Les enjeux du haut débit : « collectivités locales et territoires à l'heure des choix »



Palais du Luxembourg, 12 novembre 2002

M. Gérard LARCHER - Sénateur des Yvelines, Président de la Commission des affaires économiques et du plan du Sénat

Je vais maintenant vous donner l'analyse et le point de vue du Président de la Commission des affaires économiques et du plan du Sénat sur ce sujet. Je vais le faire en présence d'un collègue député qui a déposé et fait adopter un amendement important il y a peu de temps, et devant Pierre Hérisson, qui m'a succédé à la présidence du groupe d'études sur les postes et les télécommunications au Sénat, Vice-président de la CSSPPT et grand agitateur dans ces domaines.

Monsieur le Directeur général, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, la conscience d'une nécessaire modernisation des moyens de desserte du territoire est au coeur de notre action.

Dans cet esprit, vous le savez, - M. le Directeur général l'a rappelé -, le Sénat a pris l'initiative d'une proposition de loi visant à étendre la couverture du territoire en téléphonie mobile. Bruno Sido nous rejoindra cet après-midi. Ce texte volontariste marque notre souci d'avancer vite et bien dans le développement technologique de nos territoires. C'est une étape dans la réduction de cette fracture numérique que vous évoquiez il y a un instant. C'est aussi la manifestation de la volonté du Sénat d'éviter que ce qui parfois a pu paraître des incantations à la suite du CIADT de Limoges de juillet 2001 ne reste lettre morte. Je le rappelle, de juillet 2001 à septembre 2002 : deux pylônes.

C'est pourquoi il apparaît important au Sénat que soit tenu le cap fixé au CIADT de Limoges en matière de haut débit et, je le rappelle, d'accès de tous aux réseaux à haut débit à des conditions abordables d'ici 2005.

L'Union européenne a affiché une ambition équivalente à Séville en juin dernier, en adoptant le plan e-Europe 2005. L'accès au haut débit représente bien un enjeu considérable pour les territoires dans toutes leurs dimensions, économique, sociale et culturelle.

Nous en sommes ici tous convaincus et c'est le sens de notre présence si nombreuse.

Or toutes les analyses convergent pour estimer qu'au moins 20% des Français ne devraient pas se voir proposer dans les années qui viennent de raccordement à haut débit. Pourquoi ? Parce qu'ils sont établis dans des zones trop peu denses en population.

Il faut donc s'appuyer sur la dynamique concurrentielle et en même temps mener une action publique, afin de répartir géographiquement cette dynamique spontanément trop polarisée.

Où en est-on dans l'accès au haut débit ?

Si on prend les chiffres de juin 2002 : autour de 900 000 abonnés à l'Internet haut débit. Ce sont en tout cas les chiffres donnés par l'Association des fournisseurs d'accès à Internet. C'est, certes, un triplement en un an. Le haut débit se développe effectivement en France. On en sera sans doute à un million et peut-être plus à la fin de l'année, mais on ne peut pas encore parler d'une pénétration massive.

Cette pénétration du haut débit s'effectue aujourd'hui par deux canaux : ADSL : trois quarts ; câble : un quart.

Un potentiel énorme reste à explorer par le biais de ces deux technologies qui n'affichent qu'un taux de pénétration encore très faible. En fait, il apparaît qu'au moins 95% de la clientèle équipée n'est pas encore abonnée.

Beaucoup d'autres technologies recèlent un potentiel de développement considérable. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les pays où le haut débit est le plus introduit - nous allons parler de nos voisins belges, en passant par la Corée ou les États-Unis - sont ceux où existe une réelle émulation entre diverses technologies.

Or il est vrai que les zones très rurales ne seront pas accessibles à l'ADSL ni, a fortiori, au câble. L'ADSL n'est accessible qu'aux abonnés distants de moins de quatre kilomètres du répartiteur de France Télécom.

Pour ces zones rurales, je voudrais dire quelques mots de trois technologies qui me paraissent se distinguer pour l'avenir. Nous avons participé ici à quelques préoccupations sur l'aménagement du territoire et nous voyons qu'il va falloir créer cette dynamique.

Tout d'abord le satellite, longtemps handicapé par la défaillance de la voie de retour, mais les dernières avancées techniques ont résolu ce handicap et l'on peut désormais miser sur la voie satellitaire. L'avenir de notre opérateur satellitaire européen Intelsat me paraît, à cet égard, fondamental, en termes de stratégie industrielle pour l'Europe, mais aussi en termes d'aménagement du territoire. Voilà pourquoi les préoccupations fiscales exprimées à l'Assemblée nationale nous apparaissent importantes comme étant un des leviers dans cette direction.

La boucle locale radio (BLR) : on sait que les abonnés à la BLR sont quelques milliers seulement. Nul n'ignore les retards pris par les opérateurs détenteurs d'une licence BLR. Mais sans doute sont-ils imputables aussi à la crise sectorielle que vous évoquiez et qui frappe le secteur des télécoms. Selon moi, cette technologie flexible, globalement peu onéreuse, reste une alternative crédible au dégroupage et, principalement, pour une clientèle d'entreprise.

Le Wifi : on évoque beaucoup la mise en place de ces réseaux locaux haut débit sans fil dans les lieux de concentration de populations - pour utiliser un terme anglais : hot spots -, ces espèces de plates-formes (gares, aéroports ou centre d'affaires). Mais pourquoi pas aussi en milieu rural pour offrir du haut débit aux alentours d'une borne qui reste reliée à un système filaire ? À cet égard, je me félicite que l'Autorité de régulation des télécommunications ait décidé tout récemment d'ouvrir la possibilité d'expérimenter - un mot qui n'est plus tabou - des projets de développement local en utilisant la technologie WI-FI.

Mon propos n'est pas ce matin de dresser un tableau des avantages et inconvénients de toutes les technologies susceptibles d'offrir du haut débit. Je n'ai d'ailleurs même pas évoqué l'UMTS, l'horizon de l'Internet mobile reculant de jour en jour.

Je veux simplement souligner la complémentarité des technologies qui peuvent concourir à diffuser le haut débit jusque dans nos territoires les moins denses ou les plus distants. Il revient aux collectivités locales de faire jouer cette complémentarité pour répondre au mieux à leurs besoins, qu'il s'agisse de leurs besoins propres ou de ceux de leurs administrés.

Il y a deux outils pour cela :

D'une part, l'outil juridique : l'article L. 1511-6 du Code général des collectivités territoriales, qui leur ouvre désormais sans conditions la possibilité d'investir en infrastructures destinées à supporter des réseaux de télécommunication ; la parution du décret en Conseil d'État, qui précisera les conditions de mise en oeuvre de cet article ne devrait plus tarder. D'autre part, un outil financier assorti d'une ingénierie technique, dont la Caisse des Dépôts est le pilier.

Mais les diverses technologies de desserte du territoire que j'ai évoquées, et que les collectivités locales ont intérêt à envisager, sont encore expérimentales, parfois embryonnaires. J'ai, en effet, la ferme conviction que nous n'obtiendrons pas de pénétration massive et rapide du haut débit sans nous appuyer sur les réseaux fixes.

Aujourd'hui, la voie royale demeure l'ADSL, le boulevard du haut débit est bien la large bande, même si je sais que le débit proposé par la connexion ADSL est en fait plutôt moyen et que le terme « haut » n'est pas tout à fait adapté à cette technologie.

L'usage du réseau téléphonique commuté reste, selon moi, le moyen le plus efficace aujourd'hui de diffuser Internet. Parce que le fil reste le sésame privilégié vers le haut débit, il faut absolument sauver notre opérateur historique, France Télécom. Il faut trouver les moyens de l'aider à surmonter la crise de financement qu'il traverse.

Puisque le nouveau président de France Télécom et le Gouvernement n'ont le choix qu'entre des solutions ne présentant pas que des avantages, le panachage entre elles l'emportera logiquement, afin de minimiser les inconvénients de chacune d'elles. Que l'on cesse de faire le procès du passé ou de vouer aux gémonies ce que l'on portait hier au pinacle ! Pour ma part, je ne fais pas partie des nécrophages. Soutenir l'opérateur historique n'est pas étouffer la concurrence, au contraire.

La loi de réglementation des télécoms de 1996 ne me paraît pas devoir être fondamentalement remise en cause. Elle a eu de grands bénéfices. Il faut donc donner à la concurrence les moyens de se développer. Il ne faut pas, en sauvant le soldat France Télécom, sacrifier tous les autres de la compagnie. Pour cela, il est vital que le dégroupage de la boucle locale devienne effectif.

Le caractère encore quasi monopolistique de l'accès ADSL ne rend pas service à la diffusion du haut débit. 764 lignes dégroupées en France au 1 er juillet 2002... ! J'attends impatiemment les résultats concrets de la mise en oeuvre, depuis à peine un mois, des nouvelles offres tarifaires de France Télécom approuvées par l'ART au cours de l'été. Ces nouvelles mesures devraient conduire à améliorer de manière très significative la situation des fournisseurs d'accès à Internet sur ce marché de l'ADSL, tout en garantissant aux opérateurs des conditions d'entrée viables sur ce marché.

Pour soutenir les différents opérateurs fixes, historiques ou alternatifs, je voudrais aussi évoquer devant vous une autre piste. Je me dis que le temps est peut-être venu de passer à la vitesse supérieure dans la révision des tarifs d'interconnexion. Ces tarifs ont été construits, à l'origine, sur une forte asymétrie en faveur des opérateurs mobiles. J'en ai quelque peu le souvenir. Un opérateur fixe paye ainsi deux fois plus à un opérateur mobile pour acheminer un appel de fixe vers mobile que ce que paye l'opérateur mobile pour tout appel sortant. Vous avez tous en tête ce principe.

Ce parti pris se défendait - je l'ai personnellement soutenu - à l'heure de l'introduction du mobile. Rafraîchissons nos mémoires : il y avait en 1994, 38 fois moins d'abonnés au téléphone mobile qu'aujourd'hui. Nous étions dans un autre monde à cette époque. Aujourd'hui, le nombre d'abonnés au mobile dépasse celui des abonnés au téléphone fixe. Ainsi, il est grand temps qu'émerge une nouvelle structure de charge d'interconnexion qui ne se résume pas à une subvention des réseaux mobiles par les réseaux fixes. C'est d'autant plus nécessaire que, je l'ai rappelé, sans le rétablissement de la santé des opérateurs fixes, la pénétration du haut débit sur le territoire restera limitée. Je sais que l'Autorité de régulation des télécommunications se penche sur la question et qu'elle programme une baisse du prix des charges de terminaisons d'appels de fixes vers mobiles sur les trois prochaines années.

L'enjeu est considérable. En 2000, les opérateurs mobiles ont réalisé 2,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires grâce à la terminaison fixe/mobile. Le système actuel fait donc peser une charge considérable sur les opérateurs fixes, charge qui va s'alourdissant avec le développement inéluctable des communications fixes vers mobiles. Un allègement de cette charge s'impose et il me paraîtrait d'autant plus justifié que la quasi totalité des opérateurs fixes traverse aujourd'hui une passe difficile.

J'estime que le mouvement d'allègement déjà enclenché devrait s'accélérer et s'accentuer. La commission des Affaires économiques du Sénat va prochainement entendre, avec le groupe d'études sur l'avenir des Postes et Télécommunications, M. Breton, Président de France Télécom. Nous lui demanderons à cette occasion son sentiment sur cette intensification de la restructuration des tarifs d'interconnexion, puisqu'avec France Télécom et Orange il a un pied dans chaque camp.

Si, par ces différents moyens, l'accès haut débit par le réseau téléphonique fixe pouvait se développer sensiblement, une dynamique haut débit se trouverait enclenchée et un effet de masse critique serait obtenu. Le développement des usages, des services et des contenus de l'Internet haut débit se fera alors de pair.

L'accès de tous au haut débit représente une ambition plus grande encore. Sa réalisation passe à mes yeux par une grande liberté d'initiative pour les collectivités locales et, parallèlement, par un renforcement des mécanismes de solidarité entre elles.

Attention ! Les collectivités locales les plus fragiles ne peuvent être laissées seules devant le vide numérique. Or le vide numérique est d'abord pour les collectivités les plus faibles. Monsieur le Directeur général, le problème se posera moins dans les Yvelines qu'en Creuse ou en Lozère, c'est naturel.

Le réexamen du périmètre du service universel est prévu pour 2005 dans la nouvelle directive européenne adoptée en mars en dernier. Le haut débit n'aura-t-il pas naturellement sa place dans un service universel ?

Nous ne reculons devant aucun point car je crois qu'il faut se poser les questions. Le haut débit n'a-t-il pas vocation à être un instrument de cohésion nationale ? Il me semble que c'est au fond le véritable enjeu de l'aménagement numérique du territoire sur lequel ce colloque nous propose de débattre.

Je vous souhaite, au nom du Président du Sénat, de tous nos collègues sénateurs ici présents, une très bonne et très fructueuse journée. Puisse le débit de vos échanges atteindre l'intensité qui nous permettra de faire un certain nombre de propositions pour aujourd'hui et pour demain. Je vous remercie.

(Applaudissements).

Page mise à jour le

Partager cette page