Les Parlements dans la société de l'information
Palais du Luxembourg, 18 et 19 novembre 1999
X. INTERVENTION DE M. CHRISTIAN PAUL, DÉPUTÉ DE LA NIÈVRE
« L'internet fait-il progresser ou régresser la démocratie ? D'emblée, je dois vous dire qu'à mes yeux, l'Internet ne doit être ni diabolisé ni idéalisé. Le commerce électronique, par exemple, recèle aussi bien des opportunités que des menaces, et il faut prendre en compte aussi bien les unes que les autres. Le progrès technologique n'est pas forcément porteur de progrès social.
Le réseau mondial crée-t-il de nouvelles formes de domination ou est-il à l'inverse réducteur des inégalités ? Inéluctablement, il va dans un premier temps se creuser un écart entre ceux qui maîtriseront ces technologies et les autres. L'heure est donc plutôt à l'appropriation des techniques par les citoyens plutôt qu'à leur condamnation.
En deuxième lieu, les technologies nouvelles vont-elles changer la notion de pouvoir public ? Va-t-on, comme le pense Jacques Attali, vers la fin du politique, vers une société de non droit ? C'est sans doute vrai si l'on part de la vision libertaire qui était celle des précurseurs de ce réseau. Mais c'est sans doute une vision très réductrice. L'Internet est certes tiré par le commerce électronique mais il ne se résume pas aux échanges marchands. S'il a pu paraître défier le policier, le juge, le droit et l'État, le monde des réseaux n'est pas pour autant un espace évoluant hors du droit.
On doit enfin s'interroger sur les risques que fait peser l'Internet sur la protection de la vie privée, car la frontière avec la vie publique tend à s'estomper. En réalité, nous assistons à une transmission progressive du pouvoir de surveillance, dévolu hier encore entièrement à l'État, à un nombre croissant d'acteurs sociaux. Notre premier devoir de responsable politique est donc de faire preuve de vigilance, et d'inventer un mode de régulation démocratique de l'Internet, en France et à l'échelle européenne. Il faudra faire appel à la loi chaque fois que cela sera nécessaire, mais aussi à l'autorégulation chaque fois que cela sera possible.
Notre second devoir sera d'inventer un Internet citoyen. En effet, Internet ne se limite pas au commerce électronique, il existe une place pour un Internet citoyen, qui s'appuiera sur quatre concepts tous issus de notre histoire républicaine.
Démocratie
L'Internet est un formidable moyen de partage du pouvoir, d'expression libre et de diffusion large à faible coût. Le modèle des réseaux est radicalement opposé au modèle pyramidal qui a façonné notre conception des entreprises et des institutions publiques. L'Internet démocratique va donc changer notre relation au pouvoir.
Service public
L'Internet est peut-être aujourd'hui le meilleur levier qui soit pour la réforme de l'État que nous appelons de nos voeux dans notre pays.
Solidarité
L'histoire d'Internet porte en lui des valeurs historiques de solidarité et d'égalité qu'il ne faudra pas laisser tomber en déshérence.
Association
La culture de la coopération est également constitutive de l'histoire d'Internet.
Comment construire les relations entre les citoyens et les pouvoirs ? J'évoquerai moins l'idée de démocratie directe que l'idée de démocratie élaborative. La première serait une démocratie en temps réel, sans médiation. Je préfère pour ma part une démocratie élaborative qui complète la démocratie représentative, qui est la pierre angulaire de nos sociétés. Internet est un formidable outil de participation à l'élaboration de la loi. J'en veux pour preuve l'exemple de la consultation nationale lancée par le Gouvernement français pour l'élaboration de la loi sur la société de l'information, qui doit être présentée au Parlement en l'an 2000, et à laquelle vous pouvez participer sur le site www.internet.gouv.fr
Nous avons une conscience aiguë des risques concrets qu'il nous faut contourner pour qu'Internet soit demain un outil qui fasse réellement progresser la démocratie, notamment pour que ne se crée pas une nouvelle fracture, cette fois-ci numérique, qui diviserait nos concitoyens. Nous avons la conviction, pour notre part, que l'Internet sera dans les années qui viennent un formidable moyen de reconstruction de notre espace démocratique. »