L'avenir de la codification en France et en Amérique latine
Palais du Luxembourg, 2 et 3 avril 2004
Nicolas Molfessis
Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
1 .
L
es organisateurs du présent colloque ont placé la question de la méthode de codification sous les auspices de la codification à droit à constant. En laissantà l'écart de cette interrogation méthodologique la codification « classique », celle qui se veut réformatrice, ils témoignent sans nul doute d'une volonté d'échanger avec l'Amérique latine sur le modèle actuellement le plus représentatif de la démarche codificatrice poursuivie par le système juridique français. Cette forme de codification est en effet devenue déterminante : elle touche désormais plus de la moitié du droit français, et surtout près des deux tiers des normes d'origine législative, l'objectif étant de parvenir à une codification de l'ensemble du droit à l'horizon 2010. En droit privé comme en droit public, de nombreux codes ont vu le jour depuis quelques années : code de la consommation, code de la propriété intellectuelle, code de commerce, code monétaire et financier, code des juridictions financières, code général des collectivités territoriales, code de l'éducation, code de la justice administrative, code des marchés publics, code du patrimoine, etc.
2. Produit de grande consommation donc, la codification à droit constant qu'il s'agit de présenter constituerait dans le même temps un produit d'exportation de qualité : n'est-il pas affirmé qu'elle constitue « une thérapie contre la complexité, la maladresse ou l'ancienneté des dispositions », tandis qu'elle est fondée sur des objectifs tels que l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi, principes de valeur constitutionnelle, ainsi que sur la sécurité juridique 1 ( * ) ? Cette présentation rejoint d'ailleurs le discours officiel, exprimé aussi bien dans les rapports publics qui se préoccupent de simplifier et de réformer le droit que dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel
Dès lors, ce n'est pas le fond d'un code qui mériterait aujourd'hui la réception du droit français ; c'est une méthode. M. G. Braibant a d'ailleurs maintes fois fait valoir que « la codification «à la française» est devenue un modèle dont de nombreux pays envisagent de s'inspirer 2 ( * ) ». Plus encore, comme l'a souligné en son temps le ministre chargé de la fonction publique, « la codification est un enjeu considérable pour l'influence de notre pays dans le monde, pour l'exportation de sa science juridique et administrative 3 ( * ) ».
3 . Ainsi exposé, le thème proposé invite donc à éprouver cette nouvelle forme de codification pour en mesurer la portée et en apprécier les avantages 4 ( * ) . Puisqu'il est question de méthode, il convient sans nul doute de s'intéresser aux procédés initiés pour réaliser les codes, avant d'en apprécier, au vu des résultats, la pertinence. Quelles sont donc les recettes mises en place et permettent-elles effectivement une amélioration du droit ? Sous ce double aspect, il convient sans nul doute d'insister sur deux points essentiels, qui permettront d'ouvrir le dialogue avec le Président Braibant. D'une part, il est nécessaire de souligner combien la codification à droit constant, derrière une étiquette inchangée, a évolué en à peine une quinzaine d'années. D'autre part, tempérant sensiblement le propos officiel, il faut montrer les errements de cette codification, dont les aspects négatifs ne manquent pas. Voilà pourquoi il conviendra d'envisager les transformations de la codification à droit constant avant d'évoquer les malformations des codes à droit constant.
I. LES TRANSFORMATIONS DE LA CODIFICATION À DROIT CONSTANT
4 . La codification à droit constant, telle qu'elle a été conçue en 1989, reposait sur un double principe : d'une part, elle devait être une émanation du pouvoir législatif, en quoi elle constituait une rupture avec la codification administrative qui s'était développée en France en 1948, de façon insatisfaisante ; d'autre part, elle se voulait uniquement regroupement de textes existants, en quoi elle pouvait se prévaloir d'être à droit constant. Or, sous ces deux aspects essentiels, puisque constitutifs, la codification dite à droit constant a notablement évolué : elle est redevenue une codification administrative ; elle n'est plus une codification à droit constant. L'évolution porte donc tant sur le rôle du Parlement (A) que sur la notion même de droit constant (B).
5. A . La codification à droit constant est loin d'être inédite dans l'histoire du droit français 5 ( * ) . Près de nous, c'est à l'expérience initiée au lendemain de la seconde guerre mondiale qu'il faut se référer, car elle a sans nul doute joué un rôle dans la méthode qui sera retenue en 1989. La commission supérieure chargée d'étudier la codification et la simplification des textes législatifs et réglementaires instaurée en 1948 6 ( * ) avait pour objectif une mise en forme par l'administration des textes en vigueur 7 ( * ) . La codification restait placée sous l'égide des pouvoirs publics. Parce que la codification était administrative, les codes d'alors, adoptés simplement par décret en Conseil d'État, devaient n'avoir que valeur réglementaire. D'où un pluralisme inédit et bien particulier, puisqu'aux côtés des codes de nature administrative, les lois antérieures demeuraient. Il en est résulté bien des difficultés, qui expliquent l'essoufflement rapide du travail entrepris.
6. Ces difficultés justifient pour partie que l'on ait entendu, en 1989, placer la codification sous l'égide cette fois du Parlement. Il fut alors prévu que la partie législative des codes soit soumise au Conseil d'État sous forme d'un projet de loi, puis ensuite au Parlement. Comme il l'a été souligné, « les liens existants entre la commission des lois et les commissions compétentes de l'une et l'autre assemblée, d'une part, et la commission supérieure, de l'autre, permettent au Parlement d'être informé de chaque projet. Le cas échéant, la commission des lois demandera au Premier ministre l'audition du vice-président de la commission supérieure, ce qui s'est produit à l'Assemblée nationale pour le code de la propriété intellectuelle en avril 1992 8 ( * ) ». Ainsi fit-on valoir que la codification nouvelle repose sur « la nécessité de préserver les droits du Parlement 9 ( * ) ». Le propos est dénué d'ambiguïté : « le Parlement joue un rôle essentiel 1 ( * )0 »; « le travail de codification est en effet considérablement enrichi par les amendements parlementaires 1 ( * )1 ». La voie choisie n'est pas uniquement formelle : selon la Commission supérieure de codification, « le choix de la codification implique un travail confiant et constant avec le Parlement 1 ( * )2 ».
7. Ce schéma originel, destiné aussi bien à faciliter l'insertion des codes dans notre droit autant qu'à asseoir leur légitimité, a dû rapidement être révisé.
À partir de la seconde moitié des années 1990, le Parlement, trop occupé à légiférer, a négligé le travail des codificateurs. Durant plusieurs années, aucun code ne fut ainsi adopté. La Commission supérieure de codification devait alors dénoncer le fait que les projets de loi de codification se trouvaient souvent « «parqués» dans l'attente d'hypothétiques jours moins chargés 1 ( * )3 ». Cet immobilisme devait provoquer une rupture dans la méthode. L'encombrement était tel qu'il suscita, paraît-il, une « grève » du Conseil d'État, celui-ci ayant décidé d'arrêter l'examen des codes au motif que l'inertie parlementaire rendait la tâche vaine 1 ( * )4 , puisque les projets de codes devenaient caducs avant même leur discussion. Mais dans le même temps, plus le Parlement légiférait, plus le besoin de codification devenait pressant. Voilà pourquoi, afin de sortir de ce véritable cercle vicieux dénoncé par les partisans de la codification, il fut décidé de s'extirper de la procédure parlementaire. D'où le recours aux ordonnances, qui permet de faire l'économie d'une attente d'inscription à l'ordre du jour 1 ( * )5 : le Parlement habilite alors le Gouvernement à faire les codes.
Le Conseil constitutionnel a validé la démarche, autorisant ainsi le Gouvernement à se prévaloir de l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire 1 ( * )6 , dont il est pourtant le premier responsable, pour légiférer par ordonnances. Les codes sortent alors de l'enceinte parlementaire.
8 . Depuis lors, le procédé a fait florès, bien au-delà de la seule matière de la codification. La législation par voie d'ordonnances tend en effet à devenir un mode normal de législation : entre décembre 2002 et février 2004, 24 ordonnances ont vu le jour, dans des domaines divers et variés - droits des malades et systèmes de santé, droit du travail, formalités des entreprises, publication des lois...
La codification n'est pas en reste. La loi du 2 juillet 2003 habilitant le gouverne ment à simplifier le droit a ainsi récemment prévu l'adoption de la partie législative de quatre nouveaux codes : Codes du patrimoine, de la recherche, du tourisme, de l'organisation judiciaire. Pour un motif désormais bien connu : « l'encombre ment de l'ordre du jour parlementaire [qui] fait obstacle à la réalisation, dans des délais raisonnables, du programme du Gouvernement tendant à simplifier le droit et poursuivre sa codification 1 ( * )7 ».
9. Dès lors, le rôle du Parlement est actuellement réduit à la portion congrue : habiliter le Gouvernement, ratifier les ordonnances. Le plus souvent d'ailleurs, cette ratification est purement formelle. Le législateur soit ratifie implicitement les codes 1 ( * )8 c'est-à-dire sans les avoir examinés, soit se contente de voter l'article unique de la loi de ratification, soit est entraîné à ratifier en corrigeant dans le même temps les erreurs de codification, il faudra y revenir.
Dans cette mesure, les codes pourront apparaître comme étant l'oeuvre de fonctionnaires isolés, sans consultation ni discussion publique. Le code a alors tout de ce que Portalis pouvait écrire de la loi sous l'Ancien Régime : « un mystère jusqu'à sa formation. Elle était préparée dans les conseils secrets du prince. [...] La discussion n'en était pas publique, tout était dérobé constamment à la curiosité des citoyens 1 ( * )9 ».
Produit de l'inflation normative, qui trouve une légitimité d'autant plus importante que la loi perd la sienne, la codification contemporaine en vient donc à consacrer et à précipiter le déclin du pouvoir législatif. Cette codification ne restaure pas la loi. Le temps de nos codes est en effet celui de l'administration triomphante et, en contrepoint, d'une administration du droit.
10 . B . La mission initiale de la codification à droit constant restait fidèle à sa dénomination : elle consistait, selon le premier rapport d'activité de la Commission supérieure de codification, « à rassembler et à ordonner des normes existantes, sans créer de règles nouvelles 2 ( * )0 ». Certes, nombre de dispositions à codifier peuvent sembler exiger une modification : mais il n'est pas de la compétence naturelle d'un codificateur à droit constant de procéder à la toilette des règles codifiées. Différemment, la codification peut être l'occasion de prendre conscience des modifications qui s'imposent, à charge pour le législateur d'y procéder. Faudrait-il y insister : la notion de droit constant, qui est au fondement même de cette forme de codification et justifie précisément toute son organisation et sa procédure, présuppose une absence de modification du droit codifié. On collecte, on compile, on agence. On ne crée pas, au-delà de la mise en forme.
Il est cependant très vite apparu nécessaire de pouvoir réécrire tes règles anciennes affectées d'une langue ou d'un style désuet. Mais sur cette voie, ne devenait-il pas tentant d'en user davantage, attrait légitime dès lors que tes faiblesses du droit écrit sont loin de s'arrêter au style : pourquoi le codificateur devrait-il se tenir à la seule modification formelle des textes codifiés ?
Une circulaire du 30 mai 1996 relative à la codification des textes législatifs et réglementaires 2 ( * )1 rendra compte de l'évolution à l'oeuvre, en admettant la modification des textes existants aux fins de permettre le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes (art. 2.1.1). Le Conseil constitutionnel expliquera que « la référence à la hiérarchie des normes impose au Gouvernement de respecter la suprématie du traité sur la loi, énoncée à l'article 55 de la Constitution, ainsi que la distinction entre les matières législatives et réglementaires déterminée par ses articles 34 et 37 2 ( * )2 ». Concrètement, il faut comprendre que l'« on ne codifie pas les lois qui seraient contraires à des traités internationaux ou à la Constitution et on respecte autant que possible la hiérarchie loi-règlement 2 ( * )3 ». S'il peut effectivement sembler incohérent de mettre en codes des dispositions qui méconnaîtraient la hiérarchie des normes, est-il pour autant du ressort de la Commission supérieure de codification de procéder aux toilettages nécessaires ? Outre qu'une telle prérogative repose sur l'idée fort discutable qu'il existerait objectivement une hiérarchie des normes, dont le codificateur à droit constant pourrait se faire le protecteur, cette extension de compétence devait consacrer, sans nul doute, un passage de la forme au fond. La Commission supérieure de codification devenait alors incidemment organe de contrôle de la constitutionnalité et de la conventionalité des lois 2 ( * )4 .
La suite sera plus nette : par une loi du 16 décembre 1999, la codification dite à droit constant devait changer de nature, puisque les codificateurs obtenaient expressément la faculté de modifier substantiellement les textes existants, en vue de permettre « l'harmonisation du droit 2 ( * )5 ». L'idée, selon ce qui a pu en être dit, était « de permettre à la Commission supérieure de codification d'aplanir toute difficulté qui pourrait résulter du rapprochement dans un code de plusieurs textes de sources différentes 2 ( * )6 ». Les contradictions de normes, les incompatibilités entre les règles à codifier, allaient ainsi justifier des choix substantiels bien différents de la seule collection mécanique des textes, que l'on prête à une codification qui se veut à droit constant. Bien que les pouvoirs publics aient dans le même temps affirmé à nouveau la neutralité de cette forme de codification 2 ( * )7 , celle-ci devenait instrument de modification du droit. D'où cette prétention à l'amélioration de l'intelligibilité du droit, que l'idée de codification à droit constant ne permet pas de saisir d'emblée.
Ce n'est pas tout. L'avancée se confirme à nouveau dans la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit. Cette fois, la loi habilite le Gouvernement à modifier des codes à droit constant au-delà de ce qui avait jusqu'alors été accordé à la Commission supérieure de codification. Ainsi, s'agissant du code monétaire et financier, l'article 34 de la loi habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires pour modifier le code, précisant que « les dispositions codifiées sont celles en vigueur sous réserve des modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes, harmoniser l'état du droit et s'agissant des dispositions relatives aux interdictions d'exercice des activités bancaires et financières sous réserve des modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la nécessité et de la proportionnalité des peines et de celtes permettant d'assurer l'égalité de traitement entre tes différentes professions bancaires et financières ».
Certes, puisque les textes codifiés sont par hypothèse d'une qualité souvent déficiente, comment reprocher aux codificateurs la tentation bien fréquente d'en améliorer la teneur ? Il reste que la structure mise en place, voulue uniquement pour collecter le droit existant, n'a pas été dotée des ressources lui permettant une telle ambition. À l'évidence, cette extension continue reflète, en creux, les limites de ce qui serait une véritable codification à droit constant.
11 . En douterait-on ? Il suffirait alors de contempler l'étape suivante, franchie récemment. Aux côtés d'un processus de codification à droit constant qui ne mérite déjà plus sa dénomination est désormais proposée et mise en place une codification dite « dynamique ».
Un temps appelée codification à « droit inconstant 2 ( * )8 » avant d'être finalement qualifiée de codification « dynamique 2 ( * )9 » - par opposition à la codification dite « statique » -, celle-ci résulte de la loi du 2 juillet précitée. L'article 34 du texte habilite en effet le gouvernement à prendre les mesures législatives nécessaires pour élaborer, par voie de modification du droit, un code des métiers et de l'artisanat, un code des propriétés publiques, un code de la défense et l'autorise, selon cette même méthode, à réformer le récent code monétaire et financier. Dans toutes ces hypothèses, la volonté réformatrice est clairement affichée. Elle témoigne dès lors directement, des « limites de la méthode statique de codification 3 ( * )0 ». La réforme annoncée du code monétaire et financier, en fournit une illustration particulière : à peine issu du processus de codification à droit constant, il doit être réformé de façon « dynamique ».
12 . Ces codes nouveaux ne seront pas élaborés sous l'égide de la Commission supérieure de codification, incompétente pour officiellement réformer le droit. La codification dynamique reste toutefois entre les mains du Gouvernement, habilité à nouveau par le Parlement à procéder aux réformes nécessaires.
Où l'on voit alors se manifester les glissements progressifs du recours à la codification dite à droit constant. Censée procéder à un simple regroupement de textes épars existants, sous l'égide du Parlement, elle a progressivement changé de nature, pour se satisfaire de modifications diverses, antinomiques d'un processus voulu à droit constant. Alors qu'elle se voulait en rupture avec la codification administrative réalisée après la deuxième guerre mondiale, pour être le fruit d'un travail législatif, elle a été reconquise par un Gouvernement désireux de procéder lui-même à la codification. Tandis que la codification opérait sa mutation pour ne plus être à droit constant, le Gouvernement réussissait à s'approprier le pouvoir d'élaborer les codes par voie d'ordonnances. En quelques tours de passe-passe législatifs, c'est donc l'ensemble du système initial de codification qui s'est trouvé modifié, pour n'être plus ni à droit constant ni du ressort du Parlement !
II. LES MALFORMATIONS DES CODES À DROIT CONSTANT
13 : La position ici défendue n'est pas hostile au principe même d'une codification à droit constant : le regroupement de textes épars peut être en soi un objectif louable. Mais le préjugé favorable dont jouit la codification à droit constant doit être éprouvé à la lumière de ses réalisations, et précisément de celles que peut observer un juriste de droit privé. Sous cet aspect, la confrontation entre ce qui a pu être annoncé et ce qui a été réalisé oblige à considérer que les codes sont moins bien que prévus (A). Une partie de la doctrine considère qu'il faut tout de même se satisfaire de l'existence de ces codes, seraient-ils imparfaits : il faut ainsi se demander, pour finir, s'ils valent mieux que rien (B).
14 . A . Annoncée comme l'instrument de la simplification du droit, destinée à faciliter l'accès au droit et son intelligibilité, la codification à droit constant peut être jugée sur ses résultats. De l'analyse, diverses conclusions doivent être tirées.
Un constat, tout d'abord, déjà maintes fois effectué : la codification est source d'erreurs nombreuses et importantes. Erreurs d'orthographe, de ponctuation, d'ordonnancement des textes. Plus encore, il est acquis que des textes ont involontairement été supprimés par suite de la codification des matières visées. C'est là une conséquence du processus d'abrogation sur lequel repose la codification à droit constant : contrairement à sa devancière, la codification actuelle repose sur l'insertion de textes législatifs dans des codes nouveaux et, dans le même temps, sur l'abrogation de la source initiale. Il en est résulté des hypothèses d'abrogation par mégarde, des dispositions ayant été involontairement supprimées par le codificateur sans trouver leur équivalent dans le code 3 ( * )1 . Les exemples en réalité abondent, qui se manifestent par des amputations totales 3 ( * )2 ou partielles 3 ( * )3 . En sens inverse, le codificateur a redonné vie à des dispositions qui n'étaient plus en vigueur 3 ( * )4 .
On pourrait discuter des causes des dysfonctionnements. Ils sont dus à la complexité croissante des textes - et plus précisément, en l'espèce, aux dérives de la législation par renvoi jointes à la multiplication des codes 3 ( * )5 -, comme au manque de suivi et de coordination dans le travail législatif, sans oublier l'empressement du codificateur qui, inéluctablement, multiplie les risques d'erreurs 3 ( * )6 . Contraint par les délais impartis par la loi d'habilitation, le gouvernement doit souvent faire face à un calendrier pour le moins chargé 3 ( * )7 . À quoi s'ajoute l'inertie de certains ministères dans le travail de préparation des codes. La Commission supérieure de codification s'est souvent plainte du manque d'assiduité des pouvoirs publics.
15. Une conséquence inéluctable en est résulté. Parce qu'elle introduit d'importants bouleversements, la codification à droit constant conduit nécessairement, au moins un temps, à une réaction des sources du droit. En termes de flux, les nouveaux codes entraînent alors l'intervention des pouvoirs publics, par des textes d'origines diverses ayant en commun de porter remède aux erreurs commises. À leurs côtés, se multiplient aussi les décisions de justice, car les codes sont prétextes à recours au juge. Censée exercer une fonction de stabilisation 3 ( * )8 , la codification nourrit donc l'inflation normative, signe évident de dérèglement puisque le remède se trouve transformé en source du mal.
Parmi ces « sources-pansements », les « rectificatifs » tiennent une place importante 3 ( * )9 . De même, nombre de corrections sont introduites au sein des projets de loi portant ratification des ordonnances codificatrices : le gouvernement tente en effet de remettre le droit codifié en son état normal en faisant un usage inhabituel de ce type de textes. Derrière un intitulé réducteur (loi modifiant le livre VIII du Code de commerce), une loi du 3 janvier 2003 devait ainsi, à l'occasion de la ratification du Code de commerce, lui apporter près d'une cinquantaine de corrections. Dans la loi du 3 juillet 2003, le législateur a d'ailleurs expressément prévu que le Gouvernement pourra, à l'occasion de la modification des parties législatives de certains codes qu'il l'autorise à effectuer, « remédier aux éventuelles erreurs ou insuffisances de codification » (v. art. 32 et 34). La loi admet donc désormais officiellement les déficiences de l'oeuvre de codification. Faudrait-il d'ailleurs gloser sur le procédé qui consiste à habiliter le Gouvernement à corriger des codes qu'il a lui-même élaborés par voie d'ordonnances ? Le code rural ou le code de l'environnement sont dans le même temps largement toilettés par la loi nouvelle.
Le procédé n'est toutefois pas sans soulever des difficultés, spécialement parce qu'une période transitoire se sera écoulée, durant laquelle l'abrogation comme la résurrection pourraient avoir produit des effets. Pour tenter de remédier à cette incertitude temporelle, le législateur a recours à la rétroactivité, sans que toutes les interrogations s'en trouvent résorbées 4 ( * )0 .
Ce n'est pas tout : dans d'autres hypothèses, le rétablissement de la situation passée emprunte la voie d'amendements dans des textes en discussion au Parlement 4 ( * )1 .
Aux côtés de ces textes, réponses ministérielles et circulaires se succèdent pour procéder à une même médecine post-codification.
Par où l'on saisit tes errements de la codification joints à l'enchevêtrement des textes suscitent une intervention de la jurisprudence. À ce titre, la codification apparaît alors comme une nouvelle source de contentieux. Plus de soixante recours devant le Conseil d'État, en quelques mois, ont été formés contre le Code de commerce 4 ( * )2 .
Les codes, assurément imparfaits, restent-ils utiles ?
16. B. La question de fond est de savoir si ces codes sont véritablement indispensables. Sous cet aspect, la critique de la codification à droit constant est vue avec défaveur. Ainsi a-t-on pu évoquer « cette coquetterie intellectuelle qui incline à dénoncer à tout crin la codification », alors même qu'il faut croire qu'« un code, si imparfait soit-il, à l'insigne mérite d'exister 4 ( * )3 ».
Peut-être faut-il se résoudre à admettre que ce n'est là qu'un tribut inévitable à payer : parce que la tâche de codification est assurément herculéenne, la mise en place des nouveaux codes appellerait une période transitoire de remise en ordre du droit positif. Les codes à droit constant se feraient en fait par étapes, la première, celle de la rédaction du code nouveau, devant être suivie de l'intervention correctrice des sources du droit.
17 . Plusieurs éléments contribuent, sous cet aspect, à mener une réflexion qui n'est pas encore achevée.
On discutera en premier lieu du point de savoir si les codes facilitent véritablement l'accès au droit. Certes, on a fait valoir que « la codification est un instrument de sécurité parce qu'on n'a plus l'inquiétude de se demander toujours si on n'a pas oublié un texte qui ne serait pas abrogé et demeure ainsi en vigueur. En principe, le droit applicable est constitué par les textes qui sont dans les codes et rien d'autre 4 ( * )4 ». Pour autant, il est certain que les codes ne constituent pas le regroupement de tout le droit.
Nul ne le contestera, et sûrement pas la Commission supérieure de codification qui a précisément choisi de ne pas procéder à la codification des règlements des autorités administratives indépendantes 4 ( * )5 , bien qu'ils soient, comme on l'a souligné, de plus en plus nombreux 4 ( * )6 . Dans certains domaines désormais codifiés - on songe au droit de la consommation, au droit financier, à l'audiovisuel -, nul n'ignore l'importance qu'ils revêtent, qui pèse par défaut sur le code.
Ensuite et surtout, parce que les règles européennes, même directement applicables, sont hors des codes, recueils exclusivement nationaux : « on voit mal quelle peut être [...] la signification d'une codification opérée dans le cadre national » avait observé B. Oppetit 4 ( * )7 . Les codes en souffrent alors non seulement parce qu'ils seront de fait amputés de textes en vigueur, mais aussi parce qu'ils risquent de reproduire des dispositions internes modifiées ou contredites par des textes d'origine communautaire 4 ( * )8 .
Enfin, les codes à droit constant n'ont évidemment pas pu intégrer les solutions jurisprudentielles qui se sont parfois imposées aux textes codifiés eux-mêmes, au point d'être contra legem. On ne saurait évidemment en faire grief au codificateur... bien que celui-ci ait prétendu codifier tout « le droit applicable ». Le résultat est là, qui traduit à nouveau le caractère nécessairement incomplet des codes.
Serait-il alors exagéré de penser que ces codes, construits sur le déclin de la loi, ont précisément pour défaut de ne pas intégrer les sources du droit qui marquent son essoufflement ? Ils reposent sur une conception désuète des sources du droit positif, qui fait l'impasse sur les sources nouvelles qui irriguent désormais le droit 4 ( * )9 . On reprochait jadis aux exégètes de confondre droit et loi ; la codification à droit constant n'aurait-elle pas un siècle de retard?
Aussi, une telle codification, parce qu'elle opère un tri entre les différentes sources, revient à méconnaître l'existence d'une interdépendance des normes, d'origines diverses, inhérente au système juridique. Comme si le droit positif pouvait s'appréhender par morceaux.
À quoi s'ajoute, s'agissant des codes déjà promulgués, la dénonciation du retard notable pris pour la codification des textes réglementaires, dont on sait qu'elle dépend d'une procédure distincte de celle des dispositions légales : ainsi, la partie réglementaire du code de commerce de 2000 n'est toujours pas parue à la fin de l'année dernière ; le constat serait encore plus net pour le code des collectivités territoriales (promulgation de la partie législative en février 1996) ou pour le code des juridictions financières (en attente depuis cinq ans).
Comment croire, dans ces conditions, que les codes permettront la connaissance du droit ? Comment ne pas redouter l'effet pervers de codes dont la seule existence peut faire penser qu'ils contiennent l'ensemble du droit applicable 5 ( * )0 , ainsi que l'avait montré Dominique Bureau à propos du Code de la consommation ? Dans cette perspective, le label constitutionnel qui leur est désormais accordé - « facilite l'accès au droit » - semblera non seulement bien discutable, mais plus encore, pourra contribuer à renforcer l'illusion dénoncée.
18 . En second lieu, les codes sont-ils véritablement un remède à l'inflation législative ? Au-delà des adaptations qu'ils réclament, évoquées précédemment, on pourra se demander de quelle manière ils pourraient mettre un frein à la frénésie normative. Les codes à droit constant ne sont-ils pas précisément faits pour accompagner l'inflation législative dont ils souhaitent recueillir les fruits ? Leur visée, en effet, n'est pas de figer le droit, mais d'offrir au changement permanent des textes un réceptacle en mouvement constant. Parce que les codes à droit constant ne reposent précisément pas sur l'idée que la loi est stable et permanente, parce qu'ils sont conçus pour recueillir la lettre d'une loi par nature changeante et instable, ils favorisent la réforme constante : « un code n'est pas une oeuvre éternelle : sitôt adopté, il est appelé à être modifié 5 ( * )1 ».
Par suite, les codes des éditeurs privés n'auraient-ils pu suffire à permettre ce regroupement qui, effectivement, est souvent indispensable à la recherche de la règle applicable ? Il faut sans nul doute continuer la réflexion, afin de pouvoir apporter ici une réponse convaincante. Mais il est déjà temps de s'interroger sur un processus que le gouvernement favorise sans s'en donner les moyens et que le législateur accepte de laisser se propager hors de lui. Que les doutes nombreux et peu discutables que ces codes entraînent puissent au moins inciter à sortir d'un discours officiel qui nous berce de leurs illusions.
CODIFICACIÓN CIVIL Y ADMINISTRATIVA* ( * )
* 1 Présentation faite dans la Plaquette du Colloque, p. 23.
* 2 Commission supérieure de codification, Dixième Rapport annuel, J.O. éd., p. 3.
* 3 ZUCARELLI, E., J.O.A.N., séance du 23 novembre 1999, p. 9998.
* 4 La présente contribution prolonge, sous cet aspect, une réflexion déjà menée par étapes à la RTDCiv., spèc. 2000, p. 186; 2001, p. 688 ; 2002, p. 592 et dans l'ouvrage collectif sur Le Code civil, 1804 - 2004, Dalloz, 2004. Que l'on veuille bien pardonner les inévitables redites.
* 5 V. SUEL, M., Essai sur la codification à droit constant, JORF, 2 e éd., 1995.
* 6 Décret 48 - 800 du 10 mai 1948.
* 7 ARDANT, G., « La codification permanente des lois, règlements et circulaires », R.D.P., 1951, p. 35.
* 8 SUEL, M., op. cit., p. 254.
* 9 Selon les propos du 5 e Rapport d'activité de la Commission supérieure de codification 1994, JO, 1995, p. 6.
* 10 Rapport préc, p. 11.
* 11 Rapport préc, p. 11.
* 12 Rapport préc, p. 11.
* 13 Commission supérieure de codification, Septième rapport annuel 1996, p. 6.
* 14 GÉLARD, P.J.O. Sénat, séance du 13 octobre 1999, p. 5089.
* 15 « Cette oeuvre considérable ne doit surtout pas risquer de se périmer avant même de voir le jour. Or cela pourrait arriver si les codes achevés ne sont pas adoptés avant que des modifications des textes qu'ils rassemblent n'interviennent. C'est pour éviter cela que le Gouvernement vous demande de l'habiliter à adopter la partie Législative de neuf codes déjà prêts » : VÏDALIES, A ., J.O.A.N., séance du 23 novembre 1999, p. 9997.
* 16 Dec. n°99-421 DC du 16 décembre 1999 / 0., 22 décembre 1999, p. 19041 : « le Gouvernement a apporté au Parlement les précisions nécessaires en rappelant l'intérêt général qui s'attache à l'achèvement des neuf codes mentionnés à l'article 1 er , auquel faisait obstacle l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire ».
* 17 Selon la décision du Conseil constitutionnel 2003 - 473 DC du 26 juin 2003, JO 3 juillet 2003, p. 11205 ; SCHOETTL, J.-E., « Simplification du droit et Constitution », AJDA 2003, p. 1391.
* 18 La consécration de la théorie des ratifications implicites est ancienne, qui constitue en quelque sorte une forme d'accommodation au déficit de contrôle parlementaire des textes pris par voie d'ordonnances : CE, 25 janvier 1957, Société des établissements charlionais, Rec. Cons. d'Ét.,p. 54.
* 19 « Exposé des motifs du Titre préliminaire », in Écrits et discours juridiques et politiques, PUAM, 1988, p. 70.
* 20 Rapport d'activité de la Commission supérieure de codification, spéc. p. 5.
* 21 J.O., 5 juin 1996, p. 8263 et s.
* 22 Dec. 16 décembre 1999.
* 23 BRAIBANT, G., « Le Gouvernement relance la codification », Petites affiches, 15 septembre 1999, n°184, p. 3, spéc. p. 5
* 24 C'est au sein des bureaux que l'on pouvait alors procéder à ce contrôle sans contentieux et sans jugement, dont il sera fait un usage important. V. par ex. à l'occasion du Code de commerce, les diverses modifications que le codificateur a expressément justifiées dans son rapport au président de la République, et notamment l'insertion à l'article L. 627-1 du Code de commerce de l'ancien article 173 du décret du 27 décembre 1985 relatif au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, qui interdit toute opposition ou procédure d'exécution sur des sommes versées à la Caisse des dépôts et Consignations. Le Conseil d'État avait déclaré illégale ladite disposition (CE, 9 février 2000, D., 2000, AJ p. 136, obs. A. LIENHARD ; JCP, 2000, II, n° 10314, note H. CROZE et T. MOUSSA ; Petites affiches, 15 mars 2000, p. 19, note B. LAGARDE), au terme d'une décision à laquelle on a pu reconnaître autorité de chose jugée et opposabilité erga omnes (H. CROZE et T. MOUSSA, note préc, spéc. n°14 ; v. en ce sens, Com., 26 avril 2000, D., 2000, AJ, p. 247, obs. A. LIENHARD ; RTD corn. 2000, p. 724, obs. A. MARTIN-SERF). « Coup de bluff » (v. LIENHARD, A., « La légalité retrouvée de l'article 173 du décret du 27 décembre 1985, D., 2000, n° 34, Point de vue) ou « surprise » (SAINTOURENS, B., « méfiez-vous du nouveau Code de commerce ! », Dr21, 2001, n° 001), la disposition a repris place dans notre droit positif, mais cette fois dans une disposition de nature législative.
* 25 Selon l'article premier de la loi du 16 décembre 1999, chaque code « regroupe et organise tes dispositions législatives relatives à la matière correspondante. Les dispositions codifiées sont celles en vigueur au moment de la publication des ordonnances, sous la seule réserve des modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés et harmoniser l'état du droit ».
* 26 VIDALIES, A., Rapport A.N., doc, n° 1917, p. 28.
* 27 « Ces adaptations ne constituent en rien une entorse au droit constant » : E. Zuccarelli, op. cit., p. 10004.
* 28 BLANC, E., Rapport AN, 2003, n° 752, p. 23.
* 29 PLAGNOL, V.H., « La codification doit être une incitation à la réforme ». JCPA, 2003, n° 49, 2104.
* 30 PLAGNOL, H., art. préc.
* 31 Ainsi, l'article 32 de la loi du 17 juin 1987 sur t'épargne (portant sur la rémunération allouée en matière de prêts de titres) est-il « passé à la trappe » de l'Ordonnance du 14 décembre 2000 relative à la partie législative du Code monétaire et financier alors même que l'article 31 aussi bien que les articles 33 et suivants entraient dans le Code (art. L. 432-6 et s.). L'article 3 de la loi du 17 mars 1934 modifiant et complétant la loi du 24 juillet 1929 sur l'organisation du crédit au petit et moyen commerce, à la petite et moyenne industrie (portant interdiction pour les banques populaires d'accorder un découvert aux membres de leur conseil d'administration sans l'autorisation préalable du conseil central de crédit) a également connu le même sort.
* 32 Comme celle de l'article 639 de l'ancien code de commerce fixant le taux du ressort en matière commerciale qui rend l'appel au premier franc possible en ce domaine.
* 33 Comme celle de l'alinéa 2 de l'article 33 du décret du 30 septembre 1953 en matière de baux commerciaux, à laquelle on doit l'abrogation par mégarde d'une cause d'interruption de la prescription biennale. Sur laquelle, v. F. AUQUE, « La codification des baux commerciaux à droit « presque » constant », JCP, éd. G, 2000, n° 45, Actualité.
* 34 Ainsi, l'article 93 de la loi du 24 juillet 1966, codifié dans sa version antérieure à la loi du 11 février 1994 ayant supprimé la condition d'antériorité de deux ans du contrat de travail nécessaire au cumul avec un mandat social. Le codificateur a ainsi redonné vie à une disposition disparue depuis plus de six ans. C'est également une résurrection fortuite que l'article L. 112-9 du Code monétaire et financier a entraînée, en redonnant vie à l'obligation, pour les particuliers non commerçants, de payer par chèque les transactions d'un montant supérieur à 10.000 F portant sur des bijoux, pierreries, objets d'art, de collection ou d'antiquité, abrogée depuis 1986.
* 35 Les renvois sont ainsi facteurs d'erreurs et, parmi celles-ci, d'abrogations involontaires. En fournit une parfaite illustration l'abrogation partielle par mégarde opérée à l'article L. 431 - 4 du Code monétaire et financier qui a codifié l'article 29 de la loi du 3 janvier 1983 relatif à la constitution en gage d'un compte d'instruments financiers, dans sa rédaction issue de la loi du 2 juillet 1996. Pour définir les instruments financiers susceptibles de faire l'objet d'un tel gage, l'article 29 renvoyait, de façon générale et sans distinguer, aux « instruments financiers visés à l'article premier de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 ». Ledit article, quant à lui, détaillait sur quatre points ce que recouvre la notion d'instruments financiers. Le codificateur, suivant une méthode qui lui est chère, a redécoupé la disposition de l'article premier de la loi de 1996, désormais reproduit dans un article L. 211-1 qui comprend cette fois cinq points. Mais dans le même temps, il a modifié, sans tenir compte du redécoupage opéré, le renvoi qui y était effectué par l'article L. 431- 4. Dès lors, devenait impossible le gage portant sur des titres étrangers inscrits en compte en France, visés à présent au 5 o du nouvel article L. 211-1. Abrogation par mégarde, indéniablement due aux coups de ciseaux mal maîtrisés dont les rédacteurs de codes à droit constant abusent, il n'est guère besoin d'insister sur les difficultés pratiques ainsi provoquées : un compte d'instruments financiers pouvant parfaitement contenir des titres d'origine différentes, sa mise en gage semblait être irréalisable.
* 36 Ainsi est-ce l'intégration de la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés (sans distinction) dans le nouveau code de commerce au sein de dispositions communes aux diverses sociétés commerciales qui est venue exclure du bénéfice du régime spécial de la variabilité les sociétés civiles (v. DOM, J.-P., « Le domaine de la variabilité du capital social après la mise en vigueur du nouveau code de commerce », Bull, Joly sociétés, 2000, p. 1191). L'abrogation par mégarde, qui n'est ici que partielle, résulte alors d'une limitation du domaine de la disposition codifiée liée au plan même du code (rappr. au sujet des difficultés similaires soulevées en matière d'usure en raison de l'insertion des dispositions qui y étaient relatives dans le code de la consommation, LIENHARD, A. et RONDEY, C, « Incidences juridiques et pratiques des codifications à droit constant [à propos du nouveau Code de commerce] », D., 2000, p. 521).
* 37 S'agissant ainsi du Code de commerce, il semblerait que les services chargés d'élaborer le code n'aient guère anticipé sur le fait qu'il ferait partie de l'habilitation donnée par la loi du 16 décembre 1999. Or outre que le texte n'accordait que neuf mois de délai au codificateur - trêve estivale comprise - il fallait au surplus que le Code fasse rapidement l'objet d'un avis de la Commission supérieure de codification - ce qui fut fait dès le mois de mars 2000 - pour être ensuite soumis pour avis au Conseil d'État. Ces délibérations, toutes secrètes et auxquelles les spécialistes des matières codifiées n'ont pas pris part, n'ont donc laissé que quelques semaines pour la rédaction du code. C'est ainsi la précipitation qui permet de comprendre que l'article 93 de la loi de 1966 ait été ressuscité dans sa version antérieure à la loi du 11 février 1994 : ne faut-il pas en effet comprendre que les rédacteurs du code ont élaboré leur oeuvre à partir du projet de code de commerce de 1993, sans maîtriser toutes les évolutions survenues depuis ?
* 38 OPPETIT, B., Essai sur la codification, PUF, 1998, p. 63 ; dans le même sens, TERRÉ, F., Introduction au droit, Précis Dalloz, 5 e éd., 2000, n° 377, p. 397.
* 39 Que l'on songe que sur les neuf codes récemment déposés au Parlement à la suite de la loi de 1999, quatre ont fait l'objet d'au moins un rectificatif - le code de la justice administrative en ayant exigé deux - sans compter le fait que le code de la route aura entraîné une seconde ordonnance, en date du 21 décembre 2000, modifiant substantiellement celle du 22 septembre 2000 qui avait procédé à la codification. C'est ainsi par voie de rectificatif qu'a été réintroduite dans le Code monétaire et financier la faculté de constituer un gage de compte d'instruments financiers sur des instruments émis sur le fondement de droits étrangers. Outre les interrogations sur la validité et la portée de tels rectificatifs, qui ont échappé à la procédure même de codification, il n'est pas douteux qu'ils multiplient les hiatus entre les codes immédiatement publiés par les éditeurs privés et la lettre même des textes officiels dont ils sont censés rendre compte (v. sur ce point, SAINTOURENS, B., op. cit.). Mais ils présentent au moins l'avantage de corriger au plus vite l'erreur commise.
* 40 Ainsi fut-il prévu dans le projet de ratification du Code de commerce que les articles 32 de la loi de 1987 sur l'épargne et 3 de la loi du 17 mars 1934, évoqués précédemment, seront réta blis « à compter du 1 ef janvier 2001 », alors que l'ordonnance les ayant involontairement abrogés date du 14 décembre 2000. Quid, au surplus, lorsque l'article rétabli établissait une interdiction, comme c'est le cas de l'article 3 relatif aux banques populaires ? Faudrait-il sanctionner ceux qui l'auraient méconnue dans l'intervalle lacunaire ?
* 41 En témoigne ainsi la restauration de la compétence des tribunaux de commerce à l'article 127 de la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, prévoyant une « prise d'effet » des nouvelles dispositions « à la date d'entrée en vigueur de l'article 3 de la loi n° 91-1258 du 17 décembre 1991 », non sans omettre de recourir aux fictions, indispensables alliées : « Toutefois, les décisions prononcées par les tribunaux d'instance et de grande instance, avant l'entrée en vigueur de la présente loi, dans les matières mentionnées aux articles précités du même code [de l'organisation judiciaire] sont , sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, réputées rendues par des juridictions compétentes ». La technique employée a toutefois été différente dans la loi portant mesures urgentes de réforme à caractère économique et financier au sein de laquelle il fut envisagé de restaurer la validité des clauses de variabilité du capital dans les sociétés civiles. De façon plus radicale, le législateur a proposé ici d'ajouter un nouvel alinéa à l'article 1845 -1 du code civil - évitant dès lors la modification du code responsable, manière de minimiser en apparence le dommage - pour prévoir que « les dispositions du chapitre premier du titre III, du livre II du code de commerce relatives au capital variable des sociétés sont applicables aux sociétés civiles ». Mais le but est bien identique. Comme le souligne la « rapporteure » du projet de loi, « à la suite d'une erreur matérielle, l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000, relative à la partie législative du code de commerce, a supprimé la faculté pour les sociétés civiles d'avoir un capital variable. Il convient de rétablir le droit antérieur ne serait-ce que pour assurer la légalité des quelques sociétés civiles qui se trouvent dans cette situation et pour respecter la souplesse des règles relatives à la participation dans des sociétés civiles, qui peuvent d'ailleurs n'avoir aucun capital » (rapport AN, n° 3196, 26 juin 2001).
* 42 Les actions portent aussi bien sur les erreurs, sur la valeur réglementaire des codes en attente de ratification que sur les éventuels dépassements de pouvoirs du codificateur.
* 43 MALAURIE, Ph. et MORVAN, P., Introduction générale, Defrénois 2004, n° 118, p. 84.
* 44 BRAIBANT, G., « Utilités et difficultés de la codification », Droits, 24,1996, p. 61, spéc. p. 65.
* 45 BRAIBANT, G., op. cit., p. 69.
* 46 VIDALIES, A., Rapport A.N., n° 1917, p. 11.
* 47 OPPETIT, B., « L'avenir de la codification », Droits, 24,1996, p. 73 spéc. p. 78.
* 48 V. SUEL, P., Essai sur la codification à droit constant, préc, p. 252 : « Il ne serait pas inutile, mais long et difficile de mentionner, sous les textes d'un code, ceux modifiés ou contredits par une disposition communautaire, ce travail étant d'ailleurs fait par les éditeurs privés ». Pour y remédier, au moins pour partie, la Commission supérieure de codification avait choisi de regrouper, dans une partie communautaire du code, les règlements intéressant la matière codifiée et de mentionner les directives en annexe du code. La suite n'en portera cependant pas témoignage.
* 49 En ce sens, BRAIBANT, G., op. cit., p. 69 : « Il y a là une série de nouvelles sources qui échappent pour des raisons pratiques ou de principe à la codification nationale ».
* 50 En ce sens, v. BUREAU, D., « Remarques sur la codification du droit de la consommation », D., 1994, chron. p. 291, spéc. n° 12 et s., p. 294.
* 51 ZUCARELLI, E ., J.O.A.N., séance du 23 novembre 1999, p. 10003.
* * Ce texte a été traduit en français par Jean-Pierre Relmy, ATER à l'Université Paris-Sud, Doctorant au Centre d'Études et de Recherches en Droit de l'Immatériel (Paris-Sud). La traduction est disponible sur le site : www.andresbello.org