POLITIQUES DU PATRIMOINE, DU MONDIAL AU LOCAL



Actes des colloques organisés au Sénat sous le Haut patronage de Christian Poncelet, Président du Sénat (2002 / 2003)

II. PERSPECTIVES INTERNATIONALES

A. DÉCENTRALISATION ET PROTECTION DU PATRIMOINE EN AFRIQUE

Par Jean-Pierre Elong MBassi (Cameroun),

Coordonnateur du Partenariat pour le développement municipal (Afrique de l'Ouest et centrale),

Président d'Africity

Session présidée par Monsieur Tamàs FEJERDY , Président du Comité du patrimoine mondial

Modérateur :Madame Minja YANG, Chargée de mission auprès du sous-directeur général de la culture et Directrice de projets spéciaux à l'UNESCO

Monsieur Tamàs Fejerdy , Président du Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO

J'ai été frappé par le niveau d'engagement des pouvoirs locaux et régionaux envers le patrimoine. C'est un point encourageant pour l'avenir du patrimoine mondial. Je vous en remercie et j'espère que nous pourrons vraiment y trouver une source de dynamisme.

Jean-Pierre Elong MBassi (Cameroun), Coordonnateur du Partenariat pour le développement municipal (Afrique de l'Ouest et centrale), Président d'Africity

L'Afrique, berceau de l'humanité.

Mon organisation a été mise en place par les collectivités locales africaines, pour promouvoir l'idée de la décentralisation en Afrique, et faire en sorte que de plus en plus de responsabilités, de fait exercées par les collectivités locales, soient reconnues légalement. Dans le domaine du patrimoine, l'Afrique devrait être le réceptacle de tout ce qui est lié au patrimoine de l'humanité. N'oublions pas que notre continent est le berceau de l'humanité. On devrait donc s'attendre à ce que les questions patrimoniales et culturelles figurent dans les priorités de l'agenda politique. En réalité, la situation est très contrastée. En Afrique du nord et en Afrique australe, on constate un certain engouement pour ces questions. Partout ailleurs, cette motivation n'est pas évidente. Peu d'intérêt est manifesté pour les politiques du patrimoine dans les stratégies d'intervention des collectivités locales.

Par exemple, la plupart des villes africaines ne comprennent pas de musées dignes de ce nom. Peu d'entre elles disposent d'un inventaire de leur patrimoine. Quand il existe, on n'hésite pas à détruire pour construire dessus. Beaucoup n'ont pas de mécanisme de classement, et peu sont informé de la Convention du patrimoine mondial . Sur les 730 sites inscrits à la Liste du patrimoine mondial, moins de 90 se situent en Afrique, ce qui représente un risque de fracture. Ce risque est aggravé par le pillage systématique des oeuvres d'art africaines, en particulier vers les musées occidentaux ou les collections privées. Malgré les conventions signées à ce propos, ce risque de pillage reste très présent.

D'abord quelques pistes pour l'action. Le monde ne devrait pas se satisfaire de la situation actuelle de l'Afrique, car c'est l'ensemble de l'humanité qui aurait à pâtir de ce manque d'attention vis-à-vis de l'un des plus grands réservoirs de diversité culturelle. Il convient de considérer l'Afrique comme l'un des lieux où la sauvegarde du patrimoine est le plus en danger. Il est temps de fournir les efforts nécessaires pour mettre les collectivités locales à niveau dans ce domaine.

La formation et l'information.

J'ai été frappé ce matin par les réalisations présentées, concernant notamment la coopération décentralisée. Je pense néanmoins que la priorité, pour l'Afrique, correspond à un effort d'information et de formation. Cela prend du temps, certes, mais nous devons nous y employer. Les collectivités locales qui coopèrent avec les villes africaines devraient également s'investir dans cette tâche. De ce point de vue, je me réjouis du parrainage de l'UNESCO à l'École du patrimoine (EPA) de l'université de Porto Novo au Bénin. Il s'agit là d'une initiative remarquable.

Le patrimoine immatériel.

Pour beaucoup de collectivités africaines, nature et culture sont des attributs intrinsèques des lieux, et ne méritent pas d'attention particulière. Pour elle, ce qui est culturel et patrimonial se vit. C'est de l'ordre symbolique et non architectural. C'est pourquoi je me réjouis de la future Convention sur le patrimoine immatériel, qui fera droit à la conception des Africains du patrimoine.

La problématique patrimoine et développement.

Les gens doivent s'approprier les questions du patrimoine en vue du développement. La présentation muséographique du patrimoine a tendu à faire de ces questions une affaire de « vieilles dames » qui ont du temps pour faire des visites, et non quelque chose qui relève de la dignité et de la fierté : un temple vaudou représenté comme un lieu d'affirmation identitaire et non comme curiosité. Il y a un retour à faire au niveau de la conception de la symbolique et de l'esthétique. C'est une démarche difficile mais nous espérons trouver des méthodologies pour intégrer le patrimoine parmi les axes de développement de l'Afrique.

Patrimoine et gestion locale

Une autre dimension du patrimoine est essentielle pour les collectivités locales africaines, et tient à la gestion de la collectivité. La plupart d'entre elles raisonnent encore dans une gestion de la dépense publique, et non dans une logique de promotion d'un patrimoine. Cette éducation au patrimoine doit aussi participer à cette mutation dans les modes de gestion, afin que l'on regarde le passé comme une richesse, de même que ce que l'on y ajoute, et que cette richesse doit être entretenue. Le détour par la conservation et la promotion du patrimoine naturel et culturel peut jouer le rôle de détonateur pour instaurer cette nouvelle conception de la gestion locale en Afrique.

Le cadre d'Africity

Les dimensions d'une politique locale du patrimoine doivent être mieux expliquées. J'offre le cadre du sommet Africity, qui regroupe tous les trois ans 2 000 maires, les ministres chargés de la décentralisation et les finances, des universités, des chercheurs, la société civile, des partenaires privés, des partenaires de développement. Ce sommet se tiendra en décembre 2003 à Yaoundé. J'aimerais que l'UNESCO y lance une initiative « villes africaines et patrimoine », en vue de mieux instruire les maires africains. J'ai été frappé de la vision nouvelle des expériences dans la Loire et la Ruhr en termes de développement, et tiens pour importante une initiative de l'UNESCO en ce domaine. Je suis prêt à m'y associer et remercie tous ceux qui accepteraient d'y coopérer, notamment les villes qui font de la coopération décentralisée avec les villes africaines.

Madame Minja Yang , Chargée de mission auprès du sous-directeur général de la culture et Directrice de projets spéciaux à l'UNESCO

Nous vous remercions pour votre présentation. Faute de temps, nous ne pouvons pas nous livrer à une discussion approfondie, mais j'aimerais beaucoup rebondir sur ce que vous venez de dire sur les réalités que l'on observe au Cameroun. Comment mieux prendre en compte les besoins du patrimoine et du développement ? À ce sujet, je voudrais signaler que le Centre du patrimoine mondial a développé depuis plusieurs années un programme « Villes et Patrimoine mondial » qui prend en compte cette dimension du développement. Il s'agit d'un travail qui élargit nos conceptions traditionnelles du patrimoine en dépassant les frontières des territoires de protection pour une approche plus globale, plus vaste à l'échelle des quartiers, des villes, des territoires... Il s'agit aussi de prendre en compte les patrimoines au sens large en y incluant les traditions, les modes de vie, tout ce qui fait la valeur irremplaçable de la vie des habitants et de leur diversité.

B. DÉCENTRALISATION ET PROTECTION DU PATRIMOINE EN ASIE : LE CAS DE LA THAÏLANDE

Par Kraisak Choonhavan,

Sénateur, Président de la Commission des affaires étrangères du Sénat du Royaume de Thaïlande

Pour introduite mon propos, je voudrais tout d'abord vous dresser un tableau général de mon pays La Thaïlande.

En Thaïlande, la culture est considérée comme un outil nationaliste, au regard du Myanmar, de la République démocratique populaire lao et des autres pays de la région. Nous nous considérons comme initiateurs de notre civilisation alors que ce n'est pas vraiment la réalité : une bonne part de notre culture provient du Cambodge, de l'Inde ou du Sri Lanka. Il en va de même pour les pays voisins.

Depuis les années 1960, la Thaïlande s'est trouvée en guerre contre tous ses voisins. Elle compte sept bases américaines et la guerre lui a valu environ 10 millions de victimes. Nous n'avons pas encore réussi à nous relever de cette période de guerre. Les parties les plus anciennes de notre civilisation ne sont pas vraiment thaï mais khmères. Les sites pré-angkoriens sont indiens, notamment du point de vue de la sculpture, mais notre politique consiste à ne pas l'admettre. Espérons qu'un jour, historiens et politiciens reconnaîtront la communauté de ce patrimoine. L'organisation idéale pour y parvenir reste l'UNESCO.

Les suspicions et accusations d'exploitation se poursuivent chez nos voisins, ce qui est fondé pour une bonne part. En raison de cette politisation de la culture, la Thaïlande n'a pas pu élaborer une politique réaliste et rationnelle de la culture. Récemment, et après de nombreuses années de travail universitaire, certains politiciens ont fait valoir la nécessité d'instaurer un Ministère de la culture centralisé. Nous y sommes finalement parvenus et sommes désormais dotés d'un tel ministère, initialement conçu pour être le Ministère de la religion, dans un État séculier ce qui me paraît contradictoire. Nous sommes arrivés à une quasi-confrontation avec les fondamentalistes, qui exigent de plus en plus leur reconnaissance. Nous avons 10 millions de musulmans et des cultures minoritaires.

Quels sont les sites thaïlandais classés au patrimoine mondial ?

Il y a d'abord le site archéologique de Ban Chiang .

Nous aimons à penser que ce site remonte à la préhistoire, soit 5 000 ans avant Jésus-Christ, et qu'il s'agit de l'un des plus anciens sites au monde. C'est discutable. On y trouve des ouvrages de poterie exceptionnels. Le site se trouve au nord est d'une région extrêmement pauvre.

Il y a ensuite la ville historique de Sukhothai et les villes historiques associées.

Ce site remonte au X e siècle et est considéré comme le premier site thaï au niveau ethnique. Il est le berceau de la langue thaïe, du moins officiellement. Cet État n'aurait duré que 200 ans, avant d'être envahi par un État-nation rival. Sukhothai a été brûlée entièrement, mais le Gouvernement ne s'en est pas occupé. Or les Thaïs aimeraient beaucoup sa reconstitution.

Une vue reconstituant le site est projetée.

Nous nous imaginons entrer dedans, pour pouvoir prier. C'est malheureusement impossible.

Les deux villes voisines, Chichathenaraï et Ouankeps, sont thaïes et non khmères - c'est du moins ce qu'affirment les manuels d'histoire.

Différentes vues sont projetées et commentées, montrant des sites rénovés virtuellement.

Les sites rénovés virtuellement ont pu l'être grâce à des peintures du XV e siècle réalisées par des marchands grecs.

Enfin le sanctuaire de faune de Thung Yai-Huai Kha Khaeng.

Ce site m'est le plus cher et je me réjouis de son classement en 1991 au patrimoine mondial. Il s'agit d'un sanctuaire en pleine nature. On y trouve 40 % des animaux de la région. Il comprend 14 ensembles. Malgré les efforts de conservation consentis sur cet espace de 18 000 kilomètres carrés, les menaces sont extrêmement sérieuses. Les anciennes concessions minières y persistent : on dénombre encore une soixantaine de mines de plomb. Les tribus de la région souffrent d'empoisonnement par le plomb. 50 % des enfants naissent avec des malformations. L'une de ces tribus vit en pleine harmonie dans cette nature. Sa religion lui interdit de tuer des animaux ou de nuire à la végétation. Je me suis battu pour qu'elle puisse continuer à vivre dans cette région, mais on se heurte à des intérêts locaux, à des menaces provenant de pays voisins.

Une carte est projetée, représentant les établissements créés depuis 40 ans suite à des pressions économiques.

Dans les années 1990, il a été décidé de construire un barrage au beau milieu du sanctuaire. Grâce à des activistes d'ONG, on a pu mettre fin à ce projet.

Cette région, qui doit absolument rester un sanctuaire, réunit les ressources en eau et en énergie les plus importantes de la région. Des villages ont été déplacés par des entreprises minières. Une entreprise allemande présente depuis 20 ans aurait encore 50 contrats.

Des images sont projetées, mettant en évidence les méfaits de la pollution dans les eaux, résultante de l'extraction du plomb.

Cette pollution menace de contaminer une partie du sanctuaire. Je compte entamer des poursuites judiciaires auprès des tribunaux administratifs, mais ces démarches prendront du temps.

Une carte est projetée, montrant les déplacements des villages. Des groupes minoritaires sont déplacés par les militaires birmans. La Thaïlande appelle cela un nettoyage ethnique, qui se poursuit depuis des années, alors que la communauté internationale ferme les yeux.

Je voudrais à présent aborder le volet des actions nationales et internationales.

En 1990, la ville de Bangkok a décidé d'élaborer sa propre politique culturelle. J'ai été appelé pour m'en occuper. J'ai dû commencer par m'occuper des 10 000 tonnes d'ordures qui s'amoncellent quotidiennement dans la ville, avant de m'attaquer à la culture. Pour m'aider, j'ai contacté mon amie de longue date Minja Yang, de l'UNESCO, qui m'a fait rencontrer le Maire de Chinon. Je lui ai opposé que je ne voyais pas ce que je pouvais faire avec le Maire d'une ville de petite taille au regard d'une capitale comme Bangkok. C'est ainsi qu'a débuté mon amitié avec Yves Dauge. J'ai découvert qu'il avait tout à m'apprendre en matière de culture et de rénovation urbaine. J'ai découvert qu'une ville pouvait devenir un musée de vie. Il s'agit de changer la mentalité de l'État thaïlandais, de faire prendre en compte par des législations que la culture est un phénomène vivant, un cadre de vie.

Madame Minja Yang , Chargée de mission auprès du sous-directeur général de la culture et Directrice de projets spéciaux à l'UNESCO

Je voudrais revenir sur la notion d'alerte concernant l'utilisation de la culture à des fins politiques ou la reconstitution de l'identité nationale par le biais de la culture, et souligner l'importance de reconnaître le caractère pluriethnique d'une Nation. Les inscriptions sur la Liste du patrimoine mondial doivent prendre cet aspect en compte. La Liste doit être représentative de ces dimensions.

Nous poursuivons notre après-midi avec Juan Maldonado Pereda, qui va nous communiquer l'expérience du Mexique.

C. DÉCENTRALISATION ET PROTECTION DU PATRIMOINE EN AMÉRIQUE LATINE ET CARAÏBES : LE CAS DU MEXIQUE

Par Juan Maldonado Pereda,

Ministre de l'éducation et de la culture de l'État de Vera Cruz (Mexique)

Miguel Aleman de Lasco, Gouverneur de l'État de Vera Cruz au Mexique, tient à vous saluer et à remercier le Président du Sénat, le Directeur général de l'UNESCO et Minja Yang. Il vous prie de l'excuser pour son absence à cet important sommet. C'est donc moi qui présenterai les travaux et vous ferai part de nos expériences dans la protection du patrimoine.

Ce terme, qui désigne juridiquement l'ensemble des liens que reçoit une personne de la part de ses ancêtres, émane du droit romain. Mais le concept de patrimoine culturel, né dans la droite ligne de la définition de la culture, peut s'appréhender comme le devoir incombant à la société de transmettre l'héritage du passé aux générations suivantes. L' Acte constitutif de l'UNESCO charge cet organisme en 1945 de veiller à la protection et à la conservation des monuments et du patrimoine d'une valeur universelle exceptionnelle. En 1972, la Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel nous a apporté un concept ambitieux. Aujourd'hui, tout le monde se plie à cette définition, car la qualité de vie est liée au développement durable.

Suite à la conférence générale de 1972, le Courrier de l'UNESCO a repris un article qui parlait de la culture dans un monde en mutation. Il y exposait les paradoxes et conflits d'intérêts entre les différents concepts de culture. Il en résulte la problématique que doit traiter l'UNESCO.

L'assistance et la coopération internationale doivent rechercher l'élévation du niveau de vie des pays en développement, mais souvent aux dépens de modèles non compatibles avec les cultures traditionnelles. Certes, le Tiers Monde doit s'inscrire dans l'ordre international, mais il ne faut pas que ce soit au détriment des cultures indigènes. Même si un modèle de développement prédomine aujourd'hui, il faut à tout prix éviter de l'imposer comme modèle aux sociétés. Il convient de trouver un juste milieu. L'industrialisation, la concurrence et le profit constituent des facteurs positifs mais aussi peuvent parfois devenir des obstacles.

L'histoire recouvre la connaissance du passé mais nous apporte aussi ses enseignements pour façonner l'avenir. C'est pourquoi le Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO, à la demande du peuple polonais, a demandé d'inscrire le Camp de concentration d'Auschwitz sur la Liste du patrimoine mondial. Il ne s'agit pas de le contempler comme monument mais de refuser ce qu'il représente. Au-delà de leurs qualités esthétiques, les monuments doivent avoir un sens social tourné vers l'avenir.

Qu'en est t'il des politiques patrimoniales au Mexique. La protection du patrimoine mexicain remonte à la fin de la vice-royauté, à la suite de la découverte de monuments préhispaniques sous la Plaza Mayor de la ville de Mexico. Au XIX e siècle, malgré les troubles dans le pays, émergent les premières normes et en 1874 est adoptée la première loi sur les monuments. En 1884, on réalise les premiers chantiers et travaux pour mettre au jour un ancien ensemble religieux ainsi que la Bibliothèque nationale. En 1910 est étudiée la zone de la côte du Yucatan. En 1914, pendant les révolutions sont nées les premières institutions de protection du patrimoine culturel. C'est à cette époque que nous sommes sensibilisés pour la première fois au patrimoine culturel. Des bureaux sont chargés d'inspecter des sites historiques et archéologiques. Les inspecteurs ont parcouru le territoire et sensibilisé la population à ces monuments. Les collectivités locales ont donc été impliquées dans la protection du patrimoine.

En 1930, la loi sur le patrimoine et la beauté est promulguée et se maintient jusqu'en 1972. En 1966, une réforme constitutionnelle accorde à la constitution le droit d'intervenir sur l'ensemble du territoire. La participation des citoyens s'effrite au fil du temps et la création de l'Institut national d'anthropologie et d'histoire a pour rôle de coordonner les travaux de protection du patrimoine. Cet Institut a essaimé et créé des antennes dans l'ensemble du pays. Il a su jouer son rôle dans la protection du patrimoine.

Nous avons connu des époques particulièrement fastes. Dans les années 1970, l'activité a été très forte. En 1974, des travaux importants ont été conduits sur les vestiges de la ville de Mexico, et un réseau de musées fut créé. Les ruines du Temple Mayor, à Mexico, au début des années 1980, ont fait l'objet d'un large mouvement populaire du côté des associations citoyennes pour sauvegarder le patrimoine. Nous avons su susciter un intérêt de la part de la population et la législation mexicaine reconnaît désormais des zones historiques faisant l'objet d'une protection centrale.

Aujourd'hui les sites du XX e siècle ne sont pris en compte que s'ils comprennent des sculptures, mais on ne parle pas encore de la notion de monuments artistiques. Les associations ont élargi leurs actions et s'intéressent à des petits villages historiques. Certains ont pu être rénovés grâce à ces initiatives privées. La population doit y être associée.

Cette participation plus large de la population a poussé le Gouvernement à créer le Conseil national pour la culture et les arts, en vue de créer des centres de concertation dans les petites municipalités. Nous espérons poursuivre l'ensemble de ces initiatives pour pouvoir juger par la suite des résultats. À partir de rapports d'États, le Gouvernement fédéral est intervenu pour mieux défendre les centres historiques, notamment ceux qui relèvent de la Liste du patrimoine de l'humanité.

Je tenais également à dire un mot sur l'État de Vera Cruz que je représente aujourd'hui.

L'État de Vera Cruz assure depuis longtemps la protection du patrimoine. C'est sur son territoire qu'est née la culture mère de l'Amérique centrale. C'est là que sont établis notamment les empires aztèques. La présence de temples de cérémonie y est encore visible, et l'un des sites est classé au patrimoine mondial. Les collections du musée d'anthropologie de la ville sont très importantes. La diversité des traditions culturelles a donné à nos peuples une physionomie particulière. Pour réaliser nos travaux, le Ministère de la culture promeut et défend les expressions culturelles de nos peuples autochtones.

L'État de Vera Cruz s'étend largement le long des côtes du Mexique. La ville ancienne du port de Vera Cruz a ouvert le monde aux conquêtes, aux pirates, aux flibustiers. Le Mexique, à plusieurs reprises, a fait front à des invasions étrangères et a lutté, jusqu'à l'indépendance. Il a hébergé des chercheurs d'asile, accueilli des espagnols expulsés par le franquisme.

La forteresse de Sainte Croix des Manurs a bien souvent permis de s'opposer aux envahisseurs. Ce monument historique doit être préservé d'urgence des dégradations qui la menacent. Bâtie sur un îlot, elle est exposée aux vagues déferlantes, aux courants maritimes. Aujourd'hui, le Gouvernement de Vera Cruz favorise la rénovation de ce patrimoine archéologique et architectural. Il comprend des vestiges préhispaniques, coloniaux, témoins d'événements historiques qui ont conduit la transformation des ports.

Nous cherchons, dans tous les pays d'Amérique latine, à assurer une participation croissante des collectivités, des ONG, des associations philanthropiques, etc. Vera Cruz réaffirme son engagement auprès de l'UNESCO dans ce domaine.

En conclusion, je voudrais vous faire part d'une grande incertitude et inquiétude. Des intérêts économiques énormes poussent à continuer à faire la guerre et à porter ainsi atteinte au patrimoine mondial. C'est pourquoi la liberté d'expression dans notre langue reste un patrimoine appréciable.

Madame Minja Yang , Directrice de projets spéciaux à l'UNESCO

Nous interrompons notre séance provisoirement pour suivre une visioconférence avec le Congrès de Dakar, avec le Ministre de l'éducation du Sénégal. Le temps d'installer le dispositif technique, je tiens à vous rappeler les thèmes principaux des différentes manifestations organisées par l'UNESCO et de très nombreux partenaires, qui ont lieu en ce moment dans le monde entier et qui forment entre elles, grâce au réseau Internet, ce Congrès virtuel sur le patrimoine mondial à l'ère numérique.

Nous avons monté au total six autres manifestations en plus de celle à laquelle vous assistez en ce moment au Sénat à Paris. Les six autres villes sont les suivantes : Beijing, Alexandrie, Mexico, Tours, Strasbourg et Dakar avec qui nous allons bientôt dialoguer grâce à la technologie de la visioconférence.

Le colloque de Beijing, organisé à l'Université de Tsinghua, 15-17 octobre 2002. sur le thème Architecture, tourisme et patrimoine mondial .

Cette conférence vise à montrer, à travers des études de cas, l'importance du design architectural et paysager pour le développement d'un tourisme durable. Aéroports, gares ferroviaires, hôtels, restaurants, musées présents sur les sites du patrimoine mondial, centres d'information destinés aux visiteurs, sentiers piétonniers, le design architectural et paysager de ces équipements, essentiel au tourisme, peut aussi bien valoriser que gâcher l'expérience du visiteur. La conférence réunit les autorités locales chinoises responsables des sites culturels et naturels inscrits sur la Liste du patrimoine mondial ainsi que les représentants de 26 États signataires de la Convention du patrimoine mondial dans la région Asie-Pacifique.

Les deux journées à Alexandrie en Égypte auront lieu dans la nouvelle Biblioteca Alexandrina du 21 au 23 octobre 2002 sur le thème de La cartographie appliquée à la gestion du patrimoine : le système " SIG " (Système d'Information géographique) et les multimédias .

L'objectif de cette conférence est de mettre en place un forum destiné à explorer et souligner le succès de l'application des technologies de l'information aux domaines liés à la gestion des sites du patrimoine culturel et naturel.

À travers les discussions et à l'appui des travaux existants, les autorités concernées par le patrimoine culturel et naturel du monde arabe, auront l'occasion de réfléchir, d'une part à la définition d'une politique régionale de développement de la cartographie, et d'autre part aux moyens d'application du SIG aux sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial.

Les autorités locales, les missions diplomatiques étrangères, les experts internationaux et les personnes développant la cartographie, sont invitées à participer à la conférence.

La conférence de Mexico les 6-8 novembre 2002 sera consacrée à la question de La gestion du patrimoine des centres historiques : Planification pour l'usage mixte et l'équité sociale

Parmi les 104 sites du patrimoine mondial de la Région Amérique-Latine et Caraïbes, 32 sont des centres historiques dont 9 se trouvent au Mexique. Tout en conservant la valeur universelle exceptionnelle pour laquelle elles ont été inscrites, ces villes doivent aussi satisfaire aux besoins de leurs habitants et de leurs visiteurs. Les autorités locales et les investisseurs, à travers la stratégie de développement choisie, vont jouer un rôle déterminant dans l'avenir de ces villes.

Les pressions du tourisme et les spéculations foncières ont souvent eu pour résultat de marginaliser les habitants les plus défavorisés, en les excluant de leurs foyers traditionnels. Afin de préserver l'animation de ces centres historiques, les politiques de réhabilitation devraient se concentrer sur l'utilisation mixte des bâtiments et sur l'équité sociale. La conférence démontrera l'utilité du SIG pour mettre en valeur un urbanisme de développement intègre en collectant des données socio-économiques et urbaines. Les autorités locales, les experts en développement urbain nationaux et internationaux et les cartographes sont invités à participer à la conférence.

Le Conseil de l'Europe à Strasbourg en France sera le lieu d'une série de conférences, du 5 au 8 novembre 2002, sur les applications des technologies de l'espace à la conservation du patrimoine culturel

Organisée par l'EURISY, (formée par I'Agence spatiale européenne (ESA) et l'Université spatiale internationale (ISU)), la NASA et le Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO, cette conférence internationale célèbre non seulement le 30 e anniversaire de la Convention du patrimoine mondial de l'UNESCO, mais aussi trente années d'observation à distance par des satellites civils.

De nos jours, les satellites d'observation surveillent avec succès les parcs naturels et les réserves inscrits sur la Liste du patrimoine mondial. Toutefois, les sites du patrimoine culturel n'ont pas encore reçu la même attention. Une nouvelle génération de satellites permet d'appliquer aux sites du patrimoine culturel des moyens de télé-détection et de télésurveillance performants.

Réunissant des experts internationaux en matière de technologies de l'espace, la conférence devra explorer les retombées éducatives dérivées de ces nouvelles technologies et contribuer ainsi à la politique de conservation du patrimoine.

Les quatre journées à Tours en France, à l'Université d'automne 2002, les 21-24 octobre 2002 auront pour thème le Val de Loire, patrimoine mondial : les grands fleuves du patrimoine mondial, de la crise à la culture du risque.

Le 30 novembre 2000, la Communauté internationale a inscrit le Val de Loire, « Jardin de la France », sur la Liste du patrimoine mondial. Cette consécration marque le point de départ d'une démarche de valorisation inédite jusque-là, destinée à promouvoir la restauration des dynamiques naturelles de la Loire, la valorisation résidentielle et économique du territoire et les échanges internationaux, culturels et scientifiques. Cette Université d'automne a pour objet de présenter et analyser les risques liés aux grands fleuves, les crises qui peuvent en résulter ainsi que la façon dont on peut les gérer, les prévenir et les intégrer à notre mode de vie. Elle permettra notamment de souligner le rôle des nouvelles technologies dans le processus de sensibilisation des populations, ainsi que dans les dispositifs d'anticipation et de prévention des risques permettant de protéger le patrimoine, aussi bien naturel que culturel. Cette conférence sera donc l'occasion de comparer les approches de ces risques et des remèdes envisagés dans différentes régions du monde à travers le temps. Les cas du Nil, de l'Oder, du Rhin, du Danube, du Guadalquivir, du Mékong et de bien d'autres fleuves seront étudiés.

Enfin et avant que nous les rejoignons grâce à la technique, laissez-moi vous présenter le colloque qui a lieu en ce moment à Dakar au Sénégal jusqu'au 17 octobre 2002. Il porte sur l'enseignement du patrimoine mondial et les nouvelles technologies en Afrique.

L'objectif de ce colloque est de dresser un inventaire des divers programmes dans les domaines des sciences environnementales, de l'architecture, du design paysager, de l'urbanisme, de la gestion des ressources patrimoniales, enseignés dans les universités d'Afrique. Ce congrès se penchera également sur le thème de la « fracture numérique » et identifiera les obstacles institutionnels, économiques et socio-politiques liés à l'accès à Internet. Les participants tenteront de proposer des remèdes dans le domaine de l'enseignement, afin de faciliter une meilleure sensibilisation à la protection du patrimoine, aussi bien naturel que culturel en Afrique.

Cette conférence réunit les représentants d'une trentaine d'universités africaines et leurs partenaires institutionnels, dans le cadre du Bureau Régional de l'Agence universitaire pour la francophonie à Dakar.

Tâchons sans plus tarder d'établir le contact avec les intervenants de cette journée à Dakar.

D. LE PATRIMOINE MONDIAL À L'ÈRE NUMÉRIQUE

Liaison avec le congrès de Dakar (visioconférence)

Par Bonaventure Mve-Ondo,

Directeur du Bureau régional de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF)

Notre conférence a débuté hier. Son objectif est de redéfinir la façon dont nous pouvons sauvegarder, valoriser et protéger le patrimoine africain grâce aux nouvelles technologies. Nous tenons cette conférence avec des partenaires universitaires, des élus locaux, et plusieurs intervenants venus d'autres pays africains aussi bien francophones qu'anglophones.

Seulement 7 % des sites classés au patrimoine mondial sont africains, et plus d'un tiers de la Liste du patrimoine mondial en péril correspond à des sites africains. Nous devons responsabiliser tous les acteurs de la société afin que ces sites reprennent leur sens.

Je propose de passer à une séance de questions.

Questions de Dakar :

Kouadio N'Dah Nguessan, Directeur général de l'École africaine des métiers de l'architecture et de l'urbanisme (EAMAU) de Lomé (Togo).

La France a déjà beaucoup oeuvré avec l'UNESCO pour impulser l'idée d'un patrimoine mondial reconnu par tous, au-delà des frontières. Parallèlement se développe en Afrique l'idée d'une décentralisation. Nous souhaitons établir ce lien entre ces deux préoccupations complémentaires. En effet, la coopération inter-villes se manifeste en Afrique, surtout à l'occasion de rencontres périodiques d'élus locaux, dont Africity est un exemple ou encore des manifestations sous l'égide des Nations Unies. Dans le cadre de ce partenariat, des équipes d'experts locaux pourraient ouvrir une tribune spécifique dans le cadre de ces événements sur la relation entre patrimoine, décentralisation, développement local et développement des municipalités.

Alain Godonou, Directeur de l'École du patrimoine africain (EPA) de Porto Novo (Bénin)

Je m'adresse aux élus français présents dans la salle. Quelle importance accordez-vous à la formation professionnelle des Africains dans le domaine du patrimoine ? Peut-elle devenir un chapitre important de la coopération Nord-Sud ? Quel soutien êtes-vous prêts à apporter aux institutions africaines internationales de formation, reconnues comme centres d'excellence, mais qui peinent toujours à réunir les ressources nécessaires à leur maintien ?

Marie-Amy M'Bow, Docteur en préhistoire (Sénégal)

Notre conférence a permis d'échanger des expériences et insisté sur la mise en réseau, à travers les nouvelles technologies, notamment entre institutions et universitaires africains, et avec leurs homologues des pays du Nord. Les élus locaux jouent un rôle d'intermédiaires entre l'État et la population. Nos populations s'intéressent-elles à la valorisation économique du patrimoine ?. Qu'est-ce qu'un élu local français ou européen pourrait dire à ses homologues africains ? Concrètement, quel apport les élus français ou européens pourraient-ils assurer pour la valorisation du patrimoine africain dans le cadre de la coopération décentralisée ?

Mwadime WAZWA, Directeur du programme pour le développement des musées en Afrique (PMDA) à Mombasa (Kenya).

Nous savons que la coopération actuelle se fait la plupart du temps par le biais de partenariats entre la France et un pays africain donné. Comment, dans le cadre de nouvelles organisations de formation, pouvons-nous renforcer nos capacités institutionnelles ? Par exemple, un programme de formation deviendra un programme pédagogique destiné aux enfants. Comment considérez-vous cette nouvelle initiative ?

Maître Augustin Senghor, Maire de Gorée, site du patrimoine mondial (Sénégal).

Mon intervention concernera la protection de l'Ile de Gorée en tant que patrimoine naturel. Nous devons réfléchir aux mesures de sauvegarde internationales à mettre en oeuvre. Aujourd'hui, l'Ile de Gorée est menacée par l'érosion marine et il est urgent d'agir. Les élus du Nord doivent jouer un rôle de ce point de vue, à travers un partenariat pour réfléchir ensemble à la mise au point d'un plan international de protection.

J'aimerais également poser la question du rôle de la population en tant que dynamique du patrimoine pour le maintien et la sauvegarde du site. Inversement, que peut apporter la sauvegarde du patrimoine à la population en termes de développement local ? Je suggère une réunion avec des élus du Nord, dans un cadre élargi, pour réfléchir à ces questions.

Réponses de Paris

Jean-Pierre Elong Mbassi (Coordonnateur du programme de développement municipal (Afrique de l'Ouest et centrale) et Président d'Africity, Cameroun .

Les élus locaux africains ont été interpellés. En Afrique, les questions de patrimoine ont longtemps été traitées au niveau de l'État central, essentiellement sous un angle de conservation, de classement ou de muséographie. Ce n'est que récemment que sont nées les préoccupations concernant la vie des ensembles de villes. Ces aspects étaient traités par l'État.

Pour exemple, à l'occasion du travail sur la Médina de Tunis, la ville de Tunis a été obligée de s'impliquer davantage dans la gestion. La décentralisation donne, il est vrai, des responsabilités croissantes aux collectivités locales. Les lois de décentralisation sont une licence, dont les élus locaux doivent s'emparer pour assumer leurs responsabilités.

Un autre exemple, celui de la Réserve de faune du Dja au Cameroun, montre à quel point les zones protégées sont en proie à toutes sortes de pressions et d'exploitation auxquelles les maires doivent répondre face à leurs populations.

Aussi les maires doivent intégrer le patrimoine dans le questionnement sur le développement local, plutôt que de placer sous cellophane les sites à l'attention des touristes étrangers. Mais il appartient aux populations locales d'inventer la meilleure relation à mettre en place pour que le patrimoine vive, d'organiser la vraie sauvegarde des sites. Une question fondamentale se pose à l'attention des élus locaux africains : êtes-vous prêts à protéger votre patrimoine et si oui, à quel prix ?

Nathaniel Bah, Député du Bénin .

À vous entendre, il semblerait que tous les pays en soient au même niveau de décentralisation. Nos États ne font pas l'effort nécessaire, leurs représentants dans les forums ne représentent pas les populations mais le pouvoir déconcentré. C'est le cas du Bénin, où il n'existe pas encore d'élus locaux. Malgré cela, nous sommes présents à différents forums. Or les approches ne sont pas les mêmes. Dans ces pays, la première démarche est d'aider à trouver des interlocuteurs appropriés pour entrer dans ce dialogue. Cela pose la question de la démocratie comme un préalable.

Le problème qui se pose à nos pays est aussi celui du patrimoine immatériel, qui constitue l'essentiel de notre patrimoine. Notons de ce point de vue que le vaudou reste mal compris. Quand on connaît son passé et qu'on l'assume, on peut entrer dans le débat qui nous réunit aujourd'hui.

Je remercie la conférence de Dakar d'avoir insisté sur la formation, qui constitue un passage obligé. Une chose est de créer une école, une autre est de la rendre viable et de la faire fonctionner à l'échelon régional. Je soutiens l'appel de Dakar en ce sens.

Ibrahim Abalele, Député du Niger .

J'abonde dans le sens de mon homologue du Bénin concernant la décentralisation. Au Niger, les textes législatifs relatifs à la décentralisation ont été rédigés. Les dates des élections locales seront fixées d'ici à la fin de l'année 2002. Il est important d'insister sur l'ancrage local de la démocratie.

Concernant la formation, nous souhaitons un élargissement du recrutement des étudiants de l'École du patrimoine africain (EPA) de Porto Novo.

Yves Dauge, Maire de Chinon, Sénateur d'Indre et Loire (France) .

Vos questions portent toutes sur le sujet de la formation et de l'expertise, du travail avec la population. J'ai senti, dans notre travail, un champ de formation et d'action institutionnel et juridique avant tout. Sans droit, sans institutions, nos chances d'aboutir sont faibles. Nous devons construire nos politiques dans un champ structuré, celui des institutions, de préférence démocratiques. C'est le premier champ de formation. Si le Sénat doit prendre une initiative, c'est essentiellement dans ce domaine, car la formation et l'éducation sont les fondations de la maison. La coopération décentralisée a sa place dans cet ensemble. C'est par les relations entre collectivités locales que nous pouvons échanger, montrer comment construire un droit et des institutions, au sein du cadre international.

Le deuxième champ de formation concerne une formation de proximité avec la population, les artisans, les responsables locaux, pour faire vivre un projet local de développement fondé sur les valeurs patrimoniales. Ce n'est pas plus difficile en Afrique qu'à Chinon. Nous sommes certes en avance sur le plan institutionnel, mais sur le plan du projet et du rassemblement des acteurs, les Africains pourront nous apporter beaucoup. J'aimerais avoir à Chinon des chefs de village et des comités de quartiers comparables à ceux de Luang Prabang. Nous devons nous doter d'instruments, d'écoles de formation, et retrouver les techniques de construction ancestrales que nous avons perdues. Nous devons revenir à des aménagements simples de traitement de l'espace public, avec du gravier et du sable de préférence au bitume. Vous êtes porteurs de bon sens, et disposez de beaucoup plus d'atouts que vous ne l'imaginez pour réaliser un travail exceptionnel. Nous ne devons pas travailler sur un modèle de développement mais sur un processus de démarche. Vous pouvez nous en apprendre plus que ce que nous pouvons vous apprendre.

Mounir Bouchenaki, Sous-Directeur général de l'UNESCO pour la culture .

Premièrement, l'une des préoccupations ces dernières années du Comité du patrimoine mondial a concerné cet équilibre de la Liste des sites classés : nous voulons faire en sorte que l'Afrique y soit mieux représentée. Des séminaires ont été organisés, notamment au Kenya et à Dakar, pour sensibiliser les techniciens et spécialistes africains à l'identification des projets et des thèmes, afin que des propositions de sites soient fournies permettant une meilleure représentativité de l'Afrique dans la Liste du patrimoine mondial.

Deuxièmement, nous réfléchissons à la manière d'apporter un appui à l'École du patrimoine africain du Bénin, qui ne traite pas seulement des éléments de patrimoine physique: en effet, elle procède à une approche holistique du patrimoine, tant matériel qu'immatériel. Nos sociétés africaines ne font pas de distinction entre ces deux éléments. Il importe donc que la formation retrouve certaines techniques, certains gestes. Certaines villes du sud se sont taudifiées en remplaçant l'architecture traditionnelle de terre éco-compatible par de la tôle ondulée ou du béton. Nous voulons y revenir. La formation est l'un des éléments du partenariat qui s'est établi entre les ministères français et l'UNESCO. Nous essayons de faire de la coopération décentralisée avec d'autres pays, et lançons un appel en ce sens, dans le domaine de la restauration, de l'étude des matériaux mais aussi de la documentation et des archives, y compris sonores à partir de la tradition orale.

Questions de Paris :

Michel Guibert, Député au Parlement de la Communauté française de Belgique, membre de l'Assemblée parlementaire de la francophonie .

Les lacunes de la formation se situent non seulement au niveau local, mais aussi national, et ceci, même en Europe.

Il a été question du manque d'inventaire. L'informatique peut jouer un rôle important en ce sens, y compris pour prévenir les trafics d'art, par la diffusion de listes d'objets protégés, pour former et informer les services de douanes et de police. Tout cela demande des moyens. La question informatique, dans le dialogue Nord-Sud, renvoie souvent à la fracture numérique. Quel est l'état de la situation ? Quelles sont vos réflexions ? Des synergies peuvent-elles être développées à partir des savoir-faire existants sur des programmes informatiques ?

Rémy Scheurer, Parlementaire suisse .

La distinction a été posée plusieurs fois entre le patrimoine matériel et le patrimoine immatériel. Elle est pertinente, mais ne peut être absolue : le matériel comprend souvent une composante immatérielle, et inversement. Il convient donc d'être prudent à ce niveau.

Nous avons parlé de Porto Novo : quels sont ses liens avec l'Université d'Alexandrie, où des travaux remarquables sur le patrimoine immatériel de certaines régions d'Afrique ont été réalisés ?

Réponses de Dakar :

Alain Godonou, Directeur de l'École du patrimoine africain (EPA) de Porto Novo (Bénin) .

Nous avons effectivement développé nos réflexions sur l'appui que peuvent représenter les nouvelles technologies. Nous avons pointé le fait qu'il ne s'agit que d'outils de facilitation, l'important restant la conceptualisation et la formation. Ces outils peuvent nous permettre d'établir le dialogue avec la population. Nous vous transmettrons le résultat de nos conclusions sur ces questions.

Olivier Sagna, Responsable des formations, Bureau régional de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) à Dakar (Sénégal) .

Nos débats de Dakar ont montré les opportunités, mais aussi les limites de l'informatique dans le Sud. Nous avons également souligné les questions de coût, de matériel et de formation ainsi que les risques d'une homogénéisation culturelle.

Bonaventure Mve-Ondo, Directeur du Bureau régional de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) à Dakar (Sénégal) .

Au nom de la conférence de Dakar et des autorités sénégalaises, je vous remercie et souhaite que d'autres coopérations puissent être réalisées à l'avenir, avec l'UNESCO, la France et la Francophonie. Au-revoir !

Madame Minja Yang , Chargée de mission auprès du sous-directeur général de la culture et Directrice de projets spéciaux à l'UNESCO

Nous vous remercions. Nous pourrons poursuivre notre dialogue en ligne sur le site Internet du Congrès virtuel.

E. DÉCENTRALISATION ET PROTECTION DU PATRIMOINE DANS LES ÉTATS ARABES : LE CAS DE L'ÉGYPTE

Par Moustafa El Feki,

Président de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale égyptienne

Je représente l'Égypte, l'un des pays les plus anciens de la planète, qui comprend l'un des patrimoines de civilisation le plus riche. Je ne parle pas français, mais la culture française reste fortement enracinée en Égypte.

Le terme de patrimoine culturel n'a pas toujours défini la même chose, et le concept s'est largement modifié au cours des dernières décennies. Il désigne aujourd'hui une approche plus holistique. Les récents événements ont montré que le patrimoine des uns peut être la cible d'agression de la part des autres. La protection du patrimoine et sa transmission relève de l'éthique et du respect de la dignité de la personne humaine, ainsi que de son voeu de vivre ensemble avec des groupes d'identités culturelles différentes. Cette vision de l'importance culturelle a acquis une dimension nouvelle durant les années 1960 et la décolonisation, périodes marquées par la sensibilisation des populations à leur propre mode de vie et la crainte de l'occidentalisation. La mondialisation a inspiré le fondamentalisme et le rejet de la culture occidentale. Cette interprétation nous est propre mais reste l'idée dominante.

L'Égypte comprend un patrimoine très riche au point de rencontre de diverses civilisations : influences africaine et méditerranéenne, universités de langues arabes, française et anglaise. C'est pourquoi notre identité est si colorée et se reflète dans ses multiples dimensions.

C'est un immense plaisir pour moi que de vous rappeler qu'en ce moment même, le monde entier célèbre à Alexandrie la reprise du rôle historique qu'a joué sa bibliothèque. Cette dernière date d'avant Jésus-Christ, a été détruite et devient, après 2000 ans, à nouveau source de civilisation éclairée. Cette fonction unique de la Biblioteca Alexandrina et la participation du monde entier à cet événement, redore le blason du rôle de l'Égypte au sein de la Méditerranée.

On connaît aussi l'expérience remarquable de l'Égypte dans le domaine qui nous réunit aujourd'hui, puisque notre pays a réussi à conserver ses monuments, notamment dans les années 1960, avec la coopération de l'UNESCO. Je pense notamment au Temple d'Abou Simbel. De plus, lorsque l'Égypte a décidé la construction du barrage d'Assouan, le monde entier a aidé notre pays à préserver son patrimoine, face à l'inondation de la vallée. Cette expérience montre le désir de l'Égypte de conserver son patrimoine, patrie intégrante du patrimoine de l'humanité.

Les monuments coptes et islamiques ont également été confiés à notre Ministère de la culture. Le Caire comprend 15 millions d'habitants, mais son coeur se rattache à l'ère copte, et nous cherchons à préserver cette partie de la ville en la fermant à la circulation automobile. L'État égyptien a construit au Caire un musée exceptionnel, inspiré de l'expérience italienne. La responsabilité du patrimoine de l'Égypte est celle de l'ensemble de l'humanité. Le nouveau musée aura la capacité d'abriter toutes les sources de civilisations des diverses époques et remplacera l'ancien musée ouvert au XIX e siècle.

Nous refusons la théorie des affrontements des civilisations, au profit d'une continuité des liens entre civilisations islamique et arabe d'une part, occidentale et chrétienne d'autre part, en passant par l'Espagne, la Sicile, et même au travers des croisades. La guerre et la paix restent des liens précieux qui réunissent différentes parties du monde. Nous vivons sur une planète unique. Même si les civilisations semblent s'y contredire, elles restent des civilisations et tout affrontement est anéanti par la culture. Certes, les anciens Talibans ont détruit des statues, car ils ont donné une interprétation erronée de notre civilisation. Ce n'est pas un crime contre le bouddhisme mais contre la civilisation humaine. Le patrimoine de l'humanité est un, indivisible, et nous appartient à tous.

J'aimerais vous transmettre les sincères salutations du Parlement égyptien à l'occasion du 30 ème anniversaire de la Convention du patrimoine mondial , en une ville où l'UNESCO a son Siège. Je voudrais vous dire combien nous apprécions les efforts de cette Organisation pour aider mon pays à sauver son patrimoine.

J'exprime également notre reconnaissance au peuple français et à son histoire, dont la culture imprègne des activités conduites dans le monde entier. Il est donc naturel d'être invités au Sénat français pour discuter de questions de cet ordre. La sensibilité de la France s'étend au monde entier. Pour exemple, la France a été la première à rouvrir son lycée après la libération de Kaboul. Elle est toujours appréciée pour sa culture et nous ne pouvons méconnaître ce fait car l'élément culturel reste un pilier des relations internationales, malgré les conflits qui agitent le monde. Je félicite donc la France de savoir garder sa culture vivante par tous les moyens. La campagne de Napoléon en Égypte n'a duré que trois ans et ce, il y a 200 ans, mais la France conserve des racines profondes dans mon pays, et mérite notre respect et notre admiration. Cela montre à quel point le patrimoine culturel est fort.

Madame Minja Yang , Chargée de mission auprès du sous-directeur général de la culture et Directrice de projets spéciaux à l'UNESCO

Nous vous remercions. Je transmets la présidence de la table ronde à Francesco Bandarin, Directeur du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO. Nous avons entendu de nombreux exemples sur les modalités d'actions mais aussi sur les limites des gouvernements centralisés. Comment les gouvernements peuvent-ils décentraliser leur action ? Quelle restructuration des institutions est-elle nécessaire ? Comment les gouvernements fédéraux ont-ils décentralisé leurs responsabilités ? J'aimerais que les intervenants à venir s'attachent à répondre à ces questions. Enfin, quelles bases financières développer pour favoriser un bon fonctionnement de la décentralisation ? Les intervenants ont souligné l'importance de la formation. Quelle sorte de partenariats, pour quoi et avec qui une telle relation peut-elle prendre forme ? Espérons que la table ronde saura effleurer ces questions.

F. TABLE RONDE : L'AVENIR DE LA COOPÉRATION INTERPARLEMENTAIRE EN FAVEUR DU PATRIMOINE MONDIAL

Président de la table ronde : Monsieur Francesco BADARIN , Directeur du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO

Participants à la table ronde :

Richard Hartley, Secrétaire de la Chambre des pouvoirs locaux, Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, Conseil de l'Europe

Jacques Legendre, Sénateur du Nord (Pas-de-Calais), Président de la sous-commission du patrimoine de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

Mijatovic Borijove, Député de l'Assemblée nationale yougoslave, géologue ((Serbie-et-Monténégro)

Nouth Narang, Député cambodgien, ancien Ministre de la culture (Cambodge)

Yves Dauge, Maire de Chinon, Sénateur d'Indre et Loire, Président de la Commission des secteurs sauvegardés, Conseiller auprès du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO (France)

Nicolas Frelot , Chef du bureau du développement local urbain, Ministère des affaires étrangères (France)

Raphaël Haquin, Direction de l'architecture et du patrimoine, Ministère de la culture et de la communication (France)

Monsieur Francesco Bandarin , Directeur du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO

Notre table ronde se veut conclusive. Je remercie le Sénat pour sa collaboration à cette journée d'échanges très dense, très importante pour lancer le thème de la décentralisation, y compris la décentralisation virtuelle, grâce aux nouvelles technologies.

Je remercie mes collègues de l'UNESCO pour leur travail sur cette journée, l'un des 18 événements que nous devons organiser dans les prochains mois. Aujourd'hui, chacun est préoccupé de dresser un bilan de la situation mais aussi de se tourner vers l'avenir. C'est l'esprit de notre table ronde de conclusion.

La Convention du patrimoine mondial est un texte vivant, qui a vécu de nombreuses évolutions et a toujours voulu répondre aux défis et à l'évolution culturelle. Parmi les paris futurs, citons le rééquilibrage de la Liste des sites classés, et l'amélioration de l'assistance technique et de la formation. Le thème du partenariat a également été largement souligné. Il se trouve au centre d'un séminaire qui se tiendra en novembre en Italie. Le terme de partenariat aurait besoin d'être décliné. Je propose de nous focaliser sur le partenariat avec et entre organismes parlementaires, que je considère d'une importance stratégique pour l'évolution de la Convention du patrimoine mondial. La mission de l'UNESCO ne peut être accomplie qu'en partenariat avec d'autres structures, aux missions différentes. Beaucoup reste à faire en ce domaine et de nombreuses idées existent sur le terrain. Nous devrons les valoriser et les mettre à l'épreuve.

Tout au long de la journée, de nombreux thèmes sont revenus. Je les suggère aux orateurs pour recueillir leurs réactions.

Premièrement, l'aspect de la législation est fondamental. La Convention du patrimoine mondial , en tant qu'acte juridique, appelle le développement d'autres actes juridiques parallèles pour appuyer la réalisation de sa mission.

Le deuxième aspect est celui de l'assistance technique, et les parlements, en tant que décideurs budgétaires, constituent les partenaires principaux. Au-delà de la formation, il faut citer le développement de certaines politiques stratégiques dans la conservation du patrimoine, comme le tourisme.

Le troisième thème correspond à la législation fiscale. Il est rare que celle-ci soit opérationnelle pour appuyer notre travail de conservation des sites. Je rappelle aux Parlements qu'il s'agit d'un enjeu stratégique.

Ces différents thèmes sont à appréhender dans le cadre de la décentralisation, les pouvoirs locaux étant les partenaires principaux de notre action.

Je propose que chacun d'entre vous se concentre brièvement sur le thème qui lui semble le plus important.

Richard Hartley, Secrétaire de la Chambre des pouvoirs locaux, Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, Conseil de l'Europe .

Le Congrès des pouvoirs locaux rassemble les autorités locales et régionales des 44 États membres du Conseil de l'Europe qui ont un rôle clé à jouer dans la protection du patrimoine. Le Conseil de l'Europe comprend trois piliers politiques :

Un pilier gouvernemental, celui de la coopération intergouvernementale ;

Un autre pilier, celui de la jurisprudence sur les droits de l'homme et l'assemblée parlementaire ;

Enfin, troisième et dernier pilier, celui du congrès des pouvoirs locaux.

Le Congrès des pouvoirs locaux a reçu une impulsion importante dans le cadre du processus de démocratisation de nos nouveaux membres d'Europe centrale et orientale, et des efforts de décentralisation de nos membres les plus anciens.

Nous poursuivons deux objectifs, celui de promouvoir la démocratie locale et celui d'échanger les informations et les expériences sur les thèmes intéressant les gouvernements locaux.

Ces dernières années, nous avons favorisé les échanges autour des questions d'environnement, de transport, de cohésion sociale, de lutte contre la criminalité. Cet ensemble se caractérise dans la Charte urbaine européenne . La charte pour le développement des centres urbains est également reliée au programme Habitat des Nations Unies. Notre travail sur les villes historiques et les collectivités locales nous a conduits à regrouper des maires, qui réfléchissent sur le patrimoine et son rôle pour la cohésion sociale. Il s'agit de trouver un équilibre entre développement économique et protection du patrimoine. Avec l'ouverture des frontières et l'adhésion des Pays d'Europe Centrale et Orientale (PECO), nous allons relancer ce processus. Une réunion a eu lieu en Russie, notamment sur la promotion de la paix dans une société multiculturelle. Ce n'est pas suffisant et une tâche importante demeure. Il y a deux ans, nous avons créé une association de villes historiques, et mis au point une Convention sur la préservation des paysages culturels 9 ( * ) . Aussi nous envisageons une coopération plus étroite avec l'UNESCO.

Nous avons derrière nous 25 ans de travail, et le rôle des collectivités locales s'est renforcé au fil du temps dans nos États membres. À l'occasion de la Charte , nous avons créé à New York une organisation rassemblant les maires aux Nations Unies. Je suggère que l'UNESCO créé également un conseil de maires, pour permettre de faire avancer les efforts de protection du patrimoine.

Monsieur Francesco Bandarin , Directeur du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO

Nous apprécions votre proposition de collaboration. Nos relations ont un grand avenir devant elles.

Jacques Legendre, Sénateur du Nord (Pas-de-Calais), Président de la sous-commission du patrimoine de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe .

J'interviens à plusieurs titres, et premièrement en tant que sénateur. Nous devons user des pouvoirs de nos assemblées pour faire progresser la réflexion sur le patrimoine. Vous avez évoqué les mesures fiscales. Certains pays poussent à préserver le patrimoine privé par ce biais. D'autres sont moins incitatifs. J'ai demandé récemment aux services du Sénat d'effectuer une étude comparée des politiques fiscales de nos voisins européens en la matière, et ai fait parvenir cette étude à une Députée britannique, qui représente le Royaume-Uni au Conseil de l'Europe et prépare une résolution de ce Conseil sur ce sujet. À travers cela, nous espérons influencer d'autres États, en particulier ceux de l'Union européenne.

Je suis également Secrétaire général de l'Assemblée parlementaire de la francophonie. Nous avons rappelé la réflexion conduite depuis quelque temps sur la situation en Afrique. On ne peut parler de dialogue des cultures si celui-ci s'opère au bénéfice exclusif des pays du Nord. C'est pourquoi nous tenons absolument à une réflexion sur le pillage des biens culturels africains. Je me réjouis de l'ouverture prochaine à Paris d'un Musée des arts premiers. L'intérêt porté à ces oeuvres d'art a cependant pour corollaire l'augmentation du prix de ces oeuvres, et incite des gens sans scrupule à se procurer dans leurs pays d'origine des oeuvres d'art qui sont encore des biens cultuels que nous arrachons à leur pays. Il faut donc prendre des mesures pour aider les pays d'Afrique à mettre en place des moyens de protection contre le trafic illicite.

Cette question concerne également le Conseil de l'Europe, en tant que représentant de 43 pays européens, qui sont un formidable aspirateur des biens culturels venus d'ailleurs. Nous avons le devoir d'empêcher cela, et d'aider les autres pays à mettre en place des moyens de protection de leur patrimoine, notamment par la formation. Mettre la phrase suivante dans le même paragraphe.

Il existe d'autres canaux parlementaires pour conduire cette action, mais la tâche est immense, et urgente.

J'ajoute que les parlementaires français sont souvent des élus locaux. Cela permet à nos parlements de rassembler des hommes de pouvoir qui manifestent un intérêt réel et profond pour le patrimoine. Cet intérêt implique un devoir pour nous, en liaison étroite avec l'UNESCO.

Monsieur Francesco Bandarin , Directeur du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO

J'espère pouvoir avoir une copie de l'étude fiscale que vous avez évoquée. Merci de nous avoir rappelé l'importance de la réflexion sur le pillage culturel. Nous avons établi des relations étroites entre la Convention du patrimoine mondial et la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicite des biens culturels (Convention de 1970), mais la tâche reste importante. Ce thème est à ajouter au catalogue des partenariats à mener entre institutions parlementaires.

Mijatovic Borijove, Député de l'Assemblée nationale yougoslave, géologue (Serbie et Monténégro) .

Il est bon que les pouvoirs locaux aient la possibilité d'aménager directement leur relation avec les objets et biens nationaux du patrimoine mondial. En tant que parlementaire de Serbie et Monténégro, je dois dire que notre pays s'est débarrassé d'un régime féroce depuis à peine deux ans. Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour attirer votre attention sur l'état actuel de notre patrimoine culturel. Dans la plaine du Kosovo et à Mokra, région présentant la plus grande concentration de monuments religieux des Balkans, l'état du patrimoine est grave et inquiétant. En 1998, 211 monastères et églises chrétiennes, 78 mosquées turques et 38 mosquées albanaises ont été recensées. Entre 1999 et 2001, des destructions de grande ampleur ont été notées sur 62 monuments serbes, 3 monuments turcs et 2 albanais. Même aujourd'hui, les monuments serbes sont menacés par des groupes militants extrémistes, anciens combattants venant d'Albanie, de Macédoine et du Kosovo. Ces chiens de guerre, dans un contexte pacifié par les militaires de l'OTAN, sont engagés dans des trafics de drogue, de tabac et de réfugiés, et s'en prennent également aux moines des monastères.

Ces phénomènes sont plus redoutables que les causes traditionnelles de dégradation. Considérant que la dégradation ou la disparition d'un bien culturel constitue un appauvrissement du patrimoine de tous les peuples du monde, l'Assemblée fédérale de Serbie et Monténégro demande à cette éminente conférence soutien, confiance et solidarité, pour établir un système efficace de protection commune du patrimoine culturel et naturel de l'ensemble de la région du Kosovo, en faveur d'une société multiculturelle et multiethnique. On sait bien que cette vision optimiste est peu réaliste à court terme, mais il s'agit de la seule voie possible vers un avenir pacifique européen, profitable à tout le monde. Une mission de l'UNESCO doit se rendre en Serbie et Monténégro et au Kosovo à la fin de ce mois. Nous en attendons beaucoup.

Monsieur Francesco Bandarin , Directeur du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO

Nous vous remercions de souligner la coopération à conduire en cas de conflit, en référence à la Convention de La Haye de 1954 et à son deuxième protocole, qui n'est pas encore en vigueur. Je demande aux parlementaires d'examiner la ratification de ce protocole, qui peut être un instrument fondamental pour la stratégie de conservation des biens culturels dans le cas de conflits armés.

Nouth Narang, Député cambodgien, ancien Ministre de la culture (Cambodge) .

J'exprime ma reconnaissance à l'UNESCO, et notamment à Madame Yang, et au Sénat français. Cet événement est aussi l'occasion de retrouver mes amis de la Francophonie, notamment Monsieur Legendre. Nous continuons nos réflexions sur le patrimoine matériel et immatériel, qui cadre bien avec l'objectif de coopération interparlementaire.

Au Cambodge, nous sommes en train de mettre en place la décentralisation, au moyen d'une loi récente et de l'élection de l'Assemblée locale en 2001. Le Cambodge sort d'un cauchemar qui a ébranlé et déstructuré sa population. Sur le plan patrimonial, la situation est dramatique. Nous perdons repères, références et connaissances consécutivement à l'irruption rapide et agressive de l'Occident. Cette inquiétude nous conduit à mener ensemble des réflexions sur ce que nous pouvons faire dans le cadre de l'Assemblée nationale. En dehors de la loi sur le patrimoine global, nous sommes très démunis au plan législatif. Comment faire en sorte que la population prenne conscience de cette situation, qui est double ? D'un côté, nous avons les anciens qui ont connu le Cambodge d'avant et qui deviennent des conservateurs actifs, voire extrémistes. D'un autre côté, la jeune génération ne connaît rien à notre culture nationale traditionnelle. Pour effectuer une redynamisation culturelle, nous devrons poser le problème de façon exacte avant d'envisager une thérapie. Nous devons d'abord procéder à des mutations. La progression doit être linéaire, et ne peut se faire que sur la base d'une référence sûre. Or nous sommes en train de perdre cette référence. Nous devons donc affirmer l'identité nationale mais aussi locale. C'est le fondement de la solution qui permet à l'homme de se rattacher à son milieu.

En tant que député, je milite en m'appuyant sur la dynamique locale, pour que la population réfléchisse en quoi un village ou une circonscription formée de plusieurs villages peut agir, en termes d'affirmation de son terroir. Je m'inquiète beaucoup du mercantilisme lié au tourisme. Les jeunes enfants se pressent derrière les touristes pour en retirer quelque argent. Le niveau est tellement bas qu'il n'est pas possible à ces jeunes enfants d'accéder à l'éducation. Un programme est certes en place, mais la réalité est là.

En matière de développement culturel, un pays comme le nôtre doit tenir compte de sa propre réalité avant d'engager des actions venues de l'extérieur, sans connaissance du fondement de sa propre société. Les expériences des autres peuvent nous aider, mais il importe de ne pas copier.

En matière de coopération interparlementaire, je partage le point de vue de M. Dauge sur la coopération décentralisée, qui oblige en outre à une relation officielle sans laquelle l'expression ne pourrait se faire. Mais à l'intérieur du pays, il convient de développer les communautés pour favoriser une prise de conscience de la population, afin qu'elle s'exprime en tant que société civile et joue le rôle de contrepoids face à l'État. La loi nous permet de le faire, le mécanisme est en place. Ces communautés doivent faire le jeu de la conservation, de la réactualisation de leur identité. J'en ai fait l'expérience en tant que Ministre de la culture. Beaucoup de choses ont disparu. Le fait de le reconnaître a redonné une dynamique importante, et certaines régions ont connu un souffle nouveau autour des monastères et des cultes.

Il convient donc d'abord d'enraciner de nouveau notre population dans sa culture, et lui donner des moyens pour résister aux agressions occidentales.

Je ne reviens pas sur la fiscalité et souscris aux propos de M. Legendre. Je mets actuellement en oeuvre une expérience inédite, pour faire en sorte que le Cambodge, la Thaïlande et la République démocratique populaire lao fassent de la région correspondant au massif montagneux que se partagent leurs territoires une zone de coopération, à divers titres. L'objectif est que cette région soit reconnue comme patrimoine mondial. Je reviens d'une série de colloques en Thaïlande pour sensibiliser l'opinion à cette idée. Nos trois gouvernements déposeront ultérieurement une demande auprès de l'UNESCO, pour faire en sorte que l'ensemble de ces régions soit reconnu comme site du patrimoine mondial. Il s'agit d'une coopération internationale exemplaire, mais qui exige un travail considérable. Je dois convaincre mon gouvernement, sachant que la République démocratique populaire lao n'est pas encore partie prenante. Nos trois pays ont reçu une histoire de leurs ancêtres. Il nous appartient de bâtir une nouvelle histoire, de tourner la page de nos différences, et d'oeuvrer, à partir de cette zone montagneuse d'unité et de combat, pour en faire un lieu de coopération internationale souple et conviviale, basée sur la culture de la paix. C'est en ce sens que je sollicite la compréhension et la faveur du Centre du patrimoine mondial.

Monsieur Francesco Bandarin , Directeur du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO

Votre souci se trouve au centre de nos préoccupations. Les problèmes que vous soulevez sont extrêmement complexes et requièrent une grande énergie.

Yves Dauge, Maire de Chinon, Sénateur d'Indre et Loire, Président de la Commission des secteurs sauvegardés, Conseiller auprès du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO (France) .

Nous parlons de décentralisation d'une part et de coopération interparlementaire d'autre part. Afin de franchir une nouvelle étape dans la mise en oeuvre de la Convention de 1972 , en accentuant nettement le rôle des collectivités locales et de la relation avec les citoyens, les parlements, notamment le Sénat français, peuvent apporter un appui considérable à l'UNESCO. C'est notre objectif car cette coopération n'est pas une alternative au cadre existant mais elle s'inscrit à l'intérieur de ce cadre. Et elle est urgente. Sans l'appui des populations, nous passerons à côté de l'identité des peuples et de la question essentielle du développement local, qui dépend des seules populations locales.

Je propose que ce soir, nous décidions de réfléchir avec l'UNESCO pour voir comment des assemblées comme le Sénat peuvent mieux se coordonner et travailler ensemble pour aller dans cette direction. Nos assemblées disposent de moyens techniques considérables en termes d'études, de comparaisons, d'investigations. Nous pourrions envisager un programme de travail avec l'UNESCO pour élaborer ensemble une stratégie qui améliorera l'efficacité de nos politiques, non pas dans une logique où le Nord donne des leçons, mais en profitant également des apports du Sud. Le type de modèle dans lequel le Nord est inscrit nous inquiète en effet beaucoup.

Monsieur Francesco Bandarin , Directeur du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO

Nous vous remercions pour cette proposition.

Nicolas Frelot, Chef du bureau du développement local urbain, Ministère des affaires étrangères (France) .

Je vous présente les excuses de notre Directeur général Bruno Delaye, qui se trouve à Alexandrie aujourd'hui.

La coopération décentralisée est essentielle, dans la mesure où elle met en relation des acteurs aux premières loges sur les questions de patrimoine. L'offre française peut venir en aide à nos partenaires du Sud, mais nous pouvons aussi faire venir ceux-ci en France, pour échanger entre praticiens du développement.

L'expérience de Luang Prabang a mis en évidence des alliances entre plusieurs types d'acteurs. L'offre française est un peu dispersée, mais il appartient aux organisateurs de la coopération de la proposer et de la mettre en forme. Les ONG qui agissent sur le terrain doivent s'efforcer de mieux coordonner leurs actions, pour éviter l'éparpillement et capitaliser les expériences. Cette fonction pourrait être dévolue à l'UNESCO.

Enfin, j'aimerais aborder un aspect fondamental de nos projets : le financement des opérations. Nous avons peu cité les banques de développement, qui peuvent être régionales (Banque asiatique de développement, Banque africaine de développement, Banque interaméricaine de développement). Elles s'intéressent beaucoup aux problèmes liés à la croissance urbaine. Citons également les institutions bancaires nationales, qui s'intéressent de plus en plus au financement de ces interventions. Il serait bon qu'elles prennent le relais des bailleurs de fonds internationaux, qui ont de la difficulté à suivre les opérations de réhabilitation et de financement du patrimoine bâti. Cela pose une difficulté majeure : on obtient des expertises, mais non des financements. Nous devons donc élargir les tours de table actuels, pour pouvoir finir le travail commencé.

Au Ministère des affaires étrangères, nous nous intéressons de près à ces questions, qui se situent au coeur des problématiques actuelles de développement. Elles renvoient aux aspects de la gouvernance. Il convient de les traiter en constituant des alliances permettant de traiter ces difficultés en s'attaquant à plusieurs faces à la fois. Le Ministère est intéressé à faire partie de cette alliance que nous pourrions constituer avec l'UNESCO et d'autres partenaires, et met à disposition ses moyens et son réseau d'ambassades, d'Alliances françaises et de centres culturels français, pour participer à la diffusion d'expériences réussies et répondre aux projets qui nous sont soumis par nos partenaires.

Monsieur Francesco Bandarin , Directeur du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO

Vos suggestions rejoignent l'axe stratégique de l'UNESCO en direction des banques de développement, et de la création d'une alliance entre institutions nationales et internationales. La Convention que nous avons en cours avec la France est un exemple de coopération efficace.

Raphaël Haquin, Direction de l'architecture et du patrimoine, Ministère de la culture et de la communication (France) .

Je voudrais excuser notre Directrice Wanda Diebolt qui n'a pu se joindre à nos travaux.

Nous constatons la forte demande des élus français, pour inscrire des sites sur la Liste du patrimoine mondial et sommes partagés entre cet afflux de demandes et notre objectif de défense des demandes provenant du Sud. Il nous semble fondamental d'appuyer de plus en plus les demandes africaines et asiatiques, concernant notamment les sites naturels.

Mon deuxième point concerne la coopération décentralisée. Notre Ministère conduit actuellement une réflexion sur la décentralisation du patrimoine au niveau français. Dans les mois qui viennent, le cadre institutionnel français aura certainement évolué. Notre position nationale sur le patrimoine est peut-être en retrait de ce point de vue par rapport à nos voisins européens. Nous sommes interpellés par la volonté des collectivités locales de s'impliquer de plus en plus dans la coopération décentralisée en matière de patrimoine et il est difficile de trouver le juste lien entre la politique nationale et l'action des collectivités locales en matière de coopération, dans un État à tradition centralisatrice comme la France. Nous avons en tête de multiples exemples de coopération, entre la ville de Romans et une ville de Tunisie par exemple, ou entre la Roumanie et des villes comme Chinon, Bayonne ou Saintes et nous observons une volonté de contact entre les maires, l'État français se contentant de mettre en relation, en laissant jouer les acteurs locaux. Notre Ministère soutiendra fortement ces politiques, bien que nos moyens financiers ne soient pas considérables, toutefois.

Nous ne ferons qu'encourager la coopération décentralisée et sommes aux côtés des élus qui souhaitent en multiplier les exemples.

Monsieur Francesco Bandarin , Directeur du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO

Je vous remercie. Nous nous rencontrons en permanence sur le terrain dans le cadre de la coopération avec la France.

Chacun a exprimé ses conclusions. J'aimerais restituer quelques mots d'ordre que j'ai relevés dans les différentes interventions : Nous avons discuté sur deux actions et deux acteurs. Les deux actions sont complémentaires, il s'agit de la décentralisation qui est le cadre stratégique, et du partenariat qui est la façon de recueillir des sources de financement. Les deux acteurs sont les parlements et les organismes internationaux, entre lesquels de nombreuses synergies sont possibles.

Je laisse à Tamàs Fejerdy, Président du Comité du patrimoine mondial le soin de conclure nos travaux.

G. CLÔTURE DES TRAVAUX

Par Tamàs Fejerdy,

Président du Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO

Notre journée a été enrichissante, longue et passionnante. Il m'est donc difficile de conclure, mais les meilleures choses ont une fin. Je suis enchanté de cette journée. Cette série de congrès virtuels a été un événement de grande importance pour célébrer le trentième anniversaire de la Convention de 1972

Je ne peux pas dresser ici l'inventaire complet des personnalités et institutions à remercier. Je citerai néanmoins le Président du Sénat français Christian Poncelet, Yves Dauge et toutes les personnes qui ont préparé cet événement. J'aimerais que des initiatives semblables soient prises dans mon pays, la Hongrie et j'ai grand espoir dans la proposition de coopération interparlementaire. Je remercie également Minja Yang et, plus généralement, toute l'équipe du Centre du patrimoine mondial, l'ensemble des techniciens qui nous ont aidés, sans oublier les interprètes.

Aujourd'hui, nous avons assisté au commencement d'une coopération et d'une discussion ouverte et continue entre les élus locaux et les parlementaires à propos du patrimoine mondial et je vous souhaite le plein succès dans la suite de vos travaux à l'avenir. Je vous remercie de votre participation et déclare cette journée extraordinaire close.

* 9 . Pour plus d'information cf. le site Internet du Conseil de l'Europe www.coe.int

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