POLITIQUES DU PATRIMOINE, DU MONDIAL AU LOCAL
Actes des colloques organisés au Sénat sous le Haut patronage de Christian Poncelet, Président du Sénat (2002 / 2003)
II. LES NOUVEAUX TERRITOIRES DU PATRIMOINE ET LA CONVERGENCE DES DISPOSITIFS
LES SINGULARITÉS DE LA VALLÉE DE LA MAURIENNE, EN SAVOIE PAR MICHEL BOUVARD, DÉPUTÉ DE SAVOIE, VICE-PRÉSIDENT DU CONSEIL GÉNÉRAL, MEMBRE FONDATEUR DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES VILLES ET PAYS D'ART ET D'HISTOIRE .
Merci à nos amis Sénateurs qui nous accueillent et merci à tous.
Je voudrais aborder avec vous trois points : le rôle des parlementaires, mon expérience territoriale et le contexte des procédures actuelles dans le cadre de la décentralisation.
Par rapport à l'histoire du réseau, ce sont les parlementaires des deux chambres qui ont favorisé le regroupement des structures porteuses des conventions villes et pays d'art et d'histoire ou des procédures secteur sauvegardé et ce, sous l'autorité des élus locaux. La mutation des institutions, l'appropriation grandissante du patrimoine par la population et les élus, parfois la malheureuse dégradation d'une partie de ce patrimoine, appellent une évolution et une mobilisation plus forte des groupes parlementaires.
Compte tenu de cette nouvelle configuration, des échanges systématiques au Sénat et à l'Assemblée nationale doivent permettre aux élus d'exposer leurs difficultés en matière de villes et territoires du patrimoine. Ensemble, nous pourrons alors engager une réflexion sur des pratiques législatives et des orientations financières à envisager pour traiter ces difficultés.
Je souhaiterais que le rapport sur l'archéologie préventive et sur le rôle des Architectes des Bâtiments de France déposé à la commission des finances de l'Assemblée vous soit remis. Il aborde des problèmes que vous connaissez : les procédures de l'État, les surcoûts qu'elles engendrent, leurs effets dans l'ajournement des travaux et dans le naufrage d'une partie du patrimoine. Peut-être avez vous des solutions à proposer.
Mon expérience locale porte sur la ville, en tant qu'ancien adjoint au maire de Chambéry en charge de la vieille ville et en tant que conseiller général de cette ville. Comme pour Yves Dauge, mon action a aussi concerné l'habitat social en secteur sauvegardé, la réglementation sur les enseignes, l'application des dispositions sur le secteur sauvegardé. Chambéry a cette particularité d'avoir un secteur sauvegardé dont 93 % de la superficie est bâtie, avec les risques d'incendie que cette densité implique sur les constructions du Moyen-Âge. Suite à un violent sinistre, nous essayons d'introduire, dans la reconstruction, des dispositifs de sécurité incendie dans les vieilles villes. Nous sommes aussi confrontés au taux de la TVA, relatif à la reconstruction, bien plus élevé que celui de la rénovation.
En ce qui concerne mon expérience territoriale, elle concerne aussi le pays et porte sur la Vallée de la Maurienne, qui souffre de la désindustrialisation et de la pollution des camions circulant entre la France et l'Italie.
En 1992, les Jeux Olympiques d'Albertville et l'afflux du public ont été le point de départ d'une valorisation menée par le Conseil général. Cette initiative, relayée ensuite par une fondation, porta d'abord sur le patrimoine baroque puis sur le patrimoine fortifié. Initiées par la collectivité, ces actions accompagnées d'animations, de créations de lieux et d'outils de diffusion culturelle, ont été poursuivies par un pays d'art et d'histoire. De plus en plus, elles associent la population dans leur montage.
Cette vallée est en partie répertoriée comme parc protégé national et européen, faisant l'objet de mesures environnementales, avec des sites de patrimoine naturel inscrits et classés. Ce foisonnement d'initiatives a pour conséquence une superposition des procédures. Elles nécessiteraient donc une coordination.
Comment harmoniser tous ces différents registres et tous ces projets dans le contexte de la décentralisation et des procédures actuelles ?
Les procédures auxquelles nous avons recours sont les suivantes : le pays d'art et d'histoire, la charte de pays qui regroupe les communes dans un syndicat mixte ainsi qu'un important programme culturel autour du patrimoine. Avec la DATAR, nous expérimentons un pôle d'économie du patrimoine rénové et réfléchissons sur la diffusion de l'offre patrimoniale. L'objectif vise la revitalisation des savoir-faire liés aux besoins de la rénovation du patrimoine. Plutôt que d'investir des fonds dans la quête des moyens humains et matériels à l'étranger, nous préférerions l'utiliser pour créer des emplois répondant aux besoins de la rénovation du patrimoine protégé. Certains secteurs font l'objet de commandes fermes et garanties, relatives à la restauration des édifices historiques. La charte de pays pourrait y stimuler la mobilisation et la re-formation de certains corps de métiers liés à cette restauration.
La décentralisation, quant à elle, devrait favoriser une politique cohérente du patrimoine. Elle devrait aussi alléger les procédures, réduire leur complexité et leur lenteur, pallier l'insécurité de certains financements de l'État. L'exigence de qualité des travaux sur le patrimoine doit cependant être maintenue. Cette décentralisation favorisera la préservation de l'environnement des villes et des pays. De plus, elle se devra d'accompagner la mutation culturelle que le pays connaît et qui se traduit par la disparition de la civilisation rurale. Un travail mené sur le patrimoine et son ouverture à tous les publics peut réduire cette fracture entre le milieu rural et le milieu urbain. Les classes de découverte, certains programmes européens LEADER sont autant d'outils qui permettent à tous d'appréhender le territoire dans son ensemble et ainsi, de maintenir le lien entre l'urbain et le rural. Voilà quelques messages que je souhaitais vous délivrer.
A. LA CONSTITUTION D'UN PAYS D'ART ET D'HISTOIRE ENTRE TOURNUS ET CLUNY, EN SAÔNE-ET-LOIRE PAR RENÉ BEAUMONT, PRÉSIDENT DU CONSEIL GÉNÉRAL DE SAÔNE-ET-LOIRE, VICE-PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE
Je ne peux que me réjouir d'être avec vous aujourd'hui pour participer à votre réflexion sur le patrimoine. Deux raisons expliquent particulièrement ma présence. J'ai la chance d'être le Président d'une collectivité départementale très riche en patrimoine. Pour ceux qu'un chiffre aiderait à convaincre, nous avons quelque 300 églises romanes sur l'ensemble du territoire. D'un autre côté, je suis aussi Vice-président de l'Association des départements de France où j'ai en charge la commission de l'aménagement du territoire. Or, comme il a été souvent dit ce matin, patrimoine et territoire sont intimement liés et je me dois d'introduire dans mon propos cette conception des départements de France à l'égard du patrimoine, notamment en rapport à la problématique de la conservation et de la valorisation dans la décentralisation.
La problématique du réseau des villes et pays d'art et d'histoire sera abordée à travers trois aspects qui sont liés entre eux et qui permettent d'en comprendre l'élément central : la création du pays d'art et d'histoire entre Tournus et Cluny. Pour aborder cet objet, il est nécessaire de parler des actions de la Bourgogne du sud vis-à-vis de son patrimoine.
La Saône-et-Loire et son patrimoine.
Le département regroupe un certain nombre de villes, dont la majorité sont ville d'art et d'histoire : Autun, Tournus, Chalon, Cluny. Depuis longtemps nous sommes impliqués et concernés par ce réseau puisque Autun est une des premières villes d'art et d'histoire. Tout en accordant une aide importante à la conservation du patrimoine, le département fait en sorte que la participation d'une commune à cet entretien soit proportionnée au nombre d'habitants. Les spécificités de chaque village et l'incertitude des aides qui seront ou non accordées impliquent que la participation soit étudiée au cas par cas. Nous avons permis à notre conservateur départemental d'exercer un patronage scientifique sur un certain nombre d'intéressants petits musées de villages qui avaient des difficultés pour en assumer les contraintes statutaires. Une convention avec la collectivité soucieuse de la dynamique de son musée favorise la mise en place concertée d'un programme muséologique. Par ailleurs, notre service culturel a fait appel à un animateur ayant aussi en charge la dernière partie l'inventaire départemental, à savoir 29 cantons, le temps de recruter un fonctionnaire qualifié. Jusqu'alors, c'était un ancien conservateur des archives à la retraite et son épouse qui procédaient bénévolement à ce recensement nécessaire.
S'inspirant des Chemins du Baroque en Savoie, nous avons lancé une réflexion en vue d'une meilleure valorisation de notre patrimoine roman. Ce dernier est à la fois de réputation mondiale, traversé par le premier flux touristique d'Europe et, en même temps, pourrait recevoir davantage de visiteurs. Le programme Résonances romanes en Bourgogne du Sud
devrait ainsi permettre de faire de la richesse de notre patrimoine roman, tant civil que religieux, un véritable outil d'aménagement du territoire, une clé de lecture de l'ensemble de du territoire de la Saône-et-Loire.
Par ailleurs, nous avons mis en place un schéma départemental du tourisme en lien avec le patrimoine. Il joue un grand rôle dans le développement économique de la région. Une expérience de radio guidage par GPS sur le site de Brancion, nous permettra peut-être de pallier, ne serait-ce que partiellement, les problèmes de formation et le maintien des guides sur des petits sites.
La Bourgogne du sud est une terre de spiritualité depuis le X e siècle, avec la fondation de Cluny, jusqu'à nos jours, puisqu'elle accueille des centres de spiritualité, notamment oecuméniques tels que Taizé et Paray-le-Monial, mais aussi le plus grand temple bouddhiste d'Europe à la Boulaye et un monastère orthodoxe à Uchon. Nous tirons donc aussi parti de cet aspect original de notre patrimoine. Par exemple, La Boulaye sera dotée d'un équipement culturel dédié aux civilisations himalayennes.
L'origine et le développement du pays d'histoire entre Tournus et Cluny
La vallée de la Saône est le plus important lieu de passage des vacanciers de toute l'Europe. Ces vacanciers y font étape mais n'y séjournent pas. S'ils sortent de l'autoroute à Tournus, c'est autant pour Saint-Philibert que pour la gastronomie. Pourtant ils ignorent qu'une myriade de lieux tout aussi magnifiques s'offrent à la visite dans un voisinage de quelques dizaines de kilomètres. À peine trente kilomètres séparent ainsi Tournus de Cluny. Le dialogue entre ces deux villes était longtemps inexistant parce que chacune d'elles relevait jusqu'alors de pays distincts et de traditions différentes, Tournus se rattachant à la Bresse et Cluny au Mâconnais.
Notre ambition est d'ouvrir ce territoire et d'entraîner le touriste jusqu'à Cluny. (...) La reconstitution virtuelle et permanente grâce aux nouvelles technologies de l'espace de l'abbaye, qui a été détruite au cours de la Révolution, serait un apport important au développement culturel de la région.
Entre ces deux villes se trouve le site de Brancion, qui fait partie de la commune de Martailly-les-Brancion. La cité médiévale, dotée d'un patrimoine prestigieux, est propriété de la commune, tandis que le château est une propriété privée. Chacune des deux parties avait besoin de l'aide des collectivités pour l'entretien de leur patrimoine respectif. Or un contentieux séparait la commune et les propriétaires du château depuis longtemps. Aucune demande concertée n'ayant pu être faite, ce patrimoine portait les traces du manque de moyens. Sur l'initiative du maire de Brançion, une convention stipulant que la commune, tout en restant propriétaire, déléguait l'ensemble de ses pouvoirs au département, a permis que les travaux d'entretien du patrimoine et ceux nécessaires à sa valorisation, soient entrepris par le département. Ainsi mobilisé sur Brançion, le département a pu enfin créer un axe Tournus-Brancion-Cluny autour duquel le pays d'art et d'histoire se constitue.
La position des départements à l'égard de la décentralisation et de la conservation du patrimoine
Cet exemple montre que c'est le Département qui a permis de dépasser la vision locale et les barrières naturelles ou historiques. Le Département peut rassembler, avec une vision globale et sur une proposition commune, un certain nombre de collectivités. Pour ce faire, il doit utiliser le principe de subsidiarité qui permet de dépasser les clivages et les contraintes locales, faisant ainsi du patrimoine une richesse à la disposition de tout homme à la recherche du beau et du sens, devenue l'affaire de tous. La décentralisation va servir Départements et Régions. J'aurais tendance à nuancer les propos de Monsieur Poncelet, suivant lequel, avec la décentralisation, tout reviendrait au département : nous pensons qu'il vaut mieux que la Région continue d'assumer l'entretien de ses grands monuments. Le Département, quant à lui, avec l'aide des crédits de la Région, de l'État ou de l'Europe, est mieux placé pour s'occuper du petit patrimoine. Sa proximité avec les acteurs locaux lui permet de coordonner des initiatives dont la pertinence ne peut pas être évaluée par la région, trop éloignée de la réalité de ces petites communes. L'exemple de Brancion illustre le bien-fondé de cette répartition. Les quatre départements bourguignons, par delà les clivages politiques, ont l'habitude de travailler en coordination avec la Région et le patrimoine est un domaine où nous pouvons avoir des actions complémentaires.
Pour toutes ces raisons, nous tenons à ce qu'un de ces ateliers que vous allez développer, se déroule dans notre région.
B. D'UNE VILLE À UN PAYS, L'ÉVOLUTION DE L'ANGOUMOIS EN CHARENTE, PAR CLAUDE MESNARD, PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DU ROUILLACAIS
Notre communauté regroupe 20 communes et 9 500 habitants. Sur notre territoire se trouve un des plus grands théâtres gallo-romains de France et une abbatiale du XII e et XIII e siècles.
Je vais évoquer avec vous l'évolution d'Angoulême entre 1987, moment où elle devient ville d'art et d'histoire et 1997, moment où, l'Angoumois se constitue en pays d'art et d'histoire. J'ai longtemps considéré le patrimoine sous les seuls aspects de la conservation et de cette restauration qui coûtait si cher aux collectivités. C'est au contact des responsables de l'association Angoulême, ville d'art et d'histoire que j'ai découvert le patrimoine comme outil de développement. La mise en place d'une signalétique sur les sites remarquables venait d'être décidée au Conseil général. Les six pays devaient en assurer la maîtrise d'ouvrage. La participation financière du département et l'argumentation pédagogique de la directrice de l'association finirent par nous convaincre que cette signalétique de qualité permettrait sûrement de compléter le rôle et le savoir de l'historien local. Tous les partenaires locaux, avec les Architectes des Bâtiments de France, le conseil d'architecture, d'urbanisme et d'environnement, la FNASSEM 17 ( * ) , le Conseil général, le pays et ville d'art et d'histoire d'Angoulême étaient impliqués dans cette réflexion sur la signalétique et dans les échanges d'expériences autour de la valorisation du patrimoine. Ce projet de médiatisation du patrimoine faisait l'objet une volonté commune.
La réussite de l'expérience engagée sur Angoulême nous incita à y apporter les moyens financiers et humains nécessaires. Elle suscita aussi la question de savoir si le label pays d'art et d'histoire ne pouvait pas être étendu à l'ensemble du département. Son appartenance au réseau comportait un certain nombre d'atouts : la cohérence des actions, un plan d'organisation, de communication et de manifestations, la mise en commun des moyens et le soutien du département. La proposition fût approuvée par la périphérie d'Angoulême. Mais elle ne recueillit pas l'adhésion de tous les territoires, soit par prudence, soit par instinct de propriété, soit par esprit de concurrence avec le pays d'art et d'histoire du Cognaçais. La dynamique mise en place sur Angoulême et sa périphérie, relayée par la presse et la bouche-à-oreille, incitèrent cependant les abstentionnistes à nous rejoindre.
L'opération Charente Médiévale engendra la collaboration de communes, de communautés de communes et de pays. Aujourd'hui tout le territoire charentais, au travers des guides du patrimoine et tout un ensemble d'initiatives, comme des visites à la torche, des randonnées-concerts ou les monuments du mois, est concerné par cette valorisation du patrimoine, au sens large du terme. Une association, Via Patrimoine, regroupe tous les territoires demandeurs et permet de satisfaire la sémantique du ministère.
Quel bilan pouvons-nous tirer de la situation actuelle ?
Le patrimoine est considéré comme un outil de développement, surtout en milieu rural.
Les élus se préoccupent de la restauration, de la valorisation et de l'animation du patrimoine.
Un véritable partenariat entre tous les niveaux de territoires se met en place autour des actions de Via Patrimoine. Cette dynamique engendre une hausse notable de la fréquentation touristique et encourage la création de nouveaux projets.
En bref, citons les projets les plus remarquables :
Quatre collectivités et la région Poitou-Charentes se sont impliquées dans un programme d'aménagement et d'animation de cinq étapes sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Sur l'initiative de Via Patrimoine, une création autour de la danse de la musique et du chant circule sur chacune de ces étapes.
Saint-Amand-de-Boix, après avoir restauré les bâtiments annexes de l'abbatiale, est en train de mettre en place un centre d'interprétation de l'art roman. La municipalité accueille aussi une antenne de Via patrimoine qui rayonne sur l'ouest du charentais et qui a recruté trois personnes pour la permanence et l'animation.
La communauté de communes de Saint-Cybard a acheté et restauré la ferme des Bouchauds, devenue le lieu d'un grand nombre d'animations et d'un festival d'été auquel 15 000 personnes participent. Via Patrimoine assure les visites du théâtre gallo-romain en restauration. Toutes ces animations favorisent largement le lien inter-générationnel. Signalons que plusieurs téléfilms ont choisi ce site comme cadre de leur tournage, ce qui profite à l'activité économique du village. Le patrimoine, sa restauration et son animation sont à l'origine de l'attrait dont ce site est désormais porteur et du développement économique qui l'accompagne. Cette réussite préface d'autres projets : un relais du patrimoine gallo-romain, une antenne du conservatoire des espaces naturels, une école de maréchalerie à l'étude.
La restauration de la prieurale de Lanville a permis l'installation d'une communauté de moines qui a revitalisé tout le tissu économique local et amorce de nouvelles perspectives touristiques puisque les moines accueillent les pèlerins à leur table.
À la lumière de ces quatre exemples, nous voyons que le patrimoine est bien plus qu'une page de notre histoire. C'est aussi un levier formidable pour le développement culturel économique et social. Ce développement doit cependant poser ses conditions : une exigence de qualité, des animations adaptées à un environnement protégé. Le rôle de la structure des pays d'art de l'Angoumois, dirigée par Marylise Ortiz, a été déterminant dans l'évolution du département vers la reconnaissance de la valeur de son patrimoine.
Concernant l'avenir et la décentralisation, je crois qu'il sera plus difficile encore pour un territoire de tirer profit de son travail sur le patrimoine, s'il a les compétences sans avoir les moyens. Si ceux-ci ne sont pas décentralisés avec les compétences, alors il vaut mieux laisser les compétences aujourd'hui à qui les a.
Henri de Richemont, Sénateur de la Charente
Je souscris à l'affirmation de Claude Ménard suivant laquelle sans une volonté commune, la valorisation du patrimoine ne peut se faire. C'est ensuite à la collectivité départementale que revient de porter la volonté des élus de proximité. Ces projets de valorisation doivent être accompagnés de projets d'animation car ce sont eux qui donneront au patrimoine les moyens dont il a besoin. Une conjonction entre les volontés les idées et les moyens de la direction de l'architecture et du patrimoine et celles des collectivités, est nécessaire pour mener à bien la politique de restauration et d'animation du patrimoine. Les professionnels chargés de la médiation culturelle sont des partenaires incontournables pour réaliser cette politique. À ce sujet, je souhaiterais passer la parole à Marylise Ortiz.
Marylise Ortiz, Directrice du pays d'art et d'histoire de l'Angoumois et de l'association Via Patrimoine, Chargée de mission à l'Association Nationale des villes et pays d'art et d'histoire et des villes à secteur sauvegardé
La volonté de plusieurs élus de Charente de faire du département entier un pays d'art et d'histoire a favorisé le passage de la structure de ville d'art et d'histoire au secteur élargi de pays d'art et d'histoire. L'association Via Patrimoine incarne la dynamique et les atouts de ce projet encore inachevé. On y retrouve plus d'un tiers de la Charente et tous les élus qui souhaitent faire du patrimoine un outil de développement local. L'intérêt est d'avoir pu regrouper ces différents partenaires sur un même territoire et autour de projets concernant aussi bien des programmes de visite que la recherche scientifique ou l'aménagement du territoire.
La mission la plus importante que nous menons concerne la sensibilisation de la population. Le patrimoine vivant sur lequel nous travaillons, à travers la redynamisation des métiers d'art, est aussi un vecteur développement économique. Pour faire face à sa mission, l'association Via Patrimoine a besoin d'une douzaine de permanents, de soixante-dix vacataires sur l'année et de cinquante personnes lors la saison estivale.
C. DISCUSSION AVEC LA SALLE
Maurice Delamarche, Vice-président de la culture du département de la Meuse
Le département est souvent obligé de prendre des initiatives que les privés ne prennent pas ou que les collectivités territoriales ne peuvent pas prendre parce qu'elles sont trop petites. À la suite d'une convention avec l'État nous entretenons quatre d'églises gothiques que les mairies ne pouvaient pas entretenir. Aux Assises de Strasbourg nous avons demandé une décentralisation complète du patrimoine au département, afin de décider nous-même des opérations de sauvegarde peut-être non conformes mais ayant le mérite de maintenir en vie le monument.
Jean-Marie Vincent, Inspecteur de l'architecture et du patrimoine
Il est fondamental de revendiquer le continuum du patrimoine, afin que la notion de patrimoine local et celle de patrimoine national ne servent pas de critère à la décentralisation, ce qui n'exclut pas la gestion rapprochée. Puisque la majeure du patrimoine au sens large du terme appartient au privé, il est essentiel de développer la citoyenneté autour du patrimoine. Il en va de même pour les dynamiques d'animation et de diffusion qui doivent accompagner la sensibilisation à cette conscience citoyenne. C'est parce qu'elle s'inscrit dans une telle démarche que j'apprécie l'action des villes et pays d'art et d'histoire.
Philippe Peyroche, Chargé de mission Villes d'art et d'histoire, Saint-Étienne
Malgré le fait qu'il ne devrait pas exister de discontinuité entre le coeur et le reste de la ville, les entrées de villes sont pourtant doublement agressées, par la publicité contre laquelle lutte l'association Paysages de France, et par les zones industrielles, commerciales ou artisanales, qui semblent échapper à la législation. Ne peut-on pas espérer un changement dans ce domaine ?
Jean-Michel Marchand, Maire de Saumur
Nous avons, comme Monsieur Beaumont, le souci d'inciter les touristes qui traversent la France d'est en ouest à demeurer plus longtemps dans le Saumurois. Saumur est une petite commune riche d'un grand patrimoine qui est située dans un site classé par l'UNESCO. Notre secteur sauvegardé va tripler de superficie.
Depuis deux ans, nous sommes en situation d'urgence car nous n'avons pas les moyens d'assumer les travaux des remparts du château dont nous sommes propriétaires. Aujourd'hui, et au nom de la sécurité, nous sommes tenus d'engager les travaux au risque de voir le château fermé à la visite. Or il représente un outil de développement économique indispensable dont nous ne pouvons pas nous passer. La décentralisation doit nous permettre d'échapper à ce type de situation où nos moyens ne sont pas pris en compte et où nous agissons dans l'urgence et sous la contrainte formelle de l'État. Nous sommes d'accord pour entretenir le dialogue avec les Architectes des Bâtiments de France, mais les élus doivent pouvoir décider du calendrier des travaux à engager.
Quant à la décentralisation, et à la question du chef de file, je crois que ce sont la concertation et la volonté qui doivent y présider. Je voulais rajouter que la citoyenneté se met en place plus facilement encore avec l'octroi de financements et qu'elle est aussi un combat mené contre l'égoïsme.
Anne-Marie Cousin, Sous-directrice des espaces protégés et de la qualité architecturale
Je remarque que chaque projet est global puisqu'il comporte ces niveaux complémentaires que sont celui de la culture, celui du social et celui du développement économique. On se rend bien compte que le projet ne fonctionne que s'il est porté par une structure ou une personne comme celle de Jackie Cruchon à Bayonne. L'État aurait besoin de ces informations concernant le projet dans son ensemble. Les élus peuvent l'aider à assumer ses responsabilités dans la protection du patrimoine. Ainsi la qualité du partenariat sollicité, suppose non seulement le financement mais aussi un retour, une évaluation pour permettre à l'État d'identifier les difficultés rencontrées et être ainsi plus efficace dans son travail. L'Association Nationale peut aider dans cette évaluation.
Yves Dauge, Sénateur d'Indre et Loire
Cette évaluation nous permettra de présenter des indices de performances à l'État.
Dominique Masson, Responsable du bureau des secteurs sauvegardés
Les deux termes récurrents de national et d'appropriation sont à remarquer. Le premier terme qui renvoie à l'aspect national du patrimoine est fondamental. La deuxième notion est effective puisque les différents niveaux de collectivité, ayant bien perçu son intérêt, tendent à s'approprier le patrimoine. Toutefois, la multiplication de ces différents niveaux, rendue nécessaire par la création incessante de nouveaux territoires, risque de compliquer l'exercice des missions de l'État. Cette perte de lisibilité en termes de compétences, de responsabilités, de relations, ne risque t'elle pas d'entraîner des difficultés dans l'identification et la répartition des compétences en matière de patrimoine ?
Michel Bouvard, Député de la Savoie
Pour répondre à la question qui vient d'être posée, je dirais que le patrimoine fonctionne déjà avec des gestionnaires affectataires différents. La démarche qui permettra de bien gérer la décentralisation suppose que l'on commence par définir l'objectif, puis les moyens pour pérenniser les initiatives. C'est alors que pourra être identifiée la structure la mieux adaptée. Les critères de cette identification, doivent tenir compte de la capacité à faire vivre et à valoriser le patrimoine. Les responsabilités seront alors clairement réparties entre l'interlocuteur principal et les partenaires. Ce sont des conventions adaptées et non un modèle uniforme qui permettront de reconnaître et respecter les sensibilités, les réalités humaines, les spécificités de chacun et de les accorder entre elles. Mais cette position n'engage que moi puisque la question n'a pas encore été débattue au sein de l'Association Nationale.
Je vous demande la permission de vous quitter pour aller déjeuner avec le Ministre de l'économie et des finances. Je n'oublierai pas de lui dire que les régulations ne doivent pas trop retarder des travaux utiles et qui contribuent à donner du travail à de nombreux français.
* 17 FNASSEM : Fédération nationale des associations de sauvegarde des sites et ensembles monumentaux.