POLITIQUES DU PATRIMOINE, DU MONDIAL AU LOCAL
Actes des colloques organisés au Sénat sous le Haut patronage de Christian Poncelet, Président du Sénat (2002 / 2003)
LE PATRIMOINE MONDIAL, ENJEU DE LA DÉCENTRALISATION ACTES DU COLLOQUE ORGANISÉ SOUS LA PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET, PRÉSIDENT DU SÉNAT AVEC LE CONCOURS DE L'U.N.E.S.C.O LE 16 OCTOBRE 2002
AVANT PROPOS La politique du patrimoine et les enjeux de la décentralisation
L'extrême diversité et fragilité des patrimoines dans le monde
Les valeurs et les richesses patrimoniales n'ont évidemment pas été et ne sont pas encore reconnues et traitées de la même façon selon les époques, les pays, les cultures, qu'il s'agisse du patrimoine naturel ou du patrimoine créé par l'homme. Cette diversité des approches et des conceptions est elle-même une valeur positive à prendre en compte dans ce qui doit être aujourd'hui une politique du patrimoine.
Cependant ces appréciations variées et variables selon les lieux et le temps, selon les cultures, représentent aussi des risques qui se sont traduits par des destructions permanentes, parfois dramatiques, de patrimoines. On le constate encore malheureusement tous les jours.
Ajoutons à cela qu'un développement économique non maîtrisé dans un monde qui prend pourtant conscience des valeurs culturelles et patrimoniales et qui veut les défendre, est la cause, par l'exploitation excessive des ressources naturelles, par l'urbanisation anarchique, d'une destruction constante d'espaces naturels, de centres urbains historiques, de villages, de monuments.
Quant aux États, dont on est supposé attendre l'aide, ils ont été et sont encore trop souvent les responsables de guerres ravageuses de patrimoines.
La nécessité du droit des États et des Nations Unies.
Face à ces situations, de nombreux États, les Nations Unies, tout particulièrement l'UNESCO ont réagi. Des critères d'identification des patrimoines ont été définis, des mesures de protection, de sauvegarde, de mise en valeur ont été édictées. Des droits nationaux, un droit international pour la protection des patrimoines ont été peu à peu construits. Certes, de façon inégale selon les pays et incomplète. La Convention de 1972 de l'UNESCO s'inscrit dans ce mouvement essentiel du droit reconnaissant la diversité des patrimoines et en même temps leur valeur universelle.
La reconnaissance du rôle majeur des collectivités territoriales.
Tout en affirmant l'importance du droit au niveau de chaque État et au niveau des Nations Unies dans ce vaste champ du patrimoine, l'UNESCO souhaite aussi en ce trentième anniversaire de la Convention de 1972 , mettre l'accent sur une voie qui s'ouvre de plus en plus à nous : celle de la décentralisation des politiques. Il ne s'agit pas d'une politique alternative mais complémentaire, d'ailleurs totalement liée à l'histoire des patrimoines. On pourrait même dire que la décentralisation n'est pas seulement un transfert de responsabilité de l'État vers des collectivités locales, mais qu'elle est d'abord la reconnaissance d'une certaine légitimité des collectivités locales à définir et à conduire des politiques d'un contenu et d'un niveau qui leur sont propres.
La légitimité des politiques locales.
De tous temps, les patrimoines ont été, pour une large part, créés et entretenus en dehors de toute intervention des États. Le monde agricole a créé son patrimoine de paysages « travaillés », imprégnés des modes de vie, les villes et les villages se sont construits pour répondre aux exigences locales de la défense, aux fonctions administratives et commerciales.
Les religions ont imprégné les lieux de vie avec leurs espaces de recueillement, leurs monuments voués à la prière, leurs rites...
C'est donc un immense mouvement de création issu de la « cité », des « territoires » habités depuis l'Antiquité qui a marqué le monde. Certes les princes et les États ont souvent eu le génie de favoriser, d'amplifier ce mouvement par des commandes à des artistes renommés. Mais, c'est surtout le rôle protecteur des États qui s'est affirmé au cours du temps. Malgré les risques dont il faut être conscient, il est donc naturel, voire indispensable aujourd'hui de faire une plus large place aux régions et autres collectivités locales, notamment aux villes, pour initier et conduire des politiques en faveur du patrimoine.
Il faut en particulier le faire parce que les valeurs patrimoniales, si elles sont bien comprises, sont porteuses de développement et parce que les collectivités locales sont des acteurs irremplaçables pour gérer la relation très complexe entre patrimoine et développement.
L'urgence d'une mobilisation plus citoyenne.
Aujourd'hui, dans le combat trop inégal qui se livre entre les mécanismes aveugles de destruction des richesses patrimoniales de la planète et les forces qui luttent pour leur protection, les États, les organisations internationales doivent savoir-fairerelayer leurs actions par les acteurs locaux, les collectivités locales, les O.N.G. et par les habitants. N'oublions pas en effet la capacité de résistance et de mobilisation des habitants qui seront de plus en plus actifs et présents sur le terrain.
À l'occasion du 30ème anniversaire de la Convention de 1972, l'UNESCO a donc l'ambition, avec le soutien des États et tout particulièrement des parlements, de franchir une étape nouvelle favorisant des politiques plus « partagées », mieux « assumées » par un plus grand nombre de responsables et de citoyens, dans un esprit de plus grande mobilisation locale. Ceci est nécessaire pour la Convention de 1972 et cela le sera aussi pour la future convention concernant le « patrimoine immatériel » en cours d'élaboration.
Quels sont les termes de cette nouvelle étape ?
Juridiques d'abord.
L'avancée que l'on veut faire suppose évidemment que l'État concerné dispose déjà d'un dispositif législatif et de pouvoirs importants. Si ce n'est pas le cas, l ' UNESCO reste soucieuse évidemment de ce niveau « premier » d'intervention qu'il convient alors de renforcer, voire même de construire. Si l'UNESCO souhaite développer la décentralisation, elle ne peut agir qu'avec les États, en s'appuyant d'ailleurs sur l'expérience de ceux qui l'ont déjà pratiquée.
À partir de la situation juridique de chaque pays, plusieurs pistes peuvent s'ouvrir. L'État peut abandonner ou renoncer d'entrée de jeu, à l'exercice d'une responsabilité au profit d'une région ou d'une autre collectivité locale. Ce transfert de responsabilité doit se faire dans des conditions à définir par la loi. Il conviendra d'apprécier le « risque » de dérives possibles et éventuellement de renforcer le niveau d'exigence législatif national pour l'exercice de la compétence transférée.
En effet, la décentralisation doit s'apprécier en fonction de quatre données variables entre elles : celle du niveau de la loi qui s'applique à tous, celles du niveau du pouvoir compétent dans l'État pour l'appliquer, celle du niveau du pouvoir des régions et des collectivités locales, celle de la conscience du citoyen et du contrôle qu'il peut exercer en saisissant les juridictions compétentes. Plus la loi est exigeante, plus le citoyen est averti et organisé, plus la décentralisation peut être forte.
Les situations sont évidemment très variées et nécessiteront de la part de l'UNESCO et des États, avant de recommander une avancée par la décentralisation, des expertises sérieuses puis un accompagnement du processus à lancer. Il y a sans aucun doute ici un premier stade de coopération à développer : il s'agit en somme de s'assurer des conditions préalables à la réussite.
Il faut noter ici le cas des États fédéraux où une part importante du droit a été construite au niveau des territoires membres de la fédération. Il conviendra alors d'apprécier la situation en tenant évidemment compte de cette situation.
L'État peut vouloir cogérer une responsabilité avec une région ou une collectivité locale. Le niveau d'implication de l'État peut être plus ou moins fort selon les cas et peut aussi évoluer dans le temps. C'est une voie qui a l'avantage de sécuriser la politique et de responsabiliser les partenaires. Elle implique plus de transparence, de pédagogie, d'explications vis à vis des citoyens.
En France, des dispositifs de ce type ont été expérimentés à l'époque des grandes lois de décentralisation en 1982. C'est ainsi que fonctionnent des Commissions locales, départementales ou régionales pour les « secteurs sauvegardés », les sites, les classements. Ces commissions associent avec des représentants de l'État, des élus, des experts. Cette pratique devrait être renforcée. À noter aussi une procédure particulière de protection décentralisée créée en 1982. Il s'agit des Zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager (ZPPAUP). Ces projets de protection sont élaborés par les élus, soumis à enquête publique et validés par la Commission régionale du patrimoine. Cette formule décentralisée et partenariale a connu un réel succès.
L'État peut reconnaître ou donner des pouvoirs à des collectivités régionales pourinterpréter par le règlement certains points d'une loi nationale ou pour élaborer dans certains domaines une loi régionale qui se substitue alors à la loi nationale pour mieux traiter les particularités locales ou pour protéger des patrimoines non encore identifiés. Cette situation est fréquente dans de nombreux États fédéraux où les régions tiennent historiquement une place politique importante.
Pratique surtout.
Mais, au-delà du droit qui doit faire une plus grande place aux acteurs locaux pour les responsabiliser, c'est surtout dans la pratique et l'action quotidienne qu'il faut rechercher le progrès par la décentralisation.
Il s'agit ici :
- de la transmission des savoirs et donc de la formation,
- de la valorisation des ressources humaines locales pour la gestion quotidienne des décisions,
- d'initiatives en faveur d'une approche qui reconnaît la valeur de lieux, de modes de vie,
- d'activités trop souvent ignorées,
- de la capacité des collectivités locales et des acteurs locaux à s'organiser dans une ville ou un territoire plus vaste, pour prendre en charge la dimension du patrimoine dans leur politique de développement.
Cette pratique suppose que les outils de la politique de sauvegarde prévus par les lois nationales ou locales soient élaborés par les responsables locaux, avec les habitants. Cette élaboration doit être l'occasion de former des compétences qui s'entretiendront localement. Les documents qui sont d'ordre normatif recouvrent aussi des métiers qu'il faut connaître, parfois réapprendre. La norme, si elle vient d'en haut, si elle n'est pas l'expression formelle d'une réalité locale comprise, ne sera pas appliquée. Si elle ne s'accompagne pas d'une capacité concrète de mise en oeuvre, elle restera théorique.
La gestion des outils et des métiers en faveur de la connaissance et de la sauvegarde des patrimoines, nécessite encore que l'on construise avec les responsables locaux des administrations de terrain, capables de concevoir des politiques, de dialoguer avec les habitants et d'appliquer les règles définies avec rigueur, mais aussi avec le sens du compromis et de la pédagogie.
C'est ainsi que, grâce à une pratique décentralisée des politiques de protection et de mise en valeur du patrimoine :
- des monuments seront sauvés grâce au nouvel usage qu'on aura su leur donner.
- l'habitat traditionnel sera restauré en démontrant qu'il est possible de le moderniser, de lui apporter le confort.
- la rue commerçante et l'espace du marché seront conservés si l'on sait maintenir des activités et des services de proximité en centre ville.
- les quartiers historiques des villes seront rénovés, assainis pour rester habités et vivants avec leurs fonctions d'échanges culturels et économiques, et qu'ils seront une contribution au développement des villes tout entières.
- les grands sites protégés deviendront des lieux exemplaires du développement durable.
Ces exemples montrent que c'est moins la conservation en l'état qui est en cause, c'est moins la question des monuments eux-mêmes qui est posée que celle, beaucoup plus complexe, du développement et de la gestion des villes et des espaces porteurs de patrimoines.
Pour répondre à cette question, il convient de prendre appui sur des valeurs patrimoniales vivantes et fortes, tout en prenant aussi en compte les valeurs de la modernité.
Si les États et le droit constituent le cadre incontournable d'une politique de défense du patrimoine, ce sont les collectivités locales, les régions, les communes qui sauront au-delà du droit, créer cette alchimie subtile entre les éléments physiques et immatériels du patrimoine qui conduit au développement durable, en relation étroite avec les habitants.
Les conditions de la réussite.
Comment réussir cette mobilisation des ressources locales en faveur du patrimoine ? La clé du succès tient à une certaine forme de culture locale existante, qu'il faut savoir mobiliser, ou disparue ou fragilisée, qu'il faut soutenir, voire faire renaître. Elle tient aussi à une organisation locale des acteurs capables de leur faire prendre en charge la relation entre patrimoines et développement.
C'est là que la « coopération décentralisée » peut être précieuse, grâce à un appui du niveau national vers le niveau local, d'une collectivité à une autre, à l'intérieur d'un pays ou entre pays, et tout particulièrement entre le Nord et le Sud. Pour être efficace, ce soutien doit s'inscrire dans un échange et non dans une relation unilatérale. Des exemples de ces coopérations existent et portent des résultats appréciables et surtout beaucoup d'espoir, à condition de respecter certaines règles.
À l'occasion de cette rencontre, l'ambition du Sénat et de l'UNESCO pourrait être de soutenir et de développer des coopérations dans les sites du patrimoine mondial, de provoquer des échanges à partir d'expériences concrètes. Ces expériences serviraient d'exemples autour desquels pourraient se reconnaître tous ceux qui veulent s'engager dans ce grand mouvement en faveur du patrimoine mondial.
À cette fin, le Sénat pourrait prendre l'initiative de créer un réseau mondial de parlementaires en faveur du patrimoine mondial. Ce réseau devrait bien sûr relayer son action sur des villes et des régions capables de s'engager dans des coopérations décentralisées avec le soutien de leurs gouvernements et des organisations internationales. En France, des villes commencent d'ailleurs à intervenir en ce sens, en relation avec l'UNESCO, en particulier les villes d'art et d'histoire et les villes des secteurs sauvegardés.
En ce 30 ème anniversaire de la Convention du patrimoine mondial , l'enjeu est bien de provoquer une nouvelle avancée de la politique du patrimoine qui aille de pair avec la créativité, l'innovation et les initiatives des acteurs locaux.
Si cette proposition était acceptée, un groupe de travail international pourrait être créé pour étudier le lancement de ce réseau sur la base d'un texte fondateur.
Minja YANG Yves DAUGE
Directrice de projets Sénateur d'Indre et Loire
spéciaux à l'UNESCO Maire de Chinon (France)
INTRODUCTION Ensemble pour le patrimoine mondial
Pollution, pillage, actes de guerre, braconnage et tourisme à outrance, urbanisation sauvage et catastrophes naturelles : trente ans après l'adoption par l'UNESCO, en 1972, de la « Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel », les menaces qui pèsent sur les sites et monuments reconnus pour leur valeur universelle demeurent.
Certes, la majorité des quelque 730 sites inscrits au registre prestigieux de la Liste du patrimoine mondial, et appartenant symboliquement à l'humanité tout entière, reste pour l'essentielle bien protégée. En revanche, certains, et non des moindres, ne le sont pas ou pas suffisamment. L'ensemble monumental d'Angkor (Cambodge), la réserve naturelle intégrale du mont Nimba (Côte d'Ivoire et Guinée), le parc naturel de Virunga (République démocratique du Congo), celui de Yellowstone (États-Unis d'Amérique) ou encore l'Ensemble monumental de Hampi (Inde), Butrint (Albanie) et la Zone archéologique de Chan Chan (Pérou) sont quelques uns des 33 sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial en péril.
Une centaine d'autres sites n'apparaissant pas sur cette Liste, sont néanmoins jugés être dans une situation préoccupante par le Comité du patrimoine mondial, l'instance intergouvernementale qui veille à l'application de la Convention de 1972 ratifiée par 175 États à ce jour. Plusieurs parcs naturels en Afrique de l'Est, tels la Zone de conservation de Ngorongoro et le Parc national de Serengeti (République-Unie de Tanzanie), la Forêt naturelle du Mont Kenya (Kenya) ainsi que le Lac Baïkal et les Volcans du Kamchatka (Russie) sont touchés par la déforestation, le braconnage, la pollution, la pression démographique et divers projets d'infrastructures. Le parc maritime des Iles Galapagos (Équateur) est victime de pratiques de pêche illicites et de la prolifération d'espèces exogènes envahissantes. L'exploitation minière et pétrolière dans le périmètre ou à proximité de certains sites du patrimoine mondial préoccupe également le Comité, notamment le Parc national de Kakadu (Australie), celui des Sundarbans (Bangladesh) ou, une fois encore, le Lac Baïkal. En outre, la multiplication non contrôlée des infrastructures routières et de certains projets immobiliers a eu un impact négatif sur les monuments et les sites du patrimoine mondial et a été à l'origine de longues négociations entre les États concernés et les experts de l'UNESCO pour parvenir à une réglementation satisfaisante. Citons les Château et parcs de Potsdam ou le centre-ville de Weimar classique (Allemagne), la ville médiévale de Luxembourg, Memphis et sa nécropole - les zones des pyramides de Guizèh à Dahchour ( Égypte) ou encore les Zones historiques de Gyeong ju (République de Corée) comme exemples de sites dont la préservation doit être constamment défendue. Des pourparlers se poursuivent concernant le projet du métro dans les Zones historiques d'Istanbul (Turquie) ou encore l'implantation de gratte-ciel à proximité du Centre historique de Vienne (Autriche), dans le voisinage de l'Acropole d'Athènes (Grèce), ainsi que dans l'Ensemble historique du palais du Potala, Lhassa pour n'en citer que quelques-uns.
Le prestige national et les retombées économiques qu'apporte l'inscription sur la Liste du patrimoine mondial ont fait de la Convention de 1972 l'instrument juridique international le plus reconnu en matière de protection du patrimoine naturel et culturel. Avec la reconnaissance croissante de l'importance de la diversité culturelle, la notion de patrimoine a beaucoup évolué au cours de ces trente dernières années. Elle englobe désormais non seulement les chefs-d'oeuvre architecturaux et monumentaux classiques, les centres historiques et les villages ruraux, mais aussi les paysages culturels, le patrimoine industriel et l'architecture moderne. Aujourd'hui plusieurs centaines de sites attendent leur inscription sur la Liste du patrimoine mondial.
Pour assurer la protection et la conservation de ces sites ainsi que leur transmission aux générations futures, l'UNESCO s'attache plus que jamais à mobiliser l'opinion publique internationale et à fournir à ceux qui manquent de moyens, une assistance technique et financière par le biais de partenariats avec les États et les autorités locales ainsi qu'avec la coopération des ONG, des universités et, de plus en plus, des entreprises du secteur privé.
« Il faut passer d'une position de réaction à celle d'action préventive », a déclaré le Directeur général de l'UNESCO, M. Koïchiro Matsuura, résumant ainsi la philosophie d'action qui est aujourd'hui celle de l'Organisation dans le domaine du patrimoine. Pour lui, le défi de la conservation doit devenir partie intégrante du processus de développement. « L'identification, la conservation et la mise en valeur des sites reflétant la diversité biologique et culturelle de notre monde, peuvent seulement être réalisées par un partenariat entre les gouvernements, les autorités locales, le secteur privé et, par-dessus tout, les populations habitant le site. ».
Pour inciter le plus grand nombre d'acteurs possible à relever le défi du patrimoine mondial, l'UNESCO, en collaboration avec plusieurs gouvernements, universités et ONG, a organisé, en octobre et novembre 2002, une série de sept conférences à Paris, Dakar, Beijing, Tours, Alexandrie, Mexico et Strasbourg, reliées entre elles par Internet dans un Congrès virtuel sur le patrimoine mondial à l'ère numérique. La conférence inaugurale de cette série s'est tenue au Sénat français, à Paris, le 16 octobre 2002 avec pour thème le Patrimoine mondial, enjeu de la décentralisation .
La Ville de Paris, en collaboration avec la RATP a lancé dans le métro parisien, le 15 octobre 2002, une campagne d'affichage de photos de sites du patrimoine mondial de l'Agence Magnum, appelant les Parisiens à soutenir l'UNESCO et la cause du patrimoine mondial par une participation en ligne, via Internet, à ces sept conférences.
Les sept conférences ont pu être suivies par tous via le site Internet du Congrès virtuel www.patrimoinemondialvirtuel.org
PARIS, Sénat, 16 octobre 2002 : Le patrimoine mondial, enjeu de la décentralisation.
DAKAR, AGENCE UNIVERSITAIRE DE LA FRANCOPHONIE (AUF), Sénégal, 15-17 octobre 2002 : L'enseignement du patrimoine mondial et les nouvelles technologies en Afrique.
BEIJING, Chine, Université de Tsinghua, 15-17 octobre 2002 : Architecture, tourisme et patrimoine mondial.
TOURS, France, Université d'automne, 21-24 octobre 2002 : Les grands fleuves du patrimoine mondial : de la crise à la culture du risque.
ALEXANDRIE, Égypte, Bibliotheca Alexandrina, 21-23 octobre 2002 : La cartographie appliquée à la gestion du patrimoine : le système « SIG » (Système d'information géographique) et les multimédias.
MEXICO, MUSÉE NATIONAL DES CULTURES, Mexique, 6-8 novembre 2002 : La gestion du patrimoine des centres historiques : Planification pour l'usage mixte et l'équité sociale.
STRASBOURG, France, Conseil de l'Europe, 5-8 novembre 2002 : Les applications des technologies spatiales à la conservation du patrimoine.
Allocution d'ouverture Par Christian Poncelet, Président du Sénat
Président de séance : Son Exc. Monsieur Jean MUSITELLI , ambassadeur, Délegué permanent de la France auprès de l'UNESCO
Je vous souhaite la plus cordiale bienvenue au Sénat, qui est heureux de s'associer au 30 ème anniversaire d'un instrument international de premier ordre : la Convention du patrimoine mondial . Ce texte a permis d'amener l'humanité à une prise de conscience et de conduire les gouvernements à préserver leurs richesses patrimoniales. Une émulation heureuse s'est engagée entre les pays pour être dignes de ce prestigieux classement. Le regard sur le patrimoine s'est transformé et porte autant sur des sites naturels que culturels. Pourtant, partout dans le monde, du fait de la négligence des gouvernements, du fanatisme, de l'inconscience, de la pression économique, des sites sont encore menacés de disparition ou de défiguration. La destruction des Bouddhas d'Afghanistan, prélude à des crimes humains, sonne comme un symbole du lien entre la protection du patrimoine de l'humanité et la conservation de celle-ci. Ce spectacle invite chacun à la méditation.
Je salue donc l'initiative de l'UNESCO, à laquelle le Sénateur Yves Dauge a pris une part prépondérante. Je lui adresse mes compliments et mes remerciements. Je me réjouis que, de notre assemblée, avocate des collectivités décentralisées, vous ayez choisi d'aborder ici le thème important de « patrimoine et décentralisation ». Le gouvernement français, répondant aux voeux du Sénat, prépare des avancées dans ce domaine. Ce texte actuel est pertinent pour célébrer les 30 ans de la Convention du patrimoine mondial . En effet, c'est la même logique qui est à l'oeuvre :
- au niveau national, faire que chaque région soit fière de son patrimoine et y trouve quelque chose de grand qui la relie à l'histoire de son pays et lui fasse mieux sentir sa solidarité avec le peuple ;
- au niveau international, que chaque pays trouve dans les formes particulières de son génie une raison d'affirmer sa participation à l'universel.
C'est la même dialectique de l'unité et de la différence, de l'universel et du particulier. La diversité des cultures et des territoires est un moyen évident d'aller vers les autres et non de s'isoler.
En portant ce message humaniste, votre colloque ouvre pour les 30 ans qui viennent un champ fécond. Avec détermination, vous allez explorer les réformes de décentralisation qui s'engagent. Je vous souhaite donc un bon travail dans la mission que vous vous êtes librement assignée.
Allocution par Koïchiro Matsuura, Directeur général de l'UNESCO
Je voudrais vous remercier sincèrement d'avoir accepté si nombreux notre invitation à échanger idées, données et expériences autour du thème « patrimoine mondial et enjeux de la décentralisation ». J'exprime ma gratitude au Président du Sénat pour son accueil chaleureux au palais du Luxembourg, haut lieu du patrimoine chargé d'histoire, et au Sénateur Yves Dauge.
L'année 2002 est celle que les Nations Unies ont choisi de déclarer « Année des Nations Unies pour le patrimoine culturel ». Elle est aussi - et ce n'est pas une coïncidence - celle qui marque le 30 ème anniversaire de la Convention du patrimoine mondial . L'UNESCO a été chargé d'en assurer la coordination. Je suis donc satisfait, dans ce contexte, que nous ayons pu mettre sur pied cet événement qui touche à une question fondamentale des politiques de patrimoine : la décentralisation.
Sans remettre en cause l'importance que revêtent les normes et instruments normatifs universels, ainsi que le respect de principes reconnus par tous, il est essentiel de mener des actions aux échelons régional et local, celles-ci ayant bien souvent une signification plus concrète pour les États et leurs populations.
Les enjeux du patrimoine
L'approche du patrimoine a considérablement évolué depuis 30 ans. La conception essentiellement monumentale qui prévalait au départ s'est élargie au profit d'une conception englobant les espaces culturels et naturels mais aussi le patrimoine immatériel.
Le patrimoine est l'une des expressions privilégiées de la diversité culturelle aussi nécessaire que la biodiversité pour le genre humain. Ce sont les termes de la Déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle , adoptée en novembre 2001 par les États membres.
La diversité culturelle ne peut se concevoir sans une politique adaptée de préservation du patrimoine, sur laquelle se fondent l'innovation, les échanges et la créativité. Nous devons opérer une approche plus globale des témoignages de nos cultures, et faire en sorte qu'elles ne soient plus prises isolément, mais dans le tissu des relations entretenues avec leur environnement.
La Convention de 1972 - qui réunit aujourd'hui 175 États parties et 730 sites inscrits - représente l'une des composantes majeures de l'action de l'ONU pour la sauvegarde du patrimoine et de la diversité culturelle. La Liste s'enrichit chaque année de trésors issus du monde entier. Une plus grande solidarité internationale devient nécessaire, afin de s'assurer que ce patrimoine commun est transmis aux générations futures.
Nous devons également reconnaître que le patrimoine immatériel, qui regroupe l'ensemble des pratiques et formes d'expression témoignant de la créativité des sociétés humaines, joue un rôle essentiel dans la conception des identités, des cultures et des imaginaires. La déperdition progressive de ce patrimoine dans plusieurs régions du monde et sa vulnérabilité aux effets de la mondialisation appellent à un sursaut de notre part. Les 80 ministres de la culture présents à Istanbul 1 ( * ) l'ont bien compris, une réelle prise de conscience de l'urgence d'une action aux échelles nationale et internationale s'est fait jour. La richesse des débats à la table ronde d'Istanbul est un signe d'encouragement.
Il nous faut conjuguer nos efforts pour préserver et faire vivre ce patrimoine. Il y va de notre capacité à maintenir les liens devant unir défense de la diversité culturelle, sauvegarde du patrimoine mondial, et respect du développement durable, qui reste le seul garant d'une vision globale de l'humanité à même de se renouveler de façon juste et équitable. Ce fut l'une des grandes leçons du Sommet de Johannesburg 2 ( * ) , où la diversité culturelle a été qualifiée de force collective au service du développement durable.
Au-delà d'un soutien institutionnel, la protection et la transmission du patrimoine requièrent celui des populations elles-mêmes. C'est l'enjeu de la décentralisation.
L'enjeu de la décentralisation
La mise en valeur des sites ou d'expressions reflétant la diversité naturelle ou culturelle ne peut être assurée que si les gouvernements, autorités locales, milieux d'affaires et populations locales y travaillent ensemble. Ceci vaut particulièrement pour le patrimoine immatériel. « Afin de garantir la viabilité de ce processus, les gouvernements ont le devoir de prendre des mesures facilitant la participation démocratique des acteurs concernés », comme cela a été dit à Istanbul.
Vous avez donc la responsabilité, en tant que sénateurs, de promouvoir la promulgation de textes en faveur du patrimoine et, en tant que représentants de vos départements respectifs, vous devez stimuler le débat et la prise de conscience des enjeux du patrimoine auprès du citoyen. Vous constituez une puissance de démultiplication indispensable. Chaque avancée dans ce domaine est non seulement utile mais peut constituer un modèle.
Monsieur le Président, compte tenu du rôle éminent du Sénat, je souhaite que vous puissiez réfléchir au lancement d'une politique plus accessible à tous. La sauvegarde du patrimoine doit être vécue comme une responsabilité commune et incarner une compréhension élargie du patrimoine. Notre défi ne peut être relevé par les seuls États. La décentralisation doit donner plus de force et d'efficacité, et permettre une meilleure prise en charge de nos actions par les collectivités locales, et une meilleure appropriation par les citoyens. Ce sont les collectivités locales et chaque citoyen que vous devez entraîner dans un vaste mouvement mondial en faveur du patrimoine universel de l'humanité. L'UNESCO sera à vos côtés pour mener à bien ce travail. Je crois que vous êtes tous convaincus de la nécessité d'oeuvrer ensemble, et chacun, pour y parvenir.
Christian Poncelet, Président du Sénat
J'ai bien reçu le message que le Directeur général adresse au Sénat. Nous ne manquerons pas d'être aidés en ce domaine par Jean Favier, dont nous connaissons l'action en faveur de la préservation du patrimoine. C'est une mission importante que de protéger les réalisations de ceux qui nous ont précédés, les témoins d'une civilisation et de la construction du monde. Chaque oeuvre est un signal donné à l'humanité, c'est pourquoi nous devons protéger ces oeuvres. Malgré la volonté des gouvernements, les moyens financiers manquent. L'essentiel est que nous ayons, à notre niveau respectif de responsabilité, la volonté d'agir. Je suis convaincu que nous réussirons, pour nous mais aussi pour les générations futures.
I. PERSPECTIVES EUROPÉENNES
A. TABLE RONDE : OBJECTIFS DE LA CONFÉRENCE ET PRÉSENTATION DE LA CONVENTION DU PATRIMOINE MONDIAL
S. Exc. Jean Musitelli, Ambassadeur, Délégué permanent de la France auprès de l'UNESCO
Mounir Bouchenaki, Sous-Directeur général de l'UNESCO pour la culture
Jean Favier, Président de la Commission nationale française pour l'UNESCO
Tamàs Fejerdy, Président du Comité du patrimoine mondial
Session présidée par S. Exc. M. Jean MUSITELLI , Ambassadeur, Délégué permanent de la France auprès de l'UNESCO.
Son Exc. Jean MUSITELLI, Ambassadeur, Délégué permanent de la France auprès de l'UNESCO
Ce colloque s'inscrit dans une série de manifestations qui ont pour toile de fond le 30 ème anniversaire de la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, naturel et culturel . Des manifestations sont organisées dans différentes villes du monde : Pékin, Dakar, Alexandrie, Tours, Strasbourg, Mexico, et Paris. Toutes centrées sur un thème particulier, elles forment un vaste congrès virtuel qui alimentera la réflexion dans le monde entier. Cet ensemble culminera par un grand congrès international qui se tiendra à Venise en novembre 2002, sous l'égide de l'UNESCO et du gouvernement italien.
Nous écoutons sans plus attendre nos intervenants.
Mounir Bouchenaki, Sous-Directeur général de l'UNESCO pour la culture
C'est un très grand honneur pour moi de participer à cette table ronde. Je voudrais saluer Yves Dauge qui, depuis des années, est un véritable conseiller et animateur pour tout ce qui concerne l'action de l'UNESCO dans le domaine du patrimoine, de même que Jean Musitelli, qui a oeuvré en faveur de la réforme du fonctionnement du Comité du patrimoine mondial. Je suis enfin heureux de siéger aux côtés de mon ami Jean Favier, qui témoigne de l'appui dont nous bénéficions dans la mise en oeuvre d'un programme de l'Organisation considéré à juste titre comme phare.
Je rappellerai de quelle manière l'UNESCO a engagé depuis 50 ans son action en faveur de la préservation du patrimoine. Je montrerai comment, tant sur le plan normatif que conceptuel, l'idée du patrimoine a évolué au cours de cette période. J'insisterai sur l'apport des grandes organisations professionnelles : le Conseil international des musées, le Conseil international des monuments et sites, le Centre international d'études pour la conservation et la restauration des biens culturels, et toutes les institutions spécialisées dans le domaine du patrimoine.
L'UNESCO s'est d'abord intéressée à la protection du patrimoine endommagé pendant la seconde guerre mondiale. Le premier texte normatif adopté est la Convention de La Haye (1954) pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé 3 ( * ) .
On s'est intéressé ensuite à la lutte contre le trafic des oeuvres d'art, second trafic mondial après celui de la drogue, à travers la Convention de 1970 4 ( * ) .
La Convention de 1972 est aujourd'hui le pivot de l'action de l'UNESCO dans le domaine de la protection du patrimoine. Elle est la résultante d'une double évolution.
D'un côté, une évolution des spécialistes en patrimoine culturel (monuments et sites). Des campagnes internationales de sauvegarde, dans les années 60, est née progressivement dans la conscience de la communauté internationale l'idée qu'un monument, où qu'il soit, appartient à l'ensemble de l'humanité.
De l'autre, le mouvement de protection de l'environnement. Je pense notamment à la loi Malraux sur la préservation des abords des monuments.
Ces deux mouvements ont conduit à lier la protection des monuments et sites culturels et celle de l'environnement naturel.
Dans le cadre de ce travail normatif, on a été constaté ensuite que la Convention de 1970 ne concernait que les tractations publiques. Or il existait un trafic d'oeuvres d'art au niveau privé. On a alors adopté à Rome en 1995 la Convention d'Unidroit sur le trafic illicite 5 ( * ) . En même temps, la Convention de 1954 se révéla dépassée par les lois de la guerre et les technologies : en 1999 fut adoptée à La Haye le second protocole à la première Convention de La Haye . Ce texte était prémonitoire car les effets de la guerre allaient de plus en plus se manifester à l'encontre du patrimoine, symbole de l'identité. Nous avons été hélas les témoins de la destruction des Bouddhas d'Afghanistan en mars 2001. Enfin, en octobre 2001 a été adoptée la Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique 6 ( * ) .
Un aspect n'était pas totalement couvert, qui est désormais pris en compte, celui du patrimoine immatériel. Ainsi, le classement du site d'Angkor prend en compte la richesse culturelle immatérielle liée à ces temples. C'est également le cas de sites africains et asiatiques auxquels était associée une valeur immatérielle (croyance, coutume, richesse culturelle immatérielle). Nous préparons actuellement un texte normatif sur la protection de ce patrimoine.
Nous disposons ainsi d'un édifice juridique qui permet à l'UNESCO d'être présente, avec une force morale, pour faire en sorte que ces journées célébrant le trentenaire de la Convention de 1972 mettent en avant une solidarité internationale et une sensibilisation au patrimoine. La destruction des Bouddhas de Bamyian en Afghanistan a donné lieu à des milliers de courriers électroniques de citoyens qui se sentaient concernés. Le patrimoine n'est pas un luxe que l'on peut se permettre une fois que les questions économiques sont réglées. Il fait partie de l'action quotidienne que l'on doit mener en faveur du développement.
Ici, il y a quelques années, j'avais expliqué que le classement de l'église romane de Saint-Savin sur Gartempe (France) avait eu un impact économique positif sur ce petit village et sa région. Il y a une semaine, j'ai participé à l'inscription du paysage culturel de la région viticole de Tokaji en Hongrie au patrimoine mondial. J'ai alors senti une fierté réelle de la population de se voir reconnaître ce statut. De ce point de vue, le message de l'UNESCO doit nous conduire à mener des politiques de préservation et de gestion, dans le cadre de la décentralisation.
Monsieur Jean Musitelli , Ambassadeur, Délégué permanent de la France auprès de l'UNESCO
Le concept de protection du patrimoine n'est pas figé, en effet, mais évolutif et dynamique. Le bilan que nous dresserons de la Convention de 1972 sera aussi l'occasion de réfléchir à l'avenir et aux nouveaux défis que vous avez soulignés. C'est ce qui fait l'intérêt de notre réflexion, et l'intérêt de susciter une mobilisation.
Nous écoutons Tamàs Fejerdy, Président du Comité du patrimoine mondial. Ce Comité est chargé de mettre en oeuvre la Convention de 1972 , et a la responsabilité de l'inscription à la Liste du patrimoine mondial.
Tamàs Fejerdy, Président du Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO
Je voudrais commencer en évoquant les textes en place. Lors de la 26 ème session du Comité du patrimoine mondial à Budapest en juin 2002, nous avons adopté une déclaration sur les questions qui nous intéressent. Ce texte traite déjà les aspects qui rejoignent la ligne de la présente rencontre :
« Nous veillerons à maintenir un juste équilibre entre la conservation, la durabilité et le développement, de façon à protéger les biens du patrimoine mondial, grâce à des activités adaptées contribuant au développement social et économique, et à la qualité de vie de nos communautés. Nous veillerons à assurer à tous les niveaux la participation active de nos communautés locales à l'identification, la protection et la gestion des biens du patrimoine mondial ».
Ce travail ne concerne pas uniquement les organes centraux, mais invite à une participation à tous les niveaux des communautés régionales et locales.
Le Document de Nara sur l'authenticité, élaboré en 1994 au Japon est relatif aux questions d'authenticité des biens du patrimoine culturel 7 ( * ) , sous l'égide du Centre du patrimoine mondial. Ce document traite largement de l'importance des régions culturelles, et de la diversité des biens culturels.
Nous célébrons aujourd'hui le succès de la Convention de 1972 , l'une des plus importantes de l'UNESCO.
Des critères précis déterminent l'inscription d'un site sur la Liste du patrimoine mondial. L'inclusion à cette Liste obéit à un processus important, mais n'est que le commencement de la vie d'un site inscrit. Surviennent ensuite d'autres problèmes. La Liste compte déjà 730 sites, dont certains sont menacés.
Europe et Amérique du Nord.
En Albanie, nous nous heurtons à des carences en matière de législation adéquate, des constructions illégales, un manque de gestion, des problèmes de sécurité. Le problème est général pour les sites inscrits au début de la Convention .
En Serbie et Monténégro se posent des questions de révision de l'état de conservation, au point que nous songeons à inscrire les sites sur la Liste du patrimoine mondial en péril. Il faut savoir qu'il existe deux listes : la Liste normale et la Liste du patrimoine mondial en péril.
Ce problème se pose un peu partout, y compris à Vienne, face à des projets de construction. Normalement, les décisions relatives au développement sont portées au niveau local. Il est donc important de traiter les questions de patrimoine mondial à ce niveau.
On déplore des problèmes de trafic, de financement, et de construction contemporaine à proximité des biens classés. Ces difficultés touchent également des sites naturels ou mixtes qui, comme on le constate souvent, peuvent subir les effets négatifs des permis d'extraction minière.
Asie et Pacifique.
Le site d'Angkor, qui a déjà été cité, se trouve en danger : comment assurer à la fois la conservation des sites, un développement durable et améliorer la qualité de vie des communautés locales ?
Nous nous heurtons à la construction d'infrastructures de transport ou à de nouveaux quartiers. Cette zone subit des problèmes d'insécurité qui menacent l'intégrité du site. Il est toujours difficile d'assurer l'exploitation des sites classés.
Le premier paysage culturel classé correspond aux Rizières en terrasses des cordillères des Philippines. Il illustre l'évolution de l'approche du concept de patrimoine mondial. Malheureusement, ce site est menacé par son succès et figure dans la Liste du patrimoine mondial en péril. Le tourisme remet en cause l'ancien système agricole de ce site. La conservation et la protection peuvent avoir des effets pervers par manque d'adéquation des méthodes. Il faut toujours avoir à l'esprit l'authenticité dans les critères secondaires, et l'intégrité pour les patrimoines naturels. Nous déplorons également des problèmes de gestion et de restauration.
Quelles sont les solutions proposées par le Comité du patrimoine mondial ?
Ces différents exemples soulignent les mêmes difficultés. Je tiens à souligner que ce problème ne se concentre pas dans une région donnée : toutes les zones mondiales sont concernées. Pour les résoudre, le Comité du patrimoine mondial développe des systèmes de rapports périodiques, avec un suivi région par région. Nous travaillons à des préparatifs avec les États parties sur les rapports relatifs à l'Asie.
Les sites naturels sont affectés par les guerres et conflits armés. L'UNESCO cherche dans ces situations des solutions temporaires pour améliorer la situation et faire en sorte que les sites survivent à ces périodes perturbées.
Nous montons également des programmes financés par le Fonds du patrimoine mondial : un programme pour les 45 forêts inscrites sur la Liste, un deuxième pour les milieux maritimes et un troisième relatif aux problèmes du tourisme.
L'enjeu de la décentralisation.
Je tenais à vous souligner l'importance de la participation, dans cette coopération, des échelons décentralisés. Le patrimoine n'appartient pas uniquement aux États. D'autres partenaires contribuent à la protection des biens culturels, y compris ceux inscrits à la Liste du patrimoine mondial. L'inscription au patrimoine mondial constitue le niveau le plus élevé, mais tous les autres niveaux sont importants. Le texte de la Convention (page 12) indique que tous les autres biens du patrimoine qui ne sont pas encore inscrits à la Liste ne présentent pas moins d'intérêt et de valeur que les biens inscrits.
Le lancement de congrès virtuels traitant des différents aspects du patrimoine mondial culturel et naturel nous permet d'approfondir la connaissance de la richesse et la diversité du patrimoine, et de préparer des outils complémentaires. Nous en avons un absolu besoin pour résoudre les problèmes de conservation et la protection à long terme de ces biens qui sont l'oeuvre de communautés, pour toute l'humanité, comme un patrimoine vivant devant contribuer au développement de la qualité de vie, au niveau local.
Le patrimoine appartient à une communauté locale et sert en premier lieu l'identité et la vie de ces communautés.
Monsieur Jean Musitelli , Ambassadeur, Délégué permanent de la France auprès de l'UNESCO
Il était intéressant que vous puissiez nous présenter par des illustrations la nature pratique des problèmes des responsables de la protection du patrimoine. Si le Comité du patrimoine mondial est responsable de l'inscription des sites, il doit surtout assurer leur sauvegarde, non pas en vue de figer les choses en l'état, mais de trouver l'équilibre entre la protection des sites et leur caractère vivant. C'est en effet à partir de l'inscription d'un site que le véritable travail commence.
Jean Favier, Président de la Commission nationale française pour l'UNESCO
La question du patrimoine mondial évoque le plus souvent deux éléments :
La Convention de 1972 et la Liste du patrimoine mondial .
La Liste fait l'objet de convoitise, mais aussi de fierté. Elle est également porteuse d'intérêts économiques légitimes. Mais elle doit être significative du patrimoine du monde, et pas seulement des héritages locaux. Elle reflète un édifice commun auquel chacun apporte sa pierre : ce qu'une communauté d'aujourd'hui a d'original, ce qui reflète un génie propre de jadis ou d'aujourd'hui. En ce qui nous concerne, c'est ce qui a fait l'Europe dans son unité et son heureuse diversité.
Le premier volet de l'action menée par l'UNESCO serait voué à l'échec sans l'engagement de ceux auxquels la décentralisation a reconnu une responsabilité, un pouvoir qui demandait à être affirmé. C'est une politique qu'il faut construire à l'échelle nationale et internationale. Il y faut l'oeuvre des intellectuels et des scientifiques, du public, des politiques, des élus, des responsables de la chose publique à tous les niveaux.
En quoi cette prise de responsabilité est-elle un enjeu de décentralisation ?
Parce que l'histoire y porte. Sites historiques ou symboliques, monuments ou oeuvres d'art ne résultent que parfois d'une volonté centralisatrice. Le plus souvent, ils sont le fruit du talent des hommes dans le cadre normal de leur vie et de leur activité. Ils sont le patrimoine intellectuel et spirituel que chacun partage avec son environnement immédiat.
Ensuite, c'est dans le cadre de la collectivité régionale, départementale ou municipale que peuvent se manifester les initiatives qui concourent à la mise en valeur du patrimoine et qui assurent le suivi des décisions nationales et internationales. Je pense à ceux qui vivent aux côtés d'un site, et à ceux qui viennent le découvrir. À quoi bon inscrire un site sur une liste qui sera lue à l'autre bout du monde si, sur place, ce monument n'est ni connu, ni apprécié ? À quoi sert d'écrire que nos visiteurs seront heureux d'avoir vu ce qui fait notre fierté s'ils ne peuvent le trouver commodément sur place ? Je pense notamment à la France, où il manque parfois quelques indications élémentaires pour trouver l'objet de nos fiertés. À quoi bon nous targuer d'un site si rien n'est fait sur place pour que le voyageur porteur d'une autre culture soit à même de le comprendre ? C'est essentiel, sans quoi les gens voient, mais ne regardent ni ne retiennent. À cet égard, le suivi des grandes décisions est nécessaire. C'est une question d'efficacité, mais aussi de dignité : nous devons nous montrer dignes de notre héritage.
Le patrimoine immatériel.
Au patrimoine matériel se joint à présent le patrimoine immatériel. Il ne s'agit pas d'une simple extension de la Convention ou de la notion de patrimoine qu'elle porte. Les différences tiennent aux critères de définition, aux aires géographiques, aux contraintes de protection, aux effets de la valorisation. Le patrimoine immatériel ne saurait être figé. Sa protection ne doit pas entraîner une interdiction de vivre ou d'évoluer. À Rio, j'ai demandé que l'on cesse de traduire le terme anglais « unintangible » par « intangible » car les deux termes signifient le contraire. Un patrimoine immatériel, s'il n'est pas vivant, n'est plus un patrimoine.
Le patrimoine immatériel ne désigne ni le folklore, ni l'exotisme. Il n'est donc pas seulement l'affaire du seul Tiers-Monde. Nous participons à sa vie, et nous sommes parfois aveugles et sourds. Il est en nous, et nous le voyons mal : la façon d'exprimer nos sentiments individuels ou collectifs, les attitudes devant la vie et la mort, la forme et la manière des réjouissances, le tour de main des artisans. Tout cela nous est trop familier pour que nous restions attentifs au risque d'une uniformisation et aux effets assurés de la négligence. Il coûte peu à entretenir, à restaurer. Il n'est pas question d'en dresser des listes, ni de le figer en l'officialisant. Souhaitons que tous, et en premier lieu les élus, le fassent entrer dans la réflexion qu'ils mènent sur l'identité culturelle et spirituelle de la collectivité dont ils ont la responsabilité.
C'est cette responsabilité que nous confère un héritage aussi riche que divers, qu'il convient de prendre en compte, dans l'analyse des compétences de chacun comme dans celles des mesures nécessaires pour qu'un jour, il ne soit pas trop tard. Qu'il date d'hier ou de 2000 ans, le patrimoine est vivant, parce que chaque jour, on doit lui donner vie.
Monsieur Jean Musitelli , Ambassadeur, Délégué permanent de la France auprès de l'UNESCO.
Je vous remercie de nous avoir fait partager cette méditation humaniste sur le patrimoine. Il est important de conserver à l'esprit la charge symbolique qu'il comprend.
J'aimerais vous parler d'une activité qui nous semble importante au vu de la coopération décentralisée, en prenant pour exemple l'action de la France dans le cadre de la Convention qu'elle a signée avec l'UNESCO en 1997 8 ( * ) pour tenter de donner un cadre à la coopération décentralisée. Pour organiser la coopération décentralisée, une forte synergie est nécessaire entre l'action de l'État et la façon dont les initiatives des collectivités décentralisées se mettent en place. Nous avons monté un dispositif institutionnel original : la Convention est gérée par un comité réunissant les ministères intéressés et les représentants des collectivités locales, en vue d'organiser la mobilisation des ressources et la synergie, pour les orienter vers les pays en développement.
Je citerai quelques exemples de coopération réussie dans ce cadre. La coopération entre Chinon et Luang Prabang (République démocratique populaire lao) a été pionnière en la matière. Il en existe d'autres, comme la coopération entre la communauté urbaine de Lille et Huê au Viet Nam, qui s'est déroulée sur trois ans. Je précise que ces projets s'inscrivent dans la durée, seule condition pour établir un véritable échange. Nous conduisons actuellement une expérience entre la communauté urbaine de Lille, encore, et Saint-Louis du Sénégal. Une coopération démarre à partir du moment où l'on offre une assistance à la communauté pour préparer son dossier d'inscription à la Liste du patrimoine mondial. Une fois l'inscription acceptée, le travail commence. Concrètement, la coopération décentralisée est réussie si l'on trouve une forte synergie entre les intervenants, les acteurs locaux, l'État et l'UNESCO.
Il me reste à remercier les participants à cette première table ronde de la matinée. Nous abordons la suite de nos travaux.
B. LA VILLE DE LYON, VILLE DU PATRIMOINE MONDIAL
Par Gérard Collomb,
Sénateur du Rhône (Rhône-Alpes), Maire de Lyon (France)
Si Lyon a été inscrite au patrimoine de l'humanité, c'est pour un certain nombre de raisons précises. La demande de Lyon s'inscrit dans une longue démarche, qui nous a permis de mettre en valeur notre territoire. Trois grandes périodes ont marqué cette originalité.
La première a vu la création par l'État en 1964 du secteur sauvegardé du Vieux Lyon, première application de la loi Malraux. Cette mesure a évité la destruction complète de notre quartier Renaissance, envisagé à l'époque.
La seconde période est le fruit d'une concertation entre acteurs locaux, collectivités et services de l'État au début des années 90. Lyon et Villeurbanne furent les premières villes à solliciter la création de ZPPAUP (zones de protection du patrimoine urbain et paysager) pour les pentes de la Croix Rousse, qui témoignaient de l'histoire ouvrière de Lyon avec les Canuts, et pour les gratte-ciel de Villeurbanne.
La troisième période consacre Lyon en 1998, avec la promotion du site historique sur lequel la ville s'est appuyée pour solliciter son inscription au patrimoine mondial.
Les atouts de Lyon
Partant du monument, la notion de patrimoine s'est étendue à la ville comme lieu de vie, pour considérer, dans une approche anthropologique, l'idée de site habité, évolutif et en perpétuelle transformation. Lyon n'a pas été inscrit au patrimoine mondial sur un monument mais sur des atouts.
Le premier de ces atouts est son site géographique : ses deux fleuves, son confluent, ses collines. Ce site en a fait un lieu de communication depuis toujours.
Le deuxième atout tient au fait que la ville s'est toujours reconstruite sur elle-même. Une promenade dans Lyon s'étend sur 2000 ans d'histoire, de l'époque gallo-romaine à nos jours. On trouve à Lyon une architecture contemporaine mais aussi la trace visible de cette histoire de l'humanité.
Le troisième atout correspond non pas à la préservation d'un site historique-musée, mais l'inscription de quatre quartiers qui, aujourd'hui encore, forment le coeur de la ville. 85 % des édifices classés de la ville sont rassemblés sur 500 hectares, soit 10 % de la superficie de la ville. Ce ne sont pas seulement de vieilles pierres classées. On constate en effet combien cet ensemble urbain est vivant. Il abrite 55 % des équipements culturels, 24 % de l'activité économique, 14 % des logements de la population. Le site historique continue donc à vivre au rythme des quartiers qui le composent. Le sens du patrimoine lyonnais se révèle à travers la valeur de l'urbanité.
Une telle approche offre une vision dynamique du patrimoine urbain vivant. Cette notion n'est pas seulement une construction intellectuelle. Elle présente l'immense avantage de ne pas enfermer le site historique de Lyon dans le monumental : le paysage urbain et les composantes immatérielles font partie de cette définition. Ce n'est pas non plus un territoire privilégié : la sectorisation appelle trop souvent l'exclusion. Nous avons souhaité que le coeur de la ville continue d'accueillir des populations diversifiées.
Enfin, ce lieu n'est pas enfermé dans le passé. En incluant la création contemporaine, nous avons voulu continuer le travail de renouvellement de notre coeur d'agglomération. De ce point de vue, le musée urbain Tony Garnier constitue un témoignage vivant de la place de Lyon comme laboratoire urbain et social. De même, nous développons à l'échelle de l'agglomération une action de valorisation de notre patrimoine industriel, comme l'Institut Lumière où fut tourné le premier film.
Les devoirs liés au label UNESCO
L'ensemble de la politique de la ville concourt à valoriser le label UNESCO. La sauvegarde du patrimoine ne peut se concevoir sans un projet global développé au coeur des questions du renouvellement urbain. La reconnaissance de l'UNESCO ne correspond pas à un prix décerné une fois pour toutes, mais à un engagement des collectivités de faire vivre dans l'avenir cette inscription. Lyon prend au sérieux son engagement avec l'UNESCO, et s'attache à assurer un développement exemplaire de la ville, ce qui implique des devoirs.
Le premier est de préserver et de valoriser nos monuments. Nous rénovons actuellement un ancien hôtel, qui accueillera notre nouveau musée historique, vitrine de la culture lyonnaise. Cette politique inscrite dans la durée mobilise des savoir-faire et des moyens importants, et se fixe de nouvelles perspectives, comme l'engagement d'opérations archéologiques ou la recherche de partenariats avec des acteurs privés pour les usages nouveaux. Enfin, nous élargissons notre politique à l'échelle de la ville. Nous ouvrons un grand projet sur notre confluent, lieu marginal au sein de la ville. Nous reconquérons ce site, mais en en conservant la valeur industrielle. C'est en cela que le patrimoine se trouve au coeur des défis du renouvellement urbain.
Les défis et les actions
La politique de revitalisation des quartiers a permis d'enrayer le déclin du centre, mais le coeur historique de Lyon est confronté à plusieurs grands défis. Nous devons y fixer une population d'origines sociales diversifiées, en dynamisant l'animation économique et culturelle. Nous devons redéfinir le partage de l'espace public, pour éviter l'asphyxie par la circulation automobile, et promouvoir des modes de déplacement doux. Nous souhaitons troisièmement mettre en valeur les ambiances urbaines, les grands axes de développement de la ville, la nuit comme le jour. Nous menons une action particulière sur le plan de la lumière : nos sites, nos fleuves et nos bâtiments peuvent prendre une autre dimension avec la lumière. Enfin, nous favorisons une création architecturale contemporaine au coeur de l'agglomération. Je pense notamment à l'oeuvre de Jean Nouvel pour transformer notre ancien opéra, ou à notre projet de Palais des Congrès de 3 000 places, par Renzo Piano, en forme d'amphithéâtre. De l'époque romaine à nos jours, il existe donc un fil conducteur dans la construction de Lyon.
Nous poursuivons un travail d'inventaire et une action visant à favoriser l'accès au patrimoine pour tous les Lyonnais : itinéraires de randonnées urbaines, comme le parc des hauteurs sur la colline de Fourvière, mise en valeur de nos traboules, mise à profit des journées du patrimoine. Enfin, nos services conduisent conjointement avec le service régional de l'inventaire un travail visant à numériser les données graphiques, techniques et photographiques de connaissance du bâti et du non-bâti sur l'ensemble de notre territoire.
Un autre enjeu est la qualité de l'accueil du visiteur. Nous repensons actuellement tout notre plan d'accueil du touriste étranger, de manière à accueillir celui-ci avec sa propre culture, y compris des publics empêchés ou malvoyants. Nous mettons sur pied une politique du tourisme, avec un plan signalétique et informatique, une gestion des flux de circulation et la maîtrise de la surfréquentation. Le tourisme peut en effet dénaturer la valeur des sites. Nous menons une démarche de qualité des services urbains, pour que notre mobilier urbain corresponde à la beauté du site. Nous adoptons une politique de positionnement culturel vivant dans les lieux du patrimoine, pour que la culture vivante soit en relation avec la culture ancienne.
Enfin, comme vous l'avez souligné, nous inscrivons notre ville dans une démarche de coopération avec des villes qui mènent le même type de politique patrimoniale, dans le cadre de l'Organisation des villes du patrimoine mondial. Nous menons aussi des programmes de coopération décentralisée : revitalisation des Médina de Tunisie, mission d'experts au Bénin pour examiner la Route des esclaves et le site de Porto Novo, projet de création d'une université internationale du développement durable avec l'UNESCO.
Pour nous comme pour vous, le patrimoine ne fait pas référence à la seule vision de conservation. Cette conservation doit être conçue dans un ensemble vivant, où la vie continue de se développer et où nous créons tous les jours le futur patrimoine mondial de l'humanité. Nous voulons faire en sorte que l'on trouve au sein de notre coeur historique une lisibilité de ce que fut l'humanité, des Gaulois à la création contemporaine.
Monsieur Jean Musitelli , Ambassadeur, Délégué permanent de la France auprès de l'UNESCO
Nous vous remercions pour cette réflexion riche et pratique sur la notion de patrimoine urbain vivant. Peut-être la vocation des sites inscrits au patrimoine mondial est-elle de devenir des laboratoires d'idées et de pratiques nouvelles.
Nous nous orientons à présent vers les rives du Rhin. Michael Vesper va nous parler d'une autre catégorie patrimoniale, celle du patrimoine industriel.
C. LE COMPLEXE INDUSTRIEL DE LA MINE DE CHARBON DE ZOLLVEREIN À ESSEN, LAND DE RHÉNANIE DU NORD- WESTPHALIE, ALLEMAGNE, SITE DE PATRIMOINE INDUSTRIEL INSCRIT SUR LA LISTE DU PATRIMOINE MONDIAL EN 2001.
Par Michael Vesper,
Ministre du Logement, du développement urbain, du sport et de la culture,
Premier Ministre adjoint du Land de Rhénanie du Nord - Westphalie (Allemagne)
Le Land de Rhénanie du Nord - Westphalie est le plus important d'Allemagne, avec 18 millions d'habitants, dont 5 à 6 millions vivant dans la Ruhr. Je voudrais faire un parallèle entre la ville de Lyon et ce que je vais vous présenter : un site urbain qui a été interdit pendant des années, car la population n'avait pas accès à toutes les zones industrielles.
L'industrialisation de la Ruhr a commencé tardivement, mais le bouleversement de cette région traditionnellement agricole n'en a été que plus violent. L'industrie du charbon et de l'acier avait ses intérêts et a défini son évolution. Ainsi est né ainsi un gigantesque complexe industriel avec des mines, des hauts-fourneaux, des voies de communication. La vie des habitants a dû s'organiser autour de ces zones.
La mine de charbon de Zollverein a commencé à fonctionner vers 1840, sur un premier terrain de 13,8 kilomètres carrés pour garantir l'approvisionnement en charbon d'aciéries. Vers 1850 ont été creusés les premiers puits, et dans les années 20, la conjoncture économique imposa une automatisation des procédés, notamment dans les mines à ciel ouvert. Entre 1928 et 1932, on a donc pu construire le puits 12. Les fonctions d'extraction, de concentration et d'approvisionnement y ont été concentrées, les autres installations ne servant plus que de points d'accès. Les deux architectes du puits ont donc aménagé les nombreuses installations techniques en respectant les critères de fonctionnalité, d'économie, de flexibilité, pour répondre aux nécessaires modifications de l'exploitation. Ils ont choisi de réaliser des bâtiments cubiques à charpente métallique. L'espace a été structuré par des axes, des espaces verts, des cours. L'entrée a été aménagée de façon somptueuse, avec une cour d'honneur à pelouses, encadrée par les ateliers et l'immense hangar du puits dominé par la tour d'extraction, la tour de la coquerie et la laverie de rouille, sur piliers en béton armé. Deux matériaux se combinent dans cette architecture et permettent de reconnaître la fonction du bâtiment à sa structure extérieure. Le contrepoint à la cour d'honneur est le bâtiment des chaufferies. Il dispose de sa propre cour. Les façades lisses conduisent le regard vers la façade des chaudières. Afin d'exploiter les gisements de charbon gazeux et bitumineux, on a construit le bâtiment de la coquerie centrale, entre 1958 et 1961. On y retrouve le même principe de construction.
Le puits 12 et la coquerie de Zollverein sont les monuments les plus importants de l'architecture industrielle du charbon, sans doute dans le monde entier. Tout autour du puits 12, on peut lire dans le paysage urbain 150 ans d'histoire de l'industrie du charbon et de l'acier. C'est un témoignage de l'histoire économique et sociale de l'Allemagne et de l'Europe : histoire de son développement et de son succès, mais aussi histoire de son déclin, faîte d'oppression et de persécution, notamment à l'époque nazie.
Après le déclin, le paysage a été brutalement transformé par l'industrialisation. Le reflux fut tout aussi brutal. Des zones tombèrent en friche, des bâtiments furent abandonnés, des emplois supprimés. On se retrouve avec des zones désertées au coeur des villes. De cet ensemble est resté un paysage au caractère culturel spécifique, un territoire sur lequel vivent 6 millions de personnes issues de toute l'Europe.
Le gouvernement de notre Land a créé rapidement des conditions générales pour éviter que le changement structurel n'entraîne des fractures sociales et culturelles, notamment par le Parc Hemscher, exposition internationale de construction et d'urbanisme. Il s'agit d'un programme d'aides structurelles sur 10 ans, qui utilise comme fondement de la reconversion de la région la structure hétérogène mise en place au cours des décennies.
Ce projet a compris l'intérêt qu'il y avait à ne pas détruire mais à préserver et réutiliser les bâtiments. On a compris qu'il était intéressant, pour des raisons d'histoire des techniques, de préserver ces témoignages. On a donc choisi d'ouvrir ces zones industrielles auparavant interdites à la population. On a su les valoriser du point de vue de l'urbanisme et de l'aménagement des paysages. Ces friches industrielles sont devenues des éléments majeurs du paysage et ont pour mission de le structurer, dans le cadre d'un projet d'ensemble qui prévoit de rendre à la nature une partie des surfaces abandonnées. C'est ainsi que sont nés de nouveaux espaces pour le commerce, l'industrie, mais aussi pour l'art, la culture, le logement et les loisirs.
Nous avons donc réussi à préserver ainsi un parc dense de monuments industriels et à lui donner une nouvelle utilité. La Ruhr a conservé son caractère spécifique et les gens ont gardé les hauts lieux de leur identité culturelle, sans perdre le lien avec leur tradition historique. Dans le même temps, nous avons fait émerger un nouveau profil, et le tourisme a découvert les atouts de ce paysage, non pas semé d'églises ou de châteaux, mais marqué par des cathédrales du travail uniques en leur genre. On trouvera peu de régions aussi denses en la matière.
La reconversion de la mine de charbon de Zollverein est un exemple parfait de ce changement structurel. Dès le début des années 90, on avait commencé à mettre en place des stratégies de développement qui prévoyaient une reconversion prudente. Certaines voix se sont élevées à une époque pour prôner leur démolition, alors que ces bâtiments représentaient des décennies d'histoire. Il a donc fallu du courage pour décider de conserver ces bâtiments, leur donner une fonction de musée tout en les ouvrant à une fonction plus moderne. C'est ce que nous avons réalisé avec le puits 12.
De nombreux artistes ont découvert ce site industriel, où ils peuvent réaliser des oeuvres d'art et les mettre en valeur. Nous avons également transformé le bâtiment des chaudières, et aménagé une zone d'exposition. Nous comptons poursuivre sur cette voie, créer des emplois, faire en sorte que l'on puisse pratiquer en ce lieu l'art, le design, la culture, la formation, le tourisme. Nous ne voulons pas de projet hétérogène, mais un ensemble harmonieux. Nous avons besoin de 61,3 millions d'euros pour ces aménagements. Ces chiffres montrent la tâche d'envergure que cette ambition représente.
Pour préserver une zone aussi importante que la mine de charbon de Zollverein, il faut avancer sur une voie totalement nouvelle. Celle que nous avons choisie avec l'inscription au patrimoine mondial était la bonne. Le puits 12 nous montre lui-même la voie de la transformation, car il est né à la fin d'une époque de grande transformation, comme aujourd'hui. Nous avons compris qu'il fallait agir désormais à l'échelle mondiale dans des structures économiques en réseau. La mine de charbon de Zollverein, qui avait déjà fait ses preuves comme laboratoire du modernisme aura encore à faire ses preuves à nouveau, car notre souci est de préserver le caractère industriel du site, pour qu'il demeure un lieu de production, d'architecture, de culture architecturale, de créativité, un lieu d'identité régionale, tant au plan matériel que des idées. C'est un grand défi, et le titre de notre conférence d'aujourd'hui correspond aussi à notre programme. Autrefois, ces installations n'avaient qu'une seule fonction. Pour survivre, elles devront être -fonctionnelles. Ainsi, nous devrons remplacer la mono-structure originelle par une diversification des fonctions. J'espère personnellement que l'inscription du site au patrimoine mondial l'an dernier nous permettra d'avancer sur la voie de la reconversion de ces grandes zones industrielles du passé.
Monsieur Jean Musitelli , Ambassadeur, Délégué permanent de la France auprès de l'UNESCO
Cette expérience est magnifique et passionnante. Nous sommes face à un exemple formidable d'un projet entrepris avec une vision globale, prenant en compte tous les aspects liés à la rénovation d'un territoire industriel très dégradé. C'est la meilleure façon d'honorer la reconnaissance accordée par l'UNESCO, tout en offrant à celle-ci l'occasion d'élargir la Liste du patrimoine mondial moderne et industriel.
Nous passons à présent à une région plus champêtre, avec le Poitou-Charentes, qui compte sur son territoire plusieurs sites inscrits, dont les chemins de Saint Jacques de Compostelle en France. Cette intervention s'intitule « La région Poitou-Charentes, pôle d'initiatives pour le patrimoine mondial ».
D. LA RÉGION POITOU-CHARENTES, PÔLE D'INITIATIVES POUR LE PATRIMOINE MONDIAL
Par Jean-Claude Beaulieu,
Député de Charente maritime,
Vice-Président du Conseil régional de Poitou-Charentes (France)
Depuis de nombreuses années, notre région s'est organisée en faveur d'une politique volontariste dans le domaine de la préservation et de la valorisation du patrimoine. En effet, la reconnaissance de celui-ci n'est pas un refuge éphémère face aux incertitudes de notre temps, mais une illustration de valeurs universelles. Le patrimoine est d'abord une mémoire partagée. Il s'agit d'une véritable entité vivante à réactiver sans cesse. C'est pourquoi nous avons choisi de commencer ce millénaire en valorisant les messages de l'histoire, pour développer cette conscience du temps en proposant un regard constructif sur notre héritage naturel et culturel. Le patrimoine n'est pas un regard nostalgique tourné vers le passé, mais ce qui nous a été transmis après avoir été façonné par la main de l'homme.
Dès les années 1998, le Conseil régional a approuvé la mise en oeuvre d'un grand projet de valorisation de l'art roman et des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France. L'ensemble des monuments liés au pèlerinage des quatre principaux chemins de Saint Jacques ont été classés sur la Liste du patrimoine mondial, dont six dans notre région. Un grand centre d'interprétation de l'art roman a été conçu sous forme de réseau, en vue d'une lecture des différents aspects de cet art.
Je voudrais ici illustrer mon propos par trois exemples.
Le Centre international d'art mural de Saint-Savin sur Gartempe
Ce Centre international d'art mural a été créé en 1989 pour la mise en valeur de cet ensemble abbatial remarquable qu'est l'église de Saint-Savin sur Gartempe, qualifiée en son temps de Sixtine romane. Les partenaires ont souhaité confier à ce Centre une mission de formation autour de l'art mural. Il s'agit aussi d'un lieu de documentation, dans l'objectif de lancer des recherches, de mettre en réseau les bases de données, et un centre de diffusion des travaux scientifiques. Un centre d'interprétation des peintures murales est intégré dans le projet de valorisation de l'abbaye. Les anciennes cellules des moines ont été transformées en espace d'interprétation. Saint-Savin est labellisé pôle d'économie du patrimoine.
Les Chemins de Saint Jacques de Compostelle en France
Les actions en cours sont nombreuses à partir de cette thématique : guide thématique Gallimard, carte régionale des itinéraires routiers de Saint Jacques, guide de chemins pédestres. Nous avons également lancé des actions de soutien, de coordination des animations culturelles sur la thématique de ces Chemins. Il s'agira de baliser les itinéraires, d'aménager les haltes jacquères, de restaurer et d'animer les monuments désormais inscrits au patrimoine mondial, pour les ouvrir à la création et
la diffusion d'oeuvres contemporaines, développer des actions de formation et mobiliser la population le long de ces Chemins autour du patrimoine.
La numérisation du patrimoine
Dans le cadre de la loi sur la démocratie de proximité, la région a déposé une candidature auprès du Ministère de la culture pour signer un protocole expérimental sur la numérisation du patrimoine. Le thème choisi se trouve au carrefour de la valorisation du patrimoine régional et de la création artistique dans le domaine de l'image, en vue de développer des partenariats autour des projets de mise en valeur et de médiation du patrimoine, dans lesquels la numérisation pourra apporter une dimension complémentaire. Le Centre d'interprétation d'Aulnay, église romane sur les Chemins de Saint Jacques de Compostelle en France, sera spécialisé sur la thématique du bestiaire roman. Elle pourrait se voir proposer de numériser les documents qui seront amenés à être consultés Le Centre réaliserait parallèlement une exposition virtuelle au travers de bornes multimédia, du réseau Internet et sous forme de CD-Rom. Les entreprises régionales très actives dans le domaine de l'image seront associées à cette action.
Enfin, le Patrimoine et la création contemporaine.
La mise en valeur du patrimoine prend donc une nouvelle dimension, en contribuant à la création contemporaine, et dans le développement des industries de l'image et de la connaissance. La réalisation de ces objectifs répond à une volonté de mise en commun des expériences, des moyens et des projets. Dès lors, des ambitions d'une telle ampleur dépendent de l'adhésion des populations locales. La démarche entreprise dans notre région en est une bonne illustration. Elle a été conçue de façon déconcentrée, laissant la part belle aux villes, aux départements et aux citoyens. C'est la convergence de nos engagements qui permettra le renforcement de nos actions. Le patrimoine est universel et nous concerne tous. Sachons bâtir ensemble cette grande aventure.
Monsieur Jean Musitelli , Ambassadeur, Délégué permanent de la France auprès de l'UNESCO
Vous venez d'illustrer un nouveau volet d'un patrimoine extrêmement ancien, et de montrer à quel point ce n'est pas la nostalgie qui prévaut mais le souci de mettre en oeuvre les technologies les plus modernes, dans un objectif de développement local parfaitement en conformité avec les valeurs du patrimoine mondial.
Nous écoutons Yves Dauge, dont je salue à mon tour le rôle pionnier qu'il a joué au coeur de nos réflexions. Il a également beaucoup contribué à rapprocher notre pays de l'UNESCO.
E. LE RÉSEAU DES VILLES DE FRANCE ET L'INTERCOMMUNALITÉ, RELAIS ESSENTIELS POUR UNE POLITIQUE DU PATRIMOINE MONDIAL
Par Yves Dauge,
Sénateur d'Indre et Loire, Maire de Chinon,
(France)
Je présenterai deux exemples de coopération décentralisée. Le premier porte sur le Val de Loire, récemment inscrit, et le second à l'étranger, à Luang Prabang, dans la République démocratique populaire lao, avec l'aide importante du Ministère des affaires étrangères.
Le Val de Loire.
Le site du Val de Loire est extrêmement vaste, ce qui génère des situations complexes en termes de gestion. C'est à ce niveau que nous nous heurtons aux plus grandes difficultés, car le site couvre 160 communes, un million d'habitants, quatre départements, deux régions (Centre et Pays de Loire), six agglomérations, avec 280 kilomètres de long et 800 kilomètres carrés de superficie.
Lors de l'inscription, l'UNESCO a interrogé la France sur la manière dont elle comptait gérer cette surface. Un syndicat mixte interrégional a été créé entre les deux régions, chargé de mettre en place un outil opérationnel, la Mission Val de Loire. Organe politique, la conférence territoriale réunit la plupart des élus des villes, départements et régions (environ 15 membres). Pour bien articuler nos politiques avec le terrain, un Comité de développement sera mis en place prochainement. Il rassemblera les chambres de métiers et de commerces, et de nombreuses associations, qui ont largement soutenu ce programme.
La Mission Val de Loire, localisée à Tours, comporte une équipe permanente de six personnes. Elle est chargée de coordonner et d'animer, en apportant un plus qui ne perturbe pas le travail de chacun mais offre une dimension nouvelle dans un vaste territoire, sans quoi nous serons rejetés. Il s'agit d'une structure légère, clairement identifiée et au caractère interrégional.
Nous valoriserons le territoire sur le thème du patrimoine, mettrons en réseau de nombreux acteurs, et conduirons un vrai travail sur la connaissance. Cela implique un travail d'investigation important, la mise à disposition de la connaissance par des outils de communication.
Nous travaillerons sur quatre domaines d'actions prioritaires :
- la gestion raisonnée du label, pour éviter de le dévoyer ;
- une action d'information et de sensibilisation ;
- l'impulsion de projets novateurs ;
- une charte d'engagement des collectivités locales.
Nous articulerons notre action avec un dossier très important : la gestion du risque sur ce grand fleuve. Il nous importe d'articuler les deux dimensions patrimoniale et de sécurité. On ne peut pas parler du patrimoine à la population sans gérer le risque de catastrophe naturelle. Cela nous conduit à créer un institut international ciblé sur la question des grands fleuves du patrimoine mondial. Ce projet que nous montons avec l'UNESCO associe les universités de Tours, Poitiers, Orléans et Angers. Cet institut jouera un rôle important en matière de recherche, de diffusion d'information, de qualification pour des diplômes de haut niveau et de formation professionnelle et continue d'un ensemble de responsables du monde entier concernés par ces problématiques.
La ville de Luang Prabang au Laos.
Chacun connaît cette ville magnifique, historique et religieuse de la taille de Chinon, avec un secteur sauvegardé.
Lors de son classement en 1995, l'UNESCO s'est interrogée légitimement sur la façon dont le site allait être géré. Dans un État comme la République démocratique populaire lao, très centralisé, qui ne compte pas encore de collectivités territoriales, comment gérer un tel site ? Il s'agit de prendre en compte les éléments patrimoniaux fondamentaux de la ville pour en faire du développement. Face à ce défi, le gouvernement de la République démocratique populaire lao a sollicité une aide. L'UNESCO a donc demandé à la France de proposer une ville susceptible d'aider la République démocratique populaire lao. La ville de Chinon a ainsi été chargée d'élaborer un plan de sauvegarde et de mise en valeur de la ville, et de proposer un dispositif opérationnel de mise en oeuvre.
La maison du patrimoine
Comme pour le Val de Loire, nous avons besoin localement d'un outil central opérationnel qui, s'il n'existe pas, doit être créé. Ici, il s'agit de la Maison du patrimoine, service public de la collectivité, mis en place par le Gouvernement laotien à l'échelle locale. Cette Maison s'appuie sur un Comité local du patrimoine qui rassemble les ministères présents dans la ville et la province. L'assemblée des chefs de village constitue un organe de consultation, dans un souci de légitimité.
La Maison du patrimoine est située dans l'ancienne maison des douanes, réhabilitée par la région Centre. L'équipe est plus nombreuse que celle du Val de Loire, avec dix personnes, architectes laotiens. En même temps, nous conduisons un important travail de formation. Nous bénéficions également de l'appui d'un architecte des bâtiments de France, et de nombreux experts, notamment sur la fameuse question des zones humides : c'est toute la respiration écologique de la ville qui est en cause. Nous avons conduit un travail pédagogique énorme avec l'UNESCO pour éviter le comblement de cette zone. Si l'équipe est appuyée par des experts, il ne nous appartient pas de nous substituer aux autorités locales. Elle comprend quatre pôles : architecture et artisanat, environnement, financier et social. On ne peut faire de développement sans travailler avec les habitants, s'ils ne comprennent pas que le patrimoine représente une chance d'amélioration de leurs maisons.
Le plan de sauvegarde.
Nous avons mis quatre ans à élaborer un plan de sauvegarde, qui englobe le patrimoine religieux, villageois, de zone humide, d'espace public, et immatériel. Il faut ensuite expliquer le projet aux habitants, avec l'appui des chefs de village. L'ensemble aboutira à des projets pilotes. Je remercie de ce point de vue l'Agence française de développement, qui nous a accompagnés dans la mise en oeuvre de ce plan à hauteur de 25 millions de francs. Les fonds sont insufflés dans les villages pour réaliser des équipements de proximité, pour réhabiliter l'habitat et pour éviter que la politique patrimoniale ne soit perçue comme une contrainte extérieure. Au contraire, nous voulons que notre politique soit perçue comme une chance dont chacun peut profiter. Ce pari n'est pas gagné d'avance.
Le Centre du patrimoine mondial a été l'acteur central, de même que l'Agence française de développement. L'Union européenne a également financé plusieurs programmes, notamment sur les zones humides et les marchés de la ville, en faisant en sorte qu'ils soient gérés par la population.
Je remercie le Ministre des Affaires étrangères, qui a accepté de soutenir l'opération, les ministères français de la culture et de l'équipement. Nous avons été très aidés. Au-delà des fonds, nous avons bénéficié d'une grande aide en matière grise. Nous avons appris beaucoup, à travers un échange d'une immense richesse pour tout le monde.
Monsieur Jean Musitelli , Ambassadeur, Délégué permanent de la France auprès de l'UNESCO
Je remercie le Sénateur-Maire de Chinon pour la présentation de ces deux cas. On constate que le patrimoine, parmi d'autres vertus, est un levier permettant de faire évoluer les structures administratives. Nous sommes obligés d'innover, de créer, en cherchant le consensus auprès des autorités locales et des populations.
Je suis chargé de vous transmettre un message au nom de Monsieur Anders Johnson, Président de l'Union interparlementaire : « Comme en témoignent plusieurs résolutions récentes de l'Union interparlementaire, en particulier sur le dialogue entre les civilisations et les cultures adoptée en mai 2000, et sur l'éducation et la culture en tant que facteur indispensable à une participation des hommes et des femmes à la vie politique, ainsi que sur le développement des peuples, l'Organisation mondiale des parlements est profondément attachée à la défense de la diversité culturelle, et souhaite que cette dernière soit préservée, face au risque de mercantilisation des patrimoines matériels et immatériels, et à la menace d'appauvrissement intellectuel qui en découle. Aussi l'Union interparlementaire s'associe-t-elle à la présente conférence, examinant les possibilités des élus locaux dans la gestion du patrimoine, et lui souhaite d'aboutir dans son travail d'inventaire des textes sur le patrimoine et la décentralisation ».
F. LES NOUVELLES TECHNOLOGIES : NOUVEAUX OUTILS POUR LA PROTECTION DU PATRIMOINE MONDIAL
Par François Brun,
Directeur général adjoint de l'Institut géographique national (IGN, France)
L'IGN est un établissement public à caractère administratif, dont la mission est d'établir et de maintenir à jour la carte de France. Le concept de carte a évolué depuis son origine, au fur et à mesure de l'évolution des besoins et des techniques. C'est cette évolution que je vais vous retracer, en montrant comment la représentation du temps et de l'espace peut contribuer modestement à la conservation du patrimoine mondial.
L'évolution des techniques.
Au départ, les Anciens ont représenté l'espace de façon bidimensionnelle. Sous Louis XIV, l'élaboration d'une carte de France faisait déjà intervenir les techniques les plus pointues en matière de positionnement. Un autre type de représentation bidimensionnelle est l'illustration, comme les Très Riches Heures du Duc de Berry. S'agissant des bâtiments remarquables, les premiers relevés intégraux en trois dimensions sont apparus à la fin du XIX e siècle, avec l'appui de la photographie. Un couple de photos permet de voir le relief, de la même manière que nous voyons avec chacun de nos deux yeux une image que notre cerveau combine et qui nous permet d'apprécier la distance d'un objet.
Une photographie tridimensionnelle du château de Vincennes au XIX e siècle est projetée.
Pour parvenir à ce genre de matérialisation, on est amené à déterminer sur l'édifice des points qui permettront d'effectuer de réelles mesures, puis à l'aide d'un appareil de restitution, de dessiner ce que l'on voit en relief dans différents plans. Les techniques se sont mises progressivement non plus au service de sites remarquables mais de sites complets, comme la Loire, le bassin de la Ruhr, ou le Grand Lyon. La même technique utilisant un couple de photos utilisées en l'air (grâce à l'aviation) permet de la même façon d'obtenir des images aériennes en relief.
Une photographie aérienne tridimensionnelle du Mont-Saint-Michel est projetée.
Cette image sommaire représentait à l'époque une prouesse technique : chaque volume du Mont-Saint-Michel est représenté de façon précise, même si les détails architecturaux sont largement occultés.
Des photographies de la Butte Montmartre sont projetées.
Ces illustrations correspondent à ce que l'on savait faire de mieux jusqu'à il y a une quinzaine d'années, et qui ne s'appliquaient que sur des sites historiques à préserver, compte tenu du coût de la mise en oeuvre de ces techniques.
Les technologies actuelles :
La première nouveauté résulte de la capacité accrue de traitement de l'image numérique, et la combinaison de celle-ci avec des projets. L'IGN a développé des applications en partenariat avec des collectivités publiques ou des entreprises, dans le domaine de l'aménagement. Les préoccupations d'aménagement sont proches de celles de la protection du patrimoine : il s'agit dans les deux cas de concilier un espace et une activité humaine, en appréciant les risques et les contraintes.
Une image virtuelle d'une vue de la Défense est projetée.
Sur cette image aérienne tridimensionnelle ont été insérés les bâtiments stylisés, tout en conservant la finesse de la photographie aérienne initiale. Cette vue permet de réaliser des simulations : simulation de bruits (promeneurs, circulation routière) sur les différents étages de l'immeuble. Ces considérations ont leur intérêt dans un projet d'aménagement.
Nous réalisons également des simulations de régime de pollution atmosphérique. Nous regardons comment, avant le traitement d'une usine, les bâtiments situés sous le vent reçoivent les différents effluents. Après rejets, on obtient des effluents moindres dans la zone concernée. Cet exemple illustre le type de concertation que nous conduisons en matière d'aménagement.
Citons également l'exemple d'une simulation de risque d'inondation.
Les systèmes d'information géographique (SIG/GIS)
Cette deuxième nouveauté se matérialise par une représentation du terrain avec ses courbes de niveau, puis un travail sur l'image elle-même, puis sur l'occupation humaine, généralement liée à des bâtiments. Dans un aménagement d'espace, l'un des éléments marquants de nos paysages français correspond à l'espace végétal arboré. Ces différents éléments permettent d'élaborer un modèle de synthèse dans lequel on peut se déplacer, implanter de nouveaux projets, et apprécier l'intégration du projet dans l'espace existant.
Un exemple d'évolution de la végétation est projeté.
Nous avons plus de difficultés à nous représenter non plus l'espace tel qu'il est mais la façon dont il va évoluer, en fonction de l'action humaine ou de l'action naturelle. Par exemple, on verra progressivement pousser des peupliers en bord de Loire, sur les zones de déprise agricole. On repère sur la première image une petite plantation, qui va grossir, et ainsi de suite. On obtient ensuite une représentation du paysage à trente ans.
Ce type d'outil demeure expérimental et résulte de recherches du CIRAD (Centre international de recherche agronomique pour le développement). Le CIRAD a réussi à modéliser la croissance de végétaux, et à les représenter tant dans leur croissance qu'aux différentes saisons.
La modélisation d'un rond-point est projetée, avec des élargissements d'axes d'accès.
L'image est entièrement fausse, tout en utilisant des mesures faites à partir d'une photo aérienne.
À partir d'une représentation numérique de l'espace, il est également possible de se déplacer sur un paysage.
Un exemple situé dans les calanques de Marseille est projeté.
Il ne s'agit pas d'un jeu vidéo, mais de photos aériennes sur lesquelles ont été mis en relief les bâtiments. On peut se déplacer dans le paysage en fonction du relief et de l'axe choisi.
Technologies et politiques publiques de protection du patrimoine mondial
J'ai écouté les intervenants de ce matin exposer leur vision du patrimoine et son élargissement. Il nous revient de nous approprier ces outils pour les mettre au service des politiques publiques de protection du patrimoine mondial. Les techniques de conservation existent, et des techniques de mise en valeur émergent enfin d'outils plus naturels. Ils permettent d'éclairer les choix, de communiquer sur les projets et de faire prendre conscience des différents enjeux.
J'ajoute en conclusion que la vision de l'artiste a également son importance.
Un tableau de Cézanne est projeté.
Sur ce tableau figure au premier plan une cheminée d'usine, qui marque le mariage de l'espace et de l'activité humaine. La présentation de M. Vesper sur la Ruhr me laisse penser que la vision de l'artiste rejoint la préoccupation du politique.
* 1. III e Table ronde des Ministres de la culture, «Le patrimoine culturel immatériel, miroir de la diversité culturelle», Istanbul (Turquie), 16-17 Septembre 2002, << www.unesco.ch/work-d/tableronde_f.htm >>
*
2. Sommet mondial pour le développement durable, Johannesburg (Afrique du Sud), 26 août- 4 septembre 2002,
<<
www.un.org/french/events/wssd/
>>
* 3. Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (La Haye, 14 mai 1954), << www.unesco.org/culture/laws/hague/html_fr/page1.shtml >>
* 4. Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels , adoptée à Paris le 14 novembre 1970, Entrée en vigueur le 24 avril 1972, << www.unesco.org/culture/laws/1970/html_fr/page1.shtml >>
*
5. Convention d'UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, Rome, 24 juin 1995,
<<
www.unidroit.org/french/conventions/c-cult.htm
>>
*
6.
Convention de l'UNESCO sur la protection du patrimoine culturel subaquatique
,
Paris, 2 novembre 2001,
<<
www.unesco.org/culture/legalprotection/water/images/freconv.doc
>>
* 7 . Document de Nara sur l'authenticité, 1994, << www.international.icomos.org/naradoc_fre.htm >>
* 8 . Convention France-UNESCO