Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise 2005



Palais du Luxembourg, 25 janvier 2005

Table ronde : La mondialisation, choix ou fatalité ?

PARTICIPENT À LA TABLE RONDE :

> Ashwani KUMAR,

sénateur indien, président du groupe d'amitié Inde - France

> François LOOS,

ministre délégué au commerce extérieur

> Jean ARTHUIS,

président de la commission des Finances du Sénat

> Clara GAYMARD,

ambassadeur délégué aux investissements internationaux

> Seth ZACHARY,

chairman de Paul Hastings

> Jean BRUNOL,

senior vice-président international opérations IVECO

> Phiroz VANDREVALA,

senior executive, Tata Consultancy Services

> François CHÉRÈQUE,

secrétaire général de la CFDT

> Jean MATHIEX,

professeur de géopolitique à l'ENST et à l'INT

La table ronde est animée par Jean-Marc SYLVESTRE, LCI.

> M. SYLVESTRE

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de participer à ce débat. Cette table ronde est enregistrée et sera diffusée demain matin sur Public Sénat. Elle devrait durer une heure sachant qu'un débat avec la salle est prévu. Pour donner du rythme à nos échanges et multiplier les interventions, je vous demanderai de faire preuve de concision.

Je vous remercie, monsieur le Président, d'avoir introduit ce débat. Vous avez convié un certain nombre de personnalités, notamment des industriels, des représentants politiques indiens, que je salue. Vous avez convié François Loos, ministre du commerce extérieur, Clara Gaymard, ambassadeur délégué aux investissements internationaux. Je remercie de sa présence Jean Arthuis, qui connaît bien cette maison pour en faire partie et qui est Président de la commission des Finances du Sénat. Il a, dans un passé récent, beaucoup travaillé sur la question de la mondialisation et sur ses conséquences en matière de délocalisation pour le tissu industriel français. Je remercie aussi d'autres industriels, comme Jean Brunol, d'IVECO, qui ont une activité importante à l'étranger. Je remercie François Chérèque, Secrétaire général de la CFDT et qui va nous apporter le point de vue d'un syndicat. Je remercie le Professeur Jean Mathiex, qui a beaucoup travaillé sur cette question.

Le Président Poncelet en a parlé dans son introduction, la mondialisation offre beaucoup d'opportunités à un grand nombre d'entreprises. Elle suscite aussi beaucoup d'inquiétude, voire d'angoisse.

François Loos, vous parcourez le monde pour essayer de vendre l'industrie française. Est-ce une obligation, une fatalité, de vendre l'industrie française et, d'une certaine façon, d'inciter nos industriels à se délocaliser ?

> M. LOOS

La mondialisation existe. Elle n'est pas nouvelle. Elle engendre aujourd'hui des craintes, des peurs et des opportunités.

La mondialisation existe car certains problèmes - comme la pollution de l'air, les épidémies, le cours du dollar - sont mondiaux, qu'on le veuille ou non. À ces problèmes mondiaux, il faut apporter des réponses mondiales, qu'elles soient définies en fonction des circonstances ou de façon institutionnelle. Il faut donc que la mondialisation soit maîtrisée et humanisée, comme nous le demandons, ce qui implique la mise en place de règles sociales, commerciales, en matière d'environnement et dans tous les domaines. Il faut aussi assurer une meilleure redistribution pour aider les pays qui sont les plus mal placés dans cette compétition et dont les difficultés peuvent avoir des conséquences sur d'autres pays. Nous devons y être attentifs.

La mondialisation offre aussi des opportunités. La croissance au niveau mondial devrait, cette année, être de l'ordre de 4 %. Les échanges mondiaux ont augmenté de 8 % l'année dernière. Cette dynamique, qui n'est pas nouvelle, mais qui s'était fortement ralentie au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, va se poursuivre. Cette croissance, dans le monde, est tirée par l'Inde, par la Chine, par les États-Unis, qui enregistrent une croissance de 4,5 %, et offrent des opportunités aux entreprises. Il convient aujourd'hui de s'occuper des contraintes et de saisir ces opportunités. La France doit consentir des efforts pour mieux saisir ces opportunités.

> M. SYLVESTRE

« Mieux saisir les opportunités », Clara Gaymard en a fait son métier, puisqu'elle cherche à attirer des investisseurs et entreprises en France. Avant de lui donner la parole, j'aimerais que Jean Arthuis nous présente son diagnostic, plutôt pessimiste, de la situation. Aujourd'hui, le bilan des délocalisations pour l'industrie française, pour le tissu économique français, est assez négatif. Le taux de chômage, les déménagements des entreprises, en sont la preuve.

> M. ARTHUIS

La mondialisation est, en effet, vieille comme le monde. Ce qui est nouveau est le fulgurant développement des échanges. On dispose aujourd'hui de moyens extrêmement efficaces pour assurer, à des coûts très faibles, le transport des marchandises et des personnes. En outre, depuis plusieurs années, les nouvelles technologies de l'information et de la communication, la numérisation, permettent la délocalisation des entreprises. Les organisations étatiques avaient mis en place sur les territoires nationaux des modèles sociaux et fiscaux - avec, par convention, une répartition des charges entre les entreprises et les ménages - qui avaient un sens tant que ces organisations étaient relativement autonomes. Tout ce dispositif est bousculé avec la mondialisation et la globalisation.

J'ai la conviction que la France dispose de multiples atouts pour réussir mais elle a du mal à tirer les conséquences de ces changements. En l'état, les lois sociales et modes de prélèvements obligatoires peuvent constituer des incitations à la délocalisation. Aujourd'hui, nombre de salariés ont le sentiment de vivre en concurrence avec les salariés du monde entier, ce qui les fait frémir. Si les consommateurs sont gagnants, le citoyen peut être atteint de schizophrénie vis-à-vis de la mondialisation : si le consommateur y trouve son compte, le salarié n'en perçoit pas les avantages. C'est pourquoi il est urgent, à mon sens, d'engager des réformes structurelles en matière de droit social, avec le besoin d'une plus grande flexibilité, ainsi qu'en matière de fiscalité. Les pouvoirs publics ont été très allants pour modifier les traités et, finalement, mettre en place un libre-échange généralisé mais n'en ont pas mesuré toutes les conséquences sur le plan de la cohésion sociale et de la capacité à maintenir une valeur ajoutée. Certes, on peut se bercer d'illusions en pensant qu'il suffira de faire de la recherche. Mais j'ai le sentiment que là où il y aura de l'industrie, il y aura de la recherche.

> M. SYLVESTRE

François Chérèque nous donnera son opinion sur ce point notamment sur la question du salariat dans la mondialisation. Clara Gaymard, que dites-vous aux investisseurs étrangers pour les convaincre de venir en France où, certes, il fait bon vivre, où le vin est de qualité, où la haute couture est magnifique mais où le chômage atteint 10 %, où tout le monde se plaint et où la croissance annuelle est inférieure à 2 % ?

> Mme GAYMARD

Ces investisseurs sont déjà présents. 16 000 entreprises étrangères sont installées en France. Dans le seul secteur industriel, un Français sur trois travaille pour une entreprise étrangère. Si ces investisseurs ont choisi la France, ce n'est pas par philanthropisme mais pour la qualité des infrastructures, parce que la France est au coeur d'un marché européen qui compte 450 millions de consommateurs et qui est le premier marché du monde, parce que sa main d'oeuvre, par heure travaillée, est la plus productive au monde et qu'elle est particulièrement bien formée.

Si tout le monde parle de mondialisation, le véritable enjeu, qui explique la mondialisation, est l'innovation. Je vous livre ici un exemple significatif. Dans cinq ans, pour vous éclairer, vous n'utiliserez plus d'ampoules car la lumière blanche sera fournie par une puce numérique. La problématique des entreprises qui fabriquent des ampoules en France n'est pas liée à la mondialisation mais bien à l'innovation. Les ampoules ne vont pas disparaître : elles seront fabriquées, comme les magnétoscopes ou les téléviseurs, dans d'autres pays. La vraie question est d'effectuer des sauts technologiques. Et la France est bien armée pour cela, parce qu'elle dispose de parcs technologiques, parce qu'elle a une tradition de performance dans la médecine, dans les sciences du vivant, dans l'électronique, le nucléaire, l'automobile, l'aéronautique. Si les investisseurs viennent en France c'est notamment parce que notre pays compte des leaders mondiaux dans tous les secteurs économiques. Peu de pays peuvent en dire autant. Dans les secteurs de l'agroalimentaire, de la distribution, de l'énergie, une entreprise française est classée parmi les cinq leaders mondiaux. La France a su accomplir ce miracle au cours des vingt dernières années. Elle doit poursuivre ses efforts. Je suis, pour ma part, très confiante quant à la capacité de la France à attirer des investissements étrangers.

> M. SYLVESTRE

La France bénéficie-t-elle d'une bonne image ?

> Mme GAYMARD

La France n'a pas une bonne image parce que nous-mêmes donnons une mauvaise image. Nous ne manquons jamais de nous critiquer nous-mêmes. Nous devons progresser en matière de marketing, en apprenant à vendre la place de la France dans le monde. En 2002 et 2003, la France était le deuxième pays au monde, après la Chine, pour l'accueil d'investissements internationaux. Cela montre bien que la France est un pays ouvert, qu'il est possible d'y acheter des entreprises et d'y développer des affaires librement. Pourtant, la France donne d'elle-même l'image d'un pays protectionniste. Il est donc nécessaire de mieux communiquer.

> M. SYLVESTRE

Je vais caricaturer vos propos. Il faut laisser partir, puisque c'est inéluctable, un certain nombre d'industries à « faible valeur ajoutée », même si vous n'avez pas employé ce terme...

> Mme GAYMARD

Ce n'est pas la question. Une entreprise vit et meurt. Les technologies vivent et meurent. La question est d'anticiper et de préparer l'avenir.

> M. SYLVESTRE

Anticiper suppose d'attirer des industriels à haute valeur ajoutée qui profiteront de notre capacité de recherche et d'innovation.

> Mme GAYMARD

Notre avenir ne doit pas se limiter aux activités dans le domaine des nanotechnologies et des sciences du vivant. Par exemple, la logistique connaît un formidable développement sachant qu'aujourd'hui, seuls 20 % des produits traversent les frontières et que ce taux sera de 80 % dans 50 ans. La France est bien placée en matière de logistique, secteur qui emploie de la main d'oeuvre non qualifiée. Par conséquent, ne pensons pas qu'il n'y a pas de futur pour les emplois non qualifiés. Il s'agit avant tout de choisir les bonnes stratégies de développement.

> M. SYLVESTRE

François Chérèque, la mondialisation, nous le voyons tous les jours, provoque un certain nombre de dégâts sociaux en France. À quel prix et à quelles conditions un syndicat comme le vôtre accepterait-il de négocier les adaptations nécessaires pour affronter ces contraintes ?

> M. CHÉRÈQUE

La mondialisation a, en effet, des conséquences parfois néfastes. Il est étrange d'entendre que, sur un plan macroéconomique, les délocalisations entraînent peu de pertes d'emplois...

> M. LOOS

Je n'ai pas dit cela.

> M. CHÉRÈQUE

C'est un discours assez courant. Jean Arthuis vient de dire, à juste titre, que les salariés de notre pays ont le sentiment d'être en concurrence avec les salariés d'autres pays. Mais c'est parce qu'on les met en concurrence, et cela sur des secteurs où l'économie française n'est pas en mesure de répondre.

Pour nous en sortir, deux voies sont possibles. La première renvoie aux conclusions du rapport Beffa sur la recherche et le développement. Les difficultés de la France rendent nécessaire une meilleure articulation entre recherche publique et recherche privée. La seconde concerne l'adaptation de nos régimes sociaux. La CFDT est bien placée pour savoir que ceux qui s'engagent à adapter les régimes sociaux ont parfois du mal à expliquer leur démarche. Les syndicats doivent regarder le monde actuel non pas avec un regard passéiste, en se focalisant sur un système social qui s'était construit dans une économie en expansion, mais avec un regard actuel, en ayant conscience de l'économie d'aujourd'hui.

Pour cela, il convient de revoir nos régimes sociaux, en intervenant dans plusieurs directions. Vous avez évoqué le besoin d'une plus grande flexibilité. Les hommes politiques ont lancé le débat. Pour ma part, je m'interroge sur la sécurité que l'on peut apporter en face de cette flexibilité. En effet, les pays européens qui ont le mieux répondu à ce défi ont investi, certes dans plus de flexibilité, mais aussi dans plus de sécurité. Il s'agit de construire de véritables parcours professionnels permettant aux salariés de notre pays, lorsqu'ils sont en dehors de l'entreprise à certaines périodes pour des raisons économiques, de profiter de ces périodes pour se former, changer d'orientation et retourner vers l'emploi de façon efficace mais aussi de la façon la plus chanceuse qui soit. En effet, la France rencontre une certaine difficulté à anticiper. Vous avez cité l'exemple de la fabrication d'ampoules. Une entreprise alsacienne de fabrication de piles a annoncé aujourd'hui même sa fermeture en avril. 150 emplois vont être supprimés parce que, pour des raisons liées au développement technologique, le marché des piles traditionnelles se réduit. Est-il normal que la question de l'avenir de ce produit ne soit posée qu'aujourd'hui ? Je suis certain que les actionnaires de cette entreprise, en l'occurrence un fonds de pension américain, étaient conscients, depuis plusieurs années, de ces problèmes. Il était nécessaire d'anticiper pour offrir une reconversion aux salariés et leur donner la possibilité de fabriquer d'autres produits.

En résumé, je ne suis pas opposé à la flexibilité à partir du moment où elle s'accompagne d'une plus grande sécurité - ce qui suppose un investissement de l'État - et d'une plus grande anticipation, par le biais d'une meilleure gouvernance des entreprises qui impliquerait davantage les salariés.

> M. SYLVESTRE

Jean Arthuis et François Loos souhaitent réagir.

> M. ARTHUIS

Je souhaite que nous puissions ensemble parler de l'avenir autrement. Je salue les représentants des organisations syndicales qui essaient d'ouvrir de nouvelles voies ; ce n'est pas aisé. Les politiques, les institutionnels et les syndicats doivent accepter de regarder la réalité telle qu'elle est et cesser de se raconter des histoires.

Je me suis rendu dans différents pays Scandinaves. Le Danemark est un vrai pays social-démocrate : celui qui perd son emploi est convenablement indemnisé et suit un parcours de retour à l'emploi. Mais c'est aussi parce que le licenciement y est immédiat que le Danemark connaît le plein emploi. Il s'agit pour nous de convaincre l'ensemble des partenaires que la flexibilité est l'une des chances du plein emploi.

> M. LOOS

En matière d'anticipation et de recherche, il importe de comprendre que les sociétés cotées choisissent d'affecter du cash-flow soit à leur activité de recherche soit à leur dividende. Il faut aujourd'hui faire en sorte que ces entreprises mettent des moyens sur la R&D afin qu'elles anticipent, pas seulement d'éventuels problèmes sociaux, mais aussi l'évolution de leur marché. La France est, à l'heure actuelle, moins efficace sur ce point que ce qu'elle pourrait être. Nous avons besoin d'un sursaut en la matière.

> M. SYLVESTRE

Clara Gaymard, le discours de François Chérèque vous semble-t-il présentable à des investisseurs étrangers qui soulignent l'excès de sécurité, de la protection sociale en France ainsi qu'un coût du travail exorbitant ?

> Mme GAYMARD

L'exemple de General Motors est extrêmement instructif. General Motors a récemment réalisé un investissement conséquent à Strasbourg. Notons d'ailleurs que Strasbourg a été retenue au détriment de la Hongrie, ce qui montre que la France est compétitive par rapport aux pays de l'Est, y compris dans le secteur de l'industrie lourde. L'idée que l'Europe de l'Est nous taille des croupières ne correspond donc pas à la réalité.

General Motors a de grandes difficultés car il porte, seul, le risque de la retraite et de l'assurance maladie. Comme l'effectif dans l'automobile se réduit fortement, General Motors sollicite l'aide du gouvernement américain. Les entreprises américaines qui s'implantent en France savent qu'elles doivent payer la retraite, l'assurance maladie, que le gouvernement a stabilisé les fonds publics sur ces deux points, mais elles savent aussi qu'elles n'ont pas à porter le risque de la retraite et de l'assurance maladie ni à payer des personnes pour gérer ces sommes. Pour un investisseur, la dépense obligatoire est un critère déterminant dans la mesure où un investisseur doit payer la retraite de ses salariés, l'assurance maladie, et un ensemble de dépense. Or, l'élément essentiel, pour un investisseur, est le montant qu'il lui reste, « en fin de journée ».

> M. SYLVESTRE

IVECO est une entreprise qui n'a pas d'états d'âme. Elle s'installe dans le monde entier parce que ses clients sont situés partout dans le monde. Monsieur Brunol, quelle est votre approche de la mondialisation ?

> M. BRUNOL

Notre problématique est assez simple. Le marché des véhicules commerciaux et des véhicules de transports représente quatre millions d'unités par an : un million en Europe, un million dans les Amériques, un million en Chine, et un million dans le reste du monde.

La mondialisation n'est, pour nous, ni un choix ni, heureusement, une fatalité. Quand les dirigeants industriels s'interrogent sur la mondialisation, ils ne la considèrent pas comme choisie ou subie. D'autres éléments leur viennent à l'esprit.

D'abord, la mondialisation constitue un changement de degré. Ensuite, la mondialisation n'est pas la fin de l'histoire. Elle est une fantastique opportunité. La mondialisation n'est pas la globalisation. La globalisation est un changement de nature tandis que la mondialisation n'est qu'un changement de degré. Les grands pays occidentaux ont des cartes à jouer mais ont peu de temps pour le faire. Des plaques « tectoniques » se sont mises en place. Des contraintes existent à l'interface de ces plaques. Les grands pays développés se situent sur ces lignes de fracture et ont peu de temps pour réagir.

> M. SYLVESTRE

IVECO se veut-elle entreprise mondiale ou bien déploie-t-elle un drapeau français lorsqu'elle investit des marchés étrangers ?

>M. BRUNOL

Vous évoquez la question de la base stratégique nationale. Une entreprise est comme un individu. Un individu, hors de sa culture, ne se construit pas. Une entreprise a besoin de bases stratégiques nationales. Si elle n'y parvient pas quelque part, elle doit les trouver ailleurs. C'est ce que fait le groupe IVECO. La question de la mondialisation renvoie davantage à la question des « systèmes pays » qu'à la question de la place des grands groupes internationaux.

> M. SYLVESTRE

Je passe la parole à nos amis étrangers. J'aimerais qu'ils nous donnent leur sentiment sur ce débat et qu'ils indiquent les éventuelles réponses qu'ils apportent aux inquiétudes des pays occidentaux.

> M. KUMAR

J'ai écouté les différents points de vue qui ont été exprimés. La nature même de la mondialisation est au coeur du débat. Cette mondialisation vise toutes les entreprises, qu'elles le veuillent ou non, et l'on ne peut opposer les entreprises qui seraient actrices de cette mondialisation et celles qui en seraient victimes.

Il me semble nécessaire d'insister sur les conséquences de la mondialisation. Cela suppose de revenir sur le bond technologique à l'origine de la mondialisation. Au début des années 90, on s'intéressait à l'avenir des pays émergents en soulignant les compétences clés nécessaires à leur développement. Aujourd'hui, les frontières disparaissent et la mondialisation est la seule logique économique. Dès lors, il faut se pencher sur la question des compétences, s'interroger sur l'impact de la mondialisation, notamment sur l'emploi. Ce dernier est au coeur des préoccupations de tous les gouvernements démocratiques. Cette question ne peut être laissée de côté. Le Secrétaire général de la CFDT l'a souligné.

Je suis originaire d'un pays en voie de développement, d'un pays qui a procédé à un grand nombre de réformes, y compris des réformes technologiques. Ces réformes doivent présenter un visage humain. La mondialisation doit nous montrer les avantages des interventions étatiques. Il incombe aux gouvernements d'apprendre à travailler avec les entreprises, non pas pour freiner le processus de modernisation, mais pour que celui-ci ait un sens.

> M. SYLVESTRE

Phiroz Vandrevala, une question inquiète particulièrement les Occidentaux. Elle concerne l'immense « réservoir » de main d'oeuvre qui existe en Chine et en Inde. Ne constitue-t-il pas, pour vos économies, un moyen de maîtriser et de capter un certain nombre d'industries pendant 10, 20 ou 30 ans ?

> M. VANDREVALA

Je ne suis pas certain de bien avoir compris votre question.

Si nous avions lancé ce débat il y a 5 ou 7 ans, nous ne nous serions pas posé la question des victimes et des acteurs de la mondialisation. En Chine ou en Inde, on nous a dit pendant plusieurs années que la mondialisation était la voie à suivre et que ce processus était tout à fait positif. Aujourd'hui, le discours a changé. Et ceux qui se percevaient comme acteurs par le passé, se considèrent aujourd'hui comme victimes. Pourtant, pendant 10 ou 15 ans, on nous disait que la mondialisation était la panacée pour le monde en développement. On disait qu'il fallait nous ouvrir, ouvrir nos marchés. Mais ce processus a progressivement eu un impact sur les emplois, sur les économies locales et a commencé à poser des problèmes.

Nous sommes ici sur un plateau de télévision. Aujourd'hui, en Inde, comme dans d'autres pays, chaque foyer compte plusieurs postes de télévision. C'est donc moins sur le marché des téléviseurs que sur le marché des contenus et des programmes qu'il existe des opportunités de développement. Il y a là un exemple significatif des évolutions possibles. L'analyse démographique en Europe occidentale ou aux États-Unis souligne que la population active sera insuffisante dans quelques années. Comment dès lors garantir un maintien de vos activités ? Vous pouvez former, dans vos pays, votre main d'oeuvre de manière à ce qu'elle occupe des emplois qualifiés. Pour autant, il faut réfléchir à la façon de créer des emplois.

> M. SYLVESTRE

En vous interrogeant sur vos ressources en main d'oeuvre, je faisais allusion aux délocalisations qui ont été opérées, il y a une dizaine d'années, par l'Europe occidentale, vers les pays du Maghreb. Ces mouvements ont eu tendance à élever le niveau de vie général de ces pays et, finalement, à réduire la compétitivité de leurs industries. On s'aperçoit aujourd'hui qu'en délocalisant en Chine ou en Inde, ce phénomène qui devrait permettre de relever le prix de revient des produits ne se produit pas, compte tenu du réservoir de main d'oeuvre dont vous disposez.

> M. VANDREVALA

Je ne partage pas du tout votre analyse. Hormis le vin et le fromage, le produit français le plus célèbre est l'appareil Airbus. Les commandes sont principalement le fait de l'Inde et de la Chine. La mondialisation a, de ce point de vue, un impact positif sur l'emploi en Europe. Cela suppose de proposer des produits capables de répondre aux besoins et de faire évoluer les marchés.

> M. SYLVESTRE

Je pensais davantage aux vêtements que nous portons qu'aux appareils Airbus.

> M. VANDREVALA

Vous portez peut-être des vêtements fabriqués en Inde. Je porte pour ma part des vêtements européens !

> M. SYLVESTRE

François Loos, que souhaitez-vous dire aux dirigeants indiens ?

> M. LOOS

Nous abordons ici le débat de l'immigration. L'Inde est le pays qui nous interpelle le plus sur cette question. Il nous demande d'ouvrir davantage nos postes de travail aux informaticiens indiens. Nous sommes tous confrontés à ce problème qui va devenir majeur au cours des prochaines années.

J'aimerais revenir sur les délocalisations d'un point de vue macroéconomique, même si la question sociale importe davantage que l'analyse macroéconomique. En moyenne, 45 % des produits exportés par la France ont d'abord été des produits importés. Les produits français ne concernent que 30 % de la fabrication d'un Airbus. En l'Allemagne, la part des produits importés dans les exportations est passée en quelques années de 25 % à 40 %. Actuellement, l'Allemagne est particulièrement touchée par les délocalisations. La France a, pour sa part, déjà beaucoup subi. Cela ne peut constituer une réponse à l'égard de ceux qui souffrent aujourd'hui ou qui souffriront demain.

> M. SYLVESTRE

Les industriels occidentaux s'inquiètent de voir partir en Inde des industries à haute valeur ajoutée, comme l'industrie du logiciel, l'industrie informatique... L'Inde est capable d'accueillir ces industries et pourrait, demain, fabriquer des Airbus.

> M. VANDREVALA

La véritable question est celle de la compétitivité à l'échelle mondiale. Les grands acteurs du monde informatique ont pris les talents en Inde, je travaille moi-même dans l'informatique et mes clients sont Citibank ou Bank of America.

Le défi du domaine des services financiers en France est bien celui de la mondialisation. Ce secteur doit s'internationaliser, se développer sur d'autres marchés, pour survivre. C'est essentiel en matière d'emploi.

Cette quête de la mondialisation passe par l'emploi de talents indiens. Nous pensons qu'il s'agit là d'une chance pour la France car la France peut tirer profit de l'emploi d'informaticiens talentueux.

> Mme GAYMARD

On parle beaucoup des investissements en Inde ou en Chine de la part des pays occidentaux. Toutefois, et même si ce phénomène n'est pas massif, des entreprises indiennes et chinoises viennent aussi investir en Europe. Il ne s'agit que d'un retour de balancier. Ces gigantesques marchés ont su créer de vrais champions nationaux qui sont sur le point de devenir de vrais champions internationaux, capables de se mesurer à nos entreprises occidentales sur leur propre terrain. C'est également une opportunité pour les pays occidentaux car ces entreprises viennent créer des emplois et de l'activité. Et nous pouvons souhaiter qu'elles viennent s'installer en France plutôt que chez nos voisins.

> M. SYLVESTRE

François Chérèque, la CFDT est-elle favorable à la mise en place de quotas d'immigration ?

> M. CHÉRÈQUE

Le taux de chômage dans notre pays est de 10 %. Mettons-nous à la place des salariés français. Je me dois de le dire, compte tenu de mes responsabilités, même si les propos précédents ne me choquent pas. Alors que les politiques ne cessent d'aborder cette question de l'immigration, la France connaît un chômage de masse depuis plus de vingt ans. Si les politiques sont libres de parler d'immigration, ils ne peuvent évoquer cette question sans parler du reste. Je me réjouis que l'Inde puisse voir une élévation de son niveau de formation et un développement de son économie vers les nouvelles technologies. Mais cela suppose que la France investisse davantage encore dans la formation, notamment dans la formation supérieure. Or la France accuse un certain retard en la matière et reporte sans cesse la réforme des universités, par peur du changement et des réactions du mouvement conservateur dans le milieu éducatif.

En outre, la France concentre ses efforts financiers vers les bas salaires pour développer des emplois de services. Cette démarche me semble peu adaptée. La France conduit une politique d'allégement de charges, en particulier sur les bas salaires, alors qu'il convient de mener une réflexion sur le développement de la formation, en particulier la formation continue, et des emplois hautement qualifiés. Face aux difficultés posées par la mondialisation, ces réponses ne me semblent pas les plus appropriées. Sur ces questions, les politiques ont malheureusement une vision à court terme.

> M. SYLVESTRE

Jean Arthuis souhaite vous répondre.

> M. ARTHUIS

Nous vivons dans une démocratie d'opinion. Décrire les phénomènes de délocalisation et leurs enjeux apparaît comme une sorte de pêche et encourage les discours pessimistes. D'un côté, on a conscience que notre pays tarde à se réformer, de l'autre, on tient à rassurer nos concitoyens en parlant de la mondialisation comme d'une véritable chance pour la France.

Il me semble nécessaire de bien décrire les enjeux. Ce qu'on appelle délocalisation ne correspond pas à la fermeture d'une entreprise en France en vue de se déplacer en Chine ou en Inde. Il s'agit plutôt d'un phénomène qui voit l'entreprise se déliter parce que l'activité s'est recréée ailleurs.

> M. SYLVESTRE

Ce n'est pas ce qu'il s'est produit pour le textile... Dans ce secteur, toutes les industries ont progressivement déménagé.

> M. ARTHUIS

En effet. Toutefois, le discours ambiant consistait à dire que ce mouvement n'était pas très grave dans la mesure où il permettait de sauver de l'emploi en France et que la mondialisation était une chance pour la France. De ce fait, la France n'a pas changé ses lois sociales, ses modes de prélèvement - qui sont des impôts de production ou des droits de douane à l'envers. Elle a continué à signer les accords internationaux de libéralisation des échanges tout en laissant les monnaies dans un bazar extraordinaire. Le salaire mensuel moyen était de 100 dollars à Shenzhen en 1993. Il est aujourd'hui au même niveau. Dans ce désordre monétaire, les parités ne veulent plus rien dire et tout le monde semble s'en accommoder. François Loos évoquait précédemment une gouvernance mondiale. Au moins sur le plan des échanges, il conviendrait que les grands espaces économiques s'entendent sur des dispositions pour que les parités monétaires traduisent un peu mieux le coût du travail et le niveau de vie dans chaque pays.

> M. SYLVESTRE

Quel est le quotidien d'IVECO en Inde ?

> M. BRUNOL

Notre partenaire en Inde emploie 12 000 personnes. Sa capacité de production représente 50 % de la capacité du Croupe dans le reste du monde.

Au risque de choquer, j'aimerais rappeler que 12 % à 14 % de la population mondiale génère ou bénéficie, peu importe la façon dont on le prend, de 80 % du PNB mondial. Je prédis qu'au cours des dix prochaines années, la population des pays riches va représenter moins de 10 % de la population mondiale et qu'elle ne bénéficiera plus que de 50 % du PNB mondial. Il s'agit là d'une vraie question et il me paraît sage de l'aborder en profondeur. Nous allons devoir traiter de la citoyenneté des entreprises dans les grands pays industriels. Cette citoyenneté des entreprises ne consiste pas à socialiser les pertes et à privatiser les profits. Elle ne consiste pas à faire passer les plans sociaux dans les pays où l'on n'est pas citoyen plutôt que dans ceux où on l'est. En revanche, elle impose à ces entreprises d'être des acteurs mondiaux, d'investir massivement dans les technologies dans tous les pays. C'est en tout cas la démarche d'IVECO. Certes, nous rencontrons parfois des difficultés mais c'est le sens de notre stratégie.

> M. SYLVESTRE

Seth Zachary, vous dirigez un grand cabinet d'avocats d'affaires. Considérez-vous que les règles de droit sont suffisantes pour assurer la sécurité des investissements, leur développement et une certaine équité au niveau international ?

> M. ZACHARY

Les règles ne suffisent jamais. Elles ne sont jamais parfaites. En outre, par définition, une règle n'anticipe pas le changement : elle vise une situation donnée à un moment donné. Or on nous dit que le changement est inéluctable.

Les règles en matière de gouvernement d'entreprise, en matière de levée de capitaux, tendent à se mondialiser. Mais les règles ne peuvent anticiper la façon dont la propriété doit être partagée. Les règles sont déficientes en la matière même si elles évoluent.

Une question intéressante concerne donc la capacité d'un pays ou d'un opérateur à anticiper le changement. Toutefois, s'agissant de la mondialisation, la question est moins d'anticiper le changement que de prendre la mesure de la réalité. Les règles qui régissent nos vies tendent à se ressembler partout dans le monde, ce qui fait le jeu de la mondialisation. Ces règles ne sont pas forcément adéquates mais elles évoluent très rapidement.

> M. SYLVESTRE

François Loos, faut-il continuer de travailler à un abaissement général des tarifs douaniers ?

> M. LOOS

Le monde est très diversifié. Il compte des pays riches, des pays très pauvres, des pays moyennement pauvres, des pays émergents et ne se limite pas à une distinction Nord / Sud... Et les pays émergents veulent bénéficier d'avantages au détriment des pays plus pauvres. Nous devons en tenir compte.

Je parlais précédemment de redistribution. Si chaque pays est à la recherche d'investissements, pour sa croissance, pour créer des emplois, pour innover, certains pays n'ont rien. Ils comptent donc sur une aide au développement. Le fait de baisser les tarifs douaniers, l'idée que le monde libéral est une solution à tous les problèmes, est une fantaisie théorique. Nous avons besoin de préférences, de protection, de quotas, de clauses de sauvegarde. Nous utilisons nous-mêmes ces outils et d'autres les utilisent aussi contre nous.

> M. SYLVESTRE

Certains industriels dénoncent des dysfonctionnements en Chine ou au Maroc.

> M. LOOS

La Chine est particulièrement visée par l'ouverture de quotas textiles. Dans le domaine de la confection, la Chine va remporter des marchés autrefois détenus par l'Inde, le Pakistan, le Bangladesh, la Tunisie. Face à cette situation, chacun peut recourir aux clauses de sauvegarde, ces instruments dont la France a exigé la mise en place auprès de l'Union européenne. La France défend l'idée qu'à côté de la tendance libérale, des règles et une forme de redistribution sont nécessaires. L'initiative du Président Chirac, aux côtés du Président Lula, d'une taxe mondiale pour donner plus de moyens à la redistribution va bien à l'encontre de la théorie libérale que certains essaient d'imposer depuis des années mais qui ne correspond ni à la réalité ni à notre intérêt.

> M. CHÉRÈQUE

Je suis de ceux qui plaident pour un renforcement des règles. Le Directeur de l'Organisation International du Travail (OIT) fait pression pour que certaines règles de l'OIT soient jointes à celles de l'OMC, en matière de droit du travail, de protection sociale, comme cela apparaît dans le texte de la Constitution européenne qui a le soutien de la CFDT. Les règles de l'OMC doivent aussi être complétées des règles de l'OMS. Or ces organismes onusiens sont cloisonnés les uns par rapport aux autres, ce qui rend difficile toute démarche de développement durable, impliquant l'économique, le social et l'environnemental et qui est un élément important pour réguler la mondialisation.

> M. LOOS

Je suppose que François Chérèque sait que la France porte ces messages dans toutes les institutions internationales. Nous ne parvenons pas, malheureusement, à convaincre tout le monde, mais la France est reconnue comme étant celle qui porte le plus ces messages.

> M. CHÉRÈQUE

Je ne l'ignore pas. C'est en effet le discours qui est tenu au président Lula, ancien syndicaliste que la CFDT avait aidé lorsqu'il était en détention sous la dictature. Nous nous réjouissons d'ailleurs de voir des syndicalistes parvenir à faire porter un certain discours social, d'autant que ces syndicalistes sont originaires de pays émergents.

> M. KUMAR

J'aimerais souligner deux aspects essentiels de la mondialisation. D'abord, le gâteau est toujours plus grand, ce qui est favorable aux nouvelles générations car cela engendra une meilleure répartition. Toutefois, dans chaque État nation, il est de la responsabilité du gouvernement démocratique de réagir en direction des populations qui seront, inévitablement, les victimes de la mondialisation. Cette contradiction n'est, en réalité, qu'apparente. L'enjeu est de voir si, à court terme, l'économie mondialisée ne va pas engendrer une plus grande richesse mondiale qui sera distribuée de façon telle que l'équité entre les générations sera respectée. Ceux qui sont à l'écart du développement doivent conserver la possibilité de s'élever dans l'échelle sociale. Les États nations doivent s'y atteler. Le rôle du législateur et du régulateur sera toujours plus important de ce point de vue. Nos classes politiques doivent avoir cette vision, le souci d'anticiper, pour proposer des lois qui ne se contentent pas de réagir à une situation donnée. Cette évolution suppose notamment une internationalisation des perspectives.

> M. SYLVESTRE

Jean Mathiex, en quoi le phénomène de mondialisation ou de globalisation est-il différent de ce que l'on dénommait « commerce international » ou « de division internationale du travail » ?

> M. MATHIEX

Qu'aurait pensé de ces débats Christophe Colomb, il y a cinq siècles, lorsque débutait la « grande mondialisation » ?

Il aurait sans doute été d'accord avec les propos qui ont été tenus mais ne pouvait avoir conscience d'un point. Alors que la mondialisation est un phénomène très ancien, comment se fait-il que nous la supportions si mal ? Cela tient, d'une part, à l'instantanéité des événements, d'autre part, au nombre de personnes concernées par le phénomène. À l'époque, les personnes touchées par la découverte de l'Amérique représentait un dix millionième de la population d'une petite partie de l'Europe. Et on laissait le temps au temps. En écoutant les différentes interprétations de la mondialisation qui ont été apportées, je me demandais si le problème ne concernait pas, précisément, le moyen de donner du temps au temps, de faire en sorte que le virage soit un peu moins brutal. La première réaction consiste à établir une cuirasse ou encore une pompe à oxygène pour sauver une activité qui est condamnée. Le remède n'est-il pas pire que le mal ? La noblesse des politiques est de proposer des solutions novatrices aux problèmes posés.

> M. SYLVESTRE

Nous ouvrons le débat à la salle.

> M. HOLTZ, WASME

Je représente l'Association mondiale pour les petites et moyennes entreprises, organisation non gouvernementale dont le siège est en Inde et qui a le statut consultatif auprès des Nations Unies.

Je voudrais faire part de mon inquiétude. J'ai écouté les différentes interventions. J'ai entendu parler de macroéconomie, j'ai entendu les interventions de représentants de groupes internationaux... Que deviennent nos petites et moyennes entreprises ? Comment allons-nous régler leurs problèmes ?

Lorsque j'étais vice-Président de la Confédération générale des PME, je m'occupais de l'action internationale. Nous avons mené une expérience entre 1980 et 1990 et sommes parvenus à implanter 350 PMI dans 20 pays développés. Peut-être pourrions-nous réussir la même chose aujourd'hui dans les pays émergents ? Pour cela, l'aide des pouvoirs publics est indispensable.

> M. LOOS

Nous aidons les PME en organisant un grand nombre de manifestations à l'étranger auxquelles elles peuvent participer. 515 manifestations de ce type sont prévues cette année. Nous avons recensé 22 000 entreprises françaises implantées à l'étranger, pour la plupart des PME. Nous sommes devant l'Allemagne et les autres pays européens dans ce domaine. En outre, depuis cette année, nous accordons un crédit d'impôt à l'export et incitons les PME à se regrouper en consortium pour se développer à l'international et, dans ce cas, nous doublons ce crédit d'impôt. Nous avons mis en place des mesures d'amélioration du fonctionnement de la Coface, pour permettre aux entreprises de prendre plus de risques. Par ce biais, un plus grand nombre de PME se tournent vers l'international. Néanmoins, le potentiel français dans ce domaine doit être davantage exploité.

> De la salle

Le nombre d'entrepreneurs et de PMI ne cesse d'augmenter, aussi bien en Europe, aux Amériques que dans le reste du monde. L'esprit d'entreprise est là.

> De la salle

Je dirige l'entreprise OROXEL, qui évolue dans le domaine des biotechnologies. Clara Gaymard, vous avez présenté la France comme un pays attractif, notamment dans le secteur des sciences du vivant, et avez indiqué que les plus grands acteurs de ce secteur sont des opérateurs français. Pourtant, l'image du paysage pharmaceutique français a fortement été modifiée à partir de 2002. Les fermetures des différents centres de recherche et de développement n'ont-elles pas pesé sur l'image de ce secteur ? Quel enseignement en tirer ? Pouvons-nous conclure à un manque d'anticipation comme l'avance François Chérèque ? Est-ce le résultat d'une économie de santé contraignante, de charges sociales trop élevées, d'un manque de passerelles entre public et privé ?

> Mme GAYMARD

L'évolution du secteur pharmaceutique est un sujet crucial dans la mesure où les sciences du vivant sont très certainement un domaine scientifique d'avenir et que la France a toujours eu un potentiel important et une tradition en la matière. La France est leader en Europe dans la fabrication de produits pharmaceutiques, pas simplement par le biais des entreprises françaises mais aussi grâce aux entreprises étrangères présentes sur notre territoire. Vous évoquez la fermeture d'un ou deux centres de recherche, comme celui de Pfizer qui a été transféré en Angleterre. Toutefois, d'autres centres se sont développés en France. C'est le cas de Novonordisc, laboratoire danois qui a créé 400 emplois dans la région de Chartres l'année dernière et qui développe une molécule très avancée dans la prise en charge du diabète. Ne dramatisons pas la situation : la France n'est pas en perte de vitesse. En revanche, il est vrai que le domaine pharmaceutique est confronté à des enjeux spécifiques, comme une mise sur le marché plus rapide du médicament, comme la consommation massive de médicaments en France qui fait que les entreprises se voient demander de les vendre moins cher qu'ailleurs, ce qui leur pose de grandes difficultés dans la gestion de leur marché et ce qui développe un marché parallèle qui ne bénéficie à personne. C'est la raison pour laquelle nous avons créé un groupe de travail avec les industries pharmaceutiques, en vue de réfléchir à ces problématiques. Le fait que la France réussisse plutôt bien à attirer des investisseurs étrangers ne signifie pas qu'il n'est pas nécessaire de réformer, de se pencher sur la question de la flexibilité...

Le monde et la France évoluent. Les entrepreneurs français ont besoin que la législation évolue.

> M. SYLVESTRE

Jean Arthuis, l'enseignement supérieur français est-il compétitif ?

> M. ARTHUIS

Le niveau de formation d'un étudiant en France est relativement faible par rapport à d'autres pays comparables. Si la France consent un niveau de dépenses satisfaisant pour l'enseignement élémentaire et secondaire, s'agissant de l'enseignement supérieur, la France tarde à réformer ses universités et à modifier le statut des chercheurs. Sur ce point particulier, la France accuse un certain retard.

> Mme GAYMARD

J'aimerais compléter ces propos. Les Français sont extrêmement bien formés. L'enseignement gratuit à tous les niveaux permet une certaine forme de méritocratie et permet aux étudiants de développer leurs talents. Mais, dans un contexte marqué par la mondialisation, la question de l'image et de la visibilité est cruciale. Or nos universités ne sont pas suffisamment visibles, notamment en raison de leur taille, pour un étudiant chinois ou indien. Le manque de partenariat entre recherche publique et recherche privée nous pénalise en termes de dynamisme. Nous savons ce qu'il nous reste à entreprendre. Nous devons multiplier les partenariats et développer les pôles d'excellence pour exploiter nos talents.

> M. SYLVESTRE

Jean Mathiex, quel est le nombre d'étudiants étrangers accueillis cette année par HEC ?

> M. MATHIEX

J'ignore le chiffre exact mais il doit représenter 10 % de la population étudiante.

> M. SYLVESTRE

Phiroz Vandrevala, pour quelle raison les étudiants indiens privilégient-ils les universités américaines ou britanniques ?

> M. VANDREVALA

Je précise que l'Inde obtient d'excellents résultats dans la formation de ses ingénieurs. Nos étudiants choisissent les États-Unis, l'Allemagne ou la Russie. La langue n'est donc pas un obstacle.

Il est vrai que l'image des universités est essentielle dans le choix des étudiants. Les grandes écoles de commerce qui se dotent d'une bonne politique marketing attirent nos étudiants et ces derniers sont aussi satisfaits que s'ils avaient choisi Harvard.

Le Financial Times a publié la semaine dernière un palmarès des universités. Si les universités américaines arrivent en tête, les universités françaises, espagnoles et celles d'autres pays viennent juste après.

> M. LOOS

Les États-Unis accueillent 22 % des étudiants qui suivent une formation en dehors de leur pays. L'Angleterre avance un taux de 14 % contre 7 % pour la France.

> M. SYLVESTRE

Les étudiants ne véhiculent-ils pas le modèle économique sur lequel ils ont été formés...

> M. LOOS

Certes.

Notre modèle universitaire est trop morcelé et n'a pas les moyens de se développer à l'étranger alors que le MIT et Harvard sont présents partout. Les Américains sont à la recherche de compétences. Nous devons nous en inspirer pour être davantage performants.

> De la salle

Supposons que nos étudiants rejoignent les universités françaises. La France est-elle prête à les conserver ?

> De la salle

La France a décidé d'attirer de plus en plus d'étudiants, d'Inde en particulier. Les universités françaises s'efforcent de vendre la France comme un haut lieu de formation. L'INSEAD a engagé des actions exemplaires en la matière. Toutefois, la langue reste un critère important. Les perspectives de carrière dans le pays où l'on se forme est un problème important. Les étudiants qui choisissent d'aller suivre leurs études aux États-Unis ou au Royaume-Uni savent qu'à l'issue de leurs études, ils auront plus de chance qu'en France d'y trouver un emploi.

> Mme GAYMARD

La France consent des efforts pour attirer les étudiants qui ne parlent qu'anglais. Alors que les universités françaises ne proposaient qu'une vingtaine de formations entièrement en anglais il y a deux ans, elles en offrent aujourd'hui 450. Il est possible de suivre toutes ses études en anglais, en France.

> M. CHÉRÈQUE

Je me réjouis d'entendre que l'enseignement primaire et secondaire français est bon. Pourtant, c'est bien cet enseignement que l'on réforme alors que le système universitaire accuse un retard mais n'est pas réformé.

Au-delà de cette plaisanterie, en tant que syndicaliste, je note que le lien entre l'entreprise et l'enseignement secondaire et universitaire en France est un sujet tabou. Mes enfants viennent de rejoindre l'enseignement supérieur. Le premier suit des études d'ingénieur, le second vient d'entrer à l'université. Je sais déjà lequel n'aura pas de difficulté pour trouver un emploi demain.

> M. SYLVESTRE

S'ils vous demandaient de poursuivre leurs études aux États-Unis, les laisseriez-vous partir ?

> M. CHÉRÈQUE

Bien évidemment, mais il faudrait m'assurer que je dispose des ressources pour leur payer leurs études aux États-Unis. À ce sujet, les bourses d'études à l'étranger pourraient être revues.

> M. SYLVESTRE

Comment les convaincre ensuite de revenir travailler en France ?

> M. CHÉRÈQUE

Ce choix leur appartient. Mon neveu a suivi ses études en France et s'est installé à Miami pour travailler. C'est un autre aspect de la mondialisation.

> M. SYLVESTRE

Nous prenons une autre question.

> De la salle

Je travaille dans le domaine de la robotique industrielle. La globalisation est une chance pour les entreprises. Je peux le vérifier chaque jour. J'achète des robots industriels au Japon dont les pièces de fonderie sont fabriquées en Chine. Une fois livrés en France, j'équipe ces robots d'un logiciel avant de les revendre, notamment à une société thaïlandaise, qui est une filiale d'un groupe japonais. La boucle est bouclée. Un produit qui a fait le tour de la planète a donné de l'activité à plusieurs opérateurs dans le monde. Les compétences doivent être utilisées là où elles se trouvent.

> M. JACOMET, Vice-Président de l'Union des industries textiles

L'industrie textile a été évoquée à plusieurs reprises. J'aimerais rappeler que l'Europe est le deuxième exportateur mondial dans le domaine du textile. Par conséquent, aucune industrie n'est condamnée par la mondialisation. En revanche, certaines entreprises doivent s'adapter. En Europe, plus qu'ailleurs, il convient d'être attentif au coût d'adaptation de ces entreprises et d'aider celles-ci. Ces entreprises vont se développer à condition que les pays émergents s'ouvrent davantage, notamment du point de vue des barrières non tarifaires dont on ne parle jamais. Par exemple, une entreprise française ne peut acheter, directement, de magasins en Inde.

J'aimerais que nos amis indiens nous fassent part de leur point de vue sur la Chine, l'autre grand pays émergent, et nous indiquent les forces et faiblesses de l'Inde vis-à-vis de la Chine.

> De la salle

Pendant longtemps, on a opposé l'Inde à la Chine. Depuis quelques années, le débat se pose en d'autres termes. On parle désormais de l'Inde et la Chine et non plus de l'Inde OU la Chine. Par conséquent, il n'y a plus à opérer de choix. Ces deux marchés enregistrent des taux de croissance élevés. Ces économies vont devenir de plus en plus puissantes. On ne pourra plus faire l'impasse sur l'un des deux marchés.

> M. KUMAR

Ce siècle sera celui de l'Asie. Cette décennie sera celle de l'Inde en particulier, au vu de son développement en Asie. On parlait de l'Inde comme de « l'éléphant qui sommeille ». L'Inde ne court pas encore mais s'est bien réveillée. Le Japon, l'Inde et la Chine vont constituer la nouvelle troïka qui va poser de nouvelles bases à l'économie.

Je comprends que la France mette le projecteur sur la Chine mais je suis surpris qu'elle le fasse aussi peu sur l'Inde. Je ne comprends pas comment un pays de plus d'un milliard d'habitants, qui est un État de droit, qui est le quatrième pays en termes de parité de pouvoir d'achat, n'intéresse pas davantage les industries françaises. Peut-être ce problème incombe-t-il à l'Inde ? Peut-être ne savons-nous pas attirer les entreprises françaises ? Néanmoins, le moment est venu pour la France de se tourner vers l'Inde.

> Mme GAYMARD

C'est simplement une question d'image. Il y a 10 ans, un grand nombre d'entreprises françaises ont essayé de se développer en Inde. À l'époque, l'Inde n'avait pas entrepris les réformes qui s'imposaient pour répondre aux normes internationales. C'est pourquoi les entreprises françaises ont le sentiment qu'il est très difficile de s'y implanter. Le Ministère du commerce doit dire aux PME et PMI que le moment est venu pour elles de se tourner vers l'Inde car la situation a beaucoup évolué au cours des dernières années. Je parle ici des réformes et non de l'économie indienne. Néanmoins, un opérateur français ne peut toujours pas acheter de magasins en Inde. Carrefour souhaiterait le faire mais n'y parvient pas.

> De la salle

Sans vouloir polémiquer, je signale que Wal-Mart achète pour 2,2 milliards de dollars en Inde contre seulement 10 millions pour Carrefour.

> De la salle

J'aimerais revenir sur l'idée que l'Inde n'est pas ouverte. C'était effectivement le cas il y a dix ans. L'Inde avait une réglementation très stricte et était davantage une victime de la mondialisation. Aujourd'hui, l'Inde en est un acteur. Nous vous invitons à nous rejoindre.

> M. SYLVESTRE

Nous devons conclure. Davos tient, cette semaine, son Forum annuel. Depuis plus de vingt ans, on y tente de conceptualiser le phénomène de mondialisation. Pour la première fois cette année, le Président de la République française se rend à Davos. Quel message va-t-il porter ?

> M. LOOS

Il souhaite faire partager l'idée française de la mondialisation, c'est-à-dire notre souhait d'aider ceux qui sont à l'écart de cette mondialisation ou qui en subissent les contraintes. À travers l'idée d'une taxe mondiale, nous voulons apporter des moyens supplémentaires à cet effet. Nous pensons que, sur certains problèmes mondiaux, comme l'environnement, nous devons tous travailler ensemble. Ce message traduit notre souhait d'un monde multipolaire et d'une mondialisation maîtrisée. La présence du Président de la République à Davos est un événement, pas pour les Français, mais pour l'ensemble du monde.

> M. SYLVESTRE

Je vous remercie.

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