Les troisièmes rencontres sénatoriales de la justice
Colloque organisé par M. Christian Poncelet, président du Sénat - Palais du Luxembourg - 7 juin 2005
B. ALLOCUTION D'OUVERTURE
M. Michel DELÉAN , journaliste au Journal du Dimanche - Monsieur le Président Poncelet va maintenant ouvrir nos Rencontres, puis nous reviendrons sur les témoignages des sénateurs qui sont allés en juridiction.
M. Christian PONCELET , Président du Sénat
Mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs les magistrats et fonctionnaires de Justice,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de vous retrouver toutes et tous ce matin au Sénat, pour la troisième année consécutive ! Je me réjouis très sincèrement de constater que les échanges que nous avons engagés les uns avec les autres, dès la fin de l'année 2002, ont été poursuivis, depuis, de façon ininterrompue.
Non seulement ils ont été poursuivis mais ils ont même été approfondis.
En effet, avec 38 nouveaux sénateurs stagiaires en 2005, c'est au total, plus de 100 sénateurs qui sont allés à votre rencontre, dans vos juridictions, pour mieux connaître votre fonctionnement, vos difficultés et vos contraintes.
Cette année, mes collègues ont été près d'une dizaine à effectuer un stage pour la deuxième fois. Ils l'ont fait, soit dans un tribunal de grande instance de dimension différente, soit dans une cour d'appel. Le deuxième degré de juridiction a été, conformément à ce que j'avais souhaité, plus largement « exploré » que les années précédentes.
Sachez que dans tous les cas, aucun de mes collègues n'a été déçu de son expérience dans vos juridictions. Bien au contraire, ils ont tous, -et j'insiste sur cette unanimité très rare pour des femmes et des hommes politiques-, été très intéressés, impressionnés et même, pour certains d'entre eux, « bluffés » par leur séjour à vos côtés.
Même si j'ai un peu l'impression de me répéter depuis trois ans, mais je ne m'en lasse pas, je tiens à vous dire à nouveau, combien votre professionnalisme, votre dévouement et la difficulté de votre mission les ont marqués.
Mes collègues sénateurs auront la parole tout à l'heure et ils vous feront des restitutions de leur expérience bien plus précises que je ne pourrai le faire.
Je sais que de votre côté, l'accueil, l'ouverture et la transparence dont vous avez fait preuve, dès la première année, se sont confirmés et amplifiés. Soyez-en très chaleureusement remerciés. Je sais également que cette année les bâtonniers de vos ressorts ont été, en tout cas dans les petites et moyennes juridictions, fréquemment associés aux stages. C'est une excellente initiative.
Le succès confirmé de nos échanges tient essentiellement, je crois, au pragmatisme, à la franchise et au caractère très concret qui les animent, de part et d'autre.
Je me félicite que ce dialogue direct soit désormais clairement inscrit dans la durée.
Nous avons fait de ce dialogue, -dans ses deux volets : les stages de mes collègues dans vos tribunaux et la journée de rencontres au Sénat qui clôt chaque « session »-, des rendez-vous réguliers de débats sur la Justice, en dehors de toute actualité législative.
Vous, magistrats et gens de Justice, et nous, législateurs, nous sommes trop souvent soumis à la pression de l'actualité et à l'urgence. Nous avons besoin de ces espaces de débats sereins, de ces respirations, qui nous enrichissent mutuellement.
Je vous avais fait part, l'an passé, de mon souhait de voir nos rencontres de cette année consacrées à un premier bilan d'étape du texte portant création des juges de proximité. Vous avez à nouveau en 2005, exprimé aux sénateurs que vous avez reçus, toutes les craintes et difficultés que cette réforme suscitait dans vos juridictions.
Mais, l'extension de compétence accordée à ces nouveaux juges en janvier dernier a rendu sans pertinence tout travail immédiat d'évaluation du texte. Accordons-nous un recul raisonnable avant d'essayer de tirer des enseignements utiles. C'est pourquoi je vous propose d'en faire le sujet de débat des rencontres de 2006 ou 2007. Je m'engage en tout cas, soyez-en assurés, à ce que cette évaluation soit faite.
J'ai entendu également les craintes que vous avez exprimées à mes collègues, au sujet de la prochaine mise en oeuvre de la LOLF, ainsi que votre « ras-le-bol » des réformes de procédure pénale.
Sur le premier point, sachez que les deux rapporteurs du budget de la Justice, celui de la commission des Finances et celui de la commission des Lois (Monsieur Détraigne qui est ici et que je salue) sont très attentifs aux dispositifs mis en place par la chancellerie. Mais là aussi, il nous faudra un peu de recul pour mesurer les impacts réels de cette réforme, pour le cas échéant, « rectifier le tir ».
Sur le second point, nous sommes nombreux au Sénat à déplorer la quantité de textes qui nous est présentée de manière exponentielle depuis 15 ans. Je sais que Monsieur Hyest, le Président de la commission des Lois, partage cet avis.
J'ai déjà fait part au nouveau Premier Ministre de mon souhait de marquer une pause législative, sauf urgence ou nécessité absolue. J'espère que nous serons entendus.
Mais je dois vous dire que ce qui m'a le plus frappé cette année en entendant mes collègues à leur retour de stage en juridiction, c'est le décalage considérable qui existe entre l'image qu'ils ont désormais de la Justice et celle que l'opinion publique paraît en avoir et n'hésite pas, parfois, à exprimer violemment.
Cette image négative, voire très négative, de l'opinion publique s'exprime de manière récurrente depuis de nombreuses années, à l'occasion de chaque affaire considérée, à tort ou à raison, comme un dysfonctionnement.
De même qu'il me paraissait dommageable pour une démocratie, que les pouvoirs législatif et judiciaire vivent dans des rapports de défiance réciproque, de même il me semble tout aussi préoccupant qu'un fossé trop grand se creuse entre nos concitoyens et leur Justice.
Or, il faut reconnaître que la majorité des 100 sénateurs partis en stage d'immersion avait en partant une image, sinon négative de la Justice, du moins empreinte d'une certaine méfiance. Ils ont aujourd'hui acquis une réelle confiance dans cette institution et expriment leur respect pour les personnes qui la servent. Bien sûr cette expérience n'est pas transposable.
Cependant, de quelle manière cette quasi « conversion », réalisée avec succès pour 100 sénateurs, peut-elle être également réalisée pour l'ensemble de nos concitoyens ?
Il m'a semblé que le rapport rendu en février dernier par la Commission sur l'enregistrement et la diffusion des débats judiciaires, constituait, dans ce contexte, une piste de réflexion intéressante.
Montrer la Justice, telle qu'elle est réellement, par le biais des caméras, peut-il être le moyen de réduire le fossé que j'évoquais tout à l'heure ? Et jusqu'où peut-on aller dans cette voie, sans porter atteinte à la Justice elle-même ?
Je vous avoue humblement que je ne le sais pas, mais il m'est apparu indispensable que vous tous : magistrats, avocats, fonctionnaires, journalistes, législateur, puissiez en débattre sereinement.
L'image et la place de la Justice dans notre société sont en effet à mes yeux une préoccupation de la plus haute importance dans une démocratie, qui se veut apaisée.
Je vous souhaite des travaux très fructueux et vous donne rendez-vous à l'année prochaine.
(Applaudissements.)
M. Michel DELÉAN - Merci, Monsieur le Président. Je vais maintenant passer la parole à Monsieur le sénateur Yves Dauge, qui a lui aussi effectué un stage en juridiction.