LES COLLECTIVITES LOCALES ET LA CULTURE EN FRANCE ET AU JAPON
Palais du Luxembourg - 31 janvier 2008
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ALLOCUTIONS D'OUVERTURE
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LES COLLECTIVITÉS LOCALES ET LA CULTURE :
ÉTAT DES LIEUX EN FRANCE ET AU JAPON,
PRÉSIDÉ PAR M. JACQUES VALADE
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L'ACTION CULTURELLE,
UN ENJEU DU DÉVELOPPEMENT LOCAL,
PRÉSIDÉ PAR M. TADASHI TOKISAWA
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A. LA CONTRIBUTION DES COLLECTIVITÉS LOCALES AU DÉVELOPPEMENT DE LA CULTURE EN FRANCE
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B LA CONTRIBUTION DE L'ACTION CULTURELLE
EN FAVEUR DU DÉVELOPPEMENT LOCAL EN FRANCE :
TOURISME, EMPLOI, QUALITÉ DE VIE, PRÉSERVATION DU PATRIMOINE...
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C. LA CONTRIBUTION DES COLLECTIVITÉS LOCALES AU DÉVELOPPEMENT DE LA CULTURE AU JAPON
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D. LA CONTRIBUTION DE L'ACTION CULTURELLE
EN FAVEUR DU DÉVELOPPEMENT LOCAL AU JAPON :
TOURISME, EMPLOI, QUALITÉ DE VIE, PRÉSERVATION DU PATRIMOINE...
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E. LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE ENTRE LA FRANCE ET LE JAPON
DANS LE DOMAINE CULTUREL
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A. LA CONTRIBUTION DES COLLECTIVITÉS LOCALES AU DÉVELOPPEMENT DE LA CULTURE EN FRANCE
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CONCLUSION
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ANNEXE
COLLOQUE ORGANISÉ SOUS LE HAUT PATRONAGE
DE M. CHRISTIAN PONCELET, PRÉSIDENT DU SÉNAT
Co-présidence de M. Jacques Valade, ancien ministre,
Président de la commission des Affaires culturelles du Sénat,
Président du groupe d'amitié France-Japon ,
Et de M. Tadashi Tokisawa, directeur général de CLAIR Paris
M. Bruno LEPRAT, journaliste, animateur du colloque
Bonjour et bienvenue au Sénat.
Quelles relations les collectivités locales de France et du Japon entretiennent-elles avec la culture ? Quels sont les moyens mobilisés pour la culture ? Comment l'action culturelle est-elle mise au service du développement ici et au Japon ? Quelle place a-t-elle trouvé dans le cadre de la coopération décentralisée entre la France et le Japon ?
Notre temps d'échange nous permettra notamment de répondre à ces questions. Une douzaine d'orateurs interviendra au cours de l'après-midi. J'ai été chargé d'assurer l'animation des échanges.
Je vous rappelle que les actes de ce colloque seront, comme d'habitude, disponibles dans quelques mois.
Je vous propose, en ouverture de ce colloque, d'entendre, tour à tour, MM. Jacques Valade, Yutaka Iimura et Tadashi Tokisawa.
ALLOCUTIONS D'OUVERTURE
M. Jacques VALADE, ancien Ministre, Président de la commission des Affaires culturelles du Sénat, Président du groupe d'amitié France-Japon
Monsieur l'Ambassadeur, Monsieur le Directeur général, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui pour ce quatrième colloque organisé conjointement par le Sénat et le Centre japonais des collectivités locales.
Ce quatrième colloque témoigne de la qualité des relations qui unissent nos deux institutions. Notre réunion s'inscrit cette année dans le cadre des actions de commémoration du 150 e anniversaire des relations diplomatiques franco-japonaises et constitue, pour le Sénat, la première occasion de marquer ses liens très forts avec le Japon. Il s'agit bien de la première occasion, car nous avons évoqué d'autres manifestations que nous pourrons organiser conjointement.
C'est à double titre que j'ai le plaisir de vous accueillir aujourd'hui : d'une part, en ma qualité de président du groupe sénatorial d'amitié France-Japon et, d'autre part, compte tenu du thème retenu pour vos débats, en tant que président de la commission des Affaires culturelles du Sénat.
Je tiens à vous faire part d'un mot d'accueil particulier au nom de M. Christian Poncelet, Président du Sénat, qui a toujours porté un regard attentif sur les relations entre le Japon et la France et qui a voyagé à plusieurs reprises au Japon.
Le rôle des collectivités locales dans le domaine de la culture est important dans nos deux pays. En effet, les collectivités territoriales ont compris l'importance de l'action culturelle pour l'attractivité des territoires. Je vais évoquer plus particulièrement le cas français. La découverte de la culture japonaise par nos concitoyens est non seulement caractérisée par un étonnement, mais aussi par un émerveillement.
Depuis la création du ministère de la Culture, en 1959, le paysage culturel de la France s'est profondément transformé. Le temps de la distance mutuelle entre l'Etat et les collectivités territoriales est révolu, tout particulièrement dans le domaine de la culture. La méfiance d'un ministère parisien, porteur d'une vision élitiste de la culture, face à des élus locaux, assimilés à d'éventuels gentils organisateurs de manifestations folkloriques, a disparu devant la vitalité de la création culturelle dans les régions, les départements et les communes de France.
La culture est aujourd'hui reconnue comme un élément essentiel de l'identité d'un territoire et les élus locaux ont, tous, partout, quelle que soit leur couleur politique, pris conscience de l'importance de la culture dans l'action publique et dans l'animation de la vie collective.
Alors que les premières lois de décentralisation de 1982 et 1983 ont institué clairement le rôle central de l'Etat en matière de politique culturelle, tout en laissant aux collectivités la possibilité de participer au développement culturel des territoires relevant de leurs compétences, ces dernières ont fait rapidement usage de ces compétences facultatives pour investir le domaine culturel.
En 2001, le Premier ministre a posé les principes d'une nouvelle étape de la décentralisation et a proposé d'engager des expérimentations afin de préfigurer une nouvelle répartition des compétences de l'Etat et des collectivités territoriales. Le ministère de la Culture a alors mis en oeuvre, avec une centaine de collectivités, quatorze expérimentations de décentralisation, signé douze protocoles avec des régions ou des départements et mis en place un Observatoire des politiques culturelles.
De larges secteurs de la politique culturelle sont donc devenus des secteurs d'intervention conjointe de l'Etat et des collectivités locales, ce qui entraîne l'obligation, pour agir efficacement, de s'entendre, de travailler ensemble et d'associer les moyens.
C'est ainsi que les régions se sont particulièrement investies dans le secteur du cinéma par le biais de conventions signées entre l'Etat et le Centre national de la cinématographie. Les aides régionales à la production et à la création ont représenté 49 millions d'euros en 2006 et un tournage sur deux en a bénéficié. J'insiste sur ce point car l'action culturelle, et notamment le développement du cinéma en région, ne fait absolument pas partie des compétences régionales. Cette extension a néanmoins été souhaitée et a donné d'excellents résultats.
Quant aux départements, ils ont été autorisés à exercer leurs compétences dans le secteur du patrimoine : inscription à l'inventaire des monuments historiques, incitation à créer des services d'archéologie préventive et de transfert, sur la base du volontariat, de 178 monuments historiques de l'Etat au département. Le transfert du château du Haut-Königsberg au département du Bas-Rhin en est un exemple emblématique. Enfin, les villes, quelle que soit leur taille, sont organisatrices de nombreux festivals ou de manifestations de toute nature.
La commission des Affaires culturelles du Sénat a accompagné ce mouvement en déposant, en 1999, une proposition de loi permettant la création de l'établissement public de coopération culturelle (EPCC), nouveau cadre juridique pour que soient mieux maîtrisés et gérés les projets d'envergure intéressant plusieurs collectivités.
Cette proposition de loi a fait l'unanimité et a été adoptée. Nos collègues de l'Assemblée nationale l'ont également adoptée. Ce nouvel outil, exemplaire, permet d'organiser la coopération culturelle au plan local.
Par ailleurs, les collectivités locales ont investi le secteur des relations culturelles internationales à travers la coopération décentralisée. Ces actions culturelles des collectivités territoriales ont connu, au cours des dernières années, un essor remarquable.
Le Sénat, dans son double rôle de législateur et de représentant des collectivités territoriales, se devait de s'intéresser à cette dimension de la décentralisation. A cette fin, il a créé une Délégation du Bureau à la coopération décentralisée, qui s'est attachée à dresser un inventaire de ces multiples actions, à en améliorer les conditions d'exercice et à en évaluer l'impact, tant en termes de dynamique territoriale que sur le rayonnement de la France dans le monde.
L'action des collectivités locales dans le secteur culturel est donc devenue une réalité, voire une réalité quotidienne, largement partagée par les habitants de nos collectivités. Comme l'a montré le séminaire organisé en juin 2006 par le ministère de la Culture sur l'attractivité culturelle des territoires, les collectivités locales financent aujourd'hui les deux tiers des événements culturels, pour l'essentiel dans le spectacle vivant. Cela entraîne de nouvelles responsabilités en matière d'emploi culturel. Les collectivités sont devenues des financeurs, des donneurs d'ordre et des employeurs de personnels culturels.
C'est à ces différents titres que les uns et les autres doivent s'attacher à lier davantage les commandes ou subventions au respect, par les employeurs, des règles du droit du travail, dans le but de pérenniser l'emploi artistique. Les solutions des problèmes relatifs aux intermittents du spectacle - qui ne sont pas encore totalement mises en place - doivent, de ce fait, être partagées entre l'Etat, les professionnels du spectacle et les entreprises, sans oublier les collectivités territoriales.
Il me paraît aujourd'hui impératif de porter une plus grande attention à la contribution essentielle du secteur culturel à l'économie française. Il représente environ 470 000 actifs, soit 2 % des emplois totaux - dont plus de la moitié travaille dans des institutions culturelles. Il est également nécessaire d'améliorer la coordination de toutes les actions afin de faire du ministère de la Culture un véritable ministère de l'aménagement culturel.
Notre rencontre, aujourd'hui, va nous permettre de confronter notre propre expérience en la matière à celle de nos amis japonais, en mettant l'accent sur l'apport des collectivités territoriales au développement de la culture dans nos deux pays.
Je vais dans un instant laisser la parole à Son Excellence M. Yutaka Iimura, ambassadeur du Japon en France, puis à M. Tadashi Tokisawa, directeur général de CLAIR Paris, lesquels vont nous éclairer sur l'approche du Japon vis-à-vis de ce sujet.
Après ces allocutions d'ouverture, nous procèderons à un état des lieux des initiatives prises par les collectivités territoriales, dans le cadre de leurs compétences culturelles. Je tiens à remercier les sénateurs qui ont accepté de participer à ce colloque, M. Yves Dauge et Mme Catherine Morin-Desailly. Nous sommes particulièrement attentifs à la participation de M. Yves Dauge, grand promoteur, sous l'égide de l'Unesco, de la sauvegarde du patrimoine architectural et de son rôle dans le développement local. Quant à Mme Catherine Morin-Desailly, elle est à l'initiative d'un groupe de travail constitué en annexe des activités de la commission des Affaires culturelles sur le spectacle vivant. Au titre de ses responsabilités municipales à Rouen, elle s'engage également activement dans la promotion de la culture.
Enfin, j'aurai également l'occasion de saluer M. Antoine Joly, délégué pour l'action extérieure des collectivités locales, au ministère des Affaires étrangères, et chargé, à ce titre, de développer tous les liens de coopération décentralisée, puisqu'il lui reviendra de faire la synthèse de nos travaux et d'en tirer les enseignements.
Je tiens à saluer nos collègues maires de Gifu et d'Utsunomiya, qui sont venus du Japon pour nous présenter leurs sentiments sur le développement de nos actions et voir comment nous pouvons développer symétriquement des actions dans le domaine de la culture au niveau territorial.
Je vous remercie d'être venus aussi nombreux pour participer à ce colloque, et je tiens enfin à remercier tout particulièrement les organisateurs de cette manifestation.
M. Yutaka IIMURA, Ambassadeur du Japon en France
Monsieur le président, Messieurs les sénateurs, Messieurs les maires du Japon, Monsieur le directeur général, Monsieur le secrétaire, Madame le directeur, Mesdames et Messieurs, je tiens à vous exprimer l'immense plaisir que j'ai aujourd'hui à assister à l'ouverture de cette rencontre.
Ce forum est organisé chaque année, depuis l'an 2000, par CLAIR Paris, souvent avec le concours du Sénat. Je voudrais rendre hommage à Monsieur Jacques Valade, sénateur et président du Groupe France-Japon du Sénat, ainsi qu'à Monsieur Tadashi Tokisawa, directeur de CLAIR Paris, pour les efforts qu'ils accomplissent.
Cette année, deux personnalités représentantes de la vie municipale du Japon nous font l'honneur de leur présence : Monsieur Shigemitsu Hosoe, maire de la ville de Gifu, membre du Conseil d'Administration de l'Association nationale des Maires du Japon, et Monsieur Eiichi Satô, maire de la ville d'Utsunomiya, ville jumelée avec Orléans. Je tiens à leur exprimer mon respect et ma gratitude pour leur aimable coopération à ce forum.
Au Japon, l'autonomie locale, qui est prescrite dans la Constitution du Japon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, s'est beaucoup développée depuis la fin des années 90 grâce aux réformes de la décentralisation. S'agissant de la culture, thème de ce forum, les autorités locales se sont dotées d'une section qui a pour mission de conserver et d'exploiter le patrimoine culturel et de promouvoir les arts et la culture, en vue de favoriser le dynamisme local.
Quant à la France, il semblerait que la décentralisation y ait été fortement développée depuis les années 80. Ainsi, pour promouvoir la culture, chaque région est dotée d'une Direction Régionale aux Affaires Culturelles (DRAC) qui s'occupe de l'élaboration et de la mise en place de la politique culturelle. Il me semble que la vie culturelle des villes est également de plus en plus active.
Ce forum, au cours duquel les deux parties française et japonaise présenteront leurs propres expériences, nous permettra d'apprendre davantage sur leur vision concernant l'équilibre des pouvoirs entre l'Etat et les collectivités locales dans leur contexte historique. Je souhaite vivement que ce forum contribue à donner des indications quant à l'orientation future dans ce domaine et qu'il connaisse ainsi un grand succès.
L'année 2008 marque le 150 e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et le Japon. En effet, 150 ans se sont écoulés depuis 1858, date à laquelle le représentant de l'Empereur Napoléon III et le représentant du Shôgun ont signé un traité d'amitié et de commerce.
Depuis, notre pays s'est beaucoup inspiré des pratiques utilisées en France dans de nombreux domaines. Très peu de Français savent néanmoins que le Code civil du Japon est basé sur le code napoléonien. En outre, la pensée politique française a été introduite au Japon au milieu du XIX e siècle. La démocratie a, en quelque sorte, reposé sur une pensée politique datant d'il y a presque deux siècles. La première usine de textile au Japon a été construite par des ingénieurs français. Le premier chantier naval, les institutions militaires, etc., ont également été mis en place avec le concours de la France. Malheureusement, la France ayant perdu la guerre en 1870, le Japon s'est davantage rapproché de l'Allemagne à compter de cette date. La Préfecture de police de Tokyo a été établie sur le modèle de la Préfecture de police à Paris. Ces quelques exemples montrent les nombreuses similitudes entre les deux pays.
Le Japon a également contribué, modestement, à l'enrichissement de la vie culturelle française. Ainsi, les arts japonais ont influencé les activités artistiques de la France au travers du japonisme. Il ne fait aucun doute que, sans le concours de la France, la modernisation du Japon n'aurait pas été celle que l'on connaît aujourd'hui. Peut-être n'aurait-elle tout simplement pas été possible.
Depuis trois décennies, les relations franco-japonaises se développent de manière plus équilibrée. A l'heure actuelle, la France est le troisième partenaire du Japon en termes d'investissements, le Japon étant le deuxième partenaire de la France, non européen, dans ce domaine. La coopération nucléaire entre la France et le Japon constitue un bon exemple de la coopération qui existe entre nos deux pays. Les exemples de coopération (Renault-Nissan, etc.) ne manquent pas.
Quoi qu'il en soit, il reste encore beaucoup à faire pour resserrer encore davantage les liens qui existent entre la France et le Japon et pour approfondir notre amitié. L'année 2008, date anniversaire, est par conséquent très importante pour nos deux pays. Nous aurons ainsi l'occasion, non seulement de fêter cette année commémorative en organisant des manifestations culturelles, mais aussi de relancer l'ensemble des relations bilatérales dans plusieurs domaines : sciences et technologies, investissements, environnement, échanges culturels, échanges personnels, etc. J'insiste particulièrement sur la nécessité d'encourager la collaboration entre les collectivités locales japonaises et françaises.
J'espère sincèrement que ce forum, qui est l'un des événements importants de cet anniversaire, constituera l'occasion d'approfondir la compréhension mutuelle entre responsables et chercheurs des collectivités locales et qu'il contribuera ainsi au développement des échanges entre nos deux peuples.
Je vous remercie de votre attention.
M. Tadashi TOKISAWA, Directeur général de CLAIR Paris
Monsieur le ministre, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Monsieur l'Ambassadeur, Mesdames et Messieurs, en tant que co-organisateur de ce colloque franco-japonais, je vous remercie pour votre présence aujourd'hui et je souhaite vous dire quelques mots de bienvenue.
Le Centre japonais des collectivités locales organise, depuis l'an 2000, un colloque franco-japonais sur les collectivités locales. Les objectifs poursuivis au travers de ces rencontres sont de permettre aux experts de nos deux pays de réfléchir ensemble aux questions liées à l'administration territoriale et de satisfaire la demande des représentants des collectivités françaises et japonaises concernant la mise en place d'un espace d'échanges autour du thème commun de « l'autonomie locale ».
C'est la huitième fois que se tient un tel colloque, mais la quatrième fois que nous avons le plaisir de l'organiser, à plus grande échelle, en partenariat avec le Sénat.
Permettez-moi de vous présenter notre organisation. Le Centre japonais des collectivités locales, souvent désigné par son acronyme anglais « CLAIR », est une fondation publique japonaise fondée en 1988, dont le but est de soutenir et d'encourager les démarches d'internationalisation des collectivités locales japonaises. Le centre principal de Tokyo s'appuie sur ses bureaux de Paris, New York, Londres, Singapour, Séoul, Sidney et Pékin pour développer son réseau à l'international.
CLAIR encourage les activités des collectivités locales japonaises à l'étranger et y mène des études sur les politiques de développement et d'internationalisation des territoires. Les bureaux internationaux de CLAIR sont également chargés de faire connaître le plus largement possible le système administratif local japonais et les politiques mises en oeuvre par les collectivités locales japonaises.
CLAIR fait également la promotion du programme JET, qui permet à des jeunes du monde entier de venir travailler dans les collectivités japonaises, soutient les activités de coopération internationale entre collectivités locales (jumelages) et contribue à la formation des futurs acteurs de l'internationalisation des collectivités.
À l'heure actuelle, il existe entre la France et le Japon quarante-sept jumelages ou pactes d'amitié entre collectivités locales. Dans le cadre du thème du colloque de cette année, « les collectivités locales et la culture en France et au Japon », M. le maire d'Utsunomiya, Eiichi Sato, nous présentera le jumelage qui unit sa ville à Orléans, plus particulièrement du point de vue culturel.
Nous accueillerons également Mme Mari Kobayashi, maître de conférences en politique culturelle à l'Université de Tokyo et M. Shigemitsu Hosoe, maire de Gifu et membre du bureau de l'Association des Maires des Grandes Villes du Japon.
Comme l'a mentionné tout à l'heure Monsieur l'Ambassadeur, nous célébrons cette année le 150 e anniversaire des relations franco-japonaises. Un grand nombre d'événements aura lieu sur le sol français, dont les premières « Rencontres de la coopération décentralisée franco-japonaise », qui réuniront, en octobre prochain, à Nancy, les exécutifs des collectivités locales françaises et japonaises jumelées.
En cette année anniversaire, la tenue au Sénat français d'un colloque franco-japonais est donc un événement qui me tient particulièrement à coeur. Au mois de juillet prochain, nous fêterons également les vingt ans d'existence de CLAIR. Ce sera l'occasion de faire le bilan des actions menées jusqu'ici pour l'internationalisation des collectivités locales japonaises et de se tourner vers l'avenir.
Je vous remercie pour votre attention.
M. Bruno LEPRAT
Je vous remercie. Avant de poursuivre, je tiens à vous apporter des précisions sémantiques. Sachez que le mot culture se traduit par bunka , mot plutôt dynamique et facile à retenir. Quant au terme colloque , il se traduit par kaigi .
J'invite à présent M. Jean-Marie Pontier, côté français, et Mme Mari Kobayashi, côté tokyoïte, tous deux enseignants, à nous rejoindre pour faire un point sur la manière dont la culture est prise en main par les collectivités locales. Ils aborderont des questions relatives à la ventilation institutionnelle entre Etat et collectivités dans le domaine culturel et aux moyens financiers alloués à la culture en France et au Japon.
Comme nous l'avons déjà souligné, ce colloque est le quatrième colloque franco-japonais sur les collectivités locales, au Sénat. Pour mémoire, les thèmes précédents étaient « les systèmes de décentralisation en France et au Japon », en février 2000, « les collectivités locales et les nouvelles technologies », en février 2002, et « les modèles français et japonais du regroupement intercommunal », en février 2006.
Je donne à présent la parole à M. Jean-Marie Pontier, professeur de droit public et de droit de la culture à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne). Pour commencer, peut-être pourriez-vous nous expliquer comment, institutionnellement, les collectivités locales se sont invitées dans le « bal culturel » ?
LES COLLECTIVITÉS LOCALES ET LA CULTURE :
ÉTAT DES LIEUX EN FRANCE ET AU JAPON,
PRÉSIDÉ PAR M. JACQUES VALADE
A. DES COMPÉTENCES PARTAGÉES ET DES INITIATIVES DIVERSIFIÉES
a) En France
M. Jean-Marie PONTIER, professeur de droit public et de droit de la culture à Paris I, directeur du Centre de recherches administratives, directeur de l'Ecole doctorale des sciences juridiques et politiques
Je vous remercie. Cette première intervention sera consacrée aux compétences culturelles des collectivités locales.
La France est un Etat unitaire décentralisé, ce qui implique la reconnaissance de collectivités locales, appelées collectivités territoriales depuis la réforme constitutionnelle de 2003. Une telle organisation implique une répartition des compétences entre le niveau central - l'Etat - et le niveau local - les collectivités territoriales. Cette répartition des compétences peut découler de la Constitution, de la loi ou de principes jurisprudentiels.
En France, traditionnellement, cette répartition des compétences découle de la loi. Parmi les normes constitutionnelles, seule une disposition, qui figure dans le préambule de 1946 (alinéa 13), stipule que la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. Cette formule est particulièrement vague. Il n'est pas possible d'en tirer un contenu précis. En outre, le juge a toujours estimé qu'elle n'était pas d'application directe. Il n'est donc pas possible de s'en prévaloir directement devant un juge. Par ailleurs, cette formule n'envisage pas la question de la répartition des compétences culturelles entre l'Etat et les collectivités territoriales.
Je tiens à vous faire part d'une autre observation préliminaire. Jusqu'à une époque récente, le droit français ne contenait aucune disposition de loi relative aux compétences culturelles des collectivités territoriales. On pouvait trouver des lois sur les collectivités locales mais elles ne portaient pas sur les compétences ou, lorsqu'elles portaient sur les compétences, il ne s'agissait pas des compétences culturelles. Il y avait néanmoins - et il y a toujours - une jurisprudence administrative particulièrement importante. Celle-ci ne porte pas directement sur les compétences culturelles mais elle prévoit le service public culturel, notion qui a été inventée en France, il me semble.
La question du service public culturel reste néanmoins une question distincte de la question des compétences culturelles des collectivités territoriales.
Bien souvent, ce n'est qu'après avoir pris connaissance de la décision du juge que l'on sait qu'il s'agit d'un service public et, à plus forte raison, qu'il s'agit d'un service public culturel.
Les compétences culturelles des collectivités territoriales reposent aujourd'hui en France sur un double fondement.
- La clause générale de compétences
Il s'agit d'une formule qui découle d'une loi du 5 avril 1884 sur les communes, laquelle a ensuite été étendue au département et à la région. Selon cette formule, l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale règle, par ses délibérations, les affaires de la collectivité. Cette formule a été considérée comme un fondement de l'intervention des collectivités territoriales. En d'autres termes, au titre de la clause générale de compétences, les collectivités territoriales peuvent intervenir dans tous les domaines qui n'ont pas été attribués à d'autres personnes, publiques ou privées, dès lors qu'un intérêt public le justifie.
- Les lois
Il s'agit des lois qui sont intervenues depuis un quart de siècle environ. Laissez-moi vous citer la première et la dernière de ces lois sur les compétences culturelles. La première loi est celle du 22 juillet 1983, qui complète une loi du 7 janvier 1983. La dernière loi intervenue en matière de compétences culturelles est la loi du 13 août 2004, intitulée loi relative aux libertés et aux responsabilités locales.
Pour vous présenter les compétences culturelles, j'articulerai mon propos autour de deux axes : les compétences classiques des collectivités territoriales en matière culturelle, d'une part, et l'extension des compétences culturelles -laquelle découle des initiatives prises à la fois par l'Etat et par les collectivités territoriales - d'autre part.
LES COMPÉTENCES CLASSIQUES DES COLLECTIVITÉS LOCALES
Les compétences culturelles des communes
La commune est la catégorie de collectivités territoriales la plus privilégiée en matière culturelle. Les communes sont les collectivités territoriales qui interviennent le plus dans le domaine culturel. Leurs interventions culturelles concernent d'abord le patrimoine. Ce constat n'est pas surprenant compte tenu de l'histoire de la France, très ancienne et très mouvementée.
Le patrimoine se traduit par l'existence de monuments. Je vous rappelle qu'il y a 14 130 monuments classés en France, en sachant que 41 526 monuments sont inscrits.
Les musées font partie du patrimoine des communes. A l'heure actuelle, sur les 1 203 musées qui ont été recensés en France, plus de 900 relèvent des collectivités territoriales, et principalement des communes. Nombre de communes, y compris de petite taille, possèdent leur musée. Le musée est souvent né suite aux démarches d'une personne privée, passionnée dans un domaine, la commune prenant ensuite en charge la structure qui a été créée. Il ne faut pas croire que, si la commune est petite, son musée le sera également. Prenons l'exemple du musée de Tautavel qui porte sur « l'Homme de Tautavel », vieux de 350 000 ans. Ce musée remarquable se situe dans une très petite commune.
De nombreuses communes détiennent des oeuvres très riches qui proviennent de dons qui ont été effectués par des familles, voire par des artistes vivants tels que Pierre Soulages - que je considère personnellement comme le plus grand peintre français vivant.
Ces musées sont souvent directement gérés par la collectivité, la commune, sous forme d'établissements publics. La forme d'établissement public n'étant pas satisfaisante en la matière, comme l'a souligné plus tôt le président Valade, une formule spécifique a été inventée et concrétisée par la loi du 4 janvier 2002, modifiée par la loi du 22 juin 2006, avec l'instauration de l'établissement public de coopération culturelle, qui présente un véritable intérêt pour la gestion de questions de domaines culturels.
Les communes sont également propriétaires d'un patrimoine très important. Des raisons historiques peuvent expliquer ce constat. En 1905, la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat entraînera le transfert de la propriété des cathédrales à l'Etat (environ 80 cathédrales sont concernées) et le transfert de la propriété des églises - il y avait également quelques synagogues et temples - aux communes. Aujourd'hui, les communes sont propriétaires d'environ 40 000 églises et chapelles.
Outre le patrimoine, les formations artistiques font également partie des compétences culturelles des communes. Les formations artistiques sont dispensées dans les écoles de musique, de danse et de théâtre. Jusqu'à une époque récente, on distinguait deux catégories : les écoles nationales de musique et de danse et les conservatoires nationaux de région, mais leur nom a été modifié. Il convient également de citer les écoles municipales de musique. Il faut savoir que, malgré leur dénomination trompeuse, ces trois catégories d'école étaient et demeurent des institutions communales.
Les bibliothèques font également partie du ressort des communes, même si, pendant longtemps, les bibliothèques ont davantage été le fait des personnes privées. Un effort a été effectué depuis quelques dizaines d'années. En 1992, le législateur a créé une nouvelle catégorie de bibliothèques : les bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR).
Les compétences culturelles des autres collectivités territoriales
Les autres collectivités territoriales sont également amenées à intervenir sur le plan culturel.
- Le département
A l'origine, les départements n'avaient pas de vocation culturelle. Ils avaient une vocation sociale, laquelle s'est maintenue avec l'aide sociale, l'action sociale et l'action sanitaire et sociale. Dans le domaine culturel, les départements interviennent essentiellement dans deux domaines : les archives et les bibliothèques.
- Les archives
La responsabilité des archives a été transférée au département par la loi du 22 juillet 1983. Il s'agit d'archives publiques départementales qui reçoivent obligatoirement les archives des services déconcentrés de l'Etat à cet échelon, des archives communales ainsi que des archives privées - ces dernières étant particulièrement riches en France.
- Les bibliothèques
Depuis 1945, des services de l'Etat appelés bibliothèques centrales de prêt (BCP) étaient gérés à l'échelon départemental. Ces bibliothèques étaient largement prises en charge financièrement par les départements. En 1983, les BCP ont intégralement été transférées aux départements. En 1992, elles sont devenues des bibliothèques départementales de prêt et ont toujours cette dénomination à l'heure actuelle. Les conservateurs de ces BCP ont néanmoins conservé leur statut de fonctionnaires d'Etat. Les autres employés ont eu l'opportunité de choisir entre la fonction publique d'Etat et la fonction publique territoriale.
- Les régions
Les compétences culturelles des régions ne sont pas très étendues. Deux raisons peuvent être invoquées pour expliquer cette situation : d'une part, la création récente des régions (1986) et, d'autre part, la création ultérieure des régions vis-à-vis des autres collectivités territoriales.
En effet, les compétences culturelles étant déjà réparties entre les communes et les départements depuis un moment, les régions se sont vu attribuer un rôle de coordination. En outre, les régions reçoivent les fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) qui doivent servir à acheter les oeuvres d'artistes vivants.
L'EXTENSION DES COMPÉTENCES CULTURELLES DES COLLECTIVITÉS LOCALES
Je vais poursuivre mon exposé par l'extension des compétences culturelles des collectivités territoriales à l'initiative des collectivités territoriales et à l'initiative de l'Etat.
Les initiatives des collectivités locales
Les initiatives prises par les collectivités territoriales sont à l'origine de l'extension de leurs compétences. Elles interviennent notamment dans le domaine des images. C'est volontairement que je n'utilise par le terme média, car il pourrait introduire une confusion. En effet, pour des raisons historiques, les collectivités territoriales n'ont pas de compétences en matière de radio et de télévision, lesdits médias étant nés dans le cadre de l'Etat et ayant longtemps été un monopole d'Etat.
Ainsi, les collectivités territoriales sont intervenues dans le domaine du cinéma, domaine qui a une place particulière en France. Je vous rappelle que le concept de « défense de l'exception culturelle » est né récemment, dans le cadre des discussions sur l'Organisation mondiale du commerce, au cours desquelles la question du cinéma a largement été abordée.
Les initiatives des collectivités territoriales, au niveau de la production audiovisuelle, consistent à verser des subventions, à mettre des studios à disposition, etc. Dans certains cas, les communes et les départements s'avèrent jouer un rôle essentiel pour permettre la diffusion cinématographique, notamment en intervenant au niveau du fonctionnement d'un cinéma, soit en versant des subventions, soit en prenant des cinémas directement à leur charge. Ce type de mesures donne lieu à des situations surprenantes puisque, dans certains départements ruraux, le nombre de cinémas publics est plus élevé que le nombre de cinémas privés.
Dans le domaine des images, les communes interviennent également dans le domaine de la bande dessinée. Le Festival d'Angoulême en est la meilleure illustration. De nombreuses communes organisent des festivals de bandes dessinées et une jurisprudence conséquente sur la bande dessinée a émané du Conseil d'Etat.
Les initiatives de l'Etat
Outre les initiatives des collectivités territoriales, certaines initiatives émanent également de l'Etat. Il s'agit essentiellement de celles envisagées dans la loi du 13 août 2004. La loi de 2004 apporte notamment des nouveautés en matière de patrimoine.
- Le transfert aux régions de « l'inventaire général »
André Malraux est à l'origine de cette initiative originale, au début de la V e République, bien que Prosper Mérimée, sous la monarchie de juillet, ait effectué plusieurs tentatives dans ce sens. L'inventaire général consiste à recenser l'intégralité des oeuvres patrimoniales qui présentent un intérêt artistique ou historique en France. Depuis 40 ans, les services de l'Etat ont élaboré une méthodologie et ont commencé à recenser ces oeuvres. Il revient désormais aux régions de poursuivre l'inventaire général, en respectant la méthodologie scientifique qui a été élaborée par l'Etat.
- La réorganisation du domaine des enseignements artistiques
Si les écoles demeurent des écoles communales, certains changements ont été opérés puisqu'on compte désormais trois catégories d'école d'enseignement de la musique, de la danse et du théâtre : les écoles à rayonnement communal et intercommunal, les écoles à rayonnement départemental et les écoles à rayonnement régional. Le département est chargé d'établir un schéma départemental de développement des enseignements artistiques. Ces schémas sont en cours d'élaboration à l'heure actuelle.
En conclusion, les collectivités territoriales s'investissent de plus en plus dans le domaine culturel et ont des initiatives de plus en plus diversifiées. Ces compétences culturelles correspondent à un changement de la société. Elles répondent à de nouveaux besoins des citoyens et impliquent aussi un changement profond entre l'Etat et les autres collectivités publiques.
M. Bruno LEPRAT
Je vous remercie pour cette présentation qui suscite déjà de nombreuses questions. Je vous suggère que nous les posions au moment du temps d'échange qui aura lieu après l'intervention de Mme Mari Kobayashi, maître de conférences à l'université de Tokyo.
Pour continuer à nous enrichir, sachez que le prénom Mari n'est pas une reprise d'un prénom d'origine européenne ou issu de la religion chrétienne. Interrogée sur la question, Mme Mari Kobayashi a eu la gentillesse de m'expliquer qu'il s'agit d'un prénom assez courant au Japon qui signifie vérité .
Des compétences partagées et des initiatives diversifiées
b) Au Japon
Mme Mari KOBAYASHI, maître de conférences en politique culturelle à l'Université de Tokyo
Messieurs les sénateurs, Monsieur le ministre, Monsieur le directeur général de CLAIR Paris, Mesdames et Messieurs, je suis donc Mari Kobayashi, comme Monsieur Leprat vient de l'indiquer. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui. Lorsque j'étais encore étudiante, j'ai étudié la politique culturelle en France et j'ai lu les ouvrages du professeur Pontier. Je suis donc très honorée d'être assise à la même tribune que lui aujourd'hui.
En tant que conférencière, je prendrai deux fois la parole au cours de ce colloque, pour vous parler tout d'abord des compétences des collectivités locales japonaises en matière culturelle, puis pour dresser un état des lieux de leur action dans ce domaine.
Je voudrais, en guise de préambule, vous présenter en quelques mots la place de la culture dans l'histoire de la société japonaise. Il me semble qu'il s'agit d'une question essentielle qui doit être prise en compte dans toute réflexion sur le développement de la culture au Japon.
Comme vous le savez, en Asie, le Japon a développé une culture tout à fait spécifique et originale. Je ne vais pas développer ici de théories sur la culture japonaise, mais je mettrai plutôt l'accent sur la terminologie utilisée par l'administration publique lorsqu'elle aborde la politique culturelle. L'administration fait en effet une distinction entre la culture quotidienne, la culture traditionnelle et la culture artistique.
Je ne prétends pas du tout défendre le point de vue de l'administration, mais il me semble que ces termes reflètent très bien l'état de la culture au Japon. L'administration s'en sert en tout cas pour distinguer la culture qui pourrait faire l'objet de sa politique et la culture qui ne peut pas en faire l'objet, dans sa recherche d'une répartition efficace d'un budget limité entre différentes actions à mener avec des objectifs à atteindre.
LA CULTURE EN TANT QUE PRATIQUE INDIVIDUELLE
La « culture quotidienne » concerne, par exemple, la cérémonie du thé, l'art floral, l'art de composer des haïku (poème traditionnel en trois vers de 5, 7 et 5 syllabes).
Avant la modernisation du Japon, dans la société alors fortement hiérarchisée, il était important, pour les catégories les plus aisées de la population, de pratiquer ces arts. On reconnaît la racine dô qui signifie « la Voie » dans les termes japonais kadô (l'art floral) ou sadô (la cérémonie du thé). Il s'agissait en effet aussi d'une quête du sens de la vie à travers la pratique d'un art. Cette pratique culturelle, qui était donc en même temps un questionnement sur soi, se perpétua après la modernisation du Japon en se démocratisant sous la forme de « cours d'arts ».
La période d'Edo (1603-1867), qui a précédé la modernisation du Japon, n'a pas connu de guerre, et la société de cette époque a atteint une grande maturité culturelle avec la pratique, par ceux qui appartenaient au rang social élevé, de ces arts au quotidien, mais également à travers le développement de la culture populaire représentée par le kabuki , le nô (deux formes de théâtre traditionnel) et le rakugo (art traditionnel des conteurs). Ces dernières formes artistiques, encore bien vivantes aujourd'hui, font partie de ce qu'on qualifie maintenant au Japon de « culture traditionnelle ».
Quant à la « culture artistique », bien qu'il ne s'agisse pas de la classification la plus courante, l'administration y inclut la culture occidentale, qui fut introduite au Japon à l'époque de la naissance des relations diplomatiques franco-japonaises, évoquée au début de ce colloque, et qui s'y est répandue très rapidement.
La culture fut longtemps considérée comme une pratique individuelle au Japon et elle ne faisait donc pas l'objet des politiques publiques. Si vous me permettez un exemple tiré de mon expérience personnelle, les enfants japonais de la génération des années 60, dont je fais partie, ont grandi pendant une période de forte croissance économique, à une époque où, contrairement aux enfants d'aujourd'hui qui vont au cours de soutien après l'école, les enfants prenaient tous des cours de piano ou d'harmonium. Que l'on soit fille ou garçon, il était normal de prendre par exemple des leçons de musique. En ce qui me concerne, mes parents ont préféré que je prenne des cours de guitare classique. La pratique d'un instrument de musique était tout à fait banale. Cette pratique culturelle individuelle a permis de faire prospérer les fabricants d'instruments de musique et l'enseignement artistique. L'Etat et les collectivités locales se contentaient d'apporter un soutien aux adultes dans le cadre de la formation permanente pour favoriser la généralisation de cette pratique culturelle.
Ce n'est que beaucoup plus tard que les pouvoirs publics ont apporté un véritable soutien aux activités artistiques et culturelles. Jusque dans les années 90, l'Etat n'utilisait pas le terme de « politique culturelle ».
Quand l'Agence des affaires culturelles, organisation placée sous le contrôle du ministère de l'Education et des Sciences, a été créée en 1968, la culture a été reconnue juridiquement comme un domaine d'intervention légitime de l'administration publique, mais les objectifs de l'Agence se limitaient encore à la protection des biens culturels et des droits d'auteur. Il faut attendre 2001 pour que l'Etat promulgue une loi d'orientation pour la promotion des arts et de la culture.
Les collectivités locales n'ont pourtant pas attendu cette loi pour aborder la question de «l'intervention publique dans le domaine culturel », expression maintenant remplacée par celle de « politique culturelle ». Pour quelles raisons les collectivités locales ont-elles précédé l'Etat dans ce domaine ?
Je viens de vous présenter, en guise d'introduction un peu longue, la culture en tant que pratique individuelle. Mais, en fait, les collectivités locales japonaises ont découvert d'autres enjeux de la politique culturelle que le simple soutien à une pratique culturelle des citoyens. Les collectivités locales ont commencé à mener des interventions à partir du milieu des années 1970, période de forte croissance économique. Il faut toutefois que je vous précise que ces interventions ne visaient pas le même objectif que celles menées par l'Etat.
LA POLITIQUE CULTURELLE DES COLLECTIVITÉS LOCALES
Pendant la période de reconstruction d'après-guerre, le Japon a mené une politique d'aménagement uniforme sur l'ensemble du territoire. Cette reconstruction rapide a pu être assurée grâce à l'initiative très forte de l'Etat. Certaines collectivités locales se sont rendu compte que quelque chose avait été perdu ou oublié du fait de cette politique étatiste. Il s'agit, d'une part, d'une culture propre à leur territoire spécifique et, d'autre part, de la mise en oeuvre réelle de l'autonomie locale reconnue par la Constitution d'après-guerre.
La problématique posée à l'époque peut être synthétisée comme ceci. Les infrastructures ont été planifiées et construites à l'initiative et sous l'autorité de ministères, et un service public minimum a été garanti à l'échelle nationale. Les collectivités locales se sont pourtant aperçues que l'attente des habitants en matière de service public n'était pas la même selon le territoire et que ces habitants aspiraient à un service public de meilleure qualité. Toutefois, les agents des collectivités locales se contentaient jusqu'alors d'assurer des services standardisés édictés par les lois et les règlements comme simples sous-traitants des administrations de l'Etat. Cette situation empêchait les collectivités locales d'élaborer des politiques tenant compte de préoccupations plus locales.
Pour pouvoir répondre aux besoins du territoire et des habitants, les collectivités locales ont dû élargir leurs domaines d'intervention et former des agents aptes à intégrer la dimension culturelle locale dans l'action publique. Les collectivités locales ont cherché ainsi à offrir aux habitants des services de qualité répondant mieux à leurs attentes.
Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y ait plus eu de contraintes imposées par l'Etat. Les collectivités locales ne pouvaient pas négliger les actions prévues par les lois et les règlements ministériels. Elles pouvaient certes trouver de nouveaux domaines d'intervention correspondant aux besoins de leur territoire, mais elles étaient alors contraintes d'agir en situation de vide juridique. A cette époque, la loi relative à la protection des biens culturels existait déjà, mais il n'existait pas de loi pour la promotion de la culture à l'échelle locale. Le domaine culturel a donc été pour les agents territoriaux un espace dans lequel ils ont dû faire preuve d'imagination. La crainte des citoyens d'une disparition de leur culture locale a notamment justifié la construction d'équipements culturels par les collectivités locales, comme par exemple ceux permettant la représentation de spectacles vivants. Tous les musées, par exemple, étaient régis par la loi sur les musées ; de même, il existait une loi sur les bibliothèques. Ces lois prévoyaient des normes et des directives que les collectivités locales devaient suivre et appliquer. En revanche, il n'existait aucune loi relative aux salles de concert, aux théâtres et aux autres équipements culturels permettant d'organiser des spectacles vivants.
Les collectivités locales ont découvert ce vide juridique, qui leur permettait de mettre en oeuvre librement leur propre politique culturelle. En outre, la conjoncture, qui était alors favorable, a permis le versement de toutes sortes de subventions de la part de l'Etat.
Pour réexaminer localement leur manière d'assurer les services publics tout en valorisant leurs ressources culturelles locales, les collectivités locales se devaient d'intégrer les trois exigences suivantes :
· promouvoir les activités culturelles initiées par les citoyens ;
· aménager un cadre de vie propice au développement culturel du territoire ;
· encourager l'inventivité et la créativité des agents territoriaux pour améliorer la qualité des services publics offerts aux habitants.
En se fondant sur ces principes, les collectivités locales ont procédé à une réorganisation interne. Elles ont affecté 1 % du budget d'aménagement à la culture, comme en France, et ont mis en place un système d'évaluation de l'impact des équipements culturels.
Le pont de Takarazuka, qui se trouve dans le département de Hyôgo, est un bon exemple. Lors de sa construction, on en a beaucoup parlé : bien que du seul point de vue du génie civil, il suffise qu'un pont permette de traverser un cours d'eau, des statues représentant des femmes ont été néanmoins installées sur ce pont. La ville de Takarazuka est en effet connue pour ses comédies musicales jouées uniquement par des actrices.
Une promenade aménagée sur le pont permet aux piétons de s'y promener. Il ne s'agit donc pas simplement d'un ouvrage de génie civil, mais d'un exemple de réalisation culturelle qui a suscité beaucoup d'intérêt à l'époque. Ce type d'ouvrage est toutefois devenu tout à fait banal aujourd'hui.
Comme je vous l'ai expliqué précédemment, de nombreux centres culturels permettant d'organiser des spectacles vivants ont été construits dans tout le Japon. La salle de concert de la ville de Nakaniida, actuelle ville de Kamimachi suite à sa fusion avec d'autres communes, est tout à fait représentative à cet égard. Cette salle de concert, appelée « Bach Hall », est très connue, car elle a été érigée en plein milieu des rizières. Jusqu'alors, des salles de théâtre ou de concert étaient aménagées dans des grandes villes où l'on pouvait espérer attirer un public nombreux. Cette salle de concert en pleine campagne a prouvé que les citoyens pouvaient bénéficier de manifestations culturelles de grande qualité tout en restant dans leur région, et que les provinces pouvaient rayonner sur le plan culturel.
Cela va peut-être vous sembler assez étrange, mais au Japon, dans les salles de concert, on trouve toujours des orgues ou des pianos de très grandes marques comme Steinway ou Beschstein. Ces salles de concert absolument magnifiques rivalisent avec les salles de concert dédiées à la musique classique situées au centre de Tokyo. Actuellement, il existe plus de 2 000 salles de ce type dans tout le pays. Ainsi, des artistes de musique classique de grande renommée qui viennent de l'étranger pour une tournée au Japon sont très surpris de trouver des salles de concert de la meilleure acoustique, même dans les campagnes les plus reculées.
Je vous ai parlé de la loi par laquelle les musées sont régis. Il existe aujourd'hui plus de 4 000 musées, dont 600 musées des beaux-arts répartis dans tout le Japon. La plupart d'entre eux sont gérés par des collectivités locales.
C'est donc dans ce contexte que les collectivités locales ont aménagé des équipements culturels et ont mis en oeuvre des actions culturelles qui se sont développées un peu partout dans le Japon. Il est temps maintenant de faire l'état des lieux de ces actions.
L'ÉTAT DES LIEUX DE LA POLITIQUE CULTURELLE
Il me faut d'abord présenter succinctement la situation générale de l'administration territoriale au Japon. Les réformes et les déréglementations concernant les collectivités locales se sont multipliées ces dernières années. Il faut souligner en particulier que Monsieur Koizumi, ancien Premier ministre, a mené activement une politique de partenariat public-privé à partir de 2001, même si en 1997 avait déjà été adoptée la loi Private Finance Initiative permettant d'utiliser des ressources privées pour la construction d'équipements publics. En outre, entre 1999 et 2006, dans le cadre de la politique de fusion de communes menée par l'Etat, le nombre de communes est passé de 3 200 à 1 800.
En 2001, année de l'arrivée au pouvoir de Monsieur Koizumi, le Parlement a adopté une loi d'orientation pour la promotion des arts et de la culture. Jusqu'à cette date, la politique culturelle des collectivités locales se cantonnait aux actions qui n'étaient pas prévues par la loi. La loi d'orientation précise désormais la responsabilité spécifique des collectivités locales en matière culturelle. Elle prévoit dans son article 4 que les collectivités locales élaborent et mettent en oeuvre, de leur propre initiative, une politique culturelle. Jusqu'alors, des collectivités locales innovantes construisaient des salles de spectacle ou menaient des actions culturelles répondant aux attentes locales. Avec cette loi, toutes les collectivités locales sont désormais tenues d'assumer des compétences propres en matière d'élaboration et de mise en oeuvre de la politique culturelle.
Un autre point important est à souligner. En 2003, la loi sur l'autonomie locale a été révisée afin, notamment, de permettre aux collectivités locales de déléguer la gestion de leurs équipements culturels à des personnes privées. La situation des collectivités locales a donc connu de grands changements.
Même si les collectivités locales s'efforcent de mettre activement en oeuvre des actions culturelles, leur budget culturel subit inévitablement les effets néfastes d'une stagnation économique qui s'est installée il y a longtemps déjà. Je vous parlerai d'ailleurs tout à l'heure du financement des politiques culturelles locales. L'Etat, pour sa part, prévoit un budget spécifique pour les actions culturelles depuis l'adoption de la loi d'orientation pour la promotion des arts et de la culture.
M. Bruno LEPRAT
Les propos de Mme Mari Kobayashi constituent une bonne transition avec la deuxième partie de cette présentation, consacrée à un gros plan sur les finances. J'invite M. Jean-Marie Pontier à nous expliquer comment argent et culture sont gérés en France.
B. LES MOYENS DE FINANCEMENT DES POLITIQUES CULTURELLES LOCALES
a) En France, une part significative des budgets locaux
M. Jean-Marie PONTIER, professeur de droit public et de droit de la culture à Paris I, directeur du Centre de recherches administratives, directeur de l'Ecole doctorale de sciences juridiques et politiques
En guise d'introduction, je souhaite vous faire part de trois difficultés d'ordre méthodologique.
LES DIFFICULTÉS MÉTHODOLOGIQUES
Premièrement, il est difficile de savoir à quoi correspond une dépense culturelle. S'il est évident que le fait d'acheter un tableau, des livres ou des instruments de musique entre dans le cadre des dépenses culturelles, la qualification d'autres dépenses peut s'avérer davantage discutable. Certaines hésitations peuvent notamment exister sur la nature des dépenses concernant un domaine intermédiaire, c'est-à-dire en partie culturel et en partie social, souvent appelé domaine socioculturel. Ainsi, selon les collectivités territoriales, une même dépense pourra être qualifiée tantôt de dépense sociale, tantôt de dépense culturelle. Ce type de problème se rencontre notamment pour les subventions que les collectivités territoriales versent à des associations : il s'avère difficile de les classer dans une catégorie et de les comptabiliser d'office dans les dépenses culturelles.
Deuxièmement, aborder l'aspect financier des politiques culturelles implique d'évoquer certaines difficultés d'ordre comptable, liées en particulier aux nomenclatures comptables. En effet, les nomenclatures financières utilisées ne sont pas les mêmes pour toutes les catégories de collectivités territoriales. Concrètement, du point de vue de la dépense, la fonction culture n'est pas identifiée de la même manière dans toutes les collectivités territoriales. Pour la fonction culture prévue dans les dépenses départementales par exemple, aucune sous-fonction n'est définie, alors que c'est le cas dans les communes qui distinguent les sous-fonctions « expression artistique » et « actions culturelles ». Quant aux nomenclatures comptables des régions, elles ne prévoient pas de fonction culture, d'où la nécessité d'examiner les dépenses culturelles des régions par rapport au classement des dépenses culturelles des communes.
Troisièmement, toutes les enquêtes qui ont été menées en matière de dépenses culturelles montrent une difficulté à neutraliser les transferts entre collectivités, le risque étant de comptabiliser deux fois une même dépense.
Prenons un exemple concret. Une partie significative des dépenses culturelles des départements et des régions est versée sous forme de subvention aux communes. Cette dépense culturelle est donc comptabilisée à la fois dans le département ou la région et dans la commune bénéficiaire. Il en est de même pour les dépenses culturelles effectuées par les communes qui consistent en subventions attribuées par celles-ci à des établissements publics de coopération intercommunale.
Il convient de tenir compte de ces trois réserves pour analyser les chiffres que je vais vous citer à présent. Il est important de garder à l'esprit que les comparaisons sont toujours relatives et que ce qui importe réellement ce ne sont pas les chiffres absolus, mais les ordres de grandeur.
Dans le cadre de mon propos, je vais aborder deux aspects : après vous avoir présenté quelques chiffres-clés relatifs aux dépenses culturelles des collectivités territoriales, j'aborderai les interrogations suscitées par lesdites dépenses.
LES CHIFFRES RELATIFS AUX DÉPENSES CULTURELLES
Les chiffres globaux
Sans surprise, ce sont les communes qui assurent le plus grand nombre de dépenses culturelles. Pour préparer cet exposé, je me suis basé sur les derniers chiffres officiels à disposition émanant du département des études, des prospectives et des statistiques du ministère de la Culture. La dernière enquête générale date de 2002. Une légère évolution des chiffres a dû se produire depuis mais l'ordre de grandeur est toujours valable.
Les communes dépensent environ 4,1 milliards d'euros en dépenses culturelles, dont 3,3 milliards de dépenses de fonctionnement. Ces dépenses concernent essentiellement les communes de plus de 10 000 habitants, qui, en termes de volume, sont les moins nombreuses mais sont les seules qui réalisent des dépenses culturelles, les petites communes, très nombreuses, réalisant très peu de dépenses dans ce domaine. En pourcentage, 9 % environ du budget général des communes de plus de 10 000 habitants sont consacrés à des dépenses culturelles.
Les départements réalisent environ 1,1 milliard de dépenses culturelles, dont 865 millions en dépenses de fonctionnement.
Les dépenses culturelles des régions s'élèvent à 358,5 millions d'euros, dont 260 millions en dépenses de fonctionnement.
Quant aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), leurs dépenses culturelles représentent environ 286 millions d'euros.
Les dépenses culturelles des départements représentent 2,8 % de leur budget général - en sachant qu'il y a une vingtaine d'années, le pourcentage moyen des dépenses dans ce domaine par les départements était de moins de 1 %. Les dépenses culturelles représentent 2,4 % du budget des régions.
Quant aux établissements publics de coopération interculturelle, en considérant uniquement les établissements publics que nous qualifions d'établissements publics à fiscalité propre - c'est-à-dire les communautés - le taux des dépenses culturelles atteint 3,9 % de leur budget.
À titre de comparaison, intéressons-nous aux chiffres-clés de l'Etat en la matière. Le budget du ministère de la Culture s'établit à environ 2,6 milliards d'euros et les dépenses culturelles de l'Etat, hors ministère de la Culture, représentent 3,6 milliards d'euros. Cela signifie que les dépenses culturelles de l'Etat sont plus importantes dans les autres ministères regroupés que dans le ministère de la Culture lui-même, ce qui est tout à fait logique. Il s'avère que l'ensemble des dépenses culturelles de l'Etat sont à peu près équivalentes à l'ensemble des dépenses culturelles des collectivités territoriales.
Enfin, toujours à titre de comparaison, il convient de s'intéresser aux dépenses culturelles des ménages, c'est-à-dire des personnes privées. S'il est toujours difficile de savoir à quoi correspond la dépense culturelle d'un ménage, il semblerait que ces dépenses s'élèvent à 39 milliards d'euros.
Connaître ces ordres de grandeur nous permet d'établir de meilleures comparaisons. Ainsi, ces chiffres globaux nous montrent que l'effort le plus important est réalisé par les communes. S'agissant des efforts réalisés par les départements et les régions, ils sont comparables mais les volumes de crédits reçus ne sont pas les mêmes. Quant aux établissements EPCI, leur montée en puissance est tout à fait remarquable. En effet, s'ils n'apparaissaient pas dans la précédente enquête, il y a néanmoins fort à parier que la prochaine enquête révèlera que leur part de dépenses aura encore augmenté. Par ailleurs, il est également intéressant de noter que les dépenses culturelles des établissements publics de coopération intercommunale, en augmentation, ne se sont pas traduites par une diminution des dépenses culturelles des communes. En d'autres termes, cela signifie que la dépense culturelle globale a augmenté.
D'autres chiffres sont également riches en enseignements, tels que ceux caractérisant la dépense culturelle par habitant - ce qu'on appelle « l'euro culturel » au ministère de la Culture. Les communes consacrent 143 euros par habitant en dépenses culturelles, en sachant que cette somme s'élève à 14,8 euros par habitant pour les départements, à 4,4 euros pour les régions et à 10 euros pour les EPCI.
Intéressons-nous au contenu de ces dépenses, en détaillant les dépenses de fonctionnement et d'investissement.
Les dépenses de fonctionnement
En matière d'expression artistique
Les communes, ainsi que les autres collectivités territoriales, consacrent entre 40 et 50 % de leurs dépenses culturelles - ce chiffre variant selon les collectivités - à la fonction « expression artistique ». Je vous rappelle que les départements n'opèrent pas de distinction entre « l'action culturelle » et « l'expression artistique ». Du point de vue comptable et financier, la fonction « expression artistique » recouvre toutes les interventions financières relatives à la création et à la diffusion dans les différents domaines artistiques, ainsi qu'à la formation dans ces disciplines.
Entrent dans le cadre de l'expression artistique les domaines suivants :
- le secteur de l'expression musicale, lyrique et chorégraphique, qui représente 23 % des dépenses culturelles de fonctionnement des communes (financement des formations permanentes - orchestre, corps de ballet -, programmation de spectacles dans les établissements d'enseignement de la musique, de la danse et du théâtre) ;
- le secteur des arts plastiques et des autres activités artistiques ;
- tout ce qui touche au cinéma et aux salles de spectacles.
Dans l'ensemble, 1,3 milliard d'euros sont consacrés par les communes en dépenses de fonctionnement.
Les départements effectuent peu de dépenses de fonctionnement, tandis que la part des régions consacrée à ce type de dépenses est plus élevée que celle des communes (environ 45 % de leurs dépenses culturelles).
En matière de conservation et de diffusion des patrimoines
Les dépenses de fonctionnement permettent également de financer la fonction conservation et diffusion des patrimoines, laquelle représente entre 30 et 45 % des dépenses culturelles des collectivités territoriales.
En matière d'action culturelle
L'action culturelle regroupe un ensemble hétérogène de dépenses. Il s'agit notamment de soutenir des activités d'animation culturelle. En sont notamment exclues toutes les actions de production artistique ou d'enseignement, mais le soutien des communes et des autres collectivités territoriales à la vie culturelle associative en fait partie.
Les dépenses d'investissement
L'essentiel des dépenses d'investissement dans le domaine culturel réalisées par les collectivités territoriales correspond aux dépenses effectuées pour la fonction conservation du patrimoine. La part de cette fonction représente 80 % des dépenses d'investissement culturel pour les départements, les dépenses engagées servant essentiellement à financer les archives des départements.
S'agissant des communes, les musées et les bibliothèques médiatiques sont les principaux postes de dépenses d'investissement. Quant aux EPCI, ce sont les investissements en matière d'équipements de lecture qui arrivent en tête.
LES INTERROGATIONS SUSCITÉES PAR LES DÉPENSES CULTURELLES
Je suis passé sur certains points de ma présentation assez rapidement afin de pouvoir évoquer avec vous trois questions qui portent sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales.
La question du caractère obligatoire ou facultatif
Il convient, d'abord, de s'interroger sur le caractère obligatoire ou facultatif des dépenses culturelles pour les collectivités territoriales. Si le principe de la libre administration des collectivités territoriales doit être respecté, il n'exclut néanmoins pas que la loi puisse imposer aux collectivités territoriales un certain nombre de dépenses. Parmi celles-ci figure un certain nombre de dépenses culturelles qui sont obligatoires, telles que le 1 % décoratif - à ne pas confondre avec le 1 % culturel qui s'applique au 1 % souhaité du budget du ministère de la Culture.
Pour comprendre l'origine du 1 % décoratif, il faut savoir qu'un arrêté de 1951 établissait, à la charge de l'État, une obligation de prévoir des travaux de décoration dans les constructions scolaires et universitaires. La loi du 22 juillet 1983 a étendu cette obligation à toutes les collectivités territoriales. Ainsi, désormais, toutes les opérations immobilières de ces collectivités territoriales qui ont pour objet la construction, l'extension ou la réalisation de travaux de réhabilitation d'immeubles commandés par les collectivités territoriales donnent lieu à l'achat ou à la commande d'une ou plusieurs réalisations artistiques destinées à être intégrées à l'ouvrage ou à être placées aux abords de l'ouvrage.
Personnellement, je considère que cette mesure est particulièrement intéressante, même si elle donne lieu à des résultats fort variables sur le terrain. En termes de procédure, il convient de respecter certains seuils.
Ainsi, en dessous de 10 000 euros hors taxes, aucune contrainte n'est imposée aux collectivités territoriales mais, entre 10 000 euros et 89 999 euros, l'intervention d'une commission régionale est requise et au-delà de 90 000 euros, il est nécessaire que se réunisse une commission nationale.
Le 1 % décoratif soulève aujourd'hui certaines difficultés juridiques au regard des règles communautaires - ce qui est également le cas de la troisième question que j'évoquerai plus tard - mais je ne dispose pas du temps nécessaire pour vous détailler cet aspect aujourd'hui.
La question de la tarification de certains services publics culturels
Evoquer les dépenses culturelles des collectivités territoriales amène également à s'interroger sur la tarification d'un certain nombre de services publics culturels locaux. Contrairement à ce que certains croient, aucun principe de gratuité des services publics n'existe en France. Ainsi, le fonctionnement de la plupart des services publics est conditionné au paiement d'un prix, dont les usagers doivent s'acquitter. Se pose alors la question de la fixation des tarifs des services publics. S'agissant des services publics locaux - et plus particulièrement des services culturels - la compétence de fixer les tarifs est dévolue à l'assemblée délibérante de la collectivité, c'est-à-dire le conseil municipal dans la quasi-totalité des cas.
Deux problématiques ont dû être envisagées en matière de modalités de tarification.
- La différenciation tarifaire en fonction des ressources des familles
La question de la possibilité, pour les communes, de différencier les tarifs des services publics culturels (surtout pour les écoles de musique) en fonction des ressources des familles a été soulevée. Le Conseil d'Etat a été amené à se prononcer à plusieurs reprises sur ce problème. Dans un premier temps, le Conseil d'Etat a considéré que les services publics culturels locaux présentaient une spécificité par rapport aux autres services publics locaux et a refusé cette différenciation tarifaire en fonction des ressources des familles, alors qu'il l'acceptait pour les services publics sociaux tels que les cantines et les crèches. Dans un second temps, en 1997, un revirement de jurisprudence s'est produit, le Conseil d'Etat ayant accepté le principe de différentiation tarifaire en fonction des ressources des familles.
- La différenciation tarifaire en fonction de l'origine des utilisateurs du service
La possibilité de différencier les tarifs des services publics culturels locaux en fonction de l'origine géographique des enfants ou des personnes qui utilisaient ces services a été évoquée.
Cette différenciation territoriale implique que les personnes habitant dans des communes autres que celle sur le territoire de laquelle se trouve l'établissement paient plus cher pour le même service.
La question des subventions versées par les collectivités territoriales aux personnes privées (associations)
La question des subventions versées par les collectivités territoriales aux personnes privées a été soulevée récemment, en 2007. Je vous rappelle que, pour certaines collectivités territoriales, les subventions représentent entre 50 % et 80 % de leurs dépenses de fonctionnement (notamment pour les régions). Une subvention qui avait été versée par une commune pour un festival à une association a donné lieu à une plainte, les requérants ayant demandé au juge de faire annuler ladite subvention, car ils considéraient qu'elle était illégale compte tenu d'un vice de procédure au niveau de la commune. Selon eux, la commune aurait dû avoir recours à une procédure de délégation de service public, laquelle implique une mise en concurrence. La Cour administrative d'appel a donné raison aux requérants mais le Conseil d'Etat a rendu un arrêt de principe le 6 avril 2007, dans lequel il considère que les subventions versées par les communes restent des subventions, ce qui signifie que les communes ne sont pas obligées de passer par des délégations de service public pour ce type d'action culturelle.
Cette question s'avère néanmoins problématique aujourd'hui vis-à-vis du droit communautaire.
En conclusion, les dépenses culturelles des collectivités territoriales soulèvent de nombreuses questions qui ne se posaient pas autrefois mais qui prennent aujourd'hui une forme complexe. Cette complexité s'explique par la multiplicité des réglementations nationales, sans parler de la nécessité de se conformer désormais aux règles communautaires. Quoi qu'il en soit, le juge administratif est aujourd'hui, plus que jamais, l'arbitre de toutes ces interventions.
M. Bruno LEPRAT
Il est temps à présent d'entendre Mme Mari Kobayashi sur l'origine et la ventilation des fonds attribués aux politiques culturelles locales au Japon. Je tiens à la remercier également d'avoir accepté de raccourcir son intervention afin qu'un échange puisse avoir lieu avec la salle.
Les moyens de financement des politiques culturelles locales
b) Au Japon, des dépenses culturelles sous contraintes
Mme Mari KOBAYASHI, maître de conférences en politique culturelle à l'Université de Tokyo
Il me faut d'abord présenter schématiquement les ressources des collectivités locales japonaises. Premièrement, il y a les recettes fiscales comme la taxe d'habitation, la taxe foncière et la taxe professionnelle. Viennent ensuite des subventions de l'Etat, qui sont des ressources affectées. Il existe enfin une dotation fiscale globale de l'Etat pour réduire les inégalités entre les différentes collectivités locales. Il s'agit dans ce cas-là de ressources d'utilisation libre.
En 2004, une grande réforme, appelée « Réforme en trois axes », a été menée. Comme son nom l'indique, elle s'organisait autour des trois axes suivants :
· la suppression ou la réduction des subventions de l'Etat ;
· le transfert de ressources fiscales de l'Etat aux collectivités locales ;
· la révision du système de la dotation fiscale globale.
Dans le cadre de cette réforme, les subventions d'Etat ont été réduites de 1 300 milliards de yens. En outre, la diminution de la dotation fiscale globale a atteint 2 900 milliards de yens. Dans le même temps, le transfert des ressources fiscales n'a, quant à lui, porté que sur 660 milliards de yens. Le marasme économique qui a commencé au milieu des années 90 ayant déjà entraîné une baisse des recettes fiscales des collectivités locales japonaises, cette réforme n'a donc fait que dégrader encore leur situation financière.
Il existe des données statistiques, publiées par l'Agence des affaires culturelles, sur l'évolution des dépenses culturelles des collectivités locales. Il est toutefois très difficile d'analyser en détail ces chiffres. En effet, au Japon, certains musées et bibliothèques sont par exemple placés sous le contrôle de la Commission de l'éducation de la collectivité locale compétente. Dans ce cas, leur budget n'est plus considéré comme un budget culturel.
Les dépenses culturelles des collectivités locales ont atteint un maximum en 1993 ; depuis, elles ont été en constante diminution. Le Japon compte 47 départements. Le budget culturel des départements a, tout comme celui des communes, connu une baisse. Les chiffres précis figurent dans le tableau qui apparaît à l'écran, dont les montants ont été convertis en euros. Il s'agit des dépenses culturelles par catégorie de collectivités locales, et pour chaque catégorie sont présentées les dépenses consacrées à l'action culturelle, et celles consacrées au patrimoine culturel.
En 10 ans, ces dépenses ont diminué de plus de 50 %. Plusieurs raisons expliquent cette diminution. Je vous ai parlé précédemment des salles de concert. La vague de construction de ces équipements culturels est désormais achevée. Plus de 2 000 salles destinées aux manifestations culturelles ont été bâties dans tout le Japon. Lorsque je parle de ces salles aux personnes étrangères, elles pensent que l'activité culturelle est très intense au Japon. En réalité, les finances des collectivités locales étant très tendues, il ne reste plus de budget pour les manifestations et les activités à organiser dans ces salles. Ceci dit, au Japon, depuis l'époque Edo (1603-1867), les équipements culturels publics ont souvent été construits pour être loués. C'est pourquoi, même aujourd'hui, très peu d'équipements culturels fonctionnent comme de nombreux théâtres en Europe qui sont également des centres de création. Parmi les 2 000 établissements, ceux qui proposent une programmation propre de renommée internationale sont seulement au nombre de deux ou trois. Dans ce cas, à quoi ces équipements culturels servent-ils ? Toutes sortes de manifestations culturelles (concerts, pièces de théâtre, etc.), qu'on fait venir de Tokyo ou de l'étranger, y sont organisées.
Le budget culturel des collectivités locales a donc été considérablement réduit. En revanche, l'Etat, quant à lui, s'intéresse beaucoup à la culture depuis la loi d'orientation de 2001 dont je vous ai parlé précédemment. Le budget de l'Agence des affaires culturelles, organisation rattachée au ministère de l'Education et des Sciences, est infime par rapport au budget français de la culture, mais il augmente progressivement. Cette hausse permet à l'Agence de subventionner toutes sortes de projets culturels. Le graphique qui apparaît à l'écran présente la structure des dépenses de l'Agence des affaires culturelles en 2007. Son budget s'élève à 635 millions d'euros dont 34,4 % sont alloués à des subventions aux collectivités locales et aux fondations créées par les collectivités locales. Ce poste de dépense inclut, entre autres, les dépenses pour les pôles culturels. Il s'agit d'un soutien financier accordé aux salles publiques proposant leur propre programmation ou leur propre création, et aux musées qui contribuent à une meilleure attractivité du territoire en mettant en valeur les ressources culturelles locales.
A côté de l'Agence des affaires culturelles, il existe d'autres acteurs qui accordent des subventions à l'action culturelle. Parmi eux, le Conseil japonais pour les arts (Japan Arts Council), organisation associée à l'Agence des affaires culturelles, gère le Fonds japonais pour les arts (Japan Arts Fund). Ce dernier octroie 2,4 milliards de yens de subventions pour l'organisation d'expositions ou de spectacles dans les équipements culturels mis en place pour le développement culturel local.
La Fondation japonaise pour les actions artistiques régionales (Japanese Foundation for Regional Art Activities), fondation associée au ministère des Affaires intérieures et des Communications, a été créée, quant à elle, en 1994 grâce aux donations faites par les collectivités locales japonaises.
Cette fondation a pour objectif de promouvoir le développement local à travers les actions culturelles et artistiques. Elle accorde à cet effet des aides financières aux actions des collectivités locales dans le domaine culturel. Le budget de la Fondation consacré aux aides pour le développement des actions des établissements culturels publics s'élève également à 2,4 milliards de yens. La Fondation japonaise pour les actions artistiques régionales s'est engagée dans la promotion du développement culturel local avant l'Agence des affaires culturelles.
Le ministère des Affaires intérieures et des Communications apporte également son soutien financier aux projets d'aménagement des collectivités locales destinés à créer un meilleur cadre de vie. Il se sert pour cela d'une partie des recettes réalisées par la vente de billets de loterie émis par les collectivités locales.
Il existe aussi des programmes visant à soutenir les projets de développement local des collectivités. Ces programmes ne visent pas uniquement les projets culturels, ce qui n'empêche pas les collectivités locales de présenter leurs projets culturels pour bénéficier de subventions. A titre d'exemple, aujourd'hui, le dessin animé et le manga constituent des éléments de la culture japonaise connus dans le monde entier. Pourtant, ils ne faisaient pas jusqu'à présent l'objet de la politique culturelle au Japon. Le ministère de l'Economie, du Commerce et de l'Industrie verse désormais des subventions pour développer ces industries de contenu considérées aujourd'hui comme des secteurs stratégiques, et pour soutenir ainsi la culture comme moteur économique.
Le ministère du Territoire, de l'Infrastructure, des Transports et du Tourisme, de son côté, octroie des subventions aux actions d'aménagement et de promotion touristique qui mettent en valeur la culture.
Le montant total de ces différentes subventions, qu'il est pourtant difficile de chiffrer, permettrait au Japon de prétendre qu'il consacre une part importante de son budget à la culture.
Dans les journaux du 29 janvier 2008 a paru un article sur le projet de loi concernant les aides financières pour la sauvegarde du paysage traditionnel, préparé conjointement par l'Agence des affaires culturelles et le ministère du Territoire, de l'Infrastructure, des Transports et du Tourisme. Ce projet de loi sera déposé au Parlement au cours de cette session. Il existe déjà des lois pour la sauvegarde du paysage dans certaines villes historiques comme Kyoto ou Nara. D'autres villes possèdent également un patrimoine culturel ou historique, ou bien d'autres ressources culturelles. Cette loi permettra aux collectivités locales de valoriser ces ressources culturelles dans le cadre de leur politique de développement local.
Le budget des collectivités locales pour la culture est en diminution. L'Etat, pour sa part, apporte son soutien aux collectivités locales qui développent une politique culturelle active en leur attribuant des subventions pour compléter leur budget. Dans ce contexte, il appartient aux collectivités locales de présenter à l'État, de manière cohérente, les enjeux de leur politique culturelle afin de pouvoir bénéficier de ces subventions. L'Etat, quant à lui, est confronté à la difficulté d'apprécier la pertinence des projets culturels qui lui sont soumis par les collectivités locales et qui présentent tous des spécificités.
M. Bruno LEPRAT
Je vous remercie de votre intervention.
Il est désormais temps d'échanger avec le public. Est-ce que quelqu'un souhaite réagir sur le budget de 5 milliards d'euros investis par les collectivités territoriales, toutes confondues, dans la culture ? On entend beaucoup parler de ce chiffre actuellement, l'actualité étant marquée par l'affaire de la Société Générale.
M. Jean-Marie PONTIER
Il s'agit de près de 6 milliards d'euros.
M. Bruno LEPRAT
Je vous remercie pour cette précision.
Dans le cadre de votre exposé, M. Jean-Marie Pontier, vous avez également évoqué une actualité intéressante lorsque vous avez parlé de la bande dessinée. Une grande manifestation a récemment été organisée au Japon autour des mangas. Or, nous savons que l'univers des mangas donne lieu à une véritable émulation entre Français et Japonais, en termes de production d'ouvrages et de revues.
Par ailleurs, vous avez souligné que, dans les campagnes en particulier, le cinéma est dynamisé par les collectivités locales. La région Centre constitue un bon exemple de l'implication des collectivités locales dans le domaine du cinéma. En effet, ladite région a affrété un camion itinérant doté de deux ailes qui se déploient pour accueillir des spectateurs, l'objectif étant de diffuser des films dans les petits villages et d'aller au contact des gens qui n'ont pas la possibilité de se rendre dans les métropoles.
M. Jean-Marie PONTIER
Dans le Gers, le département possède plus de cinémas que les personnes privées. Personnellement, j'ai été surpris que la défense de l'exception culturelle porte quasi-exclusivement sur le cinéma. Il me semble que la culture française ne se réduit pas à ce domaine.
Mme Marie-Christine LAURENT, ministère de la Culture et de la Communication
Dans le cadre de mes fonctions, je m'occupe en particulier des échanges avec l'Asie et l'Océanie. Ma question s'adresse à Mme Kobayashi. Lorsque vous avez évoqué le grand nombre d'équipements culturels construits dans les régions japonaises (2 000 salles de concerts, de multiples centres culturels et maisons de la culture), vous avez indiqué que seuls deux ou trois de ces équipements avaient une programmation qui leur était propre et qui a été prévue au moment de leur construction.
Disposez-vous des éléments d'évaluation des collectivités locales qui ont construit ces équipements qui, semble-t-il, sont uniquement utilisés en termes de location d'espace ? Je suppose que ces équipements coûtent très cher à la collectivité en termes de fonctionnement. Une réflexion a-t-elle été engagée sur les politiques culturelles et sur la programmation culturelle qui pourraient être envisagées par les collectivités elles-mêmes ?
Pour nous, il s'agit d'un véritable sujet de réflexion. Nous avons tendance à procéder de manière différente puisque nous pensons en amont à la politique culturelle, c'est-à-dire avant d'engager la construction d'un équipement culturel. Or, il semble qu'au Japon, le processus inverse ait été privilégié. Je vous remercie.
Mme Mari KOBAYASHI
Je vous remercie pour votre question. C'est effectivement une question très importante, et je suis obligée d'y répondre par l'affirmative. Il n'y a en fait que deux ou trois équipements culturels qui ont été mis en place avec des objectifs bien précis, et qui continuent à proposer leur propre programmation.
Les collectivités locales ont aménagé des équipements culturels pour les mettre à disposition des citoyens désireux de prendre des initiatives en matière d'activités culturelles et artistiques. En réalité, ces équipements sont également loués à des sociétés de production artistique et musicale qui organisent des représentations. Très peu d'équipements culturels ont donc été mis en place avec des missions de service public précisément définies.
La loi d'orientation de 2001, qui précise désormais la responsabilité des collectivités locales en matière culturelle, s'applique également à la gestion de leurs équipements culturels. C'est pourquoi aujourd'hui les collectivités locales élaborent activement leur plan d'action culturelle, lequel comporte un volet concernant la gestion des établissements culturels.
Mme TOUFFLET, présidente de l'association France-Japon des pays de l'Ain
J'ai été plutôt surprise par ce que j'ai entendu et on pourrait facilement considérer que les Japonais « ont mis la charrue avant les boeufs » en décidant de construire avant de disposer d'un programme culturel.
En France, nous sommes confrontés à la situation inverse : nous disposons de programmes culturels mais rencontrons des difficultés pour obtenir des subventions pour avoir des locaux. Je ne sais pas comment fonctionne la politique au sein de votre pays mais ne pensez-vous pas que des départements culturels au sein des assemblées générales départementales, communales, etc. seraient nécessaires, notamment pour véhiculer certaines informations ?
Mon association est jumelée avec une association franco-japonaise de Hakodate qui organise un spectacle de plein air jumelé avec le Puy-du-Fou - le Goryokaku. Je pense que, si vous aviez un directeur culturel dans chaque établissement construit, vous seriez en mesure de demander une décentralisation. Si tout ne peut pas être géré au niveau décentralisé, cela permettrait néanmoins de présenter des programmes qui pourraient être très ludiques et éducatifs, à l'instar de ce qui est mis en oeuvre en France, en Rhône-Alpes notamment.
M. Bruno LEPRAT
Nous sommes contraints de stopper ce temps d'échanges consacré aux questions. Après la réponse de Mme Kobayashi, la parole sera donnée aux élus pour la seconde partie de ce colloque.
Mme Mari KOBAYASHI
Je vous ai donné une image négative des centres culturels en précisant qu'ils étaient loués. Certains centres culturels accueillent pourtant des activités culturelles très dynamiques organisées par les habitants.
Quant au spectacle autour des fortifications « Goryôkaku », il est très connu au Japon. Il est toutefois rare que les collectivités locales soient initiatrices d'un tel spectacle.
Elles se sont appliquées à l'aménagement des équipements, mais pour ce qui est de la mise en oeuvre des programmes, c'est l'initiative des citoyens qui a été déterminante. Il arrive toutefois que les initiatives des habitants ne soient pas en adéquation avec les équipements. De ce point de vue, il y a donc des efforts à faire.
Mais, en tout état de cause, la création artistique existe bel et bien au Japon. L'expression artistique, considérée comme activité fondée sur la volonté des citoyens, s'est développée sans participation des collectivités locales. Cela explique que la création artistique soit parfois en décalage avec les politiques culturelles menées par les collectivités locales.
M. Bruno LEPRAT
Une dernière question.
M. NAKAGAWA, président de la Maison de la culture du Japon à Paris
Ma question s'adresse à M. Pontier. Je pense qu'en France, les activités culturelles locales sont étroitement liées au secteur privé. La collaboration du secteur privé sous forme de mécénat semble en effet être très répandue. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur cet aspect ?
M. Jean-Marie PONTIER
Ma réponse risque de vous décevoir. Certes, une loi sur le mécénat existe en France et des dispositions fiscales visant à favoriser le mécénat ont été définies. Néanmoins, le mécénat intervient peu au niveau des actions culturelles, celles-ci étant essentiellement le fait des pouvoirs publics nationaux et locaux. Cette situation s'explique par des évènements historiques. Déjà avant Louis XIV, l'Etat jouait un rôle important dans le domaine de la culture, d'où les attentes des citoyens de voir l'Etat et les autres pouvoirs publics intervenir activement en matière de culture. Ainsi, nous comptons en France des maisons de la culture, des maisons des jeunes et de la culture (MJC) et des centres culturels.
Par ailleurs, il convient de souligner le fort investissement des collectivités locales en matière de spectacles vivants et d'arts de la rue en général.
Une autre formule fonctionne plutôt bien en France. Il ne s'agit pas du mécénat mais de la dation, mécanisme fiscal qui permet aux personnes privées de financer une partie de leurs impôts en donnant des oeuvres d'art à l'Etat.
Mme Pascale CORET, ministère de la Culture, direction régionale des Affaires culturelles
Mme Kobayashi a cité un projet de loi de préservation du patrimoine historique au Japon et M. Pontier a évoqué l'importante politique de protection qui a été mise en place depuis longtemps et qui s'est traduite par un nombre conséquent de monuments inscrits, classés, etc. et par une valorisation des espaces autour de ces monuments par une politique de périmètre de protection, lequel est d'ailleurs revu actuellement par un décret en vue d'adapter le périmètre au type de monument concerné.
J'aimerais savoir si, au Japon, avant le projet de loi cité, une forme de politique de protection était en place, même sans être entérinée par une loi, et, par ailleurs, je me demande si les Japonais ont conscience de leur patrimoine et se sentent concernés par la question ?
Mme Mari KOBAYASHI
S'agissant de la protection des constructions historiques, les avancées sont réelles. La loi de protection des biens culturels a été votée depuis bien longtemps. La loi sur la préservation des anciennes capitales a été adoptée au cours d'une période récente - je ne connais pas la date exacte. La loi, dont je vous ai précédemment parlé et qui sera prochainement proposée à la Diète, prévoit que la collectivité locale, en dehors de Tokyo et de Nara, bénéficie de subventions lorsqu'elle veut mener une politique urbaine en préservant et valorisant ses ressources culturelles et historiques. Je ne connais pas encore les détails de cette nouvelle loi.
M. Bruno LEPRAT
Je remercie Mme Mari Kobayashi et M. Jean-Marie Pontier pour leurs interventions. J'invite MM. Shigemitsu Hosoe, maire de Gifu, Eiichi Sato, maire d'Utsunomiya, ainsi que M. Jean-Jacques Derrien, directeur des relations internationales de la ville de Nantes à nous rejoindre.
Nous allons nous plonger dans le monde des collectivités locales au travers des interventions de quatre élus locaux et d'un fonctionnaire territorial. Il s'agira d'envisager la place attribuée à la culture dans leur collectivité et de nous interroger sur la finalité poursuivie dans ce domaine.
Nous entendrons tout d'abord Mme Catherine Morin-Desailly, adjointe au maire de Rouen et sénatrice de la Seine-Maritime, puis M. Yves Dauge.
Mme Catherine Morin-Desailly, comment la culture est-elle gérée à Rouen, et plus globalement du côté des collectivités locales ? A quoi cela sert ? Vous avez de nombreuses responsabilités mais il serait intéressant que vous vous exprimiez en tant qu'élue locale.
L'ACTION CULTURELLE,
UN ENJEU DU DÉVELOPPEMENT LOCAL,
PRÉSIDÉ PAR M. TADASHI TOKISAWA
A. LA CONTRIBUTION DES COLLECTIVITÉS LOCALES AU DÉVELOPPEMENT DE LA CULTURE EN FRANCE
Mme Catherine MORIN-DESAILLY, sénatrice de la Seine-Maritime, adjointe au maire de Rouen, chargée de la culture, membre de la Fédération nationale des collectivités locales pour la culture (FNCC), présidente du groupe d'études sur les arts de la rue et du cirque
Je vous remercie. Je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui, d'autant que le Sénat est un lieu particulièrement pertinent pour permettre à des élus locaux de s'exprimer sur les politiques culturelles, les sénateurs étant eux-mêmes des élus d'élus et des élus locaux.
La contribution des collectivités locales au développement de la culture est très importante, comme en témoignent les chiffres. Ainsi, cette participation peut représenter jusqu'à 15 %, voire plus, de leur budget. Nous sommes passés, en quelques années, d'une politique de soutien culturel à une véritable politique culturelle des collectivités territoriales.
Rouen, capitale de la Haute-Normandie chargée d'Histoire, dispose de patrimoines remarquables (architectural, muséal et littéraire), sans parler des actions de création et de formation qui constituent les volets de soutien d'une politique culturelle. Entre 2001 et 2007, le budget municipal consacré à la culture est passé de 12 % à 16 %. Il s'agit du troisième budget de la ville, après l'urbanisme et les moyens municipaux. Sur 2 200 employés municipaux, 380 agents travaillent dans le domaine de la culture, du professeur de conservatoire au gardien de musée, en passant par les gestionnaires des salles et les intervenants dans les maisons des jeunes et de la culture. Il ne fait aucun doute que ce secteur est très riche et très varié.
Une organisation spécifique a été mise en place à Rouen, compte tenu de l'importance dudit secteur. Au fur et à mesure que les collectivités territoriales s'emparaient de la question culturelle, les services se sont dotés d'expertises, notamment au fil des formations proposées. Un département culture, tourisme et patrimoine a été constitué. Mon collègue, M. Yves Dauge, abordera tout à l'heure la question de l'impact de la culture sur le tourisme. Force est de reconnaître que, dans certaines villes, culture et tourisme sont étroitement liés.
La décision de constituer des départements spécifiques, dans lesquels travaillent des fonctionnaires formés, découle de l'investissement effectué par les collectivités en faveur du développement de la culture.
Je ne reviendrai pas sur les questions de financement. Je souhaite m'étendre davantage sur les effets de ces dépenses et sur les raisons qui nous amènent à décider d'investir dans la culture, en procédant aussi bien à des dépenses de fonctionnement que d'investissements. Je tiens également à aborder les effets produits par ces activités pour le développement des territoires concernés.
La culture est un élément fondamental du développement durable de nos territoires. En effet, il s'agit d'un élément d'attractivité, de rayonnement, d'identité et de lien social. En outre, il s'agit d'un facteur de développement économique, même s'il faut veiller à ne pas nourrir de trop grands espoirs, les effets étant difficiles à mesurer et les interactions s'avérant parfois complexes.
LA CULTURE EST UN MOTEUR DE DÉVELOPPEMENT LOCAL
La culture produit un effet sur les habitants des territoires eux-mêmes. Ceux-ci en tirent souvent un motif de fierté, d'identification positive, qu'ils fréquentent ou non les institutions ou les manifestations et qu'ils participent ou non aux actions. Tout habitant est susceptible de bénéficier des retombées positives, notamment lorsqu'il entend parler à l'extérieur de sa ville. Les Nantais doivent, par exemple, être très fiers d'entendre parler de leur ville dès lors qu'on évoque le spectacle de rue créé par la Compagnie Royal de Luxe à Nantes.
Le dynamisme culturel d'un territoire participe au dynamisme général de celui-ci et à la mise en mouvement de sa population. Les arts de la rue se sont emparés des villes. A Sotteville-lès-Rouen, nous avons le festival Vivacité. Ce type d'activités culturelles découle d'un projet collectif, pour lequel l'ensemble des services d'une ville (police municipale, service culturel, espaces verts, service technique, petite enfance, etc.) sera concerné et mobilisé. Ces projets contribuent au vivre ensemble et au renforcement du sentiment de bien-être collectif.
Je pourrais vous citer une multitude d'autres exemples montrant à quel point la population s'approprie rapidement un projet :
· le festival de jazz de Marciac ;
· le festival Est-Ouest de littérature de Die - la population joue notamment un rôle crucial dans l'accueil du public ;
· la biennale de danse de Lyon - de nombreux jeunes sont mobilisés par les communes environnantes et les relais socioculturels, y compris ceux vivant dans les quartiers dits sensibles.
Force est de reconnaître que, dans certains cas, le sentiment que le projet culturel contribue fortement au développement local met davantage de temps à naître.
L'annulation du festival d'Avignon en 2003, suite à la crise de l'intermittence, a suscité une prise de conscience très nette chez les Avignonnais. Ils se sont rendu compte que le festival ne s'arrêtait pas aux animations organisées et qu'il avait un véritable impact en termes de retombées économiques.
LA CULTURE PERMET LA REVALORISATION DU TERRITOIRE
L'action culturelle peut également être un élément de réparation et de revalorisation symbolique d'un territoire. A Bilbao, par exemple, le musée Guggenheim a servi de point de départ pour envisager les actions de développement urbain et de modernisation de la ville. Glasgow, en étant désignée capitale européenne de la culture dans les années 80, a pu tirer parti de cette situation. En France, nous pouvons retenir l'exemple de la région Lorraine qui a entrepris, en association avec la Sarre et le Luxembourg, de reconstruire son image, trop fortement associée jusqu'alors à une industrie en déclin.
Dans certaines villes - c'est le cas de Rouen notamment - l'urbanisme a été repensé en se basant sur un équipement culturel structurant. Ainsi, une médiathèque d'envergure régionale est en cours de construction par M. Rudy Ricciotti, laquelle a volontairement été implantée dans un quartier du grand projet de ville, afin de favoriser le désenclavement urbain et culturel. D'autres initiatives portant sur des quartiers importants pour les villes ont été prises à Rennes ou à Clermont-Ferrand. Une initiative qui concerne tout le centre-ville est également menée à Turin.
Quoi qu'il en soit, il me semble qu'aujourd'hui, l'enjeu qui se présente pour les villes consiste à enclencher une dynamique entre le patrimoine et la création. Ces aspects ne sauraient être opposés. Nous sommes amenés à constater qu'en matière de politiques culturelles, disposer d'équipements constitue de plus en plus une véritable priorité pour un nombre croissant de petites villes. Les cinémas ont été évoqués tout à l'heure. Tous les équipements de proximité - écoles de musique, bibliothèques, cinémas, etc. - sont incontournables en matière d'aménagement du territoire.
LA CULTURE CONTRIBUE AU DÉVELOPPEMENT DU VIVRE ENSEMBLE
Je ne peux évoquer l'action culturelle sans parler des festivals, lesquels ont des retombées très bénéfiques sur l'ensemble des emplois permanents créés sur place.
L'organisation de tels évènements génère un surcroît d'activité dans l'hôtellerie, la restauration et les activités liées au spectacle et à la publication en particulier. Outre ces effets connexes, l'organisation de festivals permet également d'apporter la culture au plus grand nombre.
Dans une ville, l'aspect relatif au vivre ensemble est essentiel. Il faut faire le choix de construire une communauté citoyenne et de rassembler les quartiers.
Un autre exemple relatif au volet culturel de la politique de la ville mérite d'être cité, car il permet de rétablir des circulations dans les deux sens. Ainsi, certaines villes s'organisent de sorte à ce qu'au sein des centres, des activités associent des jeunes issus de quartiers dits sensibles et qu' a contrario , en périphérie, soient organisées des manifestations susceptibles d'intéresser toute la population.
A Rouen, nous avons par exemple créé un festival d'été des Arts des Hauts et un festival de cinéma Ecran Total. Ils sont volontairement uniques sur le territoire de la ville, de manière à inciter les Rouennais à se déplacer vers les quartiers concernés. Une telle démarche permet de tisser un lien social à travers la culture, ce qui, à mes yeux, constitue un défi très intéressant.
En conclusion, les villes sont prêtes à investir dans la culture et elles le font de plus en plus. La priorité, aujourd'hui, consiste à veiller à ce que la décentralisation culturelle soit mieux organisée, de manière à éviter dispersion et superposition, compte tenu du foisonnement d'actions culturelles qui peut être constaté. Par ailleurs, dans certains cas, nous attendons de l'Etat qu'il nous accompagne dans l'aménagement du territoire. Ce dernier ne s'implique pas suffisamment dans la stratégie mise en place en matière culturelle alors qu'il serait à même d'accompagner certaines spécificités ou la mise en valeur de certaines identités territoriales, ce qui permettrait de pouvoir compter sur davantage de complémentarité et d'éviter que des politiques culturelles se reproduisent à l'identique sur un territoire.
Mon exposé s'arrête ici. Je sais que M. Yves Dauge a également beaucoup de choses à vous dire.
M. Bruno LEPRAT
Je vous remercie.
Il convient de préciser que vous êtes également membre d'une fédération de collectivités locales pour la culture. Quelle est l'actualité de vos réflexions au sein de cette association ?
Mme Catherine MORIN-DESAILLY
Nous travaillons sur plusieurs sujets, mais nous sommes particulièrement préoccupés à l'heure actuelle par la décentralisation des enseignements artistiques. Je suis d'ailleurs chargée de conduire une mission d'information pour la commission des Affaires culturelles du Sénat sur le sujet.
Je vous rappelle que la loi du 13 août 2004 ne prévoit pas un transfert de compétences, ledit transfert ayant déjà été opéré dans les années 1982-1983.
Il s'agit davantage d'un transfert de financement, de manière à ce que l'enseignement artistique (musique, théâtre et danse principalement) soit mieux équilibré. Aujourd'hui, ce sont les villes qui portent l'ensemble de ces financements à hauteur de 80 %.
Dans un cadre plus vaste, afin d'amener la culture et l'enseignement au plus grand nombre, nous envisageons également les questions relatives au chantier de l'éducation artistique et culturelle. La mise en oeuvre de cette loi, dont l'enjeu est considérable, semble être difficile.
Les collectivités s'étant fortement investies dans le domaine de la culture - je vous rappelle qu'elles financent les deux tiers des dépenses culturelles aujourd'hui - il est essentiel qu'un travail partenarial soit mené avec le ministère. Le temps de l'Etat jacobin et ordonnateur est révolu. Est venu le temps d'un Etat coordonnateur et facilitateur qui amène son expertise de manière à ce que l'organisation de la décentralisation se déroule sans anicroche. A l'heure actuelle, la manière dont les crédits seront transférés et les possibilités de développement en matière d'enseignement et de sensibilisation aux arts et à la culture sont nos principales préoccupations.
M. Bruno LEPRAT
Je vous remercie.
Laissons la parole à présent à M. Yves Dauge, maire-adjoint de Chinon, sénateur d'Indre-et-Loire. Pour information, maire se dit shichô en japonais.
Chinon et le tourisme, Chinon et la culture : comment ces éléments trouvent-ils leur équilibre ?
B LA CONTRIBUTION DE L'ACTION CULTURELLE
EN FAVEUR DU DÉVELOPPEMENT LOCAL EN FRANCE :
TOURISME, EMPLOI, QUALITÉ DE VIE, PRÉSERVATION DU PATRIMOINE...
M. Yves DAUGE, sénateur d'Indre-et-Loire, membre de la commission des Affaires culturelles, membre du groupe d'études sur le patrimoine architectural, point focal du Sénat à l'Unesco
J'ai été maire de Chinon pendant plusieurs mandats. Cette précision a son importance, car la politique que je m'apprête à vous décrire doit s'inscrire dans la durée. Nous sommes amenés, les uns et les autres, à développer de véritables dynamiques de politique culturelle.
Chinon, ville de taille moyenne, a la responsabilité de tout un territoire sur le plan culturel. A côté de Tours, qui compte 200 000 habitants, Chinon semble être une petite ville avec son territoire de 80 000 habitants. Il lui revient néanmoins la responsabilité d'assurer la gestion de la politique culturelle à l'échelle de ce territoire rural. Des villes de taille comparable, voire de plus grande taille, se situant dans la périphérie immédiate de Tours, n'effectuent pratiquement pas de dépenses culturelles car elles se reposent sur la ville centre. Plusieurs villes, au sein de chaque département, connaissent la même situation que Chinon.
Chinon est une ville historique disposant d'un patrimoine exceptionnel. Ancienne capitale royale, Chinon est inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco et bénéficie de l'ensemble des dispositifs de protection inventés en France (loi Malraux, etc.). L'articulation entre la culture bâtie autour du patrimoine - la poursuite de la création patrimoniale via l'architecture contemporaine y compris - et le tourisme est un élément déterminant. Ville de 15 000 habitants, elle voit sa population compter 500 000 habitants supplémentaires pendant deux mois. L'attractivité touristique, si elle est extraordinaire, ne doit pas détruire la ville et en faire une ville objet. La qualité du patrimoine bâti de Chinon est exceptionnelle mais son remarquable patrimoine naturel mérite également d'être cité. En tant que président d'un parc naturel régional sur la Loire, je suis en mesure d'affirmer que le patrimoine naturel qui existe autour de la Loire est un élément d'attraction touristique considérable, avec le développement du tourisme culture nature notamment.
Ces richesses patrimoniales sont néanmoins très fragiles et nécessitent sans arrêt de lourds investissements en service, suivi, entretien. Si vous connaissiez le budget consacré à l'entretien du patrimoine de Chinon, vous seriez stupéfaits. Cette situation particulière s'explique notamment par le fait que la ville compte une cinquantaine de monuments historiques classés qu'il convient d'entretenir.
Intéressons-nous aux fondamentaux de la politique culturelle dans les autres domaines. Personnellement, j'ai construit une politique culturelle à partir des contenus. Des éléments de contenu et de programmation ont été construits progressivement autour de l'écrit (lecture, théâtre, animations de rue) et de l'image. Il faut savoir que, dans une ville comme Chinon, si le cinéma n'est pas propriété de la ville et géré par une association, il n'y a plus de cinéma. La majorité des cinémas se trouve dans la périphérie de Tours, au sein de grands ensembles multisalles. Quoi qu'il en soit, je dispose d'un cinéma au coeur de ma ville, lequel propose une excellente programmation et fait intervenir des cinéastes et des acteurs qui adorent se rendre à Chinon. Une sorte de paradoxe peut être constaté : grâce à l'accueil proposé et au sentiment de proximité qui se dégage dans ce type de rencontre, la capacité d'établir des liens avec les artistes est exceptionnelle.
J'ai également largement investi dans le domaine de la musique. Notre école de musique compte 250 élèves. Nombre d'entre eux viennent des alentours mais c'est la ville qui paie. Quelques subventions sont attribuées pour l'achat d'instruments, mais encore faut-il payer les 18 professeurs que compte l'école. Or, nous ne pouvons pas nous en passer si nous souhaitons développer la politique artistique et culturelle, surtout vis-à-vis des jeunes.
M. Bruno LEPRAT
Comment défendre une politique culturelle lorsque le service des affaires économiques, le service social, etc. est également demandeur de budgets ?
M. Yves DAUGE
Il incombe à la ville centre de mettre en place des actions de manière progressive et de trouver des accords politiques. Des arbitrages sont inévitables, les décisions étant rarement prises à l'unanimité. S'il ne fait aucun doute que l'école de musique est une structure incontournable pour la ville, il n'empêche que, chaque année, certains membres du conseil municipal votent systématiquement contre.
Je n'ai pas été en mesure de moduler les tarifs proposés. Outre le travail considérable qu'il faudrait accomplir pour connaître le niveau de revenus des personnes concernées, je suis confronté à des personnes qui sont hostiles aux mesures mises en oeuvre dans le domaine culturel.
Outre la musique, la création architecturale et les arts plastiques ont, pour moi, une place essentielle dans l'action culturelle. J'ai donc créé une galerie d'exposition et je fais intervenir des plasticiens, en ville, sur des créations architecturales, à l'instar du pont qui a été cité pour le Japon.
Ainsi, des artistes connus tels que François Morellet, Erik Dietman et Olivier Debré ont réalisé des créations en ville, dans l'espace public.
De tels projets donnent lieu à de véritables débats au sein du conseil municipal, y compris au sein de la majorité, les gens n'étant pas motivés par ce genre d'actions. Je me trouve constamment confronté à des difficultés lorsqu'il s'agit de faire avancer ce type de dossier, les gens préférant organiser des fêtes, autour du vin en particulier. Si ce type de manifestation est incontournable et fait partie du patrimoine immatériel, il s'avère néanmoins essentiel de développer d'autres actions culturelles. Ma ville doit être à l'avant-garde en matière de culture.
Les maires se heurtent à des difficultés lorsqu'il s'agit de pousser la culture vers l'art contemporain ainsi qu'en matière d'investissement et d'information. Toutes les actions entreprises dans le domaine culturel sont menées en partenariat avec les écoles. Rien n'est mis en oeuvre sans les écoles et sans les associations, lesquelles sont deux leviers constants dans la déclinaison de ma politique culturelle.
Par ailleurs, il est évident que je n'agis pas seul. Un étroit partenariat avec l'Etat a été mis en place. Personnellement, je revendique le développement de directions régionales de la culture puissantes. Il arrive que je sois particulièrement inquiet sur leur devenir, d'autant que nous en avons besoin au titre de la cohérence territoriale et du développement de partenariats sur les contenus. Je cherche à contractualiser au maximum avec l'Etat pour bénéficier de son expertise. Je contractualise évidemment avec la région et le département et j'enchaîne, en séquence, ces contractualisations autour de ma saison culturelle et de mes institutions chaque année.
Vous avez évoqué la question de l'arbitrage budgétaire. Si je travaille bien et que mon programme est bien construit, je serai suivi dans mes projets et j'obtiendrai un budget de fonctionnement assez conséquent.
En outre, je peux compter sur des partenariats privés. Citons l'exemple du centre E. Leclerc de Chinon qui, chaque année, finance de manière importante une association que nous soutenons.
Je me rends également à l'étranger pour établir des partenariats dans le cadre de coopérations décentralisées, notamment autour des villes du patrimoine. Je bénéficie notamment du soutien de M. Antoine Joly qui est présent aujourd'hui et que je salue.
Je me rends à Luang Prabang, ville au nord du Laos, qui a un patrimoine culturel, matériel et immatériel considérable et que l'Unesco nous a demandé de sauver. Là encore, je ne bénéficie pas d'un soutien unanime pour les projets qui sont envisagés.
Pour conclure, il ne fait aucun doute qu'aucun développement n'est possible sans prendre en compte fondamentalement la culture, laquelle est au coeur de nos démarches. Nous ne pouvons pas raisonner de manière sectorielle. L'attractivité de notre ville dépend de cette condition mais nous sommes souvent mal compris par une partie de la population. Nous sommes généralement suivis par les jeunes et nous arrivons à nos fins. Si nous ne pouvions pas compter sur la légitimité et le soutien moral et financier apportés par l'Etat, nous ne serions pas en mesure de développer des actions culturelles, car nous ne disposons pas de la même puissance de feu que les grandes villes.
Retenez que la situation que connaît Chinon est celle rencontrée par trois ou quatre villes par département, soit environ 350 villes concernées en France, lesquelles doivent gérer des territoires importants d'environ 50 à 100 000 habitants. Ainsi, toute l'infrastructure territoriale se trouve irriguée par la politique culturelle. L'action culturelle n'est pas anecdotique. Elle joue un rôle fondamental dans l'aménagement du territoire.
M. Bruno LEPRAT
Des réflexions sur les attributions respectives des collectivités locales sont menées en France. Pensez-vous qu'il y a un époussetage en matière culturelle ? Considérez-vous que cela relève d'une articulation politique organisée par l'Etat ?
M. Yves DAUGE
Ma position est assez proche de ce qui a été dit jusqu'à présent. Les réflexions portent essentiellement sur des compétences générales, peut-être trop larges chez certains. Quoi qu'il en soit, il ne fait aucun doute que la commune a une vocation et une compétence générale dans ce domaine. Selon moi, les compétences du département pourraient être resserrées car je ne pense pas que la culture soit sa vocation dominante, contrairement au domaine social ou au domaine des infrastructures routières.
Les compétences de la région mériteraient néanmoins d'être renforcées, notamment via la définition d'une alliance plus structurée avec l'Etat.
Je ne connais pas la position de ma collègue sur le sujet mais il me semble que davantage de cohérences territoriales devraient être construites au niveau régional. Je suis personnellement soutenu par ma région, mais rien ne l'y oblige. Je tiens à préciser qu'au-delà de mes partenariats institutionnels avec les autres collectivités et l'Etat, je peux compter sur des partenariats avec des institutions qui sont soutenues par l'Etat et les collectivités.
Je pense notamment au Centre de création contemporain et au Centre d'art dramatique de Tours qui sont des institutions nationales, ainsi qu'à l'Opéra de Tours, soutenu par l'Etat. Je m'accroche à ces institutions. Il est nécessaire qu'elles soient poussées, par l'Etat et par tous ceux qui les financent, à venir vers nous. Il nous revient bien sûr d'en exprimer la demande.
Le fonctionnement et la programmation de ma galerie d'art contemporain, qui fonctionne très bien et reçoit des artistes remarquables, sont assurés par le Centre de création contemporain de Tours. En outre, la programmation théâtrale de ma ville est élaborée en accord étroit avec le Centre d'art dramatique de Tours. Je ne peux pas agir seul de mon côté, faute de quoi Chinon connaîtrait la même situation qu'il y a vingt ans, époque où une troupe passait de temps en temps. Nous ne pouvons plus fonctionner de cette manière aujourd'hui. Je privilégie une politique construite, constamment reconstruite et négociée, et pouvant compter sur les relais que constituent l'école et le réseau associatif. Et cela fonctionne !
Mme Catherine MORIN-DESAILLY
Je partage la position de mon collègue sur la répartition des compétences qu'il a décrite. J'ajouterai qu'il existe un échelon de collectivités qui n'a pas été mentionné : l'intercommunalité. Or, l'intercommunalité devrait être davantage impliquée, dans les années à venir, dans les politiques culturelles. Prenons le cas de la ville de Rouen. Il s'agit d'une petite ville centre de 120 000 habitants, au sein d'une agglomération de 400 000 habitants. Si le budget consacré à la culture est si important, c'est que nous portons toutes les charges de centralité. Nous avons su utiliser les outils de la décentralisation, notamment en mettant en place, avec notre Opéra, le premier EPCC de France avec la région et les départements. Certains établissements - notre conservatoire, notre école d'art, nos cinq musées - ont une vocation supra-communale. Ils proposent une politique tarifaire qui s'adresse, certes, à tous les habitants de la ville, mais aussi aux habitants de l'agglomération.
Selon moi, les travaux qui seront envisagés à l'avenir doivent intégrer l'esprit de la loi qui consiste à mieux faire ensemble ce qu'on ne pourra plus faire tout seul, compte tenu de l'augmentation des charges, l'objectif étant de continuer à privilégier une politique culturelle très dynamique et très diversifiée. L'intercommunalité est un échelon très important.
M. Bruno LEPRAT
La ville de Gifu compte également 400 000 habitants. Son premier édile, Shigemitsu Hosoe, va nous décrire à présent les points-clés de la politique et de la richesse culturelles de sa ville.
C. LA CONTRIBUTION DES COLLECTIVITÉS LOCALES AU DÉVELOPPEMENT DE LA CULTURE AU JAPON
M. Shigemitsu HOSOE, maire de Gifu
Je suis vraiment ravi de ma visite à Paris aujourd'hui. C'est pour moi l'occasion de me souvenir, avec beaucoup de nostalgie, que j'ai étudié pendant un mois à l'INSEAD de Fontainebleau il y a 30 ans.
Je voudrais tout d'abord indiquer que dans le système japonais, contrairement au système français, les maires sont élus au suffrage universel direct par les citoyens, indépendamment des conseillers municipaux. Mon voisin, Monsieur Satô, et moi-même n'avons donc pas le statut de conseiller municipal.
Permettez-moi ensuite de vous présenter la ville dont je suis le maire, Gifu. En premier lieu, puisque les photos apparaissent à l'écran, vous pouvez voir deux tableaux que j'ai moi-même réalisés. Vous me voyez également sur la photo suivante arborant un dossard qui porte le numéro 1. J'ai en effet l'habitude de courir tous les dimanches avec des amis. J'ai d'ailleurs trop couru l'an dernier, à tel point que j'ai dû me faire opérer du genou. En tout état de cause, vous pouvez constater que les activités culturelles et sportives sont un domaine de prédilection pour moi, un domaine très gratifiant, qui enrichit la vie.
PRÉSENTATION DE LA VILLE DE GIFU
La ville de Gifu compte environ 420 000 habitants. La grande tour que vous apercevez est un immeuble d'habitation de 42 étages, dont la construction a été achevée en octobre 2007. Cette tour mesure 163 mètres de haut et est habitée par environ 1 000 personnes. A l'arrière-plan, vous distinguez également le Mont Kinka (Kinka-zan). La tour s'élève environ à mi-hauteur de cette montagne. Depuis son achèvement, la ville a lancé d'autres projets de réaménagement urbain qui vont remodeler son image.
Gifu se trouve au centre du Japon, dans le département du même nom (département de Gifu). Elle se situe au sud du département et en est le chef-lieu. Au Japon, nous n'avons que 1 800 communes, comparé aux 36 000 que compte la France. Le nombre de communes au Japon ne représente donc que 1/20 e de celui de la France. Et la tendance au Japon est toujours à la fusion des communes, dans le but d'en réduire encore le nombre.
Notre ville s'étend sur 200 km 2 , dont 30 % sont occupés par des forêts et 20 % par des terres agricoles. La population avoisine celle de Toulouse, la quatrième ville de France, avec environ 430 000 habitants.
Elle se situe à 2 heures de Tokyo, grâce au train rapide Shinkansen, et à 17 minutes de Nagoya, qui est particulièrement connue pour ses usines Toyota. Nombreux sont d'ailleurs nos habitants qui vont travailler à Nagoya.
Comme vous pouvez le constater, notre ville présente de très beaux paysages. La rivière Nagara, avec ses 166 kilomètres, mesure environ le cinquième de la longueur de la Seine. Le Mont Kinka culmine à environ 320 mètres. A son sommet se dresse le château de Gifu. Le chef de guerre Oda Nobunaga en fit son quartier général il y a 440 ans, dans le cadre de sa campagne d'unification de l'ensemble du Japon. Le château lui-même fut érigé il y a 800 ans, mais il a malheureusement été détruit par un incendie, de sorte que le château actuel est une reconstitution qui date d'une cinquantaine d'années environ.
La photo suivante est une vue de nuit de la ville depuis les hauteurs du château de Gifu. L'été, un grand nombre de gens grimpent jusqu'au sommet du Mont Kinka pour bénéficier de ce magnifique panorama à 360 degrés.
Mais la ville de Gifu est également connue pour ses objets d'arts traditionnels. Nous fabriquons ainsi depuis très longtemps des lanternes et des parapluies traditionnels en papier japonais washi .
LE RÔLE DES COLLECTIVITÉS LOCALES DANS LE DÉVELOPPEMENT CULTUREL
Je suis convaincu que l'administration et la politique ne peuvent se passer de la culture. C'est la raison pour laquelle je m'investis autant que possible en ce qui concerne la culture, les arts et les sports et que je cherche à être un modèle dans ce domaine.
La culture, les arts et les sports qui reflètent la singularité locale donnent une personnalité à la ville, une personnalité propre à créer de la diversité et à donner du dynamisme à la ville.
A une époque où on observe une modification rapide et profonde de l'économie et de la société, nous avons tout particulièrement besoin de cette richesse intérieure. C'est là que réside toute l'importance de la culture.
Un véritable mouvement de décentralisation s'est produit au Japon depuis une vingtaine d'années, c'est-à-dire depuis les années 90. Dans ce cadre, chaque localité cherche son originalité, chaque ville cherche à se diversifier, de sorte que la culture joue un rôle très important dans le processus de décentralisation.
J'aimerais vous présenter les trois axes essentiels autour desquels tournent les actions que nous menons à Gifu pour la promotion des arts et de la culture :
· transmettre, retrouver et créer les arts et la culture ;
· inciter les citoyens à participer aux manifestations culturelles et artistiques ;
· offrir des équipements culturels et des événements culturels de qualité.
Notre ville de Gifu est chargée d'histoire. Nous sommes les héritiers d'une culture singulière que nous nous devons de transmettre. Mais certains aspects de cette culture singulière sont, en quelque sorte, enfouis : nous nous devons de les retrouver. Par ailleurs, il nous faut également créer de nouvelles formes de culture spécifiques à notre ville.
En ce qui concerne la transmission de notre culture singulière, j'aimerais vous présenter trois exemples : la pêche au cormoran, la fête du feu et les feux d'artifice d'été.
Le premier exemple concerne donc la pêche au cormoran. Elle consiste à attacher une cordelette au cou de l'oiseau pour que celui-ci pêche le poisson dans la rivière. Cette technique est riche d'une histoire d'environ 1 300 ans. Autrefois elle constituait une technique de pêche ; elle est devenue aujourd'hui une ressource touristique.
Vous pouvez voir sur la photo qui apparaît à l'écran six maîtres-pêcheurs de cette technique de pêche au cormoran. Chacun manipule 10 à 12 cormorans pour pêcher la truite ayu . Cette pêche au cormoran se pratique dans 13 villes japonaises, mais celle qui se pratique à Gifu sur la rivière Nagara est la plus importante puisqu'elle rassemble chaque année plus de 120 000 spectateurs. Des bateaux emmènent les touristes sur les lieux de pêche entre le 11 mai et le 15 octobre. Le grand comédien Charlie Chaplin y a d'ailleurs assisté à deux reprises, en 1936 et 1961. Les journaux de l'époque relatent qu'il ne tarissait pas d'éloges face à ce spectacle, s'exclamant « Wonderful ! ».
Les rivages de la rivière Nagara ont maintenant été aménagés en lieu de promenade. On peut donc désormais assister à la pêche au cormoran depuis les rives. Pour tenter d'inscrire cette pêche au patrimoine mondial de l'Unesco, d'autres aménagements sont en cours. La pêche au cormoran est déjà enregistrée comme patrimoine immatériel du département de Gifu. Il reste maintenant à la faire enregistrer sur la liste du patrimoine immatériel national, pour la faire ensuite enregistrer sur la liste du patrimoine immatériel de l'Unesco. L'activité de pêche au cormoran bénéficie d'un budget annuel de 3,6 millions d'euros versé par la ville.
Le deuxième exemple que j'aimerais vous présenter concerne la Fête du feu, qui est riche de 300 ans de tradition. Il s'agit d'un feu d'artifice particulier, qui ressemble à des cascades de feu d'une vingtaine de mètres de hauteur, portées par des hommes torse nu dont on dit qu'en participant à cette manifestation ils sont assurés de ne pas tomber malades dans l'année. Cette manifestation est classée sur la liste du patrimoine immatériel important du département de Gifu.
Mon dernier exemple de perpétuation de la culture de notre ville concerne les feux d'artifice d'été. Deux fois chaque été, un grand feu d'artifice très célèbre dans tout le Japon est tiré à Gifu. Chacun de ces deux feux d'artifice, composé de 30 000 tirs, rassemble une foule d'environ 400 000 spectateurs.
Dans le cadre de notre politique qui consiste à « retrouver » des aspects enfouis de notre patrimoine culturel, nous menons plusieurs actions dont je voudrais vous citer deux exemples.
Le premier exemple a trait au personnage d'Oda Nobunaga. Le chef de guerre Oda Nobunaga est l'une des figures historiques les plus célèbres et les plus populaires du Japon. A une époque de division des provinces (l'époque dite de « Sengoku », il y a environ 450 ans), il a installé son quartier général à Gifu dans le but d'unifier tout le pays. Né en 1534, il se donne la mort à 48 ans (1582) dans le temple assiégé et incendié de Honnô-ji. S'il avait vécu, il aurait sans doute eu une carrière encore plus illustre. Il a mené à bien des réformes très difficiles, ce qu'on appellerait aujourd'hui des réformes structurelles, et a même essayé de libéraliser les marchés. A l'époque, un missionnaire portugais qui se trouvait à Kyoto, Louis Frois, a rendu visite à Oda Nobunaga à Gifu. Dans son journal, il décrit la fabuleuse résidence d'Oda Nobunaga, dont il pense qu'elle est sans équivalent en Europe. Le dessin que vous pouvez voir à l'écran et qui représente cette résidence est fondée sur les descriptions de ce missionnaire. Nous envisageons actuellement de faire une reconstitution réelle de cette résidence. Pour l'instant, nous n'en sommes qu'au stade des fouilles sur le site mais nous faisons déjà de ces fouilles une activité touristique, dans la mesure où elles sont menées directement sous les yeux du public. Chaque année, en octobre, est organisée une Fête d'Oda Nobunaga qui rassemble de nombreux spectateurs. A cette occasion, on peut assister à des démonstrations d'arquebuses anciennes, des armes à feu utilisées il y a 450 ans.
Mon deuxième exemple portant sur des aspects enfouis de notre patrimoine culturel que nous essayons de faire revivre concerne le rakugo . Le rakugo est l'art japonais des conteurs. Il s'agit d'un art de la parole. Vous pouvez voir à l'écran un maître de rakugo en train de narrer toutes sortes d'histoires avec des gestes pour faire rire le public. Le moine Anrakuan Sakuden, le fondateur du rakugo , est né à Gifu.
C'est pourquoi, il y a 5 ans, nous avons décidé de lancer un championnat universitaire de rakugo , sachant qu'au Japon il existe des cercles de rakugo dans les universités. C'est ainsi qu'environ 120 étudiants de 30 universités viennent participer chaque année à ce championnat que nous avons déjà organisé quatre fois. La cinquième édition aura lieu au mois de mars prochain. Deux anciens vainqueurs sont maintenant devenus des conteurs professionnels de rakugo .
S'agissant de notre politique de soutien à la création d'une culture contemporaine nouvelle, je citerai tout d'abord le théâtre nô aux flambeaux. Le spectacle de nô , qui a 600 ans d'histoire, mêle les arts de la danse, du théâtre, de la musique et de la poésie. C'est l'art scénique le plus ancien. C'est un spectacle musical, mais c'est aussi un théâtre masqué puisque les acteurs portent des masques. Cette forme de théâtre est déjà inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'Unesco. La ville de Gifu propose aujourd'hui un nô particulier, le nô aux flambeaux. La représentation est organisée dans le noir, simplement éclairée par des flambeaux. Ce spectacle, organisé avec le Mont Kinka en arrière-plan, est vraiment magnifique et très réputé.
Nous organisons aussi, chaque année depuis dix ans, une exposition de « Flag Art » dans un quartier particulièrement animé de Gifu. Les meilleures oeuvres venues de tout le Japon sont présentées au public sur des drapeaux de trois mètres de haut et deux mètres de large. En 2007, 178 oeuvres nous ont été proposées et nous avons exposé les meilleures après sélection par un jury.
J'aimerais enfin vous parler de la Fête des bateaux nocturnes du solstice d'hiver ( koyomi no yobune ). La rivière Nagara, où se pratique la pêche au cormoran l'été, était assez triste l'hiver puisqu'elle ne bénéficiait d'aucune animation. Depuis deux ans, un jeune artiste dans la quarantaine, originaire de notre région, Monsieur Katsuhiko Hibino, organise une Fête des bateaux nocturnes le 22 décembre. Sur des bateaux traditionnels yakata - dotés d'un toit - sont dressés douze chiffres illuminés représentant les mois de l'année. Ce sont les citoyens qui fabriquent ces douze chiffres illuminés, qui sont en fait des sortes de grandes lanternes traditionnelles en papier japonais. Cette manifestation est désormais caractéristique de la période hivernale dans notre ville.
Le deuxième axe des actions que nous menons dans le domaine de la promotion des arts et de la culture concerne la participation citoyenne. La création culturelle ne peut naître que de l'investissement actif des citoyens et leur participation aux manifestations artistiques et culturelles. C'est pourquoi, chaque automne, nous organisons une Fête de la culture à laquelle chaque citoyen est invité à participer.
Cette Fête de la culture se décline en trois manifestations :
· une exposition de beaux-arts ;
· un festival de littérature ;
· un festival des arts de la scène.
L'exposition de beaux-arts présente des oeuvres de domaines aussi divers que la peinture japonaise et occidentale, la sculpture, l'artisanat, la calligraphie, la photographie et le dessin. Chaque année, environ 1 000 oeuvres nous sont proposées.
Le festival de littérature présente les oeuvres réalisées par les citoyens dans tous les domaines littéraires. 7 500 oeuvres nous sont proposées chaque année par les citoyens.
Le festival des arts de la scène est vieux de vingt ans et présente cinq genres de spectacles différents :
· la musique traditionnelle japonaise ;
· la musique occidentale ;
· la danse japonaise ;
· la danse occidentale ;
· le théâtre.
Les meilleurs spectacles sont primés.
Concernant enfin le dernier axe de nos actions en faveur de la culture, qui consiste à offrir des équipements culturels et des événements culturels de qualité, je voudrais mentionner tout d'abord notre salle de conférences internationales. On peut y organiser des conférences, des concerts, des réunions, des représentations théâtrales, des défilés de mode, dans un espace qui est modulable en fonction de l'événement. Cette salle est en outre équipée de cabines d'interprétation simultanée en quatre langues. Elle offre une programmation autonome, qui inclut notamment des opéras ou des kabuki . Nous disposons également d'un centre culturel. Normalement, il faut se rendre à Tokyo pour assister à des représentations de kabuki mais, grâce à ces équipements, nos citoyens peuvent bénéficier à Gifu même de vraies représentations de qualité. L'an dernier, nous avons eu par exemple le plaisir d'assister à une représentation de la Dame aux camélias par des artistes du théâtre national de Vienne.
Sur la photo qui apparaît maintenant à l'écran, vous pouvez voir le Musée d'histoire où sont exposés des oeuvres de peintres locaux et différents objets d'histoire et de culture locale.
Le petit bâtiment que vous voyez ensuite a été créé par des industriels locaux pour exposer les oeuvres des frères Eizô et Tôichi Katô, deux peintres locaux. Ce musée est maintenant directement géré par la ville.
LES EFFETS BÉNÉFIQUES DE LA PROMOTION CULTURELLE ET ARTISTIQUE
Dans un contexte de décentralisation croissante, on assiste à une compétition entre collectivités locales, chacune cherchant à développer son originalité afin d'assurer sa survie et créer un environnement épanouissant pour les citoyens.
Il y a six ans, en 2002, Gifu a organisé la première Conférence nationale des villes « Slow Life ». 18 villes adhèrent aujourd'hui à cette Conférence.
Notre ville est leader dans ce domaine de la création de villes régies par le concept de « Slow Life ».
En ce qui concerne les enjeux de la promotion culturelle à Gifu, je dirais qu'ils tournent autour de l'investissement citoyen dans la culture. Comment faire pour faciliter la création culturelle autonome et active par les citoyens eux-mêmes ? La ville de Gifu ne ménage pas ses efforts pour jouer un rôle de catalyseur dans ce domaine.
Comme l'a dit le professeur Kobayashi, le Japon doit faire face à des restrictions budgétaires au niveau national. Pourtant, à Gifu, nous avons alloué un budget de 10 millions d'euros à la culture, soit 1,2 % de notre budget général. Vos divers exposés ont montré que ce niveau de dépenses était encore insuffisant.
Je vous remercie de votre attention.
M. Bruno LEPRAT
Arigatô , M. Hosoe. En France, on parle beaucoup d'évaluation des politiques publiques aujourd'hui. Des objectifs chiffrés, avec des indicateurs de pratique culturelle pour les concitoyens par exemple, ont-ils été définis pour votre ville ?
M. Shigemitsu HOSOE
Oui. En fait, au Japon aussi on parle beaucoup d'évaluation des politiques publiques, fondée sur des critères solides, pas seulement des idées mais également des objectifs chiffrés. J'ai moi-même présenté des objectifs quantitatifs à atteindre lors de ma deuxième élection.
Mais, dans le domaine culturel, nous n'avons pas encore adopté d'approche quantitative. Je pense qu'il sera important pour nous aussi de définir des objectifs chiffrés dans ce domaine également.
M. Bruno LEPRAT
Je vous propose de voyager à présent vers une ville de montagne, Utsunomiya. Il s'agit également d'une grande ville puisqu'elle compte 500 000 habitants. On y parle de jazz, de cocktails et de raviolis. Vous allez comprendre en entendant son représentant, M. Eiichi Satô.
D. LA CONTRIBUTION DE L'ACTION CULTURELLE
EN FAVEUR DU DÉVELOPPEMENT LOCAL AU JAPON :
TOURISME, EMPLOI, QUALITÉ DE VIE, PRÉSERVATION DU PATRIMOINE...
M. Eiichi SATO, maire d'Utsunomiya
Bonjour, je suis Eiichi Satô, maire d'Utsunomiya. Je vous remercie sincèrement de me donner ainsi l'occasion de m'exprimer dans un cadre aussi prestigieux. Le thème de mon intervention portera sur l'apport de l'action culturelle dans le développement territorial, à partir d'exemples concrets. Du fait du peu de temps qui m'est imparti, je vous présenterai d'abord sommairement notre ville, avant d'introduire notre politique culturelle par quelques actions concrètes, puis de terminer en dressant quelques perspectives pour l'avenir.
PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE LA VILLE D'UTSUNOMIYA
La ville d'Utsunomiya s'est développée en deux temps, au milieu du IV e siècle d'abord, autour du sanctuaire de Futaarayama, puis à la fin du XI e siècle, autour du château féodal. En 2006, nous avons célébré le 110 e anniversaire de son accession au statut administratif de grande commune. A cette occasion, la ville a fusionné avec deux communes voisines, ce qui fait d'Utsunomiya la première ville de plus de 500 000 habitants dans le nord du Kantô. Situés à environ 100 kilomètres au nord de Tôkyô, nous sommes également très bien desservis par les transports, à une heure de train de la capitale. Notre position centrale dans le département nous place à proximité de nombreuses richesses touristiques, dont les temples et sanctuaires de Nikkô, comme le Tôshôgû, qui sont inscrits au patrimoine de l'humanité. Depuis la fin du XVII e siècle, Utsunomiya a toujours accueilli un grand nombre de visiteurs.
En ce qui concerne les activités économiques, qu'elles soient agricoles, commerciales ou industrielles, tous les indicateurs font d'Utsunomiya une ville de haut développement économique, équilibrée dans ses activités : son dynamisme dépasse largement ce qu'on pourrait attendre d'une ville de sa taille. La zone industrielle de Kiyohara est ainsi, par exemple, la plus vaste zone industrielle non côtière du Japon.
Mais notre ville bénéficie aussi de ressources naturelles et culturelles abondantes. J'aimerais tout d'abord mentionner, dans l'ouest de la ville, le site touristique d'Ôya, dont le parc boisé a accueilli en 1990 le premier championnat du monde de cyclisme organisé en Asie, et qui accueille chaque année la Japan Cup, qui voit s'affronter les meilleurs coureurs cyclistes du monde.
Au centre de la ville, on trouve également le sanctuaire Futaarayama et le parc du château d'Utsunomiya. Au nord, il est possible d'admirer, au musée municipal, des peintures à l'huile de Chagall ou des oeuvres de Georges Ferdinand Bigot.
Nous avons encore de nombreuses autres ressources historiques et culturelles à offrir, dans les domaines des arts et de l'artisanat, de la gastronomie ou de la musique. A ce propos, un de nos concitoyens, le peintre Saotome Yukio, est actuellement installé en France.
LA POLITIQUE CULTURELLE D'UTSUNOMIYA
Notre objectif principal est de faire d'Utsunomiya une ville dynamique, où chacun puisse s'épanouir. Dans ce but, notre action culturelle s'articule autour de trois dimensions :
· créer une ville du sourire où chacun puisse vivre heureux et optimiste ;
· créer une ville attirante par son caractère et son identité ;
· créer une ville durable constamment réinventée par ses citoyens.
Dans un contexte de chute de la démographie et de concurrence entre les villes, nous avons besoin pour atteindre ces objectifs de mener une politique de la ville originale, attractive et dynamique, qui sache tirer parti de nos ressources humaines et culturelles. La culture locale suscite chez nos concitoyens un sentiment d'appartenance, qui constitue une énergie latente dont il est possible de tirer un grand parti. C'est la raison pour laquelle notre politique culturelle cherche à exploiter autant que faire se peut l'histoire et la singularité d'Utsunomiya.
J'aimerais vous présenter cinq réalisations concrètes qui ont permis, et permettent toujours, non seulement d'augmenter la visibilité de notre ville, mais aussi de la dynamiser grâce à une participation active de la population.
- Le festival Furusato Miyamatsuri, fête de la ville
Il y a un peu plus de trente ans, il n'existait pas de « fête de la ville » à Utsunomiya à laquelle toute la population puisse participer. Considérant qu'une telle manifestation faisait cruellement défaut, la première édition du festival Furusato Miyamatsuri fut organisée en 1976, à l'initiative de jeunes entrepreneurs de la ville. Cette fête se tient chaque année au cours du premier week-end du mois d'août. On peut y voir des parades, des fanfares et autres processions le long de l'artère principale d'Utsunomiya, avec en point de mire le sanctuaire Futaarayama, berceau de la ville.
A ce jour, trente-deux éditions ont donc déjà été organisées. Avec environ 550 000 participants réunis sur deux jours, c'est la fête la plus importante des trois départements du nord du Kantô.
Cette fête est désormais très connue et constitue un temps fort de la période estivale. Un grand nombre de visiteurs viennent de l'extérieur du département pour y participer. Mais elle permet aussi de renforcer l'attachement des citoyens à leur ville. J'espère qu'elle continuera à être organisée pendant des centaines d'années, comme la Fête de Jeanne d'Arc à Orléans, ville avec laquelle nous sommes jumelés.
- La rénovation du château d'Utsunomiya
Mon deuxième exemple de réalisation concrète en matière de politique culturelle concerne la reconstitution et la mise en valeur d'une partie de l'ancien château d'Utsunomiya.
Le château fut construit en 940 sur ordre de Fujiwara Sôen, fondateur de la ville, et a connu une grande prospérité à l'époque d'Edo (1603-1867), au point que la ville fut surnommée la « petite Edo » (du nom de la capitale de l'époque). En 1868, cependant, au moment de la guerre de Boshin, qui marque le début de la période de modernisation du pays, la majeure partie du château fut détruite dans un incendie, coupant la ville de tout un pan de son histoire. C'est la raison pour laquelle nous avons entrepris la restauration du site du château d'Utsunomiya, afin de retrouver un socle historique et, ce faisant, non seulement dynamiser le centre de la ville, mais également offrir une zone de refuge pour les habitants en cas de catastrophe naturelle (notamment en cas de tremblement de terre). C'est ainsi que le parc reconstitué du château d'Utsunomiya est redevenu, en mars 2007, un symbole de la ville et constitue désormais une attache émotionnelle pour tous nos citoyens.
Pour la restauration du château, nous avons utilisé des techniques traditionnelles de menuiserie. S'agissant de la tour du donjon, nous avons par exemple imbriqué de multiples poutres sans utiliser un seul clou ; nous avons également réalisé un crépissage en appliquant de la terre et de la paille pendant de longues heures, ce qui permet d'obtenir une isolation thermique et une régulation de l'humidité optimales.
Le jour de l'inauguration, le 25 mars 2007, des démonstrations d'arquebuse ainsi qu'une parade en costumes d'époque ont été organisées. Depuis l'ouverture de ce lieu de détente et de verdure, de nombreuses manifestations y sont organisées, offrant aux citoyens la possibilité de renouer avec l'histoire de leur ville tout en créant une animation dynamisante pour le centre-ville.
- Une ressource pour dynamiser la ville : les raviolis gyôza
Les gyôza sont un plat chinois, mais ils ont été largement diffusés au Japon après le retour des soldats japonais qui avaient occupé la Chine.
Utsunomiya compte de nombreux restaurants de gyôza . Cette cuisine, abordable et appréciée de tous, ne se consomme d'ailleurs pas uniquement dans les restaurants, mais fait également partie de la cuisine familiale.
Une étude menée en 1990 par la municipalité a montré que les habitants d'Utsunomiya sont les premiers consommateurs de gyôza au Japon, en termes de dépenses par foyer. Tout comme on ne peut pas parler du vin sans penser à la France, on ne peut plus parler de gyôza au Japon sans penser à Utsunomiya. Une « association des gyôza d'Utsunomiya », qui regroupe 80 restaurants et possède même une antenne à Tôkyô, a été créée. Chaque année, au mois de novembre, est organisé le Festival des gyôza .
Au total, ce ne sont pas moins de sept millions de visiteurs qui viennent goûter les gyôza d'Utsunomiya tout au long de l'année, et ce nombre est en augmentation. On peut donc dire que la promotion du gyôza a permis de développer le tourisme, l'activité du centre-ville et, en même temps, de faire connaître Utsunomiya dans tout le pays. C'est une vraie réussite.
- La promotion touristique du site d'Ôya
Ôya est une carrière située à l'ouest de la ville, où l'on extrait la pierre dite d'Ôya. Cette pierre est très appréciée en tant que matériau de construction, du fait de sa souplesse et de sa facilité d'emploi. L'architecte américain Frank Lloyd Wright l'a d'ailleurs choisie pour bâtir l'Hôtel impérial de Tokyo. Lors du grand tremblement de terre de 1923, l'hôtel a subi peu de dégâts et la pierre d'Ôya est devenue célèbre dans tout le pays pour ses qualités antisismiques et anti-inflammables.
Mais la carrière d'Ôya constitue aussi une ressource touristique de premier plan. Les rochers aux formes étranges du parc d'Ôya offrent un paysage unique, classé au niveau national. La participation active de citoyens, qui entretiennent les rochers en y retirant par exemple les mauvaises herbes, augmente encore leur attrait.
L'ancienne carrière souterraine d'Ôya offre un décor onirique très recherché pour le tournage de films, l'organisation de concerts ou d'expositions. C'est également un endroit apprécié pour les cérémonies de mariage. Il existe une Commission du film d'Utsunomiya qui se charge de la promotion du site.
Chaque année, au mois d'octobre, une manifestation baptisée « Festa in Ôya » est organisée par les citoyens dans le but de faire connaître le site. D'autre part, des industriels et des universitaires travaillent ensemble à développer des produits utilisant les effets bienfaisants de la pierre d'Ôya.
Utsunomiya compte plusieurs bâtiments historiques construits avec cette pierre. Les actions de préservation et de mise en valeur de ce patrimoine, à l'initiative des citoyens, se multiplient.
- La campagne « mottainai »
Le terme mottainai , qui signifie qu'il faut savoir prendre soin des choses, désigne une valeur ancienne au Japon, qui fut particulièrement prégnante à l'époque d'Edo (1603-1867), où prévalait le souci d'économiser et d'éviter tout gaspillage. La société de cette époque était en effet très tournée vers le recyclage. Or, nous avons estimé que cette valeur traditionnelle devait être remise au goût du jour.
J'ai personnellement pris conscience de cette nécessité en 1996 alors que, membre du groupe international de la Chambre des jeunes entrepreneurs, je me suis rendu dans différents endroits du monde pour présenter ce concept japonais. A Utsunomiya, il consiste à « prendre soin des gens et des choses », par le biais notamment de la protection de l'environnement (« Réduire/Recycler/Réutiliser ») et de la « campagne de l'hospitalité », qui vise à accueillir de la meilleure façon nos visiteurs.
Dans le domaine de l'environnement, Utsunomiya a innové en organisant en août 2007 la première Conférence nationale « mottainai », qui a rassemblé environ 2 300 participants. A cette occasion, Charmine Kôda, directrice du Centre d'information des Nations Unies pour le Japon, a prononcé une allocution, suivie par un débat sur les thèmes de l'environnement et de la paix. De nombreux enfants étaient également présents pour participer à la manifestation, qui a eu beaucoup de succès. Cette année, nous envisageons d'organiser la deuxième Conférence nationale « mottainai » au mois de juin, avec des personnalités japonaises et étrangères représentatives de l'esprit du mottainai .
Au début de 2008, la revue Nikkei Glocal a rendu public les résultats d'une enquête sur le développement durable menée dans 460 villes japonaises. Cette enquête évaluait les villes dans les domaines de la préservation de l'environnement, de la stabilité sociale et du développement économique. Utsunomiya a obtenu la première place dans la catégorie des villes de plus de 500 000 habitants.
En ce qui concerne l'hospitalité, la Chambre de commerce et d'industrie d'Utsunomiya a lancé, en collaboration avec des entreprises locales, une « campagne de l'hospitalité » qui se traduit par la publication d'ouvrages, l'organisation de conférences et d'événements à destination des enfants, dans le but de faire d'Utsunomiya « la ville numéro 1 du Japon pour l'hospitalité ».
Cela fait maintenant trois ans que notre ville s'investit activement dans la promotion du concept de mottainai , et on en sent déjà les effets dans la population. Nous souhaitons être la figure de proue de ce mouvement à l'échelle du Japon, pour contribuer in fine au respect de l'autre et à la paix dans le monde.
ENJEUX ET PERSPECTIVES
Après la présentation de ces exemples concrets, j'aimerais maintenant me tourner vers le futur et insister sur trois nécessités auxquelles notre politique culturelle doit répondre pour continuer à assurer le développement local à l'avenir.
· Redécouvrir, valoriser et faire connaître auprès du grand public les spécificités et les ressources locales, prendre conscience de ces spécificités pour mieux les faire valoir à l'extérieur ;
· Découvrir, former et valoriser des ressources humaines capables de s'investir pleinement dans le domaine culturel ;
· Créer un mécanisme de participation citoyenne et fournir de l'information et des occasions de s'impliquer.
Dans le monde moderne, où coexistent de nombreux points de vue, la clé du développement local réside dans la valorisation de la culture, de l'histoire et des traditions propres à notre terroir, mais aussi dans le partage de valeurs traditionnelles fondées sur la politesse, le respect, la bonté et la morale. Il faut transmettre ce patrimoine et ces valeurs afin que les citoyens se sentent ancrés dans le territoire et qu'ils puissent offrir au visiteur étonnement, plaisir et sécurité.
C'est dans ce cadre que les citoyens, originaires d'Utsunomiya ou d'ailleurs, doivent se rassembler, coopérer et « transpirer ensemble » pour créer les conditions de notre prospérité future.
En tout état de cause, je conçois la culture comme un élément essentiel du développement local, et Utsunomiya comme une ville dont le développement, pour être durable, doit être fondé sur la vitalité, le caractère et une certaine séduction.
Je vous remercie de votre attention.
M. Bruno LEPRAT
M. Hosoe, pouvez-vous nous parler plus précisément du programme Slow Life ?
M. Shigemitsu HOSOE
Le mouvement Slow Life prend son origine dans le courant Slow Food, qui a démarré en Italie, mais ne concerne plus seulement l'alimentation, mais également le mode de vie : il s'agit de retrouver un rythme de vie plus humain.
L'évolution de la civilisation nous pousse vers la rapidité et l'efficacité, ce qui contrarie notre rythme naturel. Les déplacements à pied ont ainsi été remplacés par le recours aux voitures ou aux avions. Dans l'optique du Slow Life, l'homme doit retrouver son axe temporel naturel. S'agissant du tourisme, par exemple, on parle de « Slow Tourism », un tourisme à visage humain plus axé sur le séjour que sur le simple passage.
Dans ce type de tourisme, il ne s'agit pas de visiter en coup de vent l'ensemble des sites célèbres, mais de rester un peu plus longtemps sur tel ou tel site, d'y séjourner, pour s'imprégner de son atmosphère et se faire une idée de la vie des gens qui y habitent. Concernant la production manufacturière, il s'agit d'utiliser ses propres mains, et non les machines, pour fabriquer et réaliser des oeuvres personnelles. En matière d'alimentation, il s'agit de cuisiner soi-même à partir d'ingrédients, des légumes par exemple, que l'on a produits soi-même. Cette dernière thématique est particulièrement importante à une époque où la sécurité alimentaire constitue une préoccupation majeure.
Mais la démarche vise, d'une manière générale, à limiter les répercussions humaines sur l'environnement. La notion de Slow Life est donc très large.
M. Bruno LEPRAT
M. Sato, la culture a-t-elle favorisé la fusion des communes dans le cas d'Utsunomiya ?
M. Eiichi SATO
Utsunomiya a fusionné avec deux communes voisines en 2007. Si, du point de vue administratif, nous sommes devenus une entité unique, la fusion ne peut se faire sans que les citoyens développent un sentiment d'appartenance commun.
Il y a plusieurs façons de développer ce sentiment d'appartenance, dont la culture, qui offre les résultats les plus concrets et les plus immédiats. Il est particulièrement important que les spécificités de chaque ancienne commune soient bien comprises par tous et qu'elles soient partagées par le nouvel ensemble.
C'est de cette façon que se crée le sentiment d'appartenance, autour de valeurs communes. De ce point de vue, la contribution de la culture est particulièrement importante.
E. LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE ENTRE LA FRANCE ET LE JAPON
DANS LE DOMAINE CULTUREL
M. Jean-Jacques DERRIEN, directeur des relations internationales de la ville de Nantes
M. Bruno LEPRAT
Quelques dizaines de villes ont mené des opérations, plus ou moins ponctuelles ou protocolaires, avec des collectivités locales japonaises, dans le domaine culturel. Nantes en fait partie. M. Jean-Jacques Derrien, fonctionnaire territorial de cette collectivité nous décrira le fonctionnement de cette coopération dite décentralisée avec la commune japonaise de Niigata.
M. Jean-Jacques DERRIEN
De nombreux thèmes de collaboration entre Français et Japonais restent encore à développer en faveur d'un développement respectueux des équilibres actuellement menacés. La coopération décentralisée, c'est-à-dire les relations partenariales entre une collectivité locale française et étrangère, en l'occurrence japonaise, est une liberté acquise depuis un certain nombre d'années, notamment en France. Cependant, cette coopération s'articule toujours avec l'Etat, dans le cadre des relations nouées entre les deux pays. Cette dimension est particulièrement vraie s'agissant des relations franco-japonaises. Pour différentes raisons (éloignement géographique, coût, etc.), nous sommes un nombre de collectivités relativement limité à pouvoir entretenir des relations durables avec une collectivité japonaise. Repose donc sur nous une responsabilité renforcée pour favoriser le dialogue interculturel franco-japonais. C'est pourquoi nous sommes régulièrement en contact avec la délégation pour l'action extérieure des collectivités locales, représentée ici par M. Antoine Joly, et avec l'Ambassade du Japon. Monsieur l'Ambassadeur nous a d'ailleurs récemment honorés de sa présence à Nantes. Le CLAIR est enfin un de nos partenaires les plus anciens.
Les interventions précédentes ont montré que le développement culturel à l'international est largement lié à une progression de la décentralisation et à un repositionnement de l'Etat central. Ce phénomène se vérifie au Japon et en France, mais également dans de nombreux pays. Développement local et développement culturel sont intimement liés, l'un permettant d'amplifier l'autre. La culture est en effet un des principaux vecteurs d'ouverture à l'international des collectivités territoriales. Cette ouverture se réalise par le biais des coopérations décentralisées, mais pas seulement.
A titre personnel, je suis plus particulièrement ces coopérations mais j'essaierai également de montrer brièvement que notre relation avec le Japon va bien au-delà de notre partenariat avec Niigata.
Dans la présentation du début d'après-midi, j'ai été frappé que la représentante de l'Université du Japon débute son évocation des différents secteurs du domaine culturel par la culture traditionnelle. Nous le faisons rarement en France. C'est pourtant un élément très important. Les cultures traditionnelles ont ainsi été l'un des premiers supports des liens entre Nantes et Niigata, avant même que l'acte officiel de partenariat soit signé en 1999. Nous avons en effet organisé plusieurs rendez-vous, entre 1996 et 1998 principalement : Niigata Nantes Expo, Nantes Fair, événements pour lesquels le service culturel de l'Ambassade du Japon était présent. La culture consistait alors avant tout en la présentation de ces arts traditionnels, afin de parvenir à une meilleure connaissance de la signification, si complexe pour nous, de cette dimension japonaise. Parallèlement, grâce notamment à l'association Atlantique Japon, qui regroupait de nombreux couples mixtes, en raison notamment de l'implantation d'entreprises telles que Toyota, nous avons favorisé une meilleure connaissance humaine franco-japonaise. Ces initiatives se sont développées et ont abouti à la signature d'un accord de partenariat le 4 juin 1999.
Quelles sont les principales thématiques culturelles développées au sein de cette coopération décentralisée entre Nantes et Niigata ?
Les arts traditionnels ont, je l'ai déjà évoqué, constitué un premier volet. Ils précédaient la signature du partenariat.
Le jazz constitue notre deuxième thématique. Nantes tient en effet régulièrement au mois de septembre les Rendez-vous de l'Erdre, du nom de notre rivière. C'est un grand festival de jazz, qui reste très grand public puisqu'il est gratuit et regroupe plus de 100 000 personnes en trois jours. A plusieurs reprises, nous avons accueilli des représentants de Niigata, et notamment, en 2007, le groupe de jazz Accomplice. L'association Atlantique Japon tenait par ailleurs un stand, et Monsieur l'Ambassadeur du Japon nous a honorés de sa présence. De même, à Niigata, se tient régulièrement un festival de jazz au mois d'août.
Les relations entre les Musées des Beaux-arts sont la troisième thématique retenue. L'exemple que je développerai montrera le lien possible entre plusieurs thématiques. Nous avons ainsi organisé une opération de grande envergure en 2002, consistant en un prêt de 80 oeuvres du Musée des Beaux-arts de Nantes à son homologue de Niigata. Cet événement a été réalisé à l'occasion de la Coupe du Monde de football de 2002. Niigata accueillait en effet plusieurs matchs, tout comme Nantes en avait accueilli en 1998, et souhaitait amplifier cet événement par un événement culturel de grande tenue.
Nous avons complété cette action par une présentation scénographique originale de la ville de Nantes, sur un espace d'une centaine de mètres carrés. Cette présentation insistait en effet sur la dimension surréaliste, au sens littéraire du terme, de notre ville.
La musique classique est la quatrième grande thématique choisie. Comment, en effet, ne pas évoquer la Folle Journée qui a commencé hier et se poursuivra jusqu'à dimanche soir, à laquelle participent environ 150 000 spectateurs ? Cet événement s'exporte à travers le monde, et notamment au Japon, dans la ville de Tokyo. En avril prochain se tiendra ainsi la troisième édition de la Folle Journée de Tokyo. Nous avons cependant eu le souci d'impliquer également Niigata. Ce fut difficile dans un premier temps, du fait des contraintes financières. Nous y sommes presque parvenus cette année. L'orchestre national des Pays de la Loire, basé à Nantes, se rendra ainsi à Niigata au même moment que cette Folle Journée, dans le cadre d'une programmation parallèle. Nous espérons parvenir à terme à une programmation intégrée.
L'art contemporain, à travers les arts plastiques, constitue la cinquième thématique retenue. J'illustrerai mon propos par un exemple témoignant, là encore, des passerelles entre les différentes thématiques, en évoquant la Biennale d'art contemporain Estuaire 2007, dont la première édition s'est tenue de Nantes à Saint-Nazaire, c'est-à-dire tout au long de l'estuaire de la Loire. Deux oeuvres ont été créées par des artistes japonais. J'insisterai surtout sur l'une d'entre elles pour évoquer une opération parallèle qui a pu se greffer sur cet événement. Il s'agit de la participation de jeunes Japonaises de Niigata, âgées de 13-14 ans, et de jeunes Nantais à un séjour de trois semaines de vacances. C'est l'Agence de développement socioculturel de Nantes qui a organisé ce séjour de vacances sur le site de création de l'oeuvre, situé au milieu de l'estuaire de la Loire. Ce séjour comprenait un travail autour de l'oeuvre en présence de l'artiste. C'est une initiative qui a permis de créer un lien humain entre jeunes à travers un événement culturel majeur.
J'évoquerai, pour terminer, une initiative déjà présentée par le Directeur du CLAIR, les programmes JET et d'échanges de jeunes Français qui se rendent dans de grandes villes japonaises. Grâce à la volonté de Niigata, trois de nos jeunes se sont succédé pour travailler au sein de la Direction internationale de Niigata afin de favoriser les relations entre nos deux villes, notamment en matière culturelle.
Je terminerai par deux éléments d'actualité qui prolongent mon propos et permettent de le mettre en perspective.
C'est d'abord la création en 2007, à l'occasion d'une rencontre qui a eu lieu en juillet, d'un réseau de dialogue culturel des villes franco-japonaises qui ont signé l'Accord de Nantes.
Parmi les villes japonaises présentes, nous comptons Kanazawa, Osaka, Yokohama et Niigata et, parmi les villes françaises, Tours, Lille, Lyon, Reims, Amiens et Nantes.
L'objectif consiste à s'appuyer sur les valeurs et les attraits du développement culturel afin de favoriser le dialogue culturel entre grandes villes françaises et japonaises, et déboucher non seulement sur des réflexions partagées sur cette thématique, mais également sur l'organisation d'événements pendant trois années, à partir de 2008, année du 150 e anniversaire des relations diplomatiques franco-japonaises. Le lien est fort entre la coopération décentralisée bilatérale et les mises en réseaux et les interactions avec d'autres démarches. Ces initiatives trouveront un écho lors des prochaines rencontres franco-japonaises de coopération décentralisée, prévues à Nancy à la fin du mois d'octobre.
Par ailleurs, Niigata fait partie des villes désignées par décret, ce qui a contribué à faire passer sa population de 400 000 à 800 000 habitants et lui a permis de bénéficier de dotations financières plus conséquentes et d'un statut plus important de reconnaissance au sein du Japon. Cet événement a permis d'accélérer le développement des relations entre Nantes et Niigata, qui débouchera en 2008 sur la signature d'un nouveau document de type jumelage entre nos deux villes. Je rappellerai à cet égard que la ville de Niigata avait consacré, au sein des 40 mesures du manifeste rédigé lorsqu'elle a rejoint les villes désignées par décret, son septième point au rôle de la culture dans l'ouverture internationale et dans la vie quotidienne de ses concitoyens.
J'espère avoir présenté les principaux axes de notre coopération décentralisée. Si cette coopération est bilatérale, elle se veut ouverte sur les autres formes de relations franco-japonaises.
M. Bruno LEPRAT
Je vous remercie. Quelles sont les autres villes, du Japon ou d'autres pays, avec lesquelles la collectivité nantaise entretient des liens de coopération bilatérale ?
M. Jean-Jacques DERRIEN
Nous n'avons pas établi de partenariat avec d'autres villes japonaises, la règle générale voulant qu'il n'y ait qu'une seule ville par pays en partenariat. Nous ne dérogeons à cette règle que pour les Etats-unis, mais ce sont, si j'ose dire, presque deux pays, puisque nous sommes en partenariat avec une ville de l'Etat de Floride et une de l'Etat de Washington.
Nous avons noué environ 18 relations partenariales qui vont des relations les plus traditionnelles de jumelage, notamment avec des villes européennes, à des coopérations avec le Sud ou en direction des pays émergents (même si l'expression est parfois impropre pour désigner, en l'espèce, la Chine, le Brésil et l'Afrique du Sud). Nous avons également établi des partenariats axés sur certaines thématiques très spécifiques liées à des contextes particuliers. Cela a été par exemple le cas de la Palestine. La thématique des droits de l'homme nous tient particulièrement à coeur, tant du fait du célèbre Edit signé dans notre ville qu'à travers notre histoire moins glorieuse des derniers siècles.
M. Bruno LEPRAT
Avant la conclusion de M. Antoine Joly, nous allons nous tourner une nouvelle fois vers le Japon, cette fois-ci vers le Grand Est. M. Sato, maire d'Utsunomiya, nous décrira les liens et les apports de la coopération nouée avec la ville d'Orléans.
M. Eiichi SATO
Je voudrais en effet vous parler du jumelage, du sens qu'il a pour nous et des perspectives qui s'offrent à nous dans ce domaine. Utsunomiya entretient, comme vous l'avez précisé, des relations d'amitié avec Orléans, que je souhaiterais bien entendu aborder également. Mon intervention vous présentera donc d'abord les villes avec lesquelles nous sommes jumelés, avant de porter sur les relations culturelles que nous entretenons avec Orléans et de nous tourner vers l'avenir.
La ville d'Utsunomiya est jumelée avec cinq villes du monde. Permettez-moi de vous les présenter succinctement dans l'ordre chronologique, c'est-à-dire du jumelage le plus ancien au jumelage le plus récent :
- Manukau, en Nouvelle-Zélande, qui est une ville en pleine expansion comme Utsunomiya.
Notre programme d'échange permet à des collégiens et lycéens de séjourner dans des familles d'accueil et de suivre des cours dans les structures scolaires respectives de nos deux villes.
- Qiqihar, en Chine, qui est une importante ville agricole, surtout connue pour ses célèbres grues (les oiseaux).
Dans ce cas, nous facilitons les échanges d'étudiants dans le cadre de formations linguistiques.
- Orléans, ville avec laquelle nous allons fêter en 2009 vingt ans de jumelage.
Nos relations avec Orléans remontent à 1989 lorsqu'une délégation d'acteurs économiques orléanais est venue à Utsunomiya pour étudier notre projet de technopole.
- Tulsa, aux États-Unis, qui est une belle ville verdoyante de l'Oklahoma, située à la même latitude qu'Utsunomiya.
Sur la base d'un jumelage antérieur de deux de nos lycées, les deux villes ont décidé de se jumeler. Depuis, nous organisons notamment des échanges de collégiens et un concours de photos.
- Pietrasanta, en Italie, qui est une ville de Toscane productrice de marbre.
Nos liens tournent ici autour de la pierre, entre la pierre d'Ôya et le marbre de Pietrasanta. D'ailleurs, du marbre a été utilisé pour les trottoirs d'une grande avenue d'Utsunomiya.
En ce qui concerne plus spécifiquement Orléans, on peut dire qu'elle présente de nombreux points communs avec Utsunomiya. Elle possède, comme Utsunomiya, une importante zone industrielle non côtière, et présente un bon équilibre dans la répartition des activités commerciales, industrielles et agricoles. L'accord de jumelage entre nos deux villes a été conclu en 1989.
Nous envisageons le jumelage comme une véritable fenêtre ouverte sur le monde. Au fil des années, cette relation privilégiée nous donne l'occasion d'échanger avec des gens du monde entier et permet de sensibiliser les citoyens à l'international, ce qui a, en outre, pour effet de contribuer à l'amitié entre les peuples.
Pour ce qui est de nos actions concrètes, dans les domaines culturels et sportifs, avec Orléans, j'aimerais vous parler tout d'abord de ce que nous faisons dans le domaine de la musique en vous présentant quelques exemples. Ainsi, le choeur d'un lycée de jeunes filles d'Utsunomiya qui a remporté des prix dans des concours européens a visité Orléans et s'y est produit à l'occasion de la Fête de Jeanne d' Arc. Cette fête a aussi été l'occasion pour un orchestre de cuivres d'un autre lycée du nord de notre ville de se rendre à Orléans pour interpréter des airs traditionnels japonais sur la Grand-place, ce qui a donné lieu à des articles élogieux dans la presse régionale.
D'autre part, le Choeur de femmes Takinohara a également donné des concerts, en compagnie d'autres choeurs d'Orléans même et de Roumanie, dans l'église Saint-Marceau.
Dans le domaine du sport ensuite, un club de kendô de l'Union sportive orléanaise (USO) s'est rendu à Utsunomiya pour participer à une rencontre amicale avec l'association de kendô de notre ville. À cette occasion, les membres de l'équipe orléanaise ont pu visiter Nikkô, qui abrite des temples classés au patrimoine mondial de l'UNESCO, et ont ainsi pu découvrir certains aspects traditionnels de la culture japonaise.
D'autre part, j'aimerais également mentionner qu'un bas-relief représentant le château d'Utsunomiya, qui constitue le symbole de notre ville, a été installé à Orléans sur une nouvelle place inaugurée au printemps dernier. C'est pour nous un geste d'amitié particulièrement touchant.
En ce qui concerne les échanges entre citoyens, je pense d'abord au stagiaire envoyé par la ville d'Orléans à Utsunomiya, qui donne des cours de français très appréciés par les participants. Mais des échanges de plus grande envergure entre habitants sont aussi organisés de temps en temps : jusqu'à présent, six échanges ont eu lieu dans les deux sens, impliquant au total 394 personnes.
En ce qui concerne les jeunes, ces échanges sont très réguliers puisqu'ils ont lieu tous les ans : l'Université d'Orléans et l'Université d'Utsunomiya ont conclu un accord d'échange, et dans ce cadre, des échanges d'étudiants sont organisés dans les deux sens chaque année.
La culture est vraiment le meilleur moyen d'impliquer les citoyens dans un dialogue qui favorise la compréhension mutuelle. À travers les échanges culturels, les citoyens apprennent à se connaître, à comprendre leur histoire et leurs traditions respectives, ce qui les sensibilise non seulement à la richesse des autres cultures mais également à l'importance de connaître et préserver leur propre culture.
En outre, à une époque où Utsunomiya accueille un nombre croissant de ressortissants étrangers, les relations de jumelage facilitent la prise de conscience par les citoyens que, par-delà les différences de langues et de coutumes, ils appartiennent tous à une même communauté.
Pour terminer, j'aimerais me tourner vers l'avenir pour vous dire que, si le jumelage est une fenêtre ouverte sur le monde, alors il nous faut l'ouvrir encore plus largement afin de pérenniser les échanges et les relations d'amitié entre nos citoyens. J'espère que nos citoyens seront toujours plus nombreux à porter leur regard vers le reste du monde, tout en étant fiers de leur ville et en contribuant activement à la diffusion de sa culture.
Je vous remercie de votre attention.
Intervention dans la salle :
Je suis très favorable aux relations franco-japonaises, mais je déplore, lorsque je me rends au Japon, le faible nombre d'indications en lettres romanes.
Si l'on ne peut, bien sûr, pas mettre les indications en kanji en France, je crois que des indications en lettres romanes favoriseraient le tourisme au Japon.
M. Bruno LEPRAT
J'adresserai votre question à M. Sato. Lorsqu'il m'a donné sa carte de visite en papier recyclé, une des faces était écrite en braille. Pourriez-vous, dans le même ordre d'idée, traduire certaines indications pour aider les touristes ?
M. Eiichi SATO
Madame, je vous remercie pour votre remarque tout à fait d'actualité. Le gouvernement Koizumi a lancé une campagne de promotion touristique ( Visit Japan Campaign ) pour que davantage de touristes étrangers viennent au Japon découvrir toutes les beautés de notre pays.
Il est donc très important pour nous d'accueillir les visiteurs dans les meilleures conditions. C'est pourquoi, comme vous le faites remarquer, les panneaux d'orientation et de signalisation, par exemple, devraient présenter des informations écrites en alphabet latin, voire en chinois ou en coréen. Ce serait un signe d'hospitalité à l'égard des visiteurs.
Tout comme Gifu, Utsunomiya est une ville touristique, et c'est donc un thème majeur pour nous. Comme je vous l'ai dit, la pierre d'Ôya est une des ressources spécifiques d'Utsunomiya, et nous sommes en train d'en tirer parti en installant progressivement des indications touristiques, écrites notamment en alphabet latin, sur des panneaux en pierre d'Ôya.
M. Jean-Jacques DERRIEN
Je souhaiterais faire une remarque complémentaire par rapport à la question posée. Je pense que nous avons beaucoup à apprendre du souci qu'ont nos amis japonais de renseigner les visiteurs occidentaux un peu perdus. Certes, quelques difficultés de langage peuvent se poser, mais la démarche est très spontanée, ce qui n'est pas toujours le cas en France.
M. Bruno LEPRAT
La progression démographique de Niigata va-t-elle altérer la construction du partenariat entre les deux villes ? Une différence démographique commence en effet à poindre entre Nantes et Niigata.
La coopération intercommunale doit-elle, selon vous, se limiter aux communes d'égale importance économique ou démographique ?
M. Jean-Jacques DERRIEN
Je serais tenté de répondre par une pirouette qui renvoie à la relation évoquée entre une ville japonaise et son homologue chinoise. Nous avons nous-mêmes établi un partenariat avec Qingdao, dont la population est égale à celle des régions Bretagne et Pays de la Loire réunies. Cette situation ne nous pose pas de problème particulier.
D'une manière générale, la taille de la ville partenaire a plus ou moins d'importance selon le pays dans lequel elle se situe et le type de relations que vous voulez établir. La parité démographique n'est pas une règle absolue. S'agissant de Niigata et Nantes, la différence est d'ailleurs quasiment nulle. Niigata totalisait auparavant 400 000 habitants. Le passage à 800 000 habitants a notamment été permis par un agrandissement du territoire. L'agglomération nantaise dépasse quant à elle les 600 000 habitants. Il n'y a donc pas de différence majeure.
En revanche, cette augmentation permettra une reconnaissance globale encore plus forte des autorités japonaises, avec des moyens supplémentaires pour agir, qui serviront aussi le partenariat entre les deux villes.
M. Patrick GEROUDET, président des jumelages de Chartres
Nous sommes jumelés depuis 20 ans avec Sakurai, près de Nara. Notre objectif est d'entretenir des échanges culturels, mais également économiques. Nous avons, par exemple, exporté du blé, la Beauce étant réputée en ce domaine. Une farine portant le nom de Chartres est même désormais produite. Nous tenons régulièrement des stands vendant les produits de nos amis de Sakurai. Une démarche semblable est initiée à Sakurai.
Avez-vous établi, à Orléans ou Nantes, des échanges économiques avec les villes japonaises avec lesquelles vous êtes en partenariat ?
M. Jean-Jacques DERRIEN
Dans bon nombre de nos relations partenariales, nous avons le souci de développer des relations économiques. Cependant, les coopérations décentralisées ou les relations bilatérales doivent également être le fruit d'une analyse comparée des possibilités de chacune des deux villes et de leur volonté réciproque.
Dans notre relation avec Niigata, ce n'est pas l'axe premier qui a été retenu pour différentes raisons, sans doute parce que les tissus économiques des deux régions sont sensiblement différents. Niigata est en effet la capitale d'une riche et grande région agricole, bien que située en bord de mer et dotée d'un port important.
Nous avons davantage privilégié des contacts économiques plus institutionnels, en partageant nos réflexions, notamment entre le port autonome de Nantes et celui de Niigata, ou entre nos deux Chambres de commerce. Des journées France ou Japon ont en outre été organisées dans les deux villes et se sont appuyées sur cette relation franco-japonaise pour sensibiliser les entreprises de la région à cette dimension économique. Il n'y a eu cependant aucune concrétisation aussi probante que celle du blé de Chartres.
M. Eiichi SATO
Comme je vous l'ai dit, Utsunomiya est jumelé avec cinq villes. Je pense, comme Monsieur Derrien, que, dans une relation de jumelage, chaque ville peut apporter ses propres atouts. Par exemple, dans le cas du jumelage avec la ville néo-zélandaise de Manukau, l'aspect économique était important dès le départ, car la motivation du rapprochement résidait en grande partie dans cet aspect. Aujourd'hui, nous importons de Manukau du vin, des kiwis et des produits agro-alimentaires.
La caractéristique de ces échanges est qu'ils ne sont pas centrés sur l'administration mais sont le fait des citoyens eux-mêmes, de manière privée.
Dans nos cinq relations de jumelage, cette relation avec Manukau est de toute évidence la plus spécialisée. En tout état de cause, pour développer nos relations de jumelage, nous nous interrogeons sur les attentes de chacun de nos partenaires, sur ce qui nous est commun et sur les domaines dans lesquels nous pouvons établir une relation de longue durée. Dans le cas de Manukau, c'est donc l'économie qui répond à ces critères. C'est pourquoi nous envisageons de poursuivre nos relations avec cette ville de Nouvelle-Zélande en privilégiant l'aspect économique.
CONCLUSION
M. Antoine JOLY, délégué pour l'action extérieure des collectivités locales au ministère des Affaires étrangères et européennes
Je remercie le président Valade. Je suis désolé de ne pas avoir été présent lorsqu'il a introduit ce colloque. Je venais de Munich, ville jumelée avec Bordeaux. S'il y avait une association des amis de la coopération décentralisée, je crois que M. Valade pourrait légitimement en briguer la présidence. Je le remercie pour son action et son aide à la promotion de la coopération des collectivités territoriales.
Il y a 20 ans, j'étais directeur général de la ville de Cannes. Mme Anne-Marie Dupuy, alors maire, m'avait confié une des missions les plus agréables de ma carrière en m'invitant à aller au Japon chercher une ville qu'il serait possible de jumeler avec Cannes.
M. Bruno LEPRAT
Pourquoi une telle initiative ?
M. Antoine JOLY
Mme Anne-Marie Dupuy ainsi que d'autres acteurs de la ville tels que les hôteliers se rendaient compte que se développait parmi les Japonais un tourisme plus individuel. Nous avions connu les cars de Japonais et leurs arrêts photo. Progressivement, les Japonais se sont manifestés comme de futurs adeptes du mouvement Slow Life. Il fallait à cet égard sans doute mieux faire connaître Cannes auprès d'eux.
Lorsque je me suis rendu au Japon, je me souviens avoir loué une voiture et avoir été gêné par les indications. Je ne connaissais alors qu'une phrase en japonais : « ceci n'est pas un journal » de ma méthode Assimil...
Plus sérieusement, je suis ravi d'être présent ce soir parmi vous pour deux grandes raisons. D'abord, pour établir une bonne coopération, tant en matière de coopération décentralisée que bilatérale, il faut prendre le temps de se connaître. Une rencontre comme celle d'aujourd'hui nous en donne l'occasion. Il y a en effet des différences. En France, mettrions-nous les arts traditionnels, l'hospitalité ou la Slow Life dans la culture ? Je l'ignore. Nous avons également observé des différences culturelles dans les présentations. Un Français affirmera que sa ville est la plus belle du pays ; un Japonais le montrera avec des photos. Nous avons beaucoup à apprendre sur ce plan-là.
Je voudrais à cet égard remercier le Sénat et CLAIR d'avoir pris l'initiative de cette rencontre, qui permet de mieux nous connaître.
La culture constitue par ailleurs certainement le moteur principal de la coopération menée par les collectivités territoriales. La culture, la volonté de s'ouvrir vers l'extérieur et de défendre une diversité culturelle sont les premières raisons pour lesquelles des élus locaux se lancent dans ce type de démarche. On l'oublie parfois, mais la culture est le ferment de l'action menée par les collectivités locales à l'international.
Le ministère des Affaires étrangères est tout à fait conscient que nous sommes en présence d'une coopération décentralisée ancienne et concernant essentiellement les villes. Les régions entreprennent peu à peu de telles démarches, puisque le dispositif administratif permet d'établir de telles relations. Ces quinze dernières années, nous avons connu des phénomènes de mode, notamment en faveur de la Chine. Je le dis d'autant plus volontiers que M. Valade est président du groupe d'amitié France-Japon, mais également du Comité Chine de la coopération décentralisée et de la Commission nationale de la coopération décentralisée.
Le 150 e anniversaire des relations diplomatiques franco-japonaises doit être l'occasion de relancer nos relations. L'Ambassadeur de France au Japon, le ministre des Affaires étrangères sont tous deux convaincus que les relations entre collectivités territoriales françaises et japonaises peuvent se révéler d'un apport considérable pour notre relation bilatérale.
C'est la raison pour laquelle nous avons proposé, de concert avec les collectivités françaises et les acteurs institutionnels comme CLAIR et l'Ambassade du Japon en France, de profiter de ce 150 e anniversaire pour organiser les premières rencontres de la coopération décentralisée franco-japonaise, qui se tiendront à la fin du mois d'octobre à Nancy.
M. Rossinot, dont la ville entretient depuis longtemps une coopération avec Kanazawa, a accepté d'accueillir ces rencontres qui rassembleront toutes les collectivités françaises et leurs partenaires. Nous évoquerons à cette occasion des problématiques culturelles, mais également d'autres sujets tels que la décentralisation, la grande vitesse, les problèmes de desserte des métropoles, l'attractivité des territoires, nos politiques de pôles de compétitivité, la coopération universitaire, la recherche, le développement économique local, le tourisme culturel urbain, le patrimoine, le pilotage des grands projets urbains et l'avenir des villes, les problématiques du centre-ville et les enjeux de la vie quotidienne, notamment le commerce de proximité, la piétonisation et la sécurité. Nous allons réfléchir sur ces thèmes pendant deux jours, entre Japonais et Français.
Nous avons des enjeux communs et de fortes responsabilités, en tant que collectivités territoriales, dans le cadre de la mondialisation. Nous sommes convaincus que les relations entre collectivités territoriales françaises et japonaises peuvent apporter beaucoup à la relation bilatérale entre nos deux pays.
On dit souvent en France que « la culture, c'est ce qui reste quand on a tout oublié ». Oublions le stress de la vie quotidienne, nos obligations professionnelles, le Sénat, les institutions et revenons à l'essentiel et à la Slow Life. Ceci me rappelle les vers d'un poète français, Paul Valéry, « Ô récompense après une pensée, Qu'un long regard sur le calme des dieux ! ». Le calme des dieux est japonais et français.
Je vous remercie pour cette journée.
M. Bruno LEPRAT
Merci.
Je vous rappelle que ce colloque était le quatrième organisé par le Service des Collectivités territoriales en partenariat avec le CLAIR.
Pour conclure, M. Tokisawa, comment traduit-on Slow Life en japonais ?
M. Tadashi TOKISAWA
En japonais, nous utilisons le même terme qu'en anglais : Slow Life.
M. Bruno LEPRAT
Je vous suggère d'applaudir plus spécifiquement nos deux élus du Japon, qui ont beaucoup travaillé leur présentation et ont fait un long voyage pour être présents parmi nous avant de repartir dans leur collectivité où ils sont certainement de précieux artisans du développement.
Je remercie encore une fois tous nos intervenants. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, de votre attention.
ANNEXE
Les collectivités locales et la culture en France et au Japon, exposé de Mme Mari KOBAYASHI, maître de conférences en politique culturelle à l'Université de Tokyo
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Images : Université de Tokyo(c)université de Tokyo
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Sources Agence des affaires culturelles du Japon