7ème rencontres sénatoriales de l'entreprise - La contrefaçon : risque ou menace pour l'entreprise
colloque le 31 mars 2006 au Sénat
II. ALLOCUTION DE M. FRANÇOIS LOOS, MINISTRE DÉLÉGUÉ À L'INDUSTRIE
L'implication des autorités chinoises dans la lutte contre la contrefaçon
Monsieur le commissaire, Mesdames et Messieurs, j'ai plaisir à vous saluer. A l'instar de Monsieur Kovács, j'évoquerai quelques anecdotes issues de mes expériences en Chine. J'ai en effet eu, au titre de mes fonctions précédentes de ministre délégué au commerce extérieur, l'occasion de rencontrer à plusieurs reprises les différents ministres chinois en charge de la protection des brevets, des marques, et de la lutte contre la contrefaçon. Ceux-ci sont tous placés sous la direction de Madame Wu Yi, qui dirige le comité interministériel pour la protection des droits de propriété intellectuelle, créé en 2004. Au sein de cette instance, elle a pris les décisions nécessaires pour que toutes les administrations compétentes en ce domaine luttent efficacement contre la contrefaçon. J'ai ainsi acquis la certitude que le gouvernement chinois veut résoudre le problème de la contrefaçon. Cette volonté s'exprime y compris par la condamnation à mort de fonctionnaires, coupables de ne pas s'être acquittés correctement de leur mission en ce sens. Néanmoins, cette volonté forte ne suffit pas toujours à susciter la confiance nécessaire pour que nos entreprises s'installent dans ce pays. Elles n'ont en effet pas encore le sentiment d'être protégées par un droit aussi développé et protecteur que le nôtre.
Lors d'une visite dans ce pays, j'avais demandé à effectuer une « descente » sur un site connu pour abriter un très important marché de la contrefaçon, à Shenzhen, à proximité de la frontière avec Hong Kong. Je m'y suis rendu avec toutes les plus hautes autorités chinoises compétentes en la matière, sous l'oeil des médias locaux et français et j'ai eu l'occasion de constater comment fonctionnait ce marché. Il se trouve que le travail des fonctionnaires chinois est compliqué par le fait que nombre d'entreprises françaises n'ont pas protégé leurs marques dans ce pays. De plus, il est difficile d'exiger de ces fonctionnaires qu'ils connaissent la totalité des marques déposées dans le monde, même dans un secteur particulier. De surcroît, si une marque n'est pas déposée, il est impossible d'exiger sa protection et de sanctionner la contrefaçon. Nos entreprises doivent donc être à la hauteur des enjeux.
Une autre de ces « histoires chinoises » est, elle aussi, bien plus instructive qu'un discours. J'ai eu l'occasion de présenter au ministre chinois chargé des brevets un chef d'entreprise français dont la production est contrefaite en Chine. Il s'agit en l'occurrence de ressorts utilisés dans l'industrie sidérurgique. Cet industriel était venu présenter ces produits une dizaine d'années auparavant dans le pays, sans que cela ne débouche sur aucun contrat. En revanche, il s'était aperçu deux ans plus tard que ces ressorts étaient produits en Chine par l'un de ceux à qui il les avait présentés, avec une qualité évidemment moindre. Lors d'un voyage ultérieur dans le pays, il avait même eu l'opportunité de découvrir l'usine dans laquelle étaient fabriquées ces contrefaçons. En sa présence, le ministre en charge des brevets s'était alors engagé à faire fermer l'usine. Le plus extraordinaire en l'occurrence est que cette fermeture a réellement eu lieu, comme me l'a appris le chef d'entreprise concerné. Lorsque nous nous engageons et que les dossiers sont présentés à l'autorité appropriée, il existe donc en Chine une véritable capacité de réponse dans la lutte contre la contrefaçon. Cette lutte s'effectue parfois avec une sévérité remarquable, même si ce constat ne doit pas masquer les difficultés persistantes.
Quelques chiffres
Ces anecdotes m'amènent à exprimer ma satisfaction que le Sénat ait choisi ce thème pour ces 7 èmes Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise.En effet,ce vaste sujet n'a pas fini de nous occuper,car il s'agit d'un vrai combat, que mène collectivement le Gouvernement, dont plusieurs représentants interviendront aujourd'hui lors de ces rencontres.Tout comme nos prédécesseurs,nous sommes réellement décidés à faire en sorte que les choses changent réellement dans ce domaine, en France, en Europe et dans le monde.
Il n'est pas inutile d'ajouter quelques chiffres à ceux qu'a cités Monsieur le commissaire. En particulier, le nombre des saisies en France est passé de 300 000 en 1995 à 3,5 millions en 2004. Cette augmentation témoigne à la fois du succès remporté par l'administration des douanes, mais aussi, malheureusement, de la croissance exponentielle du phénomène de la contrefaçon, qui est proprement effrayante. Qui plus est, une part croissante de ces marchandises contrefaites est destinée au marché domestique français. En 2004, ce sont 44 % de ces produits saisis qui devaient être commercialisés sur le territoire national, alors qu'en 1995, cette part n'était que de 20 %. Cette situation est donc extrêmement grave. Elle est encore plus préoccupante en termes d'emploi, puisque l'on estime à 30 000 environ le nombre d'emplois perdus chaque année, même si les évaluations en ce domaine sont toujours délicates. Il faut également, comme l'a fait Monsieur Kovács, rappeler l'implication des réseaux mafieux dans ce commerce. En effet il est parfois difficile de convaincre les citoyens de cette réalité inquiétante. Seuls des réseaux criminels extrêmement bien organisés sont en mesure de mettre en place la logistique lourde qui est nécessaire à ces trafics et permet de contourner les obstacles que nous nous efforçons de lui opposer.
La contrefaçon est également une menace pour l'ordre public. Elle encourage en effet le travail clandestin, porte atteinte aux recettes fiscales et fait peser un risque sur la santé des consommateurs, de par la dangerosité des produits qu'elle met en circulation.
Il est indéniable que certaines zones géographiques sont plus concernées que d'autres. Il apparaît aujourd'hui que de nombreuses villes portuaires deviennent de véritables plaques tournantes de ces trafics, ce qui appelle des actions ciblées pour lutter contre ce fléau.
L'action du Gouvernement
Je souhaiterais à présent vous rappeler les différentes facettes de l'action du Gouvernement dans ce domaine.
Tout d'abord, les sanctions pénales applicables en la matière ont été renforcées. En application de la loi du 9 mars 2004, la contrefaçon est aujourd'hui passible d'une peine d'emprisonnement de quatre ans et d'une amende de 400 000 euros. Si le délit est commis en bande organisée, ces peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende. De plus, une circulaire de politique pénale a été diffusée auprès de l'ensemble des parquets pour les sensibiliser à ce problème. Les autres mesures annoncées en 2004 portent, elles aussi, leurs fruits, notamment en matière de contrôles douaniers, avec une augmentation de 75 % du nombre de saisies entre 2003 et 2004. L'action judiciaire sera également approfondie grâce à la transposition de la directive européenne du 29 avril 2004, que je présenterai dans les prochaines semaines. Ce texte permettra notamment d'aboutir à une meilleure évaluation du préjudice subi par les entreprises, sur lequel est basée la fixation des dommages-intérêts. Nous nous dotons donc d'instruments juridiques plus sophistiqués pour donner à la justice les moyens d'accroître son efficacité dans le domaine.
Parallèlement, le recours aux possibilités offertes par les nouvelles technologies est lui aussi accru. Un document normatif a été élaboré par l'AFNOR, qui permettra de mieux authentifier les produits et d'améliorer leur « traçabilité ». Ce document, qui sera disponible à la fin du mois, servira de base aux travaux d'harmonisation menés au niveau communautaire.
Toujours dans le but de faciliter la lutte contre la contrefaçon, les frais de défense des droits de propriété industrielle ont été intégrés à l'assiette du crédit d'impôt au titre de la recherche, dans le cadre de la loi de finances pour 2006.
Nous entendons également combattre l'utilisation d'internet pour distribuer des produits de contrefaçon. En effet, si nous nous réjouissons de l'augmentation très rapide du commerce sur internet, cette croissance ne doit pas s'accompagner d'un développement de la contrefaçon.
Au plan international, nous militons pour le lancement de discussions à l'OMC sur l'amélioration des accords ADPIC, qui régissent la protection des droits de propriété industrielle dans le commerce mondial. La France joue un rôle très actif dans ces débats. Nous disposons également, dans soixante quinze de nos ambassades à travers le monde, d'un réseau d'experts qui sont au service des entreprises pour les aider à défendre leurs droits. Enfin, l'action internationale passe par la coopération bilatérale. Dans les prochains jours, j'aurai ainsi l'occasion de présider une réunion du comité franco-italien de coopération contre la contrefaçon, qui arrêtera de nombreuses actions communes dans ce domaine.
Au-delà de ces divers moyens d'actions, l'essentiel pour nous est aussi la sensibilisation des consommateurs, de nos concitoyens. A ce sujet, une enquête a été réalisée par l'Union des fabricants, qui montre que 35 % des personnes interrogées ont reconnu avoir déjà fait l'achat d'au moins un article de contrefaçon. Ces consommateurs sont généralement convaincus d'avoir réalisé une bonne affaire en achetant un produit dont l'original était trop cher pour eux. Ce nombre est d'autant plus significatif que ces personnes n'éprouvent aucune culpabilité particulière. Il est donc impératif d'effectuer ce travail de sensibilisation. De nombreuses actions ont été menées en ce sens par les professionnels. Par exemple, cet été, a eu lieu une opération sur les plages de la Côte d'Azur, à laquelle j'ai eu l'occasion de participer. Dans les prochaines semaines, je vais lancer une campagne d'envergure nationale visant à sensibiliser le public aux méfaits de la contrefaçon. Des films d'information ont été réalisés, qui seront diffusés à la télévision aux heures de forte audience. Nous sommes aujourd'hui tous impliqués dans ce combat, et nos concitoyens doivent l'être également. Nos entreprises doivent savoir qu'elles sont protégées dans leurs efforts d'innovation. En effet, nous avons besoin qu'elles innovent. Je vous remercie.