7ème rencontres sénatoriales de l'entreprise - La contrefaçon : risque ou menace pour l'entreprise
colloque le 31 mars 2006 au Sénat
VI. ALLOCUTION DE CLÔTURE : CHRISTINE LAGARDE, MINISTRE DÉLÉGUÉE AU COMMERCE EXTÉRIEUR
Je me propose de faire, avec beaucoup d'humilité, compte tenu de la qualité des intervenants, un récapitulatif des enseignements de l'après-midi. Au préalable, je tiens à remercier à nouveau le président Poncelet et le Sénat dans son ensemble d'organiser ce type de rencontres extrêmement enrichissantes, aussi bien pour les participants que, je l'espère, pour les membres de l'auditoire.
Je commencerai donc par rappeler cinq points. Puis, je rappellerai les orientations de la politique gouvernementale, afin de répondre aux critiques qui ont été émises sur son manque de lisibilité.
Il existe un accord unanime pour considérer que la contrefaçon est un phénomène mondialisé et de plus en plus dématérialisé. L'opinion selon laquelle la Chine est aujourd'hui de très loin le premier pays producteur de contrefaçons me semble tout aussi largement partagée. Il est d'ailleurs frappant de constater, dans ce pays comme ailleurs, la capacité et la rapidité d'adaptation des contrefacteurs aux évolutions technologiques, à celles du marché, et aux techniques de protection mises en oeuvre par les propriétaires de marques et de brevets.Témoin de cette rapidité, le raccourcissement continu du délai qui sépare le dépôt d'un brevet de la mise sur le marché d'une contrefaçon du produit protégé. Cette rapidité d'adaptation témoigne à l'évidence de l'existence, au niveau international, de réseaux criminels spécialisés dans la contrefaçon. Parallèlement, force est de constater que les efforts quotidiens de nos entreprises pour concevoir des dispositifs permettant de sécuriser la création et d'entraver la réalisation de copies s'avèrent insuffisants pour limiter l'expansion du phénomène de la contrefaçon. Les contrefacteurs s'efforcent en effet en permanence de tromper les consommateurs et de copier aussi bien que possible les moindres détails (emballages, étiquetages, etc.).
Deuxième point d'accord notable, celui de l'étendue des produits touchés par la contrefaçon. Tous les types de produits sont en effet victimes de ce problème, qu'ils soient lourds ou légers, volatiles ou non, corporels ou incorporels, etc. Une nouvelle contrefaçon est très clairement en train d'envahir de façon préoccupante nos marchés : elle touche les produits immatériels musicaux ou audiovisuels. Il s'agit là aussi d'un véritable fléau, d'ailleurs probable-ment beaucoup plus difficile à appréhender compte tenu de sa nature et de la diffusion de ces produits sur internet. Il apparaît que les systèmes de vente aux enchères qui s'y sont développés offrent un abri aux contrefacteurs de toute sorte, ce qui justifie qu'on leur applique la théorie du « landlord » qui se développe actuellement à travers le monde.
Par ailleurs, la contrefaçon est un phénomène non seulement économique, mais aussi sanitaire. C'est, avec la question des conséquences de la contrefaçon, le troisième point qu'il me semble important de relever. Je voudrais en effet rappeler que, dans le domaine pharmaceutique, nous nous trouvons, en particulier vis-à-vis des pays les plus pauvres, dans une situation sanitaire extrêmement grave. Ainsi, au Cameroun ou au Nigeria, 80 % des médicaments en circulation actuellement sont des produits contrefaisants, dont certains ont des effets véritablement nocifs relativement aux maladies qu'ils sont réputés soigner.
Pour ce qui concerne le volume de la contrefaçon, il varie selon que l'on s'attache aux chiffres de l'Union des fabricants ou à ceux avancés par d'autres organisations. De toute façon, établir des chiffres sur l'économie souterraine est toujours un exercice particulièrement difficile. Le flux de la contrefaçon représente toutefois une part importante du commerce international (entre 7 % et 10 % probablement). Son impact sur l'emploi peut être estimé à 30 000 postes pour la France ou 200 000 pour toute l'Europe. Au-delà de l'emploi, ce sont la vie, la sécurité et la santé des consommateurs qui sont mises en jeu par la contrefaçon. Enfin, il faut ajouter les difficultés liées aux investissements que les sociétés se trouvent forcées d'engager pour lutter contre la contrefaçon et qu'elles ne peuvent donc consacrer à des dépenses plus utiles.
Le quatrième point à rappeler concerne les liens indéniables entre la contrefaçon et le grand banditisme. Les mécanismes par lesquels l'argent du crime et celui de la contrefaçon se trouvent amalgamés, substitués et réutilisés ont été exposés ici de la manière la plus convaincante qui soit.
Enfin, je souhaitais rappeler la nécessité d'une action énergique, mais aussi concertée entre tous les acteurs. Celle-ci doit comprendre de toute évidence une part de prévention et une autre de répression. Cette riposte doit être organisée autant que possible au niveau régional et mondial. A ce titre, la France se réjouit de l'intérêt que suscitent les négociations en cours à l'OMC sur les questions de protection de la propriété intellectuelle.
Permettez-moi à présent d'indiquer brièvement les trois axes autour desquels le Gouvernement organise la riposte à ce phénomène. A titre préliminaire, je considère tout à fait injuste l'affirmation selon laquelle la politique gouvernementale ne serait pas lisible dans ce domaine, notamment en ce qui concerne la contrefaçon audiovisuelle par le biais du peer-to-peer. La France dispose en effet aujourd'hui d'un arsenal juridique qui est l'un des plus développés et les plus répressifs en Europe, ce qui témoigne de la lucidité des autorités dans leur approche du problème. L'objectif poursuivi est tout aussi clair : il s'agit de protéger les auteurs et les inventeurs et de leur garantir le droit à une rétribution juste de leur travail, tout en permettant la diffusion la plus large possible de la culture par les moyens technologiques les plus modernes.
Le premier axe de la politique gouvernementale a donc trait à la protection de la propriété industrielle. Par conséquent, nous encourageons une démarche volontariste de la part des entreprises, en particulier de celles d'entre elles qui fondent leur avantage concurrentiel sur l'innovation ou sur la marque et la notoriété. Comme cela a été rappelé, 13 000 brevets sont déposés chaque année en France, dont seulement 5 000 sont des brevets internationaux, tandis que 200 000 de ces brevets internationaux sont déposés dans le même temps aux Etats-Unis. Un certain nombre d'experts de grande qualité sont au service des entreprises pour les aider dans cette démarche de protection. A l'étranger, la France dispose, dans nombre de ses missions économiques, de spécialistes économiques et juridiques à même d'apporter le soutien nécessaire aux entreprises exportatrices. Une démarche est actuellement en cours pour renforcer ce réseau d'experts, à laquelle j'entends apporter tout mon soutien dans les mois à venir.
La sensibilisation des consommateurs est au coeur du deuxième grand axe de la politique gouvernementale. Les Français doivent en effet savoir qu'en achetant des produits contrefaits, ils ne lèsent pas seulement des pans entiers de notre économie, mais mettent également en danger leur santé, celle de leurs proches, de leurs concitoyens, et des citoyens du monde, et se rendent ainsi complices de criminels internationaux. Cette prise de conscience est aujourd'hui très clairement insuffisante, comme en témoignent toutes les enquêtes réalisées sur le sujet. Ainsi, en 2005, 51 % des Français déclaraient ne pas être dissuadés d'acheter des produits contrefaits. La sensibilisation doit donc être renforcée, et c'est le sens des campagnes de communication menées dans les aéroports à l'occasion des périodes de départ en vacances. Ce travail sera complété par une campagne audiovisuelle qui sera lancée très prochainement. Les Français doivent en effet comprendre qu'en achetant des produits contrefaits, c'est de manière directe ou indirecte à eux-mêmes qu'ils nuisent.
Enfin, le dernier volet de la politique gouvernementale s'attache à la sanction des contrefacteurs. A la suite du plan d'action du 2 juin 2004, lequel a considérablement renforcé les pouvoirs des douanes, la politique du Gouvernement en la matière est et restera de sanctionner les consommateurs et les contrefacteurs, avec justice et sévérité. Notre arsenal législatif est l'un des plus répressifs des pays d'Europe et le Gouvernement soutient activement le projet de directive communautaire visant à pénaliser les infractions et les délits relatifs à la contrefaçon. Cette politique de répression doit également être mise en oeuvre dans les pays de production et de transit des contrefaçons. A cet égard, j'ai grande confiance en l'efficacité des négociations bilatérales que j'ai commencé à entreprendre, en liaison avec François Loos et Jean-François Copé, avec nos homologues dans différents pays.
Je profite de l'occasion pour revenir sur le risque de confusion entre contrefaçon, délocalisation et mondialisation, qui aboutirait à accentuer une tentation naturelle à la frilosité et au repli sur soi. Une telle conception revient à développer un imaginaire dans lequel l'étranger incarnerait la menace absolue pour nos économies. Je crois au contraire que la protection de la propriété intellectuelle est une des armes indispensables pour maîtriser la mondialisation, qui doit profiter à tous. Ce combat contre la contrefaçon est indispensable à la marche de l'homme vers le progrès et l'innovation, et par-là même, à une mondialisation raisonnée.