des véhicules particuliers européens seront équipés de la technologie du filtre à particules. L'Asie et l'Amérique seront également bientôt concernées par cette évolution technologique.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Je me tourne vers Jean-François Bérard, Vice-Président Recherche et Développement chez Inergy, entreprise spécialisée dans la plasturgie. Pourriez-vous nous décrire votre activité ?

Jean-François BERARD, Vice-Président R & D, Inergy

Inergy est une Société à la fois jeune et ancienne. Elle a été créée en 2000, à l'initiative d'un groupe chimique belge, Solvay, et d'un groupe plasturgique français, Plastic Omnium. Inergy est le numéro un mondial des systèmes à carburant en plastique (20 % de parts de marché). Une voiture sur cinq est équipée de nos produits. Nous possédons de surcroît 100 % du marché PSA et 100 % du marché Renault.

Nous avons travaillé en collaboration avec les spécialistes de Rhodia pour réaliser le stockage et le dosage de l'additif à mélanger au gasoil pour obtenir le filtre à particules. Nous nous situons en retrait des problématiques de pots catalytiques. Néanmoins, pour optimiser la durée de vie du produit, le système de dosage et l'intégration de la technologie dans le véhicule sont primordiaux.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Pourquoi ce nouveau marché est-il intéressant pour Inergy, leader mondial du fioul-tank ?

Jean-François BERARD

De nombreuses parties sont intéressées par le développement de cette technologie. Cette dimension de l'innovation est primordiale. Cette synergie représente une force, via une plate-forme qui favorise notre crédibilité sur le marché. Inergy doit démontrer son expertise quotidiennement, car la compétition est âpre. Nous cherchons de surcroît à générer du chiffre d'affaires supplémentaire et à créer de nouvelles zones d'activité. Nous conserverons ainsi de la valeur dans l'Entreprise et nous éviterons une banalisation des fonctions.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Comment ces innovations dans le secteur automobile vont-elles s'étendre à d'autres applications, tels que les poids-lourds ? Jean-Claude Fayard a apporté une nouvelle innovation technologique destinée aux poids-lourds, ExoClean. Je lui cède la parole.

Jean-Claude FAYARD

J'ai eu la chance de rentrer à la raffinerie de Paizat, entité appartenant à l'Etat à l'origine de la société Elf. J'y suis entré pour participer au démarrage d'une toute nouvelle unité, Steam Tracking . J'ai fait partie des équipes d'Elf dès la création de cette entreprise en 1968. J'ai très vite pris conscience de la nécessité d'améliorer mes connaissances scientifiques. Grâce aux cours du soir, j'ai obtenu un BTS et des diplômes d'ingénieur. Alors jeune société, Elf a eu l'audace de s'investir dans des domaines tels que la Formule 1. Nous avons développé des carburants de compétition. Nous avons étudié la question de la pollution atmosphérique. J'ai terminé ma carrière dans cette entreprise au poste de Vice-président du centre de recherche de Solaize.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Quelles sont les quatre vertus de base d'un inventeur ? Quelles sont les quatre lacunes majeures d'un inventeur lorsqu'il s'agit de diffuser son innovation ?

Jean-Claude FAYARD

Je pense que l'inventeur doit posséder un esprit curieux, la volonté de trouver des solutions aux problèmes posés et les moyens nécessaires à l'expérimentation de son invention. De surcroît, il est impératif de développer son invention au moment adéquat. En l'absence d'un de ces éléments, vous ne parviendrez jamais au succès. Au cours de ma longue carrière, j'ai rencontré certains échecs parce que l'innovation proposée s'avérait trop précoce.

En ce qui concerne le développement d'ExoClean, nous avons fait preuve de modestie : nous avons recensé les produits disponibles sur le marché. A partir de là, nous avons relevé les lacunes et les dysfonctionnements manifestes. Notre rôle a consisté à trouver des solutions. Il est donc impératif d'accumuler de l'expérience.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Parmi ces innovations récentes, il y avait le filtre. En tant que Président-directeur général de la société CTI, spécialisée dans la céramique, vous avez estimé, Jean-Pierre Joulin, que votre entreprise disposait du savoir-faire suffisant pour développer un produit compétitif. C'est un exemple concret du rôle que peuvent jouer les PME en matière d'innovation...

Jean-Pierre JOULIN, Président-directeur général de la société CTI

CTI (Céramiques et Techniques Industrielles) est une société que j'ai créée en 1990. En effet, l'enrichissement de l'uranium dans les centrales nucléaires (80 % de l'énergie produite en France) nécessite l'usage de filtres en céramique. Ces composants devaient durer jusqu'en 2002. Or nous sommes aujourd'hui en 2006, ce qui prouve la solidité de ces céramiques.

Puisque nous étions capables de produire des céramiques permettant de séparer les isotopes de l'uranium, j'ai nourri l'ambition de fabriquer des filtres dans d'autres domaines. Nous sommes devenus leader mondial, alors que nos moyens étaient originellement dérisoires. Lorsqu'en 1999 PSA a cherché à développer le filtre à particules, ils se sont aperçus qu'un tel matériel n'existait pas en France. Ils se sont tournés vers le Japon. Nous avons vivement regretté cet état de fait. C'est pourquoi nous nous sommes lancés dans cette aventure.

La vertu essentielle d'une PME repose sur sa volonté de réussir en équipe, de rester à l'écoute du marché et de se remettre en cause. Nous pâtissons également de certains handicaps : notre taille engendre un déficit de crédibilité et de reconnaissance. La condescendance est une réalité. De surcroît, nous manquons de moyens financiers et de soutiens humains pour industrialiser une innovation à grande échelle. Enfin, il nous arrive d'être véritablement dépouillé de nos idées et de nos inventions.

Jean-Baptiste DEMENTHON

En guise de conclusion, je me tourne à présent vers Guy Pichon, responsable des performances et de la dépollution au sein du Groupe Volvo Trucks. Vous vous intéressez à ce système complet intégré de filtre à particules.

Guy PICHON, Responsable des Performances et de la Dépollution, Groupe Volvo Trucks

Dans le secteur des poids-lourds, nous suivons les mêmes tendances que dans le secteur automobile au niveau des normes de dépollution. Les progrès constatés sont donc similaires : la diminution des rejets de polluants locaux atteint 85 à 90 %. Nous avons donc le même challenge à relever que les constructeurs automobiles, d'autant plus que cette ambition reflète la volonté de nos clients. C'est pourquoi l'utilisation de la technologie ExoClean conforte notre volonté de progresser dans cette voie.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Nous ne nous étendrons pas aujourd'hui sur l'autre enjeu majeur concernant les moteurs diesel : la réduction des émissions des oxydes d'azote. Il s'agit d'un enjeu futur. Nous pouvons conclure de cette table ronde qu'en matière d'innovation il est nécessaire de prendre les risques adéquats au bon moment et de mûrir l'ensemble des réflexions entreprises au sein d'une plate-forme. Les innovations intègrent des systèmes complexes qu'il faut accompagner financièrement et humainement.

Question d'un participant

Je m'appelle Daniel Dupré, Directeur d'un laboratoire de catalyse de l'Université de Poitiers et du CNRS. Je suis donc confronté à des problèmes de recherche en amont. Nous avons évoqué le filtre à particules. En la matière, nous avons constaté une ouverture vers le DeNOx. Qu'en est-il des moteurs nouvelle génération HCI ? Avez-vous un objectif précis d'industrialisation et de commercialisation de ces motorisations ?

Guy PICHON

Pour remplir les objectifs induits par la norme « Euro 4 », nous disposons d'une alternative : soit nous dépolluons à la source les oxydes d'azote puis nous traitons en « silencieux » les particules, soit nous réduisons à la source l'émission de particules, puis nous nous préoccupons ensuite des oxydes d'azote. Cette dernière technologie a été choisie par le Groupe Volvo. Son principal avantage est économique, puisque la consommation de carburant est moindre (5 %). Par ailleurs, cette technologie améliore le rendement et la puissance du moteur. Elle est considérée comme pérenne, ce qui signifie qu'elle s'appliquera dans le cadre de l'application des futures normes. En guise de réponse à votre question, je vous confirme que nous utiliserons la technique du DeNOx. Nous injecterons de l'urée en amont du silencieux, qui permettra de réduire de façon significative (80 à 90 %) l'émission d'oxydes d'azote. Une fois cette technologie mise au point, le problème du rejet de polluants locaux sera quasiment résolu. Quant à l'émission de CO², l'apport des biocarburants représente une solution d'avenir.

Un intervenant

Bien que la technologie du moteur HCI soit à l'étude, elle n'est pas encore au point. En tout état de cause, nous devrons avoir recours au post-traitement.

Un intervenant

Les constructeurs allemands ont initié la distribution d' Adblue en Europe, motivés par une incitation fiscale. Nous avons nous-mêmes commencé cette distribution, bien que nous la limitions aux poids-lourds dans 400 stations en Europe.

Question d'un participant

Ma question s'adresse à Monsieur Macaudière. Si nous rapprochons le premier diagramme comparant les performances des moteurs à essence et diesel, nous nous apercevons que le problème de la réduction des rejets polluants générés par le diesel est résolu. Cette démarche semble nécessiter des coûts raisonnables. Pourquoi attendre 2009 pour imposer ces normes déjà atteintes aujourd'hui ?

Pierre MACAUDIERE

Les véhicules devront être équipés de filtres à particules pour remplir la norme fixée à l'horizon 2010 d'un taux de particules inférieur à 5 milligrammes par kilomètre. Des efforts restent à accomplir pour équiper certains types de motorisation. Je signale par ailleurs que l'entrée en vigueur de ces normes génère des coûts considérables et impose aux constructeurs de définir des choix stratégiques. C'est pourquoi ce système progressif a été mis en place.

Quant aux problématiques concernant l'urée, elles présentent une dimension technique supplémentaire : il faudra trouver de la place pour installer un réservoir d'urée de 25 à 30 litres. De surcroît, ce réservoir d'urée s'épuisera au bout de 25 000 kilomètres. Des réapprovisionnements réguliers s'avèreront nécessaires. Les contraintes sont donc considérables. C'est pourquoi le système DeNOx n'est pas encore disponible en Europe : le coût n'est pas acceptable.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Je vous propose de clore cette table ronde. J'en remercie vivement les participants.

Table ronde n°2 : « La politique québécoise de soutien à l'innovation,
un exemple pour la France ? »

Modérateur :

Christian PICORY , Délégué Valorisation, Groupement des Écoles des Télécommunications

Participants :

Camille LIMOGES , Co-Président, Conseil des Partenaires de l'Innovation

Laurent BUISSON , Sous-directeur de l'Innovation et du Développement technologique, Ministère de la Recherche

Gilbert DROUIN , Président-directeur général, Valorisation Recherche Québec

Augustin BRAIS , Directeur, Bureau de la recherche et Centre de développement technologique - École Polytechnique de Montréal, Président des BLEUs

Claude CARRIERE , Président, Réseau Curie

Christian PICORY

J'ai le plaisir d'animer cette table ronde qui accueille nos amis québécois. Elle sera consacrée au dispositif d'innovation et de soutien mis en place par les autorités québécoises. Je propose à nos amis québécois de se présenter.

Augustin BRAY, Directeur du Bureau de la Recherche et du Centre de Développement Technologique de l'Ecole Polytechnique de Montréal

Je m'appelle Augustin Bray, Directeur du Bureau de la Recherche et du Centre de Développement Technologique de l'Ecole Polytechnique de Montréal. Je suis ingénieur de formation en mécanique. Je possède également une formation en génie nucléaire.

Camille LIMOGES, Co-Président du Conseil des Partenaires de l'Innovation

Je m'appelle Camille Limoges, coprésident du Conseil des Partenaires de l'Innovation. Cet organisme est responsable de la révision permanente de la politique du Québec en matière de recherche et d'innovation. Ma carrière a constamment évolué entre l'Université et l'Administration.

Gilbert DROUIN, Président-directeur général de Valorisation Recherche Québec

Je me nomme Gilbert Drouin, Président-directeur général de Valorisation Recherche Québec depuis 1999. Ma carrière s'est déroulée dans le milieu universitaire, à l'Ecole Polytechnique de Montréal.

Claude CARRIERE, responsable du Transfert de Technologie de l'Université d'Aix-Marseille 1 et Président du Réseau Curie

Je m'appelle Claude Carrière, responsable du Transfert de Technologie de l'Université d'Aix-Marseille 1 et Président du Réseau Curie. J'ai passé toute ma carrière dans l'ingénierie pétrolière.

Laurent BUISSON, sous-directeur chargé de l'Innovation et du Développement technologique à la Direction de la Technologie au Ministère de la Recherche

Je me nomme Laurent Buisson, sous-directeur chargé de l'Innovation et du Développement technologique à la Direction de la Technologie au Ministère de la Recherche. Je m'occupe de la valorisation de la recherche et de la création d'entreprises. Mon profil de base est celui d'un scientifique et informaticien. J'ai conduit des recherches dans le domaine de l'environnement, puis j'ai rejoint l'administration du Ministère de la Recherche. J'ai par ailleurs travaillé aux Etats-Unis.

Christian PICORY

Au-delà du potentiel qu'offre le transfert de technologies, nous allons réfléchir à l'originalité du système québécois de soutien à l'innovation. Le dispositif mis en place s'inscrit dans le cadre d'une réflexion amorcée dans les années 80. La première étape fut de pointer un certain nombre de forces et de faiblesses du tissu industriel québécois. Cette démarche a permis d'identifier le potentiel de la recherche publique ainsi que plusieurs secteurs stratégiques.

Une fois cette étape franchie, le dispositif a intégré tout un ensemble de mesures de soutien, de l'invention jusqu'à la mise sur le marché. Ainsi, le Québec offre un soutien financier important à la recherche, y compris dans sa dimension précompétitive. Ensuite, il existe des financements spécifiques en faveur de la recherche partenariale, accompagnés de mesures de soutien en faveur des transferts de technologies. Enfin, un outil original a été mis en place, Valorisation Recherche Québec. La mission de cet organisme est d'assurer le transfert de technologies dans ses phases opérationnelles et concrètes.

Camille LIMOGES

Nous n'avons pas choisi le titre « Le système québécois, un exemple pour la France ». Il serait prétentieux de nous ériger en modèles. La situation québécoise est totalement différente. Le Ministre signalait dans son allocution que la France est un vieux pays de recherche. A contrario , le Québec est un jeune pays de recherche. Avant les années 60, à l'exception de l'Université McGill, la recherche québécoise restait notoirement sous-développée. De surcroît, le Québec est un Etat de petite taille, qui compte seulement 7,5 millions d'habitants. C'est pourquoi nous nous comparons plutôt à la Finlande ou à la Suède.

Au Québec, 60 % de la recherche est menée par les entreprises et 33 % par les Universités. Ces dernières ont consacré 2,5 milliards de dollars à la recherche l'année dernière. Par ailleurs, la recherche réalisée par les Universités sous contrat avec les entreprises représente 9 % de l'effort de recherche. C'est un taux considérable : aux Etats-Unis, il atteint à peine 6 %. L'Université québécoise est constituée de 18 établissements répartis sur l'ensemble du territoire. Ces facultés regroupent 8 200 enseignants et chercheurs, ainsi que 250 000 étudiants. Chaque année, notre système universitaire produit 1 100 à 1 200 PhD.

La recherche universitaire représente l'essentiel de la recherche publique. C'est une particularité québécoise, fruit d'un choix de son administration. Le Québec s'est donné comme ambition de consacrer 3 % de son PIB en dépenses de Recherche et Développement pour 2010. Les dernières statistiques confortent cet objectif : nous atteignons déjà un taux de 2,7 %.

Pour comprendre la réussite du Québec en matière de recherche, il faut s'attarder sur les spécificités de son système universitaire : les 18 établissements québécois sont parfaitement autonomes. Ils procèdent eux-mêmes au recrutement des professeurs et des chercheurs. Ils décident des conditions de travail. Quant au financement, il est défini via des concours. Les rentes de situation n'existent donc pas pour les chercheurs. Depuis quelques années, en sus des financements obtenus par les chercheurs sur concours, les établissements auxquels ils appartiennent obtiennent un remboursement partiel des coûts indirects générés par ces recherches. Cette subvention est attribuée à l'établissement sur la base des performances réalisées par ce dernier au cours des trois années antérieures.

C'est au tournant des années 70 que le Québec s'est doté de sa première agence de financement de la recherche. La première politique scientifique d'ensemble du gouvernement québécois date de 1980. Elle visait essentiellement à poursuivre la construction du potentiel de recherche en milieu universitaire et à faciliter les transferts entre le milieu universitaire et les entreprises. La notion de capital-risque a également été mise en place à l'initiative du gouvernement de l'Etat. Le tournant de l'an 2000 a été marqué par la mise à jour de la politique de la recherche et de l'innovation. Le gouvernement insiste particulièrement sur la valorisation des résultats en matière de recherche universitaire, même si les décideurs considèrent que le « produit » principal de la recherche est la main d'oeuvre très hautement qualifiée. Les entreprises et les organisations en ont effectivement grandement besoin.

C'est dans cette optique qu'a été créé le Conseil des Partenaires de l'Innovation que je copréside avec le Ministre du Développement économique. Cet organisme aura pour rôle d'explorer les dimensions de cette politique de recherche et de proposer les mises à jour nécessaires.

Gilbert DROUIN

Valorisation Recherche Québec a été créé en 1999 et doté de deux fonds de 100 et 120 millions de dollars canadiens. Les opérations seront terminées en mars 2006. En ce qui concerne la valorisation, nous avons créé des sociétés de valorisation, dirigées par une gouvernance privée. Les objectifs poursuivis sont doubles : augmenter la valeur marchande des innovations produites, et accroître les retombées pour la société québécoise. Un certain nombre d'éléments ont été examinés : le bassin de recherche (100 millions de dollars) a été évalué afin de rentabiliser ces structures. Etant donné que ces sociétés de valorisation se situent à distance des Universités, il est impératif d'assurer une collaboration étroite entre les différentes parties.

Quelles sont les missions dévolues à ces sociétés ? Elles entreprennent le repérage proactif des technologies qui se fait en collaboration avec les bureaux de liaison. Elles assurent la sensibilisation des chercheurs à la valeur économique de leurs recherches et la protection de la propriété intellectuelle, ainsi que le montage financier des projets, l'élaboration juridique des dossiers, la recherche de partenaires, l'analyse du marché, la réalisation des prototypes et la veille technologique.

Depuis quatre ans, nous constatons que le facteur clé de succès d'une recherche est la gouvernance à dominante privée de ces sociétés à distance des Universités. Toutefois, la proximité avec les Universités reste forte. Les équipes compétentes recrutées possèdent la maîtrise technique des outils, et savent de surcroît valoriser le fruit de recherches scientifiques.

Nous avons par ailleurs mis en place un programme de maturation technico-commerciale. Ce programme mis en place par VRQ avec un apport de dix millions de dollars est uniquement accessible aux quatre sociétés créées. Dans le processus, il permet de pourvoir aux premiers financements des projets de recherche. Un des éléments primordiaux repose sur la définition des fenêtres d'opportunités offertes à l'innovation. L'analyse terminée, nous disposons d'un certain nombre de questions auxquelles il convient de répondre.

Le projet est donc conçu conjointement par le chercheur et par la société de valorisation. Lorsqu'il arrive à maturité, il nous est présenté. Nous finançons un projet à hauteur de 50 % de sa valeur. En général, notre contribution se situe entre 50 000 et 250 000 dollars canadiens.

Les résultats globaux de Valorisation Recherche Québec montrent que 1 200 dossiers ont été évalués dans une perspective de commercialisation. Par ailleurs, 36 entreprises ont été crées et 253 demandes de brevet ont été déposées. Nous en avons obtenu 70. Les décaissements de VRQ atteignent 60 millions de dollars canadiens, alors que la valeur du portefeuille global de valorisation a été portée à 180 millions de dollars.

Les résultats sont donc tout à fait à la hauteur des espérances, mais il ne faut pas concevoir ce mécanisme comme une source d'enrichissement des Universités. Je pense au contraire que la valeur créée par ce biais doit être dévolue au transfert de l'innovation vers l'industrie.

Christian PICORY

Vous constatez que le dispositif VRQ est d'abord conçu comme un outil de développement économique. Quels rapports entretenez-vous avec les Universités ? Comment avez-vous identifié les responsabilités de chacun ?

Augustin BRAY

BLEU est un terme générique : Bureau de Liaison Entreprises-Universités. Il recouvre une réalité à géométrie variable selon les Universités. Je souhaiterais tout d'abord revenir sur le fait que la valorisation dépasse le simple cadre de la commercialisation à laquelle nous nous intéressons cependant beaucoup. Les Universités considèrent en effet comme particulièrement important de former des professionnels hautement qualifiés et d'assurer leur transfert dans le monde de l'entreprise. Les contrats et les partenariats conclus, la publication des résultats et les services offerts relèvent également de la valorisation de la recherche. Quant à la commercialisation des résultats, elle relève davantage des sociétés de valorisation de la recherche.

Ceci étant, j'entame une description du BLEU. Nous évoluons au sein de la bulle universitaire, en relation étroite avec les chercheurs et avec les professeurs. Il est important de remplir notre mission en totale immersion dans le monde universitaire. Le premier BLEU fut créé à l'Ecole Polytechnique au début des années 1970. Le bureau de la recherche de cette Ecole s'occupe de deux grands volets :

· les subventions (depuis la demande jusqu'à la négociation) ainsi que l'administration de la propriété intellectuelle,

· la promotion et le développement des relations avec le monde de l'entreprise en matière de Recherche et Développement et de transfert de technologies.

Le BLEU est le mandataire officiel pour transmettre les demandes engageant la responsabilité de l'Ecole Polytechnique. Par ailleurs, il négocie et produit des facteurs. Nous administrons les aspects politiques et financiers des projets. Enfin, nous participons à la négociation de projets particuliers. Globalement, nous représentons la courroie de transmission vers la société de valorisation de l'Ecole Polytechnique.

Je souhaiterais souligner le fait que nous évoluons dans un univers différent de la société de valorisation. Celle-ci se focalise davantage sur l'aspect commercial. Ce partage des rôles s'est opéré dans la plus grande transparence et dans un souci de pragmatisme. En effet, les missions considérées touchent des domaines très différents. Pour ma part, j'ignore tout de la protection des résultats de la recherche, des spin-offs, et du financement des entreprises. Ce n'est pas mon métier. En revanche, les tâches incombant aux Universités (négociation des contrats, recherche des partenariats...) relèvent de notre compétence. De surcroît, nous connaissons nos chercheurs. En termes de commercialisation, il est impératif de découpler les intérêts de nos Universités, de leurs chercheurs et de leurs professeurs, et les intérêts des intervenants commerciaux.

Enfin, sous l'égide de la CREPUQ (Conférence des Recteurs et Principaux des Universités du Québec), un groupe de travail des responsables de BLEU s'est constitué il y a une vingtaine d'années. Un véritable réseau s'est élaboré et les échanges se sont multipliés entre les membres. Cet organisme a contribué à bâtir des outils de formation à destination de confrères moins bien lotis. Le réseau CREPUQ travaille en collaboration avec les bureaux de liaison au sein de l'ACCT (Alliance Canadienne pour la Commercialisation de la Technologie) qui regroupe les grands réseaux des provinces canadiennes.

Christian PICORY

Vous venez d'évoquer les tâches dévolues à un BLEU et le réseau que les bureaux de liaison constituent. En France, il existe le réseau Curie. Comment peut-on le positionner par rapport au réseau des BLEU ?

Claude CARRIERE

Le Réseau Curie a été créé en 1993, sur l'initiative personnelle de plusieurs responsables de valorisation dans les Universités. En 2003, les statuts ont changé pour ouvrir l'accès de ce réseau à de nouveaux membres : les organismes de recherche et les Grandes Ecoles, mais aussi des structures privées gravitant autour de ce thème de la valorisation. L'objectif du réseau Curie est double. En premier lieu, le réseau vise à conforter les compétences des personnels des structures de valorisation via des échanges. En second lieu, il nourrit l'ambition de promouvoir une facilitation des rapports publics-privés.

Le premier objectif se traduit par l'organisation de nombreux congrès, des forums et des journées techniques. C'est un mélange d'informations et d'ateliers. Nous organisons également des formations pour améliorer le niveau professionnel de nos membres. Quant à l'ambition de rapprocher la sphère publique et la sphère privée, nous avons participé à l'élaboration d'un cahier de laboratoire, mis prochainement sur le marché. Nous avons de surcroît travaillé à la mise en place d'indicateurs de valorisation. Enfin, nous avons engagé deux chantiers : l'établissement d'un contrat de bonnes pratiques unique et une offre unique de technologies issues de l'ensemble des acteurs de la recherche en France. Il s'agit d'instituer des portails de spécialisation.

Nous avons mis l'accent sur les relations avec nos amis québécois. En effet, nous admirons le dispositif qu'ils ont élaboré en matière de valorisation de la recherche. Autant il est facile d'entretenir des échanges entre chercheurs, autant il est ardu d'échanger la valorisation des recherches entreprises.

Les membres du réseau Curie défendent les intérêts des Universités. Ils s'occupent des contrats de collaboration, de la négociation et de la promotion des brevets et enfin de la commercialisation.

Christian PICORY

J'ai trouvé ces interventions extrêmement intéressantes. L'accent a été mis par nos amis québécois sur les aspects financiers et organisationnels. La répartition des tâches mobilisent leur attention, afin d'assurer au mieux chacune des missions. Chaque organisme possède une sphère d'intervention définie. En effet, ces métiers impliquent des compétences spécifiques. Globalement, nous avons conscience de l'importance que prend la maturation des projets dans la chaîne de transfert de technologies.

Ce dispositif calqué sur les méthodes américaines conduit à se poser la question de son efficacité. Le récent rapport Fortier publié au Québec souligne l'impérieuse nécessité de poursuivre la structuration de la recherche, d'amplifier le dialogue entre les différents organismes (BLEU, sociétés de valorisation, Universités) et de continuer à financer l'intégralité du dispositif. D'après mes informations, VRQ a été financé via des excédents budgétaires publics.

Qu'en est-il des futures dispositions qui pourraient être prises à la suite de ce rapport ?

Camille LIMOGES

Le Conseil des Partenaires de l'Innovation va se saisir de ce rapport Fortier et élaborer des propositions à l'attention du Ministre. VRQ a certes été créé pour recycler des surplus budgétaires, mais cet organisme constituait par ailleurs une expérimentation à grande échelle. Gilbert Drouin, de par son expérience universitaire et professionnelle dans le monde de l'entreprise, nous paraissait la personne idoine pour conduire ce nouveau projet. Nous aurions pu confier la responsabilité des sommes engagées à des représentants du Ministère. Cependant, il nous semblait que la réactivité de ce type d'institution était insuffisante par rapport aux enjeux considérés.

En effet, la rapidité de décision est primordiale. De surcroît, il s'agissait de dédier une somme de 260 millions de dollars canadiens à une recherche visant l'innovation. Désormais, ce montant a été engagé, et la commission Fortier a été mise en place pour étudier les retombées du projet VRQ. Le financement de la maturation technico-commerciale doit être maintenu. C'est l'une des principales conclusions de ce rapport Fortier.

Pour évaluer le succès de pareilles entreprises, il faut embrasser un panorama de plusieurs décennies. Toutefois, nous avons déjà identifié plusieurs problèmes : le capital-risque semble peu intéressé par une intervention dans la phase de maturation ou même après, du moins en Amérique du Nord. Manifestement, les investisseurs tendent à agir tels des banquiers et à intervenir plus en aval par rapport à la situation antérieure. A contrario , un des points positifs soulignés par le rapport est la stricte démarcation observée entre le rôle des BLEU et celui des sociétés de valorisation.

Christian PICORY

Laurent Buisson, avez-vous des commentaires sur le dispositif mis en place au Québec ?

Laurent BUISSON

Je souhaite tout d'abord remercier mes collègues québécois pour leur témoignage. Certes, il est impossible d'appliquer en France l'intégralité du modèle québécois. Les premières démarches engagées par le Ministère de la Recherche en France ont également été initiées dans les années 80. A cette époque ont été mis en place le crédit d'impôts recherche, les conventions CIFRE et les CRITT (Centre Régionaux d'Innovation et de Transfert de Technologie). L'autre point d'orgue en matière de politique de promotion de la recherche a été la loi Allègre en faveur de l'innovation. Cette loi visait à encourager la création d'entreprises, la recherche collaborative via la constitution de réseaux et la valorisation de la recherche grâce à un cadre juridique nouveau.

Le Sénat et l'Assemblée Nationale travaillent actuellement sur un pacte pour la recherche, qui aborde de nombreux aspects portant sur la recherche, l'innovation et le partenariat entre la recherche publique et les entreprises. Grâce à la création de l'Agence Nationale de la Recherche, le soutien aux réseaux de recherche et d'innovation technologique a pu être renouvelé. L'ANR a également lancé un appel à projets concernant les Instituts Carnot. Cette initiative consiste à identifier et à soutenir des organismes de recherche publique qui travaillent en étroite collaboration avec les entreprises.

Nous avons par ailleurs soumis au Parlement des mesures d'amélioration législative en faveur des partenariats public-privé. Le pacte pour la recherche donne à ces organismes la possibilité de travailler en toute liberté avec des structures privées. En effet, la souplesse organisationnelle est un réel atout pour ces organismes de recherche.

Nous souhaitons en outre une simplification du statut fiscal des activités de valorisation de la recherche. Nous constatons grâce à l'exemple québécois que les activités de transferts technologiques et de valorisation de la recherche ne s'équilibrent pas à court terme financièrement. Nous avons besoin d'un financement public. C'est pourquoi nous avons lancé un appel à projets avec l'ANR destiné à aider les établissements publics à mettre en commun leurs moyens. Cette collaboration favorisera les transferts de technologies et la valorisation de la recherche. En effet, la dispersion constatée en France ne doit pas conduire à une perte d'efficacité. Notre ambition est donc incitative. Les établissements évoqués atteindront ainsi la taille critique nécessaire à la valorisation de leur recherche : moyens financiers, recrutement des compétences et prise en charge de la maturation des projets de transfert.

En guise de conclusion, je remercie le Sénat d'avoir organisé cette édition du colloque « Tremplin Recherche ». Cet événement rassemble des chercheurs et des spécialistes du transfert de technologies et de la valorisation de la recherche.

Claude CARRIERE

J'émets trois souhaits. En premier lieu, il serait nécessaire de distinguer les facettes de la recherche incombant à l'autorité publique de celles qui relèvent du secteur privé. En second lieu, il faut revenir sur le statut des personnels de valorisation de la recherche. Je prône enfin l'émergence d'un interlocuteur unique dans le processus de valorisation de la recherche.

Christian PICORY

Pourrais-tu nous donner un exemple d'un ou deux mesures phares ? Peux-tu revenir sur le financement des coûts indirects de la recherche ? Tu as souligné le nécessaire travail de perfectionnement concernant la distinction à effectuer entre l'outil de développement économique que représente la société de valorisation mais aussi l'outil de développement de la recherche que représentent les BLEUs ou la non confusion des rôles. Peux-tu évoquer ces aspects ?

Camille LIMOGES

Au Québec, la question des coûts indirects s'est posée avec d'autant plus d'acuité que les Universités ne reçoivent pas d'allocation de crédits qui sont spécifiquement dédiés à la recherche. En effet, ce sont les chercheurs, en concurrence avec leurs collègues dans le cadre de concours, qui obtiennent ou pas les crédits pour mener leurs recherches. Si nous ne prenions pas en compte les coûts indirects des recherches, plus une Université disposerait de chercheurs excellents et plus elle verrait sa situation devenir intenable. C'est pourquoi il existe un programme à Québec et à Ottawa, qui attribue à chaque établissement universitaire des crédits, au prorata des subventions obtenues par concours auprès des agences du gouvernement fédéral, d'une part, auprès des agences du gouvernement du Québec, d'autre part, le tout selon un pourcentage identique au Québec et au Canada.

Le système est donc très différent du système américain, dans lequel chaque subvention versée est accompagnée d'une majoration destinée à prendre en charge les coûts indirects. Cela exige des comptabilités très complexes. D'ici à trois ans, les gouvernements visent un objectif de 40 % de remboursement des coûts indirects ; les établissements universitaires sont pour leur part plutôt unanimes pour dire que la part de ces coûts est plutôt de l'ordre de 65 %. Le consensus n'est donc pas parfait sur ce point.

Concernant la séparation des rôles entre l'Université, le BLEU et la société de valorisation,

Par ailleurs, il apparaît que plus l'expérience des sociétés de valorisation s'approfondit et plus notre conviction se généralise qu'il s'agit de structures totalement différentes des BLEUs. Leurs compétences et leurs expertises ne sont pas les mêmes et leur logique d'intervention est distincte : en effet, un BLE demeure un service de l'Université, alors qu'une société de valorisation doit suivre une logique commerciale.

De la salle

En quoi la politique québécoise de soutien à l'innovation peut-elle être un exemple pour la France ?

Camille LIMOGES

C'est à vous de déterminer quels sont les éléments qui sont transposables. Pour autant, je pense que l'histoire des deux systèmes, ainsi que la taille des deux Etats, font qu'il n'est pas possible d'importer cette politique dans sa totalité.

Laurent BUISSON

Dans son intervention, notre collègue a indiqué que, lorsque la recherche québécoise a été développée, le pari a été pris de concentrer l'essentiel des moyens dans les Universités. Or l'organisation de la recherche française est différente : des sommes importantes sont attribuées aux Universités, ainsi qu'aux organismes de recherche ; parallèlement, les écoles d'ingénieurs jouent également un rôle important. Les intervenants sont donc plus dispersés qu'au Canada et au Québec. L'organisation du transfert de technologie doit tenir compte de cette réalité.

Je pense que nous devons nous inspirer des principes, en cherchant à les adapter à la réalité française. Il s'agit des principes de souplesse, de proximité, de répartition entre le public et le privé ; il faut également tenir compte de la taille critique, de l'importance du financement public. Au Québec, même dans les Universités les plus réputées, la part du financement de la recherche par les entreprises n'est pas si élevée que cela. De même, les brevets ne peuvent pas permettre à eux seuls à la recherche française, américaine et canadienne de se financer ; le taux est ainsi de 4 % aux Etats-Unis.

Au final, il faut effectuer un travail d'échanges quotidiens entre les cellules de transfert françaises et québécoises, afin de mettre en évidence les bonnes pratiques qui sont utilisées.

Table ronde n°3 : « Le rôle du capital risque dans la valorisation
de la recherche »

Modérateur :

Frédéric MASCRE , Avocat, Mascré Héguy Associés, Responsable de la commission valorisation de la recherche de l' AFIC

Participants :

Valérie GOMBARD , Directeur de participation, SPEF

Yvan-Michel EHKIRCH , Directeur d'investissement, I-source gestion

Jean-Claude LEVEQUE , Président, LC Capital

Geoffroy DUBUS , General Partner, Innovacom

Grégoire ALADJIDI , Directeur d'investissement, TechFund Europe

Frédéric MASCRE

Valérie, comment se décompose la chaîne du financement de l'innovation ?

Valérie GOMBARD

L'entrepreneur qui porte un projet doit faire un choix. Opter pour le financement d'un investisseur en capital nécessite de fixer un horizon de temps déterminer. En effet, l'investisseur doit obtenir un rendement et retrouver sa liquidité à un moment donné, soit grâce à une cession industrielle, soit, plus rarement, grâce à une introduction en bourse.

Il est ensuite possible de distinguer quatre phases. La première est celle d'amorçage du projet, durant laquelle, sur la base des résultats d'une recherche, il faut parvenir à un produit ou à un service industrialisable et commercialisable ; durant cette première période d'investissement, la société n'a pas de revenus, pas de clients mais développe son produit. Durant la deuxième phase interviennent les acteurs d' air listage , c'est-à-dire les investisseurs en capital qui investissent dans les sociétés qui sont au démarrage de la commercialisation du produit ; l'on parle aussi d'investisseurs de premier ou de second tour de financement. La troisième phase est celle des investisseurs dit de letter stage , qui interviennent dans les sociétés qui ont déjà déployé leur business model , qui engrangent quelques millions d'euros de chiffre d'affaires et qui se posent des questions d'expansion géographique ou de produit. Enfin, la dernière phase est celle de sortie, qui peut se faire par cession à un industriel ou par introduction sur les marchés de capitaux.

Frédéric MASCRE

Dans ces quatre phases, quels points peuvent être améliorés pour la valorisation de la recherche et des innovations ?

Valérie GOMBARD

Les difficultés se situent aux deux bouts de la chaîne. Il existe encore aujourd'hui trop peu de véhicules dédiés au financement des sociétés en phase d'amorçage. Des difficultés sont également rencontrées lors de la sortie ; pour un investisseur en capital, la facilité est de céder les sociétés à des industriels, qui sont dans 90 % des cas des entreprises américaines cotées au Nasdaq.

Concernant l'amorçage, des progrès très importants ont été effectués. Des initiatives très intéressantes ont été conduites à la fin des années 90 et au début des années 2000, permettant de rassembler des capitaux à la fois privés et publics pour constituer des fonds véritablement dédiés à l'amorçage : sectoriels (I-Source, T-Source dans les télécoms, Bioam dans les biotechnologies) ou régionaux (Sophia Euro Lab dans le Sud de la France, CapDecisif en Ile-de-France). La difficulté est que ces fonds ont investi la première vague des montants qui avaient été levés. L'amorçage est le métier le plus difficile car les entreprises ont besoin d'accompagnement et les équipes doivent être très expérimentées, durant cette période où le taux d'échec est le plus élevé. Cela est difficile à atteindre sachant que les montants investis sont relativement petits et que les ressources de la société de gestion sont limités. De plus, il faut environ 10 ans pour que l'entreprise atteigne la maturité, ce qui pose des problèmes de liquidité. Il faut donc poursuivre la réflexion pour que ces initiatives puissent être maintenues et que les fonds puissent se développer grâce à une deuxième ou troisième levée de capitaux.

Frédéric MASCRE

Quelle est la différence entre une sortie industrielle et une sortie en bourse ?

Valérie GOMBARD

Toutes les sociétés n'ont pas le profil pour pouvoir réaliser une sortie boursière. Il faut que l'activité et le modèle d'affaire soient facilement compréhensibles par le grand public et les investisseurs. De plus, les sociétés qui sont recherchées actuellement sont celles qui enregistrent de très fortes croissances, qui s'adressent donc à des marchés larges, et dont les business model sont rentables.

Inversement, la cession industrielle concerne des sociétés qui développent des produits techniquement complexes, s'adressant à une clientèle B to B, qui ont développé un produit ou un service extrêmement innovant, intervenant sur un marché aux barrières importantes à l'entrée et permettant à l'acquéreur de disposer d'un différentiel concurrentiel significatif.

En Europe, dans huit cas sur dix, la sortie s'effectue par cession industrielle. Cela s'explique par le fait que l'accès au marché des capitaux est difficile. De plus, plusieurs échecs ont été enregistrés pour le financement des sociétés innovantes (Eastdaq, Nouveau marché). Toutefois, de nouvelles initiatives voient le jour, comme la création d'Alternext l'année dernière, qui constitue un progrès important pour les sociétés petites et innovantes. Toutefois, le rapport est de 1 à 100 par rapport aux sociétés américaines qui peuvent se tourner vers le Nasdaq.

Frédéric MASCRE

Quels sont les points qui pourraient être améliorés durant les sorties, notamment pour créer un écosystème en France ?

Valérie GOMBARD

Nous devons tenter d'adopter une philosophie plus ambitieuse et tenter de pousser les sociétés qui peuvent croître de façon plus importante vers les marchés de capitaux. Même si l'on peut penser qu'il est plus facile d'obtenir la liquidité en cédant l'entreprise à des industriels américains, il apparaît que la démarche est intéressante pour le renouvellement des entreprises de technologie. Ainsi, Soitec, qui a moins de 15 ans d'existence, a « spiné » une petite société, Soizic, qui développe des logiciels de conception dans le domaine des semi-conducteurs ; Memscap, cotée sur Euronext, a « spiné » pour sa part la société Softmen, dans le secteur des logiciels. Si nous souhaitons renouveler le volant de sociétés, de richesse et d'entrepreneuriat, nous devons atteindre la taille critique sur les marchés de capitaux.

Frédéric MASCRE

Geoffroy, qu'est-ce que l'essaimage technologique ?

Geoffroy DUBUS

L'essaimage technologique désigne la création d'une entreprise nouvelle, par des individus qui bénéficient ou non de la complicité de leur employeur. L'entreprise créée est indépendante de la société d'origine, au plan juridique et financier. Il existe quatre types d'essaimage : spontané, industriel, social et technologique.

Le premier correspond au départ de salariés, indépendamment de toute politique d'essaimage organisée par le groupe d'origine. L'on estime à 57 % la part des créateurs d'entreprises qui sont des employés ou ex-employés récents. Le second répond à une volonté du groupe d'origine d'externaliser une partie de son activité, généralement pour des raisons de restructuration sectorielle. L'essaimage social, qui est dominant aujourd'hui en France, correspond à une volonté du groupe d'origine d'ajuster ses effectifs : l'on estime à 75 % la part des essaimages structurés entrant dans le cadre d'une gestion de sureffectifs. Le dernier type d'essaimage correspond à la création d'une activité innovante, à partir de technologies qui sont initiées et développées au sein d'un groupe d'origine, qu'il soit public, privé ou universitaire.

Frédéric MASCRE

Comment met-on en oeuvre l'essaimage technologique ?

Geoffroy DUBUS

Chaque entité ou groupe d'origine dispose de son organisation propre pour mettre en oeuvre l'essaimage et gérer le transfert technologique. Les modèles les plus aboutis font apparaître trois entités : valorisation, portage et financement. La première se charge du transfert de la technologie et de sa valorisation dans la société essaimée. La deuxième fournit des fonds à hauteur du prix du transfert technologique ou de la concession de la technologie, en échange d'une prise de participation dans l'entité essaimée. La troisième intervient pour financer l'activité de la société, lors de l'amorçage, qui est postérieur à l'incubation.

Concernant le transfert lui-même, la première modalité privilégiée pour les brevets est la concession de licences exclusives au groupe essaimée.

Frédéric MASCRE

Il s'agit de la voie qui offre le plus de sécurité.

Geoffroy DUBUS

En effet. En cas d'échec de l'essaimage, le groupe d'origine conserve la pleine propriété des brevets. Toutefois, ce n'est pas la solution idéale pour l'entreprise essaimée car des conflits peuvent intervenir avec le groupe d'origine, pouvant entraîner des contentieux. En revanche, l'entreprise essaimée dispose alors du soutien du groupe d'origine pour la défendre en cas de contentieux avec des tiers externes.

Frédéric MASCRE

Le groupe d'origine dispose alors d'un portefeuille de brevets, qu'il peut opposer en cas de négociations sur la technologie transférée à l'entreprise essaimée.

Geoffroy DUBUS

Soitec a pu bénéficier de l'appui du LETI et du CEA lors de son contentieux avec un acteur américain.

La deuxième modalité, privilégiée par Philips, Imec et France Télécom lorsque ces groupes considèrent qu'ils ne vont plus faire évoluer ou exploiter les brevets, est le transfert intégral de propriété pour les brevets. L'entreprise essaimée est alors totalement libre de faire évoluer la technologie et ne fait plus face à aucun obstacle durant la phase de valorisation.

Frédéric MASCRE

Quel est l'intérêt d'un essaimage technologique ?

Geoffroy DUBUS

De très grands succès internationaux sont issus de l'essaimage, comme Gemplus, Kelkoo, Ilog, Brodwing, Net Centrex, Soitec. De plus, lorsque le groupe d'origine essaime, il contribue à fertiliser le bassin d'emplois et à la création d'entreprises. On estime ainsi que les essaimages créent en moyenne cinq employés à trois ans, alors que la moyenne n'est que de trois employés pour les sociétés créées de toutes pièces. Cela favorise également le potentiel entrepreneurial et innovant au niveau économique.

Pour le groupe essaimant, l'intérêt est stratégique car celui-ci lui assure une meilleure gestion des brevets et de la propriété intellectuelle. Cela constitue pour lui une possibilité de se recentrer sur son coeur de métier. Au plan des ressources humaines, cela permet de faire évoluer la culture d'entreprise en privilégiant la prise de risque et l'entrepreneuriat. La démarche permet au groupe d'origine de séduire certains profils entrepreneuriaux, qui peuvent être très utiles ; elle peut aussi offrir un parcours professionnel motivant aux salariés.

Pour l'entreprise essaimée, on constate que le taux d'échec est plus faible que la moyenne des sociétés créées : 70 % à 80 % des essaimages sont des réussites à cinq ans, ce qui est nettement plus élevé que la moyenne nationale. Les barrières à l'entrée sont plus importantes, ce qui résulte de la richesse et du niveau des technologies qui sont concédées aux sociétés essaimées. En effet, ces dernières présentent un niveau de croissance et une rentabilité généralement plus élevés ; de fait, elles font l'objet d'une phase de maturation plus longue que les sociétés créées de toutes pièces.

Frédéric MASCRE

Yvan-Michel, comment fonctionne la collaboration entre les grandes entreprises et les PME innovantes ?

Yvan-Michel EHKIRCH

La raison de la collaboration entre les grandes entreprises et les PME innovantes est justement l'innovation. Nous vivons actuellement une expansion économique mondiale exceptionnelle, principalement grâce au déploiement des nouvelles technologies. La relation entre les PME et les grandes entreprises intéresse beaucoup de monde. En effet, 100 millions de personnes travaillent dans les PME au sein de l'Europe des 19, soit deux tiers de l'emploi privé. Parmi ces PME, de nombreuses entreprises sont de haute technologie dans notre région. L'innovation est un terme très apprécié. On parle de loi de l'économie pour l'innovation ; au mois de janvier, Jean Rognetta citait dans Les Echos le regard neuf de trois grandes entreprises informatiques sur ce qu'elles peuvent faire avec les jeunes entreprises (IBM, SAP, Microsoft).

Pourquoi les entreprises ont-elles besoin de collaborer ? Pour les petites entreprises, il s'agit d'une question de survie ; en effet, elles ont besoin d'appuis dans le domaine commercial et des affaires. Ces appuis peuvent être obtenus en collaborant avec de grandes entreprises qui sont globales, multiproduits et multiservices. Pour leur part, les grandes entreprises ne disposent pas d'un processus d'innovation rapide mais sont, au contraire, plutôt orientées sur les process accompagnant leurs lignes de produits. On constate donc une certaine stérilité, un cloisonnement, une lenteur, ainsi que la fuite de certains cerveaux qui conduit les grandes entreprises à devoir se ressourcer. De plus, pour des raisons liées au bilan, les grandes entreprises sont à la recherche de l'innovation ailleurs que chez elles ; en effet, il n'est pas possible d'augmenter de manière régulière et constante les coûts de la R&D, sous peine d'être pénalisé par les autorités de tutelle et de marché.

Frédéric MASCRE

L'unité de temps n'est donc pas la même pour une start-up et pour une grande entreprise. Quelles sont les étapes permettant la mise en place de la collaboration ?

Yvan-Michel EHKIRCH

Il faut que les deux partenaires soient lucides sur leurs métriques respectives. Une grande entreprise doit suivre le nombre de ressources, le personnel à disposition, le nombre de produits mis sur le marché, l'intensité de la R&D, les étages hiérarchiques, la présence internationale. Ces indicateurs ne sont absolument pas les mêmes que ceux d'une petite entreprise. De plus, le processus d'aboutissement à une collaboration nécessite de se connaître, de s'engager dans un processus commercial et de vivre en commun au sein d'un projet.

Frédéric MASCRE

L'innovation est-elle un frein ou un accélérateur à la collaboration ?

Yvan-Michel EHKIRCH

L'innovation est la conjonction d'une invention et d'un processus économique. Il s'agit également d'un phénomène de rupture, par exemple avec les processus d'une grande entreprise. L'innovation crée des ruptures chez ceux qui en sont à l'origine. Les freins existent donc. Parallèlement, l'innovation peut être un accélérateur en permettant à une grande entreprise d'aborder un nouveau marché ou de consolider un marché existant à l'aide d'une innovation produite ailleurs. En la matière, les mentalités commencent à changer dans les grandes entreprises, grâce à la mise en place d'équipes et de programmes dédiés à la collaboration avec les PME.

Ainsi, Microsoft poursuit une initiative mondiale par le biais du groupe Emerging business team, basé dans la Silicon Valley et dirigé par Daniel Lewin, ancien d'Apple et collègue de Steve Jobs à la grande époque. Dans ce cadre, Microsoft France aide les PME de technologie à se développer et à faire partie de programmes intégrant les technologies Microsoft. Pour sa part, SAP poursuit une initiative verticalisée par segment d'industrie : Industry Value Networks. Enfin, IBM dispose du programme Venture and Collaboration, qui permet d'ouvrir les 40 000 brevets d'IBM aux PME, afin d'exploiter des technologies provenant des laboratoires d'IBM depuis de nombreuses années.

Frédéric MASCRE

Quel est le rôle des investisseurs ?

Yvan-Michel EHKIRCH

L'investisseur est le lien entre le monde de l'innovation et le monde du marché ; il s'agit d'abord d'un financier, qui effectue un investissement personnel au sein de l'entreprise. De fait, l'accompagnement du projet d'une PME revient à être co-créateur de l'entreprise ; notre métier est un métier de proximité avec l'entrepreneur. Nous devons également avoir la capacité de placer immédiatement notre réseau au service de l'entrepreneur.

Frédéric MASCRE

Dans cet écosystème, nous n'avons pas encore parlé du corporate venture . De quoi s'agit-il et en quoi serait-il plus performant dans la mesure où il est proche de l'industrie ?

Jean-Claude LEVEQUE

Le corporate venture est un peu à part dans le monde du capital risque. Très longtemps, le nom de corporate venture a été appliqué à des fonds de capital risque qui étaient très proches, c'est-à-dire captifs ou semi-captifs, de groupes industriels. De fait, les capitaux gérés proviennent presque en totalité des grands groupes en question ; très souvent, les équipes de gestion en sont même directement issues ou placées sous leur tutelle. Dans ces conditions, on pourrait penser que ces acteurs peuvent plus facilement s'impliquer dans un process d'accompagnement de l'innovation et de la recherche pour le transformer en succès économique. En réalité, pour la France, la réponse doit être plus nuancée.

Les fonds de corporate venture ne sont plus très actifs aujourd'hui. Les allocations de capitaux effectuées par les groupes industriels à des fonds de capital risque sont passées de 800 millions d'euros en 2000 à moins de 150 millions d'euros en 2004. Des raisons plus qualitatives doivent conduire à nuancer la vision que l'on peut avoir du rôle de ces fonds. En effet, le positionnement de ces derniers ne rend pas nécessairement faciles les relations qu'ils peuvent avoir avec des projets très amonts, sortant par exemple de la recherche publique. Les relations entre les groupes industriels et les laboratoires sont fréquentes et importantes ; elles passent parfois par d'autres moyens que la prise de participation, comme les achats de licence ; en revanche, en matière d'essaimage, les fonds corporate venture ne sont pas très actifs.

Frédéric MASCRE

Dans quelle mesure ces fonds financent-ils des projets de recherche ?

Jean-Claude LEVEQUE

Ils financent les projets de recherche et les innovations qui sont issus des groupes dont ils sont proches. De plus, la complémentarité et la proximité existant avec les technologies issues des laboratoires peuvent intéresser un groupe qui assurera ainsi un bon développement commercial. Dans tous les cas, l'une des difficultés qui subsistent concerne les éventuels conflits d'intérêt, avérés ou perçus comme tels par les équipes et les laboratoires mais aussi par les autres acteurs du capital risque et du financement.

Frédéric MASCRE

Peut-on considérer que le corporate venture constitue une passerelle entre la recherche et le capital risque ?

Jean-Claude LEVEQUE

Je pense plutôt que c'est l'inverse. Ce sont les investisseurs en capital risque indépendants qui peuvent jouer ce rôle d'intermédiaire entre le monde de la recherche et de l'innovation et l'industrie. De faire, leur rôle n'est pas seulement d'apporter des capitaux mais aussi de guider l'entrepreneur ou le chercheur qui l'est devenu dans un monde complexe, en l'aidant à construire des relations avec des grands groupes. De fait, le succès et la valorisation d'une innovation au sein d'une structure créée à cet effet ne peut se faire qu'en s'appuyant sur l'environnement économique et les grands groupes industriels. A ce titre, l'investisseur en capital risque peut être une tierce partie de confiance entre les entrepreneurs, les chercheurs et les groupes industriels, en servant de traducteur des habitudes et des règles du jeu pour les uns et pour les autres.

Frédéric MASCRE

Comment les différences entre le capital risque et le corporate venture peuvent-elles s'expliquer ?

Jean-Claude LEVEQUE

La différence est que les fonds de corporate venture ont pour objectif d'investir uniquement dans les secteurs qui sont proches du domaine d'activité du groupe concerné ou de jouer un rôle de veille technologique. Ce sont des missions louables et respectables, qui ne sont toutefois pas nécessairement compatibles avec la recherche de l'optimum de valorisation d'un projet donné. De plus, lorsque le rôle est assumé pleinement, la tentation est d'insérer le schéma de développement de l'entreprise dans le schéma du groupe, ce qui n'offre pas la flexibilité nécessaire et ce qui suppose que l'entrepreneur parvienne à comprendre les règles de fonctionnement des groupes auxquels il se raccroche.

Frédéric MASCRE

Dans le domaine du capital risque, l'énergie peut-elle être considérée comme un nouveau champ d'activité ?

Grégoire ALADJIDI

Oui. L'énergie peut constituer un bon domaine pour le capital risque, c'est-à-dire une bonne illustration du rôle que ce dernier peut jouer en matière de valorisation de la recherche et de l'innovation. Actuellement, le niveau des émissions de gaz à effet de serre, les réserves fossiles et la sécurité des approvisionnements, la demande croissante en énergie, l'ouverture des marchés à la concurrence, la privatisation des acteurs, la concurrence accrue entre les acteurs sont autant de problématiques qui poussent l'ensemble de la chaîne de l'énergie à remettre l'innovation au goût du jour.

Ainsi, les énergies renouvelables sont considérées comme une nouvelle source d'énergie primaire ; de même, l'on constate que la production au plus près du consommateur a quelques vertus en termes d'économies d'énergie ; l'objectif est aussi de mieux consommer l'énergie ; le domaine des transports alternatifs est également un champ d'innovation majeur. Dans ce cadre, il apparaît que la machine américaine entrepreneuriale d'innovation s'est installée dans le domaine de l'énergie.

Plus de 800 millions de dollars ont été investis en 2005 dans le domaine de l'énergie par les capitaux risqueurs américains, contre 1,5 milliard pour les clean tech de traitement ou de prévention des risques. Cela représente un peu moins de 10 % des montants globaux investis par les capitaux risqueurs américains dans les clean tech , domaine qui enregistre la plus forte croissance actuellement aux Etats-Unis (multiplication par deux au cours des trois dernières années ; les fusions acquisitions n'ont jamais été aussi nombreuses dans le secteur des technologies liées à l'énergie ; une trentaine d'introductions en bourse ont eu lieu l'an dernier sur le Nasdaq et en Europe, sur l'AIM ou à Francfort).

Frédéric MASCRE

Peut-on considérer qu'il existe aujourd'hui dans l'énergie un véritable écosystème, comme celui qui existe pour le logiciel ou les semi-conducteurs ?

Grégoire ALADJIDI

Clean Tech Venture Network - association américaine qui regroupe les fonds de pension, les fonds de fonds, les investisseurs en capital risque et les industriels - réunit deux ou trois fois par an plus de 500 personnes sur ces thématiques. Plus de 100 fonds investissent dans le domaine des clean tech aux Etats-Unis. Les industriels investissent également massivement : ainsi, General Electric lance des programmes assez ambitieux dans le secteur des technologies propres. L'écosystème américain est donc en place.

En Europe, l'apparition a pris plus de temps. Il existe des pôles de compétences et de compétitivité, notamment en Allemagne, dans le domaine du photovoltaïque à Fribourg, de la pile à combustible à Munich, de la cogénération et de la production décentralisée à Berlin. En France, deux pôles de compétitivité ont été labellisés et regroupent des industriels, des centres de recherche et des investisseurs.

Pour leur part, les grands groupes français du domaine sont également très présents dans le secteur de l'innovation. EDF, qui est historiquement un investisseur des fonds de capital risque, poursuit sa démarche par le biais d'EDF Business Innovation, dont la vocation est de développer des innovations liées aux métiers du groupe. Gaz de France investit également dans le capital risque ; Schneider Electric dispose de son propre fonds de corporate venture .

Frédéric MASCRE

Quel est le rôle des pouvoirs publics dans la construction de cet écosystème ?

Grégoire ALADJIDI

Les pouvoirs publics ont un rôle clé car les clean tech et les technologies liées à l'énergie ont des spécificités par rapport aux autres grands domaines investis par les capitaux risqueurs. Il s'agit en effet de sciences dures, pour lesquelles les validations techniques sont très longues. De plus, les marchés sont émergents et le challenge est donc d'identifier les niches de marché qui vont permettre de vendre au bon prix, le plus vite possible. Enfin, les problématiques industrielles sont lourdes et nécessitent des investissements importants, ce qui pose des problèmes de cofinancement, de co-développement, de business model .

En Allemagne, la définition des tarifs de rachat dans le domaine de l'énergie photovoltaïque, à 55 centimes d'euro le kWh, contre 24 centimes en France, a permis de créer une filière industrielle et plus de 50 000 emplois, ainsi que les entreprises qui seront les leaders de demain (Q-Cells, Conergy).

De même, l'administration Bush a lancé un grand programme en faveur de la pile à combustible. Des crédits d'impôts Recherche sont accordés pour favoriser l'utilisation des piles à combustible, dont le marché américain est actuellement de plus d'un milliard de dollars, pour des prévisions de 15 milliards à l'horizon 2010. De fait, les leaders des composants sont des sociétés américaines cotées en bourse et valant plus de 500 millions de dollars, financées par du capital risque à l'origine.

Frédéric MASCRE

En matière de valorisation de la recherche, toute la difficulté est de rendre le projet éligible au capital risque. N'avons-nous pas en France un problème de pré-valorisation des projets de recherche ?

Yvan-Michel EHKIRCH

Un projet n'est pas uniquement un produit ou une idée ; il s'agit surtout d'une équipe. Cette dernière doit être capable de démarrer le projet. Ensuite, tout dépend des moyens du capital risqueur.

Geoffroy DUBUS

Je pense que le point clé dans l'innovation en France est lié au financement de la preuve de concept. Cette phase peut être traitée par les fonds privés, lorsque l'économie est très porteuse, c'est-à-dire dans des configurations où, à l'issue du financement de l'incubation, la valeur de la société augmente. On entre alors dans un cercle vertueux, avec une création de valeur à chaque étape. L'intervenant privé qui permet de financer la société lors de l'incubation est donc gagnant. En effet, nos critères sont essentiellement basés sur la plus-value. Lorsque l'économie n'est plus porteuse, notamment après les explosions de bulles, le financement très earlistage est difficile. Pour créer une dynamique positive, quel que soit le climat économique, les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer ; une coordination entre les financements privés et publics est nécessaire.

Valérie GOMBARD

Je ne pense pas que nous connaissions de problème de pré-valorisation de la recherche. La plupart des centres de recherches se sont dotés de structures de transfert au cours des cinq ou six dernières années ; ils ont également tenté de trouver des partenaires : ainsi, Natexis vient de devenir partenaire de l'INSERM pour son projet INSERM Transfert. Les problèmes concernent plutôt la partie Financement ; ils portent davantage sur la composition des équipes que sur la technologie.

Jean-Claude LEVEQUE

J'adhère à ce qui vient d'être dit. Dès lors de la décision est prise de créer un projet économique à partir d'une innovation issue de travaux de recherche et de développement, la phase de valorisation a déjà commencé. A ce stade, il se pose moins de problèmes qu'auparavant ; des solutions existent pour financer, notamment par le biais d'incubateurs actifs, qui sont associés à des moyens de financement ad hoc , dont certains sont proches des laboratoires de recherche (le CNRS en Ile-de-France). Le raisonnement est différent si l'on pose que la pré-valorisation revient à financer des travaux qui ne sont qu'au stade de la recherche ; je pense que ce n'est pas le rôle des fonds de capital risque.

Grégoire ALADJIDI

Il se pose un véritable problème à ce niveau. Soitec a été fondée au début des années 90, pour exploser commercialement à la fin des années 90 ; les travaux au CEA avaient pourtant été lancés au début des années 80. Globalement, une technologie lourde nécessite 10 à 15 ans de recherche. Dans ce domaine, les fonds de capital risque ont un rôle à jouer, notamment pour inciter les dirigeants à aller sur le marché, à segmenter leur offre et à déterminer ce qu'ils souhaitent faire de leur innovation. Toutefois, le développement d'une innovation de rupture nécessite beaucoup de temps, ce qui impose aux pouvoirs publics de se poser la question de l'accompagnement des innovations en question.

Guy LABRUNIE, CEA Valorisation

Je souhaitais préciser que Soizic n'était pas un spin-off de Soitec mais une société créée par deux chercheurs du CEA. Par ailleurs, en tant qu'investisseurs d'amorçage, nous sommes évidemment frappés par la difficulté que nous rencontrons à faire notre métier. Par le passé, les participations des investisseurs d'amorçage étaient rachetées par les investisseurs entrants ; je souhaiterais connaître l'opinion du panel sur cette possibilité, qui reste intéressante.

Valérie GOMBARD

Je partage votre avis : le principal problème pour les fonds d'amorçage est de trouver une sortie avant la sortie naturelle de l'entreprise, dont l'horizon est beaucoup trop éloigné. Nous sortons d'une crise très difficile dans les technologies de l'information et la réaction des investisseurs en capital risque a été de permettre aux sociétés de se restructurer ou de se redéployer vers d'autres marchés. Aujourd'hui, il faut éviter les tabous. Si le réflexe du capital risqueur est d'injecter l'argent dans l'entreprise, il faut aussi tenir compte des fonds d'amorçage qui conduisent les projets à maturité. Lorsque le cas se présente, nous ne rejetons pas les démarches de money out , c'est-à-dire de sortie des investisseurs historiques.

Frédéric MASCRE

Je pense que la question posée mérite un véritable débat général.

René PASCAL, administrateur de France Angels

Les business angels font face à la même problématique de sortie et de valorisation en amont. Une évolution est-elle constatée en matière d'éventuels co-investissements, entre des sociétés de capital risque et des investisseurs individuels ?

Yvan-Michel EHKIRCH

Un nombre important de nos sociétés dispose de business angels en tant qu'actionnaires, qu'ils soient apparus avant nous ou au même moment. Toutefois, la problématique est celle du nombre. Personnellement, je ne suis pas favorable à une multiplication des actionnaires au départ car l'entreprise est faite de rapprochements dans les premiers temps, d'actions resserrées et de vie collaborative ; il ne faut donc pas que les intervenants soient trop nombreux.

Frédéric MASCRE

Je vous remercie.

Témoignages et expériences vécues

Animateurs :

Philippe ADNOT , sénateur de l'Aube, Président du Conseil général

Virginie ROBERT , Chef du service « Les Echos Innovation » des Echos

Participants :

Pascal ZUNINO , Jean-Claude SABONNADIERE , INP Grenoble

Hany MOUSTAPHA , Directeur des programmes de technologie, Pratt & Whitney, Canada

Olivier COHEN , Professeur à l'Université Joseph Fournier, HC Forum, France

Gérard EUDE , Directeur délégué de la recherche, France Télécom R&D

Philippe ADNOT, sénateur et Président du Conseil général de l'Aube

Le sénateur Valade a présidé la commission transversale qui a étudié le projet de loi sur la recherche. Il vous en parlera et, si vous le désirez, en débattra avec vous.

Jacques VALADE, Président de la commission des affaires culturelles du Sénat,
Président de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi
de programme pour la recherche

Merci de me donner la parole ! Je suis très heureux de vous retrouver pour poursuivre nos échanges dans le cadre de cette nouvelle édition de Tremplin recherche. Avant que les intervenants prévus ne nous fassent part de leurs expériences, je souhaite évoquer, à la suite de François Goulard, le Ministre de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, le nouveau contexte dans lequel la recherche française se développera désormais.

J'ai eu l'honneur de présider la commission spéciale chargée d'examiner ce projet de loi. Ce texte a été présenté par le Ministre, discuté par la commission spéciale, amendé puis passé en séance publique à la fin de l'année 2005. Nous espérons que l'Assemblée Nationale trouvera rapidement un créneau pour en discuter et l'adopter.

1. L'élaboration du projet de loi

Ce projet de loi a été confié à une commission spéciale, et non à une commission compétente comme c'est généralement le cas, car il intéressait fortement les commissions des finances, des affaires économiques et des affaires culturelles. Une commission spéciale, regroupant des membres de ces trois commissions, a donc été créée. Elle est le reflet de la démographie politique. Un membre de la commission des affaires étrangères et de la défense l'a notamment rejointe car la défense investit fortement dans la recherche militaire.

La recherche constitue un défi majeur pour notre pays, son avenir, sa compétitivité et son positionnement sur la scène internationale. Une nation moderne ne peut en effet fonder son avenir que sur la recherche et ses résultats. Le Sénat a donc abordé le projet de loi en suivant les impératifs évoqués par le Ministre François Goulard : excellence, compétitivité nationale et internationale, moyens et structures.

Le Gouvernement a répondu au souhait exprimé par le Président de la République de faire du développement scientifique une priorité. Une rénovation ambitieuse du système national de recherche et d'innovation a donc été engagée, en étroite collaboration avec tous les acteurs concernés. Toutes les parties prenantes du monde de la recherche, notamment de la recherche industrielle, ont été auditionnées.

2. Un effort financier considérable

Ce pacte pour la recherche s'est traduit par un effort financier sans précédent. Une loi de programmation prévoit l'investissement de 24 milliards d'euros d'ici 2010. Le projet de loi d'orientation, que le Sénat a adopté à la fin du mois de décembre 2005, réforme en profondeur notre système de recherche. Dans le contexte actuel de stabilisation des dépenses publiques, cet effort financier est particulièrement significatif. Il vise à respecter l'objectif défini à Lisbonne en mars 2000, qui prévoit de porter les dépenses de recherche de chaque Etat membre à 3 % du PIB d'ici 2010. Cet objectif étant fixé, les moyens sont budgétisés pour l'atteindre. En raison de l'annualité budgétaire, nous resterons attentifs chaque année au versement des sommes promises. En 2006, le Gouvernement a d'ores et déjà tenu ses engagements.

3. Le partenariat entre recherche publique et privée

Cet effort financier ne suffira toutefois pas. Tous les acteurs doivent s'impliquer. La France ne pourra en effet combler son retard que si les industriels investissent beaucoup plus fortement. Le projet de loi prévoit donc diverses structures qui encourageront le secteur privé à investir dans la recherche. De même, le Gouvernement est intervenu pour inciter la recherche à se mobiliser autour de ses priorités en se dotant d'un nouveau dispositif de financement par projet, ceci avec la création de deux agences de moyens : l'Agence nationale pour la recherche (ANR) et l'Agence pour l'innovation industrielle (AII).

En 2005, l'ANR a retenu 1 400 projets qui ont bénéficié à 3 700 laboratoires publics et 800 laboratoires privés. Ces derniers ont reçu dans ce cadre 540 millions d'euros. L'AII devrait soutenir l'entrée des entreprises françaises sur des marchés innovants et, donc, à risques. Grâce à ces deux agences, la France renforcera ses liens scientifiques avec ses partenaires européens.

Par ailleurs, les pôles de compétitivité, définis durant le second semestre 2005, donnent un nouvel élan à la recherche sur l'ensemble du territoire. 67 pôles ont déjà été labellisés. Ils devraient bénéficier de 1,5 milliard d'euros sur 3 ans. Leur mise en place a suscité l'enthousiasme des acteurs publics et privés et les a ainsi fortement mobilisés.

Le projet de loi encourage donc les relations contractuelles entre les établissements publics et les structures privées. Or les encouragements à la recherche privée devraient contribuer à dynamiser la recherche nationale.

Les grands organismes de recherche bénéficieront également de moyens accrus puisqu'ils obtiendront 164 millions d'euros de crédits supplémentaires et que 1 000 des 3 000 postes créés pour l'ensemble de la recherche leur seront destinés.

4. Renforcer le pilotage et l'évaluation de la recherche

Le projet de loi renforce également le pilotage de la recherche avec la création d'un Haut conseil de la science et de la technologie. Composé de personnalités de haut niveau, ce Haut conseil regroupera l'ensemble des acteurs concernés, du prix Nobel au chercheur de laboratoire. Placés auprès du Président de la République, ses membres définiront les priorités nationales et éclaireront les décisions du Gouvernement dans le domaine de la recherche.

Le texte met, par ailleurs, l'accent sur l'évaluation globale de la recherche, évaluation qui était jusqu'à présent disparate et hétérogène, tant par ses acteurs que par ses méthodes. Chaque organisme possède en effet son propre système d'évaluation. Les projets ne sont, en outre, presque jamais évalués a posteriori . Or au Royaume Uni, en Finlande, au Japon et en Suisse, l'évaluation de la qualité des projets de recherche conditionne en partie l'affectation des crédits publics. Le Sénat a donc approuvé la création de l'Agence d'évaluation de la recherche (AER), qui permettra une évaluation de qualité, systématique et transparente car s'appuyant sur des critères connus de tous, et suivie d'effets. Les systèmes performants et utiles, qui se développent actuellement, ne seront pas abandonnés. Une norme de référence sera créée, par rapport à laquelle chacun pourra se positionner.

5. De nouvelles structures de coopération

Les acteurs de la recherche seront regroupés dans de nouvelles structures de coopération car les différents classements internationaux révèlent deux faiblesses :

· les universitaires français sont trop petits pour être visibles au niveau international et attirer les meilleurs enseignants, chercheurs et étudiants ;

· les acteurs travaillent de manière trop dispersée sur les grandes thématiques de recherche, notamment d'avenir.

Le Gouvernement a donc adopté deux mesures complémentaires :

· encourager la création des Pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) ;

· concevoir les Réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA).

Répondant à une logique de site, les PRES regrouperont les acteurs travaillant sur un même territoire pour renforcer l'efficacité de leur action et accroître leur visibilité internationale. Ils permettront aux grandes écoles, aux universités, aux centres de recherche publics et aux entreprises de collaborer. Les RTRA, quant à eux, mettent l'accent sur la recherche thématique. Les chercheurs se regrouperont, où qu'ils soient, souvent de manière virtuelle, pour étudier un grand thème de recherche capital pour la recherche internationale, notamment européenne. La réforme s'appuie d'abord sur la force des initiatives locales. Reposant sur le volontariat, elle devrait remporter un plein succès. La loi fournira des outils et des cadres souples favorisant les regroupements.

Le projet de loi compense également l'une des faiblesses du système universitaire français. L'enseignement supérieur n'occupe pas dans notre pays la place qui devrait être la sienne en matière de recherche. De plus, il ne peut être de qualité qu'en s'appuyant en parallèle sur une recherche de haut niveau. En France, la recherche s'est construite différemment du modèle anglo-saxon, qui a fait ses preuves. Les grands organismes spécialisés ; comme le CNRS, l'INSERM ou l'INRA ; assurent les activités de recherche spécifiques. L'université, quant à elle, exerce surtout une mission d'enseignement, que la massification de l'enseignement public et l'absence de sélection à l'entrée des facultés ont rendue plus nécessaire encore. Le projet de loi opèrera un rééquilibrage, en accroissant l'autonomie des universités et en faisant évoluer leur système de gestion actuel. La création des PRES et des RTRA constitue une première avancée dans ce domaine. Leurs résultats devraient permettre d'envisager une nouvelle gouvernance des universités françaises.

Ce projet pour la recherche se construit par étapes. Certaines mesures ont déjà été adoptées. D'autres le seront, pour accroître l'attractivité de notre territoire, aider nos jeunes chercheurs à rester ou à revenir en France et attirer les chercheurs étrangers. La mobilisation de tous les acteurs, qui est nécessaire à la réforme, se manifeste d'ailleurs déjà sur le terrain. Les participants français de la table ronde le montreront.

Philippe ADNOT

Merci ! Quelqu'un souhaite-t-il poser une question au sénateur Valade ?

De la salle

Nous ne pouvons que nous féliciter de ce texte de loi. L'avenir m'inquiète toutefois. Ce matin, lors d'une table ronde, un participant a déclaré que de nombreuses sociétés de technologie étant rachetées par les Américains, nous n'avions pas la capacité d'être les meilleurs dans le domaine des nouvelles technologies. Qu'en pensez-vous ? Comment pouvez-vous y remédier ?

Jacques VALADE

En tant que législateurs et responsables politiques, nous pouvons agir en valorisant les découvertes, en rendant possible le développement du fruit des recherches des chercheurs, au niveau de leurs propres entreprises, de plusieurs entreprises, ou même en utilisant les dispositifs universitaires qui se développent.

L'Etat et le monde français de l'entreprise doivent par ailleurs réagir convenablement. Des pans entiers de la recherche, comme l'imagerie médicale, ont été abandonnés alors que les Français y excellaient, et ce pour des raisons politiques et industrielles. Les dispositifs existent, un état d'esprit doit les accompagner. Nous pourrons ainsi faire face au niveau national et européen aux difficultés que vous venez d'évoquer.

De la salle

L'accumulation de structures, comme les pôles de compétitivité, les PRES ou les RTRA, ne risque-t-elle pas de recouvrir les structures et les territoires existants ? Par ailleurs, François Goulard a affirmé que la majorité des financements irait aux pôles mondiaux à vocation mondiale. Les 67 pôles de compétitivité ne poseront-ils alors pas problème en termes de répartition des moyens ?

Vous avez également déclaré qu'environ 50 % des 3 000 postes créés le seraient dans ces nouvelles structures. Dans ces conditions, qu'adviendra-t-il des chercheurs qui n'en feront pas partie ?

De la salle

67 pôles ont été créés en France, contre 5 ou 8 aux Etats-Unis. Une réflexion plus approfondie n'aurait-elle pas été nécessaire, les pôles se situant à l'articulation entre la demande d'un territoire et les besoins de la recherche ? Ne faudrait-il pas instaurer une dynamique du type MIT en France ?

Jacques VALADE

Lors de notre réflexion sur les pôles de compétitivité, nous avons hésité sur le nombre de ces pôles qui devaient voir le jour : nous avons songé à en créer 10 comme 60. En outre, l'aménagement du territoire est politique et répond à un souci d'homogénéité. Nous avons donc retenu 67 pôles. Parmi eux, figure au Sud-Ouest le pôle aéronautique (Airbus/Dassault), aérospatiale (EADS) et systèmes embarqués, qui regroupe Midi-Pyrénées et l'Aquitaine.

Ces pôles ne sont pas incohérents avec les pôles de recherche universitaire car ils faciliteront la communication entre unités académiques, que la sectorisation de l'enseignement supérieur en 1968 a rendue difficile. L'Institut politique de Bordeaux a adhéré au PRES de sa ville car il a pris conscience qu'il est nécessaire de se regrouper pour agir.

Par ailleurs, la recherche thématique, comme la recherche contre le cancer, ne doit pas être centrée sur un lieu géographique. De nombreux instituts existent partout en France, qui méritent d'être fédérés, grâce entre autres aux liaisons immatérielles.

Si l'attribution des crédits se fonde sur la compétition et l'évaluation des projets et des résultats, elle devrait bénéficier aux chercheurs français. Une véritable émulation doit exister pour que le meilleur gagne.

Philippe ADNOT

Merci Jacques !

Nous allons à présent engager notre dernière série d'échanges. Virginie Robert animera la table ronde à mes côtés. Journaliste aux Echos , elle est spécialiste de l'innovation et est dotée d'une forte sensibilité internationale. Je laisse tout d'abord la parole à Gérard Eude, qui représente France Télécom.

Gérard EUDE, Directeur délégué de la recherche chez France Télécom R&D

L'activité recherche et développement (R&D) de France Télécom a une longue histoire. Elle découle du Centre national d'études en télécommunications (CNET), créé en 1945 et dont les travaux ont en partie permis la naissance du numérique. Compagnie historique de télécommunications aujourd'hui soumise à la concurrence, France Télécom met l'accent sur la recherche et l'innovation.

En interne, elle regroupe sur ses différents sites 260 doctorants en CDD de formation avec des salaires d'entrée équivalents à ceux des ingénieurs débutants. Ces doctorants font intégralement partie de l'entreprise, ce qui est rare, et sont fortement intégrés aux activités de recherche. La R&D regroupe trois phases : la recherche en amont, l'anticipation et l'innovation, ainsi que le développement. Le travail des doctorants est essentiel pour la première et la deuxième phase dans la mesure où ceux-ci sont jeunes et riches d'idées. Ils contribuent ainsi à la création de valeur et de propriété intellectuelle de l'Entreprise, sans que leur formation soit négligée. France Télécom tient en effet à ce que tous ses doctorants internes qui ont accumulé des compétences puissent les valoriser en passant des thèses ou des habilitations à diriger des recherches.

Les doctorants sont accompagnés par des universitaires sous contrat. Nous finançons à hauteur de 30 millions d'euros les travaux d'environ 300 doctorants externes pour qu'ils contribuent à nos programmes de recherche. L'innovation et la recherche sont donc essentielles pour assurer l'avenir d'une compagnie comme la nôtre, dans un contexte concurrentiel.

Virginie ROBERT, Chef du service « Les Echos Innovation » des Echos

Pouvez-vous nous indiquer le nombre de brevets de R&D déposés chaque année par votre entreprise ? La valorisation de la recherche s'effectuant in house mais s'externalisant également, combien de sociétés sont-elles créées à partir de France Télécom R&D ?

Gérard EUDE

Cette question est fort complexe car les entreprises mènent des politiques très diverses, notamment dans le temps. Ainsi, EHP a fortement investi dans un centre de recherche puis a cessé de le financer, car l'objectif d'une entreprise est d'abord de faire de la recherche pour son propre développement interne.

J'ai certes déposé des brevets sur la télévision numérique, grâce auxquels mon entreprise touche des royalties , et c'est essentiel. L'objectif du chercheur reste néanmoins d'innover pour l'entreprise elle-même, de lui conférer des avantages compétitifs au niveau international.

Virginie ROBERT

C'est exact. Pourtant les 3 000 brevets qu'IBM dépose chaque année dégagent des bénéfices.

Gérard EUDE

France Télécom détient également environ 4 000 brevets. Son ancien dirigeant, Thierry Breton, connaissait bien la thématique de la propriété intellectuelle. Nous déposons chaque année environ un brevet par chercheur, soit près de 600 au total, et presque un brevet par doctorant et année de thèse. Nous exploitons donc la source de valorisation que constituent les brevets. Nous sensibilisons également les doctorants à l'importance de la protection intellectuelle, qui est créatrice de valeur.

La question de l'essaimage des technologies dépend, cependant, des moments et des politiques. Nous ne lançons jamais de projet de recherche en sachant qu'il ne servira pas au groupe et en prévoyant de l'externaliser. Il nous arrive en revanche de nous apercevoir que des activités de recherche déjà engagées ne seront finalement pas utiles à l'entreprise. Nous les externalisons alors, car des compétences ont été investies. Nous avons notamment créé des start-up autour du format MPEG4, de la télévision numérique, de la reconnaissance de la parole et de la fibre optique.

La recherche doit néanmoins accroître notre compétitivité internationale, et donc créer des emplois et de la richesse. Telle est l'orientation principale de notre politique de R&D.

Virginie ROBERT

Vous avez évoqué le chiffre de 30 millions d'euros de contrats par an avec les universités. Cherchez-vous à développer cette relation avec le monde universitaire ou préférez-vous travailler de manière isolée ?

Gérard EUDE

Il est pour nous hors de question d'effectuer de la recherche, notamment de la recherche avancée, de manière isolée. Il est aujourd'hui nécessaire d'atteindre l'excellence internationale et donc de travailler avec les meilleurs pour bénéficier de leurs avancées. Nous passons donc des contrats en France, mais aussi à l'international dans un quart des cas, en particulier avec les Etats-Unis, la Chine, l'Angleterre et l'Europe.

Le groupe France Télécom partage tout à fait la stratégie de Lisbonne, notamment l'objectif visant à porter à 3 % du PIB les efforts consacrés à la recherche d'ici 2010. Or cet objectif ne peut être atteint que si les synergies entre recherche publique et privée sont favorisées. De son côté, la recherche publique a pour but principal la connaissance. Elle peut nous apporter un certain nombre de résultats nous permettant de progresser. Il est donc dans notre intérêt d'être attentifs à ses activités. La recherche publique a tout autant intérêt à disposer d'un terreau applicatif, grâce auquel elle puisse éventuellement reconsidérer ses objectifs de recherche.

Travailler avec les meilleurs laboratoires académiques est également intéressant du point de vue du recrutement car ils nous fourniront en retour les meilleurs doctorants, post-doctorats et ingénieurs.

Notre volonté de conjuguer notre travail de recherche avec celui des laboratoires académiques est donc très forte, en France (75 % du budget de R&D) mais aussi à l'international.

De la salle

Comment France Télécom gère-t-elle la propriété intellectuelle pour les chercheurs qui travaillent dans des laboratoires universitaires ?

Gérard EUDE

La gestion de la propriété intellectuelle dans le cadre de contrats de recherche avec des laboratoires, notamment avec le CNRS, est une question délicate. Nous avons donc signé, avec l'INRA, le CNRS, Supélec et les écoles du GET, des contrats-cadres qui nous permettent d'être soit totalement propriétaires, soit co-propriétaires des résultats des recherches, selon le mode de financement que nous adoptons. Cet accord-cadre prend en compte l'intérêt du monde académique et le nôtre.

De la salle

J'ai entendu parler du lancement de jeux vidéo multimédias massivement parallèles au sein de votre entreprise. Les sommes en jeu sont considérables, tant pour France Télécom en termes de plus-value, que pour la société française en termes d'impôts. Ce projet a-t-il toujours cours ?

Gérard EUDE

Des activités de recherche portent effectivement sur les jeux vidéos, mais j'ignore quels produits vont paraître. Je ne puis vous répondre car ce domaine n'est pas ma spécialité, contrairement à la vidéo, la télévision numérique, la parole et le multimédia (hors jeux vidéo).

Les pôles de compétitivité constituent par ailleurs un enjeu important pour France Télécom, qui en a rejoint un grand nombre. Ces pôles nationaux ne doivent néanmoins pas prendre le pas sur la coopération internationale. Il est essentiel d'établir un lien avec les clusters européens, voire internationaux.

Virginie ROBERT

Merci infiniment ! Je n'ai pas encore présenté nos intervenants. Ce sont des industriels, comme Monsieur Eude ou Monsieur Moustapha, qui représente l'entreprise canadienne Pratt & Whitney, mais aussi des entrepreneurs, comme Monsieur Cohen, professeur d'université qui a créé sa propre entreprise, ou Pascal Zunino qui a fabriqué un drone en étroite collaboration avec l'INP de Grenoble. La parole est à présent à Jean-Claude Sabonnadière, conseiller du président de cet Institut.

Jean-Claude SABONNADIERE, INP Grenoble

Bonjour. La recherche est fortement partenariale à Grenoble car cette agglomération de 400 000 habitants possède un environnement exceptionnel, un passé et un présent industriel important ainsi qu'un bassin technologique excellent avec de nombreux investissements dans le domaine de la R&D. Depuis 5 ou 6 ans, un incubateur très performant a donné naissance à de nombreux projets. Une cinquantaine des sociétés qui y ont incubé leurs projets, se sont installées dans la région. Sous l'impulsion du Ministère de la Recherche, cinq grands organismes de recherche et universités du bassin grenoblois se sont par ailleurs unis pour mutualiser la valorisation de la recherche.

Grenoble participe également à deux pôles de compétitivité, Minalogic (ou micro nanotechnologies et logiciels), qui est mondial, et Enerrdis, qui arrive en tête des pôles de compétitivité.

L'INP regroupe 5 000 étudiants et 600 doctorants. Il accueille environ 170 thèses et diplôme 1 100 ingénieurs par an. La pédagogie de l'Institut est centrée sur la créativité des élèves. Depuis 7 ou 8 ans, les étudiants de seconde année qui le désirent sont sensibilisés à la création d'entreprise. 150 élèves élaborent chaque année des projets de création d'entreprise. La vie associative est en outre très développée à l'INP, avec plus de 35 associations d'étudiants dans des domaines très variés. Les élèves sont donc incités dès la première année à mener des projets personnels et collectifs qui leur apprennent à se manager et à travailler ensemble.

L'Institut valorise également la recherche. Une filiale lui est intégrée et il dégage 11,3 millions d'euros de CA par an. Un guichet unique valorisation permet au chercheur qui a une idée de savoir immédiatement à qui s'adresser. 12 personnes travaillent dans le domaine de la valorisation.

Nous entretenons également des liens très étroits avec le monde industriel et les sociétés de technologie de l'agglomération, de Schneider, la plus importante, aux start-up récemment créés. Nous figurons parmi les fondateurs des deux pôles Enerrdis et Minalogic.

La création d'entreprise est fondamentale pour l'INP. Les étudiants de seconde année sont souvent porteurs de projets très intéressants. Pascal a ainsi conçu un drone avec d'autres étudiants. Son projet a été récompensé par l'Office national d'études et de recherche aérospatiales (Onera) et soutenu par la Direction générale pour l'armement (DGA).

Pascal ZUNINO

Je suis diplômé depuis juin 2005. Initié il y a deux ans, le projet de drone a regroupé huit étudiants d'une école d'ingénieurs de Grenoble. Il a aussi été soutenu par une autre école d'ingénieurs de Grenoble, ainsi que par de nombreux chercheurs et professeurs. Quatre laboratoires y ont enfin collaboré.

Un concours lancé il y a deux ans est à l'origine du projet. Il a été organisé par l'Onera et financé par la DGA, qui a également subventionné la réalisation du prototype. Le drone devait pouvoir voler à une hauteur inférieure à celle des toits dans un environnement urbain pour effectuer des missions de reconnaissance.

Doté de quatre moteurs électriques, l'appareil est symétrique. C'est en faisant varier la vitesse de rotation de ses moteurs que l'on contrôle ses déplacements. Dépourvue de parties mobiles, la structure mécanique de l'avion est très simple et très solide. Elle peut affronter des turbulences. L'appareil est pliable. Il se range dans un cylindre très robuste qui le protège. Une personne peut donc facilement le transporter. Cet aspect ergonomique et opérationnel était essentiel pour le concours. Au centre de l'appareil, un système électronique stabilise et corrige son assiette sans intervention humaine.

La structure du drone est intégralement en fibres de carbone et sa propulsion, électrique. Une caméra motorisée permet la prise de vues. Un système GPS localise l'appareil dans l'espace et géolocalise chaque photographie. L'environnement dans lequel l'avion se déplace peut donc être cartographié. Des capteurs ultrasons permettent par ailleurs d'éviter les obstacles de l'environnement urbain.

En ce qui concerne l'aspect station au sol, un pilote dirige l'appareil comme s'il était à bord grâce à des lunettes de vision. Quant au contrôle, un dispositif de commande ergonomique permet de déterminer les zones à observer. L'assistant de mission est muni d'un tablet PC , doté d'un système de cartographie qui lui indique exactement où se situe l'appareil. Un flux vidéo permet de contrôler en permanence le déroulement de la mission et d'effectuer des relevés.

La réalisation du projet a demandé deux années de travaux menés par des étudiants, des chercheurs et des universitaires. Nous avons présenté notre modèle en septembre 2005 et avons démontré ses capacités opérationnelles lors du concours. Nous avons reçu le premier prix ex æquo , ce qui a constitué un vrai tremplin pour nous.

Pascal Zunino projette une vidéo du drone en vol. Il sort ensuite un drone de son cylindre pour montrer à l'assemblée à quel point la manipulation est aisée et rapide.

Virginie ROBERT

Aujourd'hui, le prototype est prêt. Avez-vous déjà créé votre société ?

Pascal ZUNINO

Nous créons actuellement la société Novadem et nous rapprochons d'un laboratoire du CNRS. Nous développons deux types d'applications. Le premier sera militaire. Le second, civil, sera utilisé pour le contrôle des ouvrages d'art, des chaussées et des ponts. Il permettra également aux pompiers de réaliser des missions de surveillance d'urgence lors de cataclysmes (tremblements de terre, inondations...) et d'identifier les personnes à secourir.

Virginie ROBERT

Vous avez été étroitement soutenus par l'INP et par d'autres laboratoires pour créer le prototype. Avez-vous bénéficié d'aides pour la création d'entreprise ?

Pascal ZUNINO

Nous déposons actuellement des dossiers dans ce sens. Nous allons notamment participer au concours OSEO Anvar organisé par le Ministère de la Recherche et de l'Enseignement pour obtenir une subvention et passer du démonstrateur technologique au vrai prototype. Nous demandons également des aides. Etre incubés nous permettra d'obtenir une avance remboursable pour financer nos travaux pendant deux ans.

Virginie ROBERT

Serez-vous « incubés » à l'INP de Grenoble ?

Pascal ZUNINO

Nous avons choisi l'incubateur de Marseille car il nous permettra de mener notre projet plus loin. Nous avons en outre identifié des partenaires à Marseille, comme le laboratoire du CNRS ou dans la région PACA.

De la salle

Quelle est l'autonomie du drone et la distance maximale à laquelle il peut être manipulé ?

Pascal ZUNINO

La propulsion électrique du drone est peu bruyante. Son rayon d'action est d'un kilomètre. Son autonomie d'environ 45 minutes est adaptée à sa fonction : effectuer en milieu urbain des missions de repérage précises, donc peu longues.

De la salle

Résiste-t-il au feu ?

Pascal ZUNINO

Les matériaux sont composites. Ils devraient donc résister au feu. Nous n'avons toutefois pas encore effectué de tests.

De la salle

En dehors du concours, le drone a-t-il été montré, notamment à l'étranger ? Envisagez-vous de le miniaturiser ? Avez-vous imaginé de l'équiper de plaques photovoltaïques pour la récupération d'énergie ?

Les applications militaires de votre projet semblent par ailleurs fortes, par exemple au niveau géographique, pour explorer des terrains sensibles. La DGA vous a-t-elle proposé des incubateurs ?

Pascal ZUNINO

Le concours nous a permis d'établir un contact privilégié avec la DGA. Nous envisageons actuellement la signature de contrats d'études avec elle, parallèlement à la recherche d'autres partenaires. Le laboratoire où nous incuberons notre projet a par ailleurs signé des contrats avec elle, nous bénéficions donc des financements qui en découlent.

Nous travaillons actuellement sur la miniaturisation. Nous avons créé un prototype démonstrateur non-opérationnel de 11 centimètres d'envergure (contre 70 centimètres actuellement). Nous n'avons pas retenu la solution photovoltaïque, mais privilégions un système de batteries.

Le concours universitaire était international. Des acteurs étrangers ont donc vu le drone, qui n'a toutefois jamais quitté la France.

Virginie ROBERT

Vos contacts avec l'étranger sont donc encore peu développés.

Jean-Claude SABONNADIERE

Concernant la miniaturisation, Pascal a collaboré avec le Laboratoire d'Electrotechnique de Grenoble (LEG), dont une équipe travaille sur les micro-systèmes et développe des systèmes volants miniatures.

De la salle

Toutes mes félicitations pour la bonne idée que vous avez eue ! Un réseau de business angels existe depuis juin 2005 à Grenoble, vous pouvez donc vous rapprocher de la Chambre de commerce grenobloise. Isère Entreprendre réalise également des prêts d'honneur au porteur. Lorsque vous serez en phase de création, contactez cette association pour compléter vos fonds propres.

Virginie ROBERT

Merci pour ces précisions et pour ce brillant exposé ! Monsieur Moustapha va à présent décrire trois expériences dans le domaine de l'aérospatiale canadienne et évoquer les clusters . Je vous conseille le site de Michael Porter. Ce dernier dénombre 300 clusters aux Etats-Unis. Il souligne que le revenu par habitants des régions dotées de clusters est deux fois plus élevé qu'ailleurs. Posséder un ancrage local, avec des activités à forte valeur ajoutée et très innovantes, est donc très intéressant, car cela élève le niveau de vie des régions.

Hany MOUSTAPHA, Pratt & Whitney, Canada

C'est un plaisir et un honneur que d'être parmi vous aujourd'hui ! Je remercie le Sénat de son invitation ! Je complèterai la présentation qu'ont effectuée mes collègues québécois ce matin.

6. L'industrie aérospatiale canadienne

L'industrie aérospatiale canadienne occupe le quatrième rang mondial derrière les Etats-Unis, l'Angleterre et la France. Le Québec arrive en sixième position. Au Canada, les ventes annuelles s'élèvent à 25 milliards de dollars, dont 80 % d'exportations. Environ 70 % de l'industrie aérospatiale sont concentrés au Québec et 90 % de l'activité de R&D s'effectuent dans la région de Montréal. Au Québec, les employés de l'aérospatiale représentent 0,49 % de la population. Dans la région de Montréal, ce pourcentage s'élève à 3 %.

Pratt & Whitney occupe le premier rang mondial dans le domaine des moteurs destinés à de petits avions (moins de 90 passagers). L'entreprise a conçu le petit moteur qui commande les quatre gros moteurs depuis la queue de l'Airbus A480, ainsi que plusieurs applications pour Dassault et Cesta. Elle est également numéro 1 au Canada dans le domaine de la défense, de la R&D, et de l'aérospatiale. Elle consacre 450 millions de dollars chaque année, soit 10 millions de dollars par jour, à la R&D. Ce montant considérable représente 20 % de son chiffre d'affaires (2 milliards de dollars). Pratt & Whitney est la seule compagnie au monde à avoir produit 45 moteurs certifiés dans les dix dernières années, soit quatre par an, ce qui constitue un record.

L'entreprise possède des clients partout dans le monde, puisqu'elle exporte 80 % de sa production et vend 60 000 moteurs par an. Toutes les 2 secondes, un avion décolle avec un moteur Pratt & Whitney.

7. Le partenariat entre université et industries

a) Un partenariat évident

Les industries réalisent des produits pour dégager des bénéfices. Les universités ont pour priorité la formation des étudiants. Les entreprises souhaitent embaucher cette main d'oeuvre hautement qualifiée pour générer de la richesse. Le partenariat entre universités et industries est donc évident, en dépit de cultures différentes, les facultés privilégiant la recherche et le dépôt de brevets, les industries se concentrant sur le développement et leurs clients.

Numéro 1 dans le domaine de la collaboration avec les universités, Pratt & Whitney y consacre environ un milliard de dollars canadiens par mois. 17 des 25 facultés du Canada collaborent avec le centre de recherches de l'entreprise. D'un effectif de 13 millions de salariés, cette dernière accueille entre 250 et 300 étudiants stagiaires, qui participent à un certain nombre de projets, entre 200 et 250 chaque année. Elle a également créé des centres universitaires pour collaborer plus étroitement avec les facultés.

Au Canada, et surtout au Québec, ces dix dernières années, la collaboration a mûri avec un fort réseautage, de nombreux programmes gouvernementaux et des partenariats dans le domaine de l'éducation. Pratt & Whitney dispense notamment des cours qui sont ouverts aux étudiants et professeurs, ainsi qu'à ses clients et partenaires. A l'instar de l'Association industrielle de l'Eurospace du Canada, elle organise des forums de collaboration.

b) Le Consortium de recherche et d'innovation en aérospatiale du Québec (CRIAQ)

Créé en 2002, le CRIAQ regroupe l'ensemble de l'industrie aérospatiale du Québec, tous les grands maîtres d'oeuvre (Pratt & Whitney, Bombardier, Bell Helicopter, CAE), la plupart des fournisseurs des PME et les 7 universités du Québec. Les industries fournissent 25 % de son budget et le Gouvernement 75 %. L'objectif du CRIAQ est d'effectuer de la recherche très compétitive. Il vise :

· l'innovation ;

· le transfert de technologies ;

· la formation des chercheurs, du premier au troisième cycle ;

· la promotion de l'aérospatiale au Cegep, dans les écoles secondaires et les universités ;

· la collaboration nationale et internationale.

31 projets sont en cours. Deux phases de présentation des projets ont eu lieu, pour un montant d'environ 25 millions de dollars. La troisième phase débutera en mars et prévoit l'investissement de 25 millions sur trois ans. De nombreux chercheurs et industries sont impliqués.

Un projet composite s'est s'achevé récemment. Il impliquait Bombardier, Bell Helicopter, Pratt & Whitney, l'université de Concorde, l'école polytechnique de Montréal et une PME.

Le CRIAQ se généralise actuellement au Canada. Ses fonds vont à l'université qui dirige le projet. Des fonds additionnels proviennent du niveau fédéral, par exemple du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) qui finance la recherche des universités ou du Programme d'aide à la recherche industrielle (PARI) destiné aux PME.

c) Les instituts aérospatiaux

Des instituts aérospatiaux se sont créés au sein des universités. Ils regroupent 250 à 300 étudiants de premier cycle et de nombreuses entreprises. Ces formations constituent un apprentissage par projet sur une année. Elles sont rémunérées par l'université, qui est elle-même financée par l'industrie.

Après avoir achevé leurs projets de recherche, les étudiants peuvent soit être embauchés, soit continuer une maîtrise et un doctorat dans l'université de leur choix. De très bon niveau, ils travaillent soit chez eux, soit dans leur faculté. Un environnement industriel sécurisé a ainsi été recréé en 2000 au sein de l'université Concordia et les étudiants, qui y travaillent à temps-partiel, perçoivent un salaire horaire très compétitif de 17 dollars canadiens.

Virginie ROBERT

Avez-vous pu évaluer ces dispositifs ?

Hany MOUSTAPHA

Ils ont été mis en place car certains programmes de recherche n'étaient pas traités à l'université, par les étudiants en maîtrise ou doctorat, et n'intéressaient pas les employés seniors des grandes entreprises aérospatiales. Les étudiants de premier cycle font désormais avancer ces recherches efficacement.

Ces dispositifs permettent en outre de former les étudiants avant de les recruter. Chaque année, j'envoie environ 20 étudiants à l'international, en Russie, Italie ou Allemagne, travailler avec nos clients et partenaires. Nous les embauchons à leur retour. Ces deux dernières années, nous avons effectué environ 50 recrutements grâce à ce programme, dont la mondialisation accroît l'intérêt. La proportion de femmes s'élève à 40 %, contre 15 à 20 % habituellement dans l'industrie aérospatiale.

Virginie ROBERT

Votre groupe d'industriels s'organise pour effectuer le meilleur recrutement possible et former les étudiants à ses standards dès le début de leurs études. Or en France, cette étroite collaboration ne se développe-t-elle pas de plus en plus dans les écoles d'ingénieurs et de commerce ?

Jean-Claude SABONNADIERE

Dans les écoles d'ingénieurs, les étudiants participent dès la première année à des projets personnels, qui sont souvent menés par des industriels et favorisent les contacts. Les industriels français, qui n'ont pas l'habitude de se regrouper, ne proposent toutefois pas de formation. J'espère que les pôles de compétitivité le leur permettront.

Hany MOUSTAPHA

Là est la différence ! Au Canada, l'industrie se partage les étudiants, qui se forment dans telle et telle entreprise et vont travailler dans une autre. Avant la mise en place de ce système, les entreprises se disputaient les meilleurs étudiants.

8. Les technology clusters

Capitale de l'aérospatiale, Montréal est la seule ville au monde qui peut concevoir et fabriquer un avion de A à Z. Elle regroupe de grandes entreprises, comme Bell Helicopter, Bombardier, Pratt & Whitney, Rolls Royce, CAE ou Thales, toutes les PME produisant les composants des avions, l'Agence spatiale canadienne, 4 universités et 160 000 étudiants. Nous avons donc créé une grappe aérospatiale dans la région de Montréal.

Tous les programmes que j'ai présentés (CRIAQ, instituts aérospatiaux, grappe de Montréal, technology clusters ) sont soutenus par le Gouvernement provincial, municipal ou fédéral. Les industries les financent également et possèdent un secrétariat.

Virginie ROBERT

Existe-t-il d'autres grappes semblables à celle de Montréal ?

Hany MOUSTAPHA

Une dizaine de grappes existent dans la région de Montréal, mais la plus importante est celle de l'aérospatiale.

Virginie ROBERT

La salle souhaite-t-elle poser des questions à notre ami qui, comme tous les Canadiens, possède un sens pragmatique extraordinaire ?

De la salle

Le fait qu'une personne prénommée « Moustapha » puisse réussir au Canada démontre la réussite de ce pays ! Cela aurait été impossible en Europe.

Hany MOUSTAPHA

D'origine égyptienne, je suis né en Angleterre mais j'habite au Canada depuis 35 ans. Dans ce pays, mérite égale réussite.

Christian PICORY

Le programme que vous avez décrit a pour objectif le recrutement des étudiants, mais aussi de faciliter la recherche et le développement. En France, les entreprises viennent recruter les meilleurs étudiants dans les universités, mais elles ne considèrent pas les missions de l'enseignement supérieur dans leur globalité. Or votre dispositif s'articule autour de ces missions (enseignement, recherche et dissémination).

Philippe ADNOT

Excellente remarque !

De la salle

Les entrepreneurs français effectuent tout de même des expériences. Le MEDEF intervient en amont dès le lycée puis dans les grandes écoles et les universités. Combien de temps a demandé la mise en place du dispositif, dont vous avez suivi toutes les étapes ?

Hany MOUSTAPHA

J'ai effectué ma maîtrise et mon doctorat chez Pratt & Whitney et j'y travaille depuis plus de 30 ans. Je suis donc moi-même un produit de la collaboration, dont je m'occupe depuis 25 ans. Etant également très impliqué dans le Gouvernement fédéral et provincial, j'ai suivi toutes les phases de l'élaboration du dispositif de collaboration de l'industrie aérospatiale. Ce projet a surtout progressé depuis 1996/1997, grâce à la forte volonté des industriels. La géographie a également joué un rôle très important. Efficace à Montréal, le dispositif fonctionne en effet moins bien dans le reste du Canada, qui est très vaste.

Virginie ROBERT

Monsieur Cohen, professeur à l'université Joseph Fournier de Grenoble, vous avez profité de la loi sur l'innovation pour créer votre entreprise.

Olivier COHEN, HC Forum

Je vous remercie de m'avoir invité. Je suis très heureux de pouvoir restituer le fruit de ma démarche aux acteurs qui en sont à l'origine. Je souhaite souligner qu'il est possible d'interagir extrêmement positivement avec le milieu académique dans un continuum harmonieux et conformément aux besoins de l'économie.

Mon parcours est pluridisciplinaire. Médecin de formation, je suis aussi généticien médical et j'ai été nommé professeur en informatique médicale. La génétique ne constituait pas une spécialité médicale quand j'ai commencé à l'étudier. Comme l'informatique et les technologies en réseau, elle s'est développée peu à peu. En 1988, quand je me suis intéressé à ces domaines, l'absence totale de recours à des outils informatiques pour gérer l'information génétique, notamment le dossier patient, m'a étonnée. Nous en avons discuté au sein de l'UMR CNRS. Nous avons dû aborder de manière pluridisciplinaire les forts verrous éthiques, juridiques et technologiques qui existaient. L'UMR CNRS a favorisé le développement de 6 ou 7 entreprises, dont la mienne. Je tiens à rendre hommage à son directeur, le professeur Jacques Demongeot.

En 2000 et 2001, une plate-forme informatique très sécurisée a été développée en milieu universitaire. Des premières demandes pour l'utiliser me sont parvenues. Elles ont constitué mon premier contact avec le marché potentiel existant. En 2001, nous avons commencé à répondre à ces demandes, qui sont rapidement devenues trop importantes pour y faire face. J'ai développé mon entreprise en étroite collaboration avec la structure universitaire, puisque des étudiants de DESS, d'abord stagiaires puis en CDD, ont participé au projet. Je leur rends hommage.

Le problème de la valorisation de leur travail et du retour sur investissement se posait. Soutenu par Floralis, la cellule de valorisation de l'université, j'ai donc suivi un programme d'aide à la création d'entreprise à l'Ecole de Management de Lyon pour structurer mon projet. J'ai rédigé un business plan, que j'ai présenté à l'Ecole pour validation. La société a été créée en avril 2005. Je connaissais bien le marché grâce à ma formation, au cheminement du projet et à mon implication dans de nombreuses solutions informatiques. Ces dernières sont aujourd'hui proposées dans le cadre d'une offre commerciale et du dossier médical du patient, et mettent l'accent sur la dimension familiale et la génétique. Cette dimension familiale de la génétique médicale prendra progressivement le pas sur la structuration de l'informatique médicale autour de l'individu pris isolément.

Notre activité est très soutenue. Nous développons des réseaux centrés sur des maladies ou conjuguant recherche clinique et pratique médicale. Nous en avons créé une dizaine en France et trois au niveau européen. Le Canada, très pragmatique et réactif, m'a d'ailleurs demandé de m'associer à une demande au Fonds d'innovation du Canada. Ce fonds financera la mise en place d'une plate-forme réunissant 18 hôpitaux pour fédérer les cas cliniques.

Voici, en quelques mots, comment un hospitalier universitaire est devenu créateur d'entreprise.

Virginie ROBERT

Avez-vous travaillé seul ou en équipe ?

Olivier COHEN

J'ai travaillé avec des étudiants stagiaires. J'ai conservé les plus valeureux, d'abord en CDD puis, une fois la société créée, en CDI.

Virginie ROBERT

Votre société a-t-elle déjà été financée ?

Olivier COHEN

J'ai souhaité financer cette entreprise sur des fonds propres et je n'ai pas encore ouvert le capital.

Virginie ROBERT

Quels sont vos clients ? Des hôpitaux, des centres de recherche médicaux ?

Olivier COHEN

Mes clients sont des hôpitaux, des centres de recherche et des laboratoires privés de génétique. Nous souhaitons également conquérir l'industrie pharmaceutique car nous pouvons lui apporter des avantages concurrentiels pour les essais thérapeutiques. Notre technique permet en effet de faire émerger de nouvelles connaissances et technologies.

La dimension familiale a par ailleurs provoqué de fortes difficultés, notamment en ce qui concerne l'anonymat des dossiers. Pour y remédier, nous avons élaboré une procédure brevetée en France et en Europe et validée par la CNIL, en collaboration avec l'université de Bourgogne, en particulier avec le professeur Catherine Quentin. C'est aujourd'hui la seule procédure au monde qui permet de concilier anonymat des dossiers et dimension familiale. Elle offre de fortes potentialités pour les essais cliniques et l'extraction de nouvelles connaissances sur les facteurs familiaux qui déterminent la susceptibilité à l'émergence de nouvelles maladies, mais aussi pour les réponses thérapeutiques.

Virginie ROBERT

Vous vous situez très en amont car la thérapie génique n'en est qu'à ses débuts. Conserver l'anonymat est très important, tout comme partager les données. Vous êtes toutefois tellement en avance que le marché risque de ne pas être demandeur avant un certain temps.

Olivier COHEN

Nous avons défini différents segments. Certains sont aujourd'hui totalement matures. Nous y avons pénétré. Nous sommes même leaders dans le domaine des réseaux nationaux européens sur les maladies génétiques. Nous intervenons également dans le secteur de l'informatisation des laboratoires génétiques, qui débute à peine. Certains champs sont certes plus en aval, comme l'essor de la pharmacogénomique. Trouver des thérapeutiques pour les maladies génétiques est toutefois d'actualité.

De la salle

Pourquoi vous limiter exclusivement à la génétique ? Pourquoi ne pas vous diversifier dans d'autres pathologies ? Un logiciel en cardiologie a été sponsorisé par les laboratoires Pfizer.

Olivier COHEN

Le symbole de notre société est une marguerite pour signaler que la génétique a une approche perpendiculaire par rapport aux spécialités d'organes. Elle intervient tout aussi bien dans le domaine de la périnatalité (maladies génétiques de l'enfant), de la cardiologie (cardiogénétique), de la neurologie (neurogénétique), etc. Nous avons développé plusieurs réseaux, dont certains sur la cardiogénétique, le retard mental ou les maladies métaboliques, pour porter un autre regard sur l'ensemble de la médecine.

Virginie ROBERT

Des problèmes éthiques doivent se poser. S'il est normal que les médecins se partagent l'information, il est très délicat, lorsqu'on découvre une maladie génétique chez un patient, d'aller avertir les membres de sa famille. Comment déterminer qui est en droit de le faire ? L'accès au dispositif que vous proposez est-il réservé aux médecins ?

Olivier COHEN

La meilleure manière de traiter les problèmes éthiques et juridiques est de les prendre en compte dès le début. Telle a été notre démarche. Etant généticiens, nous connaissons l'importance d'une démarche posée, guidée non par les possibilités technologiques, mais par les besoins du patient et ceux de la société. Dans ce cadre, le généticien sait parfaitement dissocier l'information qui revient au patient de celle qui doit parvenir à la famille. L'information revient d'ailleurs essentiellement au patient et ne peut être transmise à sa famille sans son contentement. C'est d'ailleurs généralement lui qui la transmet à ses proches.

Deux problèmes se posent aujourd'hui. L'information individuelle est tout d'abord souvent perdue bien qu'il existe une volonté familiale de la transmettre. La recherche clinique et la prise en charge médicale sont de surcroît souvent dissociées pour un même patient. L'originalité de notre approche est de prendre d'emblée l'ensemble de ces besoins en compte. Cela permet aux acteurs de la recherche clinique et de la pratique médicale de dialoguer ensemble autour de dossiers communs, structurés avec traçabilité. Ainsi nous établissons, dans le respect des règles éthiques et juridiques, un pont entre deux acteurs de la santé aux activités-métiers distinctes.

Virginie ROBERT

Quels sont les freins à l'adoption de ce type de plate-forme ? Sont-ils financiers ou proviennent-ils de la difficulté qu'ont les spécialistes de secteurs différents à partager l'information ?

Olivier COHEN

L'activité clinique et de recherche s'émancipe de plus en plus des structures géographiques, comme le démontrent les instituts sans murs pour les instituts de recherche et les réseaux ville hôpital pour l'activité médicale. Depuis la loi de 2002 sur les droits du patient, les avancées juridiques vont dans ce sens, tout comme la loi qui officialise l'identifiant patient permanent. Ces mesures facilitent la collaboration. En raison de la compétition internationale, les chercheurs français ont par ailleurs compris qu'ils devaient s'associer pour travailler plus rapidement et efficacement. Les réseaux n'ont donc pas eu besoin de l'informatique pour se constituer. La technologie que nous apportons formalise peut-être simplement des pratiques antérieures.

De la salle

Hormis le logiciel d'anonymisation des dossiers, d'autres applications pratiques découlent-elles de vos recherches ?

Olivier COHEN

Oui. De l'anonymisation découlent deux applications. La première établit un lien entre pratique médicale, où le nom du patient doit être connu, et recherche clinique, où le malade doit rester anonyme. La seconde application exploite toutes les données générées au quotidien au bénéfice de la santé publique, car elle permet la constitution d'observatoires en toute sécurité pour les patients. Ce système d'anonymisation pourrait également déboucher sur la création de cartes de patients, grâce auxquelles les malades pourraient rentrer des données sur leur vécu quotidien de maladies chroniques ou leurs réponses thérapeutiques.

Ce système d'anonymisation pourrait entraîner d'autres applications. Il utilise les mêmes données que l'Etat civil, qu'il encrypte si bien qu'il est impossible de retrouver le nom du patient à partir du numéro d'indemnisation. Il pourrait être utilisé dans le domaine de l' e -administration car un patient est un citoyen et un citoyen est un patient potentiel. Les conditions de sécurité devront alors être très élevées pour empêcher le croisement de fichiers car ce qui appartient au domaine médical doit y rester.

Philippe ADNOT

Avant de laisser la parole au sénateur Henri Revol, président de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, je tiens à remercier les intervenants, ainsi que Virginie Robert. Les médias jouent un rôle essentiel dans la valorisation de la recherche. Merci également à nos amis canadiens d'être venus nous aider à progresser !

Conclusion de la journée

Henri REVOL, Sénateur de la Côte d'Or, Président de l'Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Je quitte à l'instant l'Office parlementaire et n'ai donc pu arriver qu'à la fin de vos travaux, ce dont je suis désolé. Je suis revenu hier matin du Québec et je suis heureux de saluer les représentants du Canada. Cette seconde édition de Tremplin Recherche s'achève. Vos travaux ont été riches, denses et fructueux. Je m'en réjouis ! Les trois tables rondes de ce matin ont été particulièrement suivies. Je remercierai donc, à la suite de Philippe Adnot, l'ensemble des intervenants, dont la compétence a été saluée par tous les participants. Nous avons assisté à des témoignages passionnants cet après-midi. Les lauréats de Tremplin Recherche nous ont démontré que l'impossible est à portée de main pour tous ceux qui le veulent bien.

J'éprouve en cet instant joie et fierté. Joie car je suis heureux que le Sénat, allant au-delà de sa mission de bâtisseur de la loi, ait entamé depuis 1998 une démarche visant à mettre en place des initiatives concrètes et utiles en faveur de la recherche, de l'innovation et de l'entreprise.

Joie aussi d'appartenir au Sénat de la République, qui sait concilier tradition et modernité : tradition d'une institution qui plonge ses racines dans l'Histoire et constitue le symbole de la continuité républicaine ; modernité d'un orfèvre législatif et d'un contrôleur vigilant qui promeut les territoires, l'innovation et la recherche et défend les valeurs de l'entreprise. Ces concepts novateurs et riches d'avenir sont adaptés au siècle qui commence.

Joie, mais aussi fierté du sénateur rapporteur du projet de loi d'orientation de programme pour la recherche, qui est actuellement examiné au Parlement, le sera la semaine prochaine à l'Assemblée nationale et très bientôt par une commission paritaire mixte. Ce pacte national en faveur de la recherche est à la hauteur de nos ambitions et des défis de notre société du savoir.

Fierté aussi du Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques que je suis car cet Office a initié un partenariat entre le Sénat et l'Académie des sciences. Cette collaboration, qui a débuté en 2005, a instauré un dialogue régulier et constructif entre chercheurs jeunes ou confirmés et parlementaires. Les chercheurs ont passé une journée au Sénat et les membres de l'Office se sont installés quelques jours derrière les paillasses des laboratoires.

Avant de clore cette seconde édition de Tremplin Recherche, je tiens à saluer chaleureusement, au nom de notre Président Christian Poncelet, Président du Sénat, tous nos partenaires pour leur implication pendant cette journée. Je vous remercie et souhaite à chacun et à chacune d'entre vous un bon retour, notamment à nos amis québécois.

Philippe ADNOT

Merci et à la prochaine édition de Tremplin Recherche !

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