L'avenir de la codification en France et en Amérique latine
Palais du Luxembourg, 2 et 3 avril 2004
Isabelle Toulemonde
Chef du Service des affaires européennes et internationales du ministère de la Justice français
L
e Garde des Sceaux a souhaité apporter son soutien à l'organisation du congrès de l'Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains, car celui-ci est emblématique de la dimension internationale de la commémoration du bicentenaire de notre code civil. Il illustre la démarche comparatiste que le Garde des Sceaux souhaite mettre à l'honneur à travers l'ensemble des manifestations internationales qu'il a chargé le SAEI de coordonner.
Pourquoi cet intérêt pour le droit comparé ?
Comme l'ont rappelé le Président de la République et le Garde des Sceaux lors de l'ouverture du colloque du bicentenaire à la Sorbonne, le rayonnement passé de notre vieux Code civil ne peut dissimuler ta nécessité de lui apporter des réformes, en particulier dans le domaine des obligations.
Or de nos jours une réforme juridique ne peut se concevoir sans l'éclairage du droit comparé. Pour le ministre de la Justice, cela est devenu un principe.
(Il est donc bien naturel que le Sénat, dont la qualité des études de législation comparée est connue de tous, soit l'hôte de ce prestigieux congrès.)
La célébration du bicentenaire constitue à nos yeux une formidable occasion de dialoguer avec nos partenaires étrangers et d'enrichir ainsi la réflexion de chacun, car c'est ainsi que la culture juridique française maintiendra son prestige et restera une référence pour les juristes de droit écrit, voire même pour les juristes de common law.
L'Amérique latine est parfois présentée comme disposant de systèmes juridiques d'origine française. Une telle analyse pourrait nous flatter, mais vous savez combien elle est erronée. S'il est vrai que le principe de codification à la française a été adopté dans tous les pays latino-américains, il n'est pas moins vrai que des influences multiples ont nourri les droits de chaque pays : celle des colons espagnols et portugais, des codificateurs allemands, des immigrants italiens, sans oublier la profonde empreinte américaine sur le droit constitutionnel.
Le droit comparé est pratiqué par les juristes latino-américains depuis près de deux siècles et de la meilleure façon qui soit, car il a servi à élaborer une codification adaptée aux traditions et au mode de vie de chaque pays. Telle était la démarche d'Andrés Bello et elle nous semble riche d'enseignements aujourd'hui, à l'heure où certains voudraient imposer un modèle juridique unique, clé en main.
Nous espérons que vous pourrez nous faire profiter de votre expérience tout au long des débats qui vont avoir lieu aujourd'hui et demain, en particulier pour répondre aux questions suivantes :
· Pourquoi et comment élaborer un nouveau code civil aujourd'hui ?
· Comment le simplifier et le moderniser ? Sur quels thèmes ?
· Comment cette réforme se conçoit-elle dans un contexte de régionalisation ?
· Quelles sont les étapes, quels sont les outils adaptés pour ce qui concerne la construction d'un espace judiciaire ?
Ces sujets sont pour nous passionnants et les analyses qui en seront effectuées pour l'Amérique latine enrichiront notre réflexion.
La France n'envisage pas l'élaboration d'un nouveau code civil, mais elle réforme celui-ci par pans entiers. Notre pays a choisi de moderniser son code dans ses contenus pour tenir compte des évolutions techniques, scientifiques ou, bien sûr, des modes de vie. Notre code intègre également régulièrement les évolutions normatives européennes et internationales.
Mais, d'autres pays ont fait le choix d'une recodification d'ensemble. Ces récentes expériences de codification nous intéressent. Elles témoignent de l'évolution du principe de codification au fil du temps. Ainsi, le nouveau code civil brésilien entré en vigueur en 2003, code s'applique à l'échelle d'un État fédéral qui connaît des différences socio-économiques colossales et des différences culturelles et coutumières significatives d'une région à l'autre. Il y a également le projet de code civil argentin, élaboré récemment, dans un contexte politique et économique pourtant délicat.
Ce sont autant de signes de la vivacité du droit latino-américain dans des États encore jeunes, où les codes civils apparaissent comme de véritables constitutions pour la société civile. Ce qui est d'autant plus remarquable dans un contexte de régionalisation, où la nécessité d'harmoniser le droit pour faciliter les échanges est à l'ordre du jour. Le Mercosur se dirige vers l'union douanière ; la Communauté Andine des Nations progresse aussi vers l'intégration économique ; et au-delà, le projet de la Zone de Libre Échange des Amériques, toujours en négociation, constitue une perspective de régionalisation, qu'il faudrait peut-être qualifier de « continentalisation ».
Vous nous montrerez de la sorte si la quasi-absence de barrière linguistique et une longue expérience du droit comparé facilitent non seulement le dialogue, mais permettent, voire justifient, pour autant que chacun renonce ses spécificités juridiques, de faire le choix de l'unification.
Nos échanges nous aiderons à mesurer l'influence du droit français ainsi que celle de la common law, et notamment du droit américain dans ces débats. Ils nous permettront de déterminer s'il y a des domaines d'excellence pour l'une ou l'autre des traditions juridiques, ou bien des pans du droit à moderniser, à adapter. Toutes ces questions sont essentielles pour nous tous, pour la communauté que nous formons.
C'est dans cette perspective que le GDS a confiée à un professeur de droit, Madame Fauvarque Cosson, la mission d'effectuer une synthèse de la très riche matière que fourniront les différentes manifestations internationales du bicentenaire du Code civil.
Je suis persuadée qu'à l'issue des débats qui auront lieu aujourd'hui et demain, nous pourrons mieux nous comprendre et savoir ce que chacun peut apporter à l'autre. Chacune des manifestations prévues en Amérique latine dans les mois à venir sera aussi pour nous l'occasion de nouer des contacts afin de mettre en oeuvre une coopération juridique adaptée à vos besoins et à votre culture juridique.
Nous sommes très avides de progresser et de perfectionner nos méthodes de coopération juridique : nous avons des expériences réussies, où notre expertise juridique, ouverte, attentive au droit comparé, faisant preuve de retenue, a permis aux décideurs de trouver les réponses qu'ils estimaient adaptées à leur cadre de réforme, au contexte politique, social et juridique.
Un dernier mot pour remercier l'Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains d'avoir pris l'initiative de nous rassembler ici aujourd'hui. Et je tiens à remercier tout particulièrement son Président, le professeur Christian Larroumet pour l'aide précieuse qu'il nous apporte dans notre travail avec nos partenaires d'Amérique latine.