L'avenir de la codification en France et en Amérique latine
Palais du Luxembourg, 2 et 3 avril 2004
ALLOCUTIONS D'OUVERTURE
Christian Poncelet
Président du Sénat français
Message lu par Louis Duvernois,
Sénateur représentant les Français établis hors de France
Messieurs les Ambassadeurs, Messieurs les Ministres,
Mes Chers Collègues, Messieurs les présidents et doyens,
Mesdames et Messieurs les professeurs d'université,
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
J
e suis particulièrement heureux et honoré que le Sénat accueille aujourd'hui ce premier congrès de l'Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains, du nom du célèbre poète, juriste, homme politique... et sénateur (de 1837 à 1865) chilien - qui a joué un rôle fondateur dans les relations entre la France et l'Amérique Latine, j'aurais aimé être parmi vous ce matin pour célébrer cette initiative mais les aléas d'un calendrier électoral et politique dont vous connaissez l'importance m'ont privé de ce plaisir.
Le Sénat, vous le savez, s'enorgueillit d'être une assemblée parlementaire à l'écoute des mouvements du monde. Cette réunion est une nouvelle illustration de la politique qu'il entend mener en direction de l'Amérique latine en s'appuyant notamment sur le dynamisme des trois groupes d'amitié du Sénat avec le Mexique et l'Amérique centrale, présidé par Gérard Cornu, avec la région Caraïbe, présidé par Michel Dreyfus-Schmidt, et avec l'Amérique du Sud, présidé par Roland du Luart.
Cette politique se veut pragmatique, concrète, efficace. C'est ainsi, par exemple, que nous accueillons régulièrement l'ensemble du corps diplomatique latino-américain en poste à Paris pour examiner l'évolution de nos relations. C'est ainsi que nous organisons, en partenariat avec UBIFRANCE, des colloques économiques présentant aux investisseurs français potentiels les marchés d'Amérique latine. C'est ainsi que nous soutenons le développement de la coopération décentralisée entre les collectivités territoriales françaises et latino-américaines. C'est ainsi que nous appuyons la remarquable initiative de notre collègue le sénateur Didier Borotra - le Forum de Biarritz - qui désormais se déroulera alternativement à Biarritz et en Amérique Latine. C'est ainsi, enfin, que nous avons eu la satisfaction de voir que le sénateur chilien Paez - dont nous avons fermement soutenu la candidature - a été élu à la présidence de l'Union interparlementaire.
À ces actions désormais ancrées dans la réalité - mais qu'il faut bien entendu affermir et développer - s'ajoutent un certain nombre d'objectifs : promouvoir la création d'une Association des Sénats d'Amérique Latine, comme il existe déjà une Association des Sénats d'Europe et une Association des Sénats d'Afrique et du monde arabe ; accepter l'offre qui pourrait être faite prochainement au Sénat de participer en tant qu'observateur au Parlement latino-américain ; développer nos relations avec l'Institut des Hautes études d'Amérique latine, dont il m'est agréable de souligner le dynamisme et l'excellence ; coopérer avec la Maison franco-andine du droit de Bogota ; mettre sur pied un programme de coopération technique au profit des fonctionnaires parlementaires des Parlements d'Amérique latine ; développer nos relations avec l'Union latine dont le Président est Son Excellence M. Javier Pérez de Cuellar, ambassadeur du Pérou en France ; bref, vous le constatez, votre réunion n'est pas pour le Sénat un événement ponctuel mais un élément important d'une politique d'ensemble. Cette politique d'ensemble, vous vous en doutez, s'inscrit dans la volonté de promouvoir la diversité culturelle et les valeurs de la latinité en nous appuyant sur les affinités spontanées qui nous rapprochent.
Nos affinités, d'ailleurs, ne sont pas seulement historiques et intellectuelles, elles touchent des pans entiers de la vie sociale latino-américaine, qu'il s'agisse des institutions politiques, du secteur économique ou de la sphère juridique comme les orateurs qui vont me succéder vont, à n'en point douter, en souligner le caractère fondamental.
À cette proximité de l'esprit s'ajoute une contiguïté territoriale : la France, on a parfois tendance à l'oublier, est présente sur le continent sud-américain, avec ses départements français d'Amérique, la Guadeloupe, la Martinique et bien sûr la Guyane. C'est du reste avec l'un des états de la zone - le Brésil, pour ne pas le citer - que notre pays a sa plus longue frontière : 650 km.
L'Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains a choisi de nous réunir aujourd'hui afin d'évoquer l'une de ces proximités, l'avenir du patrimoine juridique commun à la France et à l'Amérique latine né autour du code civil.
Ce thème arrive à point nommé puisque nous célébrons le bicentenaire de cette « constitution civile » des Français, promulgué par la loi du 30 ventôse an XII, c'est-à-dire du 21 mars 1804, et qui a eu le retentissement que l'on sait sur votre continent grâce à son adaptateur Andrés Bello.
Les multiples intervenants qui vont se succéder aujourd'hui et demain à la tribune souligneront probablement ces remarquables échanges tout au long du XIX e siècle mais aussi, ce que nous devons regretter aujourd'hui, les causes qui ont conduit à négliger, vers la deuxième moitié du XX e siècle, les liens qui rapprochaient les deux traditions juridiques.
Au-delà du droit, c'est en effet toute une conception des relations sociales que véhiculent ces instruments juridiques que sont les codes.
Ils participent aussi, dans la lutte d'influence que se livrent aujourd'hui les différents systèmes juridiques, de notre « exception culturelle » commune.
C'est pourquoi nous avons sans doute, aujourd'hui encore plus qu'hier, besoin d'agir ensemble en partenaires dans cette bataille qui se livre à l'échelon planétaire.
Nous avons aussi besoin de votre regard et de vos idées pour nous détourner de la simple contemplation de notre grandeur passée : le Code civil nous a d'ailleurs montré la voie en sachant intégrer les évolutions sociales, notamment au niveau de la famille.
Ce colloque est le premier d'une série de trois accueillis par le Sénat à l'occasion du bicentenaire : le 29 avril 2004, sous le titre « Vivre et faire vivre le Code civil », le Sénat et le ministère de la justice rassembleront les regards des professions juridiques et judiciaires sur leur outil de travail quotidien ; les 22 et 23 novembre 2004, le colloque « Genèse du code civil » se penchera, à l'initiative de la Présidence du Sénat et de l'Institut des hautes Études juridiques, sur les sources intellectuelles et historiques du code et comparera sa méthode de rédaction avec les méthodes actuelles.
La question de la codification est, en France, un sujet d'actualité et le Parlement est un acteur essentiel de son renouveau.
Après les cinq codes élaborés à la demande de Napoléon sous le Consulat et l'Empire, il avait fallu attendre la IV e République, un siècle et demi plus tard, pour relancer le mouvement. Encore faut-il souligner qu'il ne s'agissait que d'une codification de nature administrative - par décrets en Conseil d'État - ne conférant qu'une valeur réglementaire aux codes et fragilisant par conséquent leur portée juridique.
Cette technique fut malgré tout reprise au début de la V e République. Ainsi, entre 1960 et 1982, sur vingt-et-un codes publiés comprenant une partie législative, seuls trois furent adoptés par la loi et six firent l'objet d'une validation législative. Au cours des années 80, seuls le Code de la sécurité sociale et le Code de la mutualité furent adoptés.
Relancée à partir de 1989, la codification, bien que limitée au « droit constant », s'est enfin appuyée sur une dimension essentielle à sa légitimité : la représentation nationale.
Le Parlement est d'abord associé au travail de la Commission supérieure de codification : un député et un sénateur de la commission des Lois de chaque assemblée sont désignés pour en être membres permanents. Peuvent y siéger également un député et un sénateur membres des commissions parlementaires compétentes sur le projet de code examiné.
Les codes sont ensuite adoptés, en principe, par le Parlement. Les lois antérieures sont, dès lors, abrogées et les dispositions de la partie législative du code ont force de loi.
Consacrée par la jurisprudence constitutionnelle depuis le 16 décembre 1999, la codification a récemment accéléré son rythme, au prix malheureusement d'un recours à la procédure des ordonnances. Il n'est pas sûr qu'elle y gagne en qualité et peut-être devrions-nous faire preuve d'imagination pour trouver des méthodes mieux adaptées.
Nous avons, en troisième lieu, franchi une autre étape en reconnaissant la nécessité d'une codification à droit non constant pour moderniser des textes anciens, intégrer les apports de la jurisprudence, voire même simplifier une réglementation éparse et complexe.
Je me réjouis, à cet égard, que la France ait relancé son mouvement de simplification juridique. La simplification est en effet le but ultime et la codification est l'un des moyens - peut-être pas le seul - pour y parvenir.
Soyez assurés que le Sénat ne relâchera pas sa vigilance sur ce point.
Je renouvelle en tout cas mon sentiment de gratitude aux organisateurs d'avoir choisi ce lieu pour un colloque d'une telle portée internationale.
Alors je souhaite « bon vent » à l'Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains et à tous, je souhaite de bons travaux, en espérant que vous garderez de votre passage au Sénat un excellent souvenir et que vous y reviendrez.
Je vous remercie.