Forum des Sénats du monde
Palais du Luxembourg, 14 Mars 2000
ADOPTION D'UNE MOTION
Mme Najma Heptulla, vice-présidente du Conseil des États de l'Inde et présidente du Conseil de l'Union interparlementaire( ( * )*)
Monsieur le président du Sénat français, messieurs les membres du Bureau, chers collègues, je prends la parole devant vous à la fin de la journée, à un moment où la fatigue se fait d'autant plus sentir que nous avons savouré un excellent déjeuner, accompagné de vins délicieux.
Cela ne me dispense pas pour autant de m'acquitter de ma tâche en ma double qualité de vice-présidente du Conseil des États de l'Inde , une grande démocratie qui a une certaine expérience, et de présidente du Conseil de l'Union interparlementaire.
S'il me plaît de siéger parmi les membres du Parlement de mon pays, j'éprouve également un grand bonheur à me retrouver aux côtés des chefs de file des chambres hautes du monde entier.
Cela fait de nombreuses années que j'exerce mon mandat de parlementaire. J'ai donc été amenée à apprécier les responsabilités auxquelles nous sommes confrontés et à mesurer combien il est important de nous situer en avant-garde de la démocratie.
Je félicite le Sénat français d'avoir organisé cette réunion. Je tiens également à remercier M. le président du Sénat français et les membres du groupe qui nous accueillent de l'hospitalité qui nous est témoignée. Au seuil du nouveau millénaire, cette initiative est particulièrement bienvenue. (Applaudissements.)
Le choix de Paris pour tenir cette réunion est très judicieux. En effet, Paris est en quelques sortes « La Mecque » de la communauté démocratique du monde entier. C'est ici en 1889 que l'Union interparlementaire a été créée. Nous avons su nous nourrir du dynamisme de la Révolution française, qui a modifié le cours de l'histoire de l'humanité. Le mot « Parlement » vient du mot français « parler ». Il me paraît donc important que la France continue à jouer le rôle de chef de file vers le renforcement de la démocratie.
Le Sénat est sans doute le meilleur instrument pour engager les réformes nécessaires au sein des institutions démocratiques. Les deux chambres du Parlement doivent être complémentaires face aux Gouvernements démocratiques.
Les collèges électoraux permettent la représentation de personnes qui n'ont généralement pas les moyens de se faire entendre dans les assemblées. Dans un grand nombre de cas, le Sénat représente les circonscriptions des fédérations. C'est très important pour de grands pays, tels que l'Inde, les États-Unis, l'Australie ou le Canada.
En Inde, seul le Conseil des États a, sous certaines conditions, le pouvoir de faire inscrire des sujets d'État sur une liste fédérale.
En 1948, nous avons adopté le système en vigueur en Grande-Bretagne pour la Chambre des communes.
La plupart des Constitutions prévoient qu'en cas d'urgence les Gouvernements fédéraux peuvent disposer de pouvoirs particuliers dont l'exercice est légitimé par les Sénats, en leur qualité de représentants des unités fédérales.
En Inde, il existe une disposition autorisant, le cas échéant, le Président à trancher, mais cette règle ne saurait être appliquée sans être entérinée par le Parlement. Je crois qu'en Russie le président du Conseil de la fédération a son mot à dire, notamment sur les questions concernant les frontières ou le déploiement de forces.
Dans mon pays, le Président nomme douze membres éminents au Conseil des États afin qu'ils puissent faire entendre leur bon sens. Je crois que des dispositions similaires sont appliquées à la Chambre des Lords en Grande-Bretagne. La Thaïlande a fait une expérience similaire avec sa chambre haute. Dans certains pays, il arrive que les membres de certaines communautés soient représentés au Sénat, où ils s'expriment au nom de leurs communautés.
En conséquence, le Sénat représente authentiquement le corps politique d'un pays. Il permet aux franges de la société, aux franges géographiques, ethniques et sociales de se faire entendre. Il représente des aspects de la réalité politique qui, autrement, disparaîtraient dans l'effervescence des élections directes.
La démocratie donne du poids à l'opinion majoritaire, mais aussi aux opinions de ceux qui restent à l'écart.
Pour être en mesure d'inspirer d'une manière continue l'exécutif, il faut que les Parlements puissent s'appuyer sur des éléments de permanence.
Dans certains pays, ce sont les Sénats qui assument des responsabilités législatives en l'absence de chambre basse. Ils conseillent le Gouvernement sur des questions d'actualité, avec souvent plus de recul et de modération face aux provocations politiques immédiates nées d'incertitudes.
Cela permet non seulement d'assurer la continuité dans le Gouvernement, mais aussi d'ouvrir des perspectives et de maintenir l'équilibre.
La seconde chambre peut intervenir à titre de vérification quand le Gouvernement est confronté à une minorité au Sénat. Mon expérience au Parlement indien me montre qu'une telle situation empêche le Gouvernement de travailler en toute impunité même s'il a une large majorité dans la première chambre.
Par ailleurs, le Sénat permet la représentation d'intérêts très variés. Il examine une deuxième fois les projets de loi qui ne correspondent pas à certains critères. Cela permet de remédier à certaines insuffisances de la législation.
Le Parlement indien a mis en place des commissions chargées de traiter un certain nombre de questions, notamment budgétaires. Les membres du Conseil des États sont représentés dans ces commissions et peuvent même parfois les présider.
Aux États-Unis, le Sénat a mis en place des commissions qui examinent le fonctionnement des différents ministères. Il a même le pouvoir d'approuver ou de repousser les nominations décidées par le Président des États-Unis.
Les Sénats, grâce au mode souvent indirect de leur élection, font entendre une voix pleine de bon sens. Comme le dit le Mahâbhârata :
« Toute assemblée comporte des anciens dans ses rangs.
« Leurs propos sont toujours empreints de sagesse.
« La sagesse est toujours accompagnée de la vérité.
« Car la vérité ne débouche jamais sur la tromperie. » (Applaudissements.)
C'est pourquoi de plus en plus nombreux sont les pays qui adoptent un système bicaméral. L'examen de la situation mondiale fait apparaître que plus d'un tiers des Parlements, c'est-à-dire soixante-cinq sur cent soixante-dix-sept, fonctionnent selon le principe bicaméral. Tandis que de nombreux Sénats existent depuis maintes décennies, certains ont seulement été créés au début des années quatre-vingt-dix. On les trouve dans les nouvelles démocraties, en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Dans ces régions, d'autres pays envisagent de se doter également d'un Sénat.
Mes chers collègues, nous avons discuté, au cours de cette très intéressante conférence, de l'importance et du rôle des Sénats au sein des démocraties parlementaires. D'après moi, les Sénats ont permis la fusion et la convergence entre démocratie et Gouvernement. C'est ici, en France même, que la démocratie est née à la suite d'un mouvement de protestation du peuple contre le régime en place. À partir de là, la démocratie s'est répandue dans le monde entier et les peuples se sont rebellés contre des ordres qui ne tenaient pas compte des aspirations populaires.
Les institutions démocratiques se sont progressivement développées, puis réformées grâce à l'expérience. Il est donc tout à fait légitime de se retrouver ici, à Paris, pour discuter du rôle et des perspectives des Sénats.
Il est tout aussi normal que nous nous penchions sur les défis auxquels se trouvent confrontés les Gouvernements démocratiques.
C'est au coeur de l'Europe qu'ont éclaté les deux dernières guerres mondiales. Après ces périodes de barbarie sanguinaire, l'humanité a créé des institutions destinées à défendre la paix et le développement. Nous appelons au désarmement universel. Certaines normes et directives ont été acceptées sur le plan international.
Si cette partie du monde a connu la paix au cours des cinquante dernières années, de nombreux conflits ont éclaté sous des formes ethniques et raciales.
Je pense que, lors de la préparation de cette conférence, vous avez notamment pensé au terrorisme, qui ne connaît pas de frontière, qui a eu des effets dévastateurs sur la société civile, qui a provoqué des réactions très dures de la part de l'opinion face aux massacres d'innocents. À la fin du siècle dernier, des tributs très lourds ont été versés en raison du terrorisme.
En tant que membres des Sénats, nous sommes au coeur de l'expérience démocratique. Nous nous devons de développer les voies et moyens afin d'empêcher ces événements. La démocratie est la plateforme, le lieu même où doit être recherchée la conciliation d'intérêts antagonistes.
Toute manifestation violente et non démocratique est dangereuse pour la société. L'Inde en a souffert au cours des deux dernières décennies. Des tendances similaires apparaissent dans d'autres parties du monde. L'Afrique du Nord, l'Asie centrale, l'Asie du Sud-Est et, très récemment, l'Europe ont été témoins de la multiplication des actes terroristes violents. Souvent, il s'agit d'actes qui, hélas, sont sponsorisés par certains États.
La démocratie accepte la diversité des intérêts telle qu'elle existe au sein des sociétés. C'est pourquoi il est nécessaire, pour nous tous, de prendre conscience d'un autre grand problème qui se pose à nos sociétés mondialisées, à savoir comment concilier mondialisation et préoccupations sociales, et faire de la mondialisation un instrument pour un développement humain, durable et équitable.
Nous sommes conscients des progrès obtenus lors des négociations du Cycle de l'Uruguay, mais ces négociations commerciales n'ont pas abouti à des résultats concrets. Le protectionnisme est plus fort que jamais. Les problèmes des droits de l'homme et des normes de travail, notamment, sont invoqués pour empêcher les pays en développement de se développer.
Il est grand temps de corriger ces déséquilibres, notamment dans les échanges commerciaux. Le message de Seattle et de Davos est parfaitement clair à cet égard. Il a été repris lors de la réunion des parlementaires pendant la 10 e CNUCED à Bangkok. Nous sommes préoccupés par la polarisation croissante de la richesse et des ressources. Les parlementaires souhaiteraient que l'on entende davantage la voix des pays en développement. Il faudrait que la voix des peuples soit plus entendue dans les négociations commerciales, notamment en faisant participer les parlementaires aux négociations sur les termes de l'échange. Lors de mes discussions avec le directeur général de l'OMC, M. Mike Moore, et avec le secrétaire général de la CNUCED, M. Ricupero, j'ai eu l'impression d'avoir été écoutée attentivement.
Chers amis, plus que jamais il faut concilier les intérêts divergents, qu'ils soient politiques, économiques ou sociaux. Il faut instaurer un vrai dialogue de civilisation. Il faut un dialogue pour qu'il y ait une interaction entre les différents systèmes. Seule la politique démocratique a le pouvoir de faciliter un tel dialogue.
L'Union interparlementaire est prête à discuter de la question du dialogue entre les civilisations lors de sa prochaine conférence à Amman, en avril prochain.
En août prochain, nous allons convoquer une réunion des présidents des Parlements au siège des Nations unies, à New York. La conférence coïncidera avec la session du millénaire des Nations unies. Nous comptons poursuivre les discussions à cette occasion. La participation et l'apport des parlementaires seront certainement très précieux. Quoi qu'il en soit, l'Union interparlementaire en ressortira comme le bras exécutif, le bras séculier des Nations unies.
Monsieur le président du Sénat français, je suis convaincue que les débats que nous avons eus et la déclaration que nous allons adopter à la fin de ce forum constitueront également un apport pour les travaux de l'assemblée du millénaire des Nations Unies. En tant que présidente de l'Union interparlementaire, j'invite tous les présidents des chambres hautes et des chambres basses à se réunir aux Nations Unies afin de prêter une oreille attentive à nos préoccupations.
Mesdames, messieurs, j'ai également pour mission de vous présenter le projet de déclaration finale.
Cette déclaration fait la synthèse des interventions prononcées à l'occasion de cette conférence historique des présidents des Sénats et secondes chambres. Il s'agit de renforcer la démocratie dans le monde entier, tâche dans laquelle nous sommes également engagés. Cette déclaration vise également à rappeler que le système bicaméral est complémentaire. Grâce à lui, la démocratie peut faire davantage entendre sa voix, être mieux représentée, avec la participation la plus large. Les Sénats et les chambres hautes, quel que soit leur nom, continueront à jouer un rôle très important au cours de ce millénaire. (Applaudissements.)
Si vous me le permettez, monsieur le président, je vais maintenant donner lecture du texte de cette déclaration.
« Les présidents des Sénats et Secondes Chambres, réunis à Paris le 14 mars 2000, sur l'initiative de M. Christian Poncelet, président du Sénat de la République française,
« Constatant :
« - que le système bicaméral est adopté par un nombre sans cesse croissant d'États dans le monde puisque le nombre d'États bicaméraux est passé d'environ 45 au début des années 1970 à 67 aujourd'hui;
« - que cette expérience du système bicaméral doit se poursuivre dans les années à venir puisqu'une douzaine d'États envisagent de créer un Sénat ou en ont d'ores et déjà pris la décision sans que la Chambre soit encore créée ;
« Soulignent :
« - que ce mouvement général de diffusion du bicamérisme correspond à la volonté et à la nécessité de consolider et approfondir les régimes démocratiques grâce à la diversification de la représentation et au processus d'intégration de toutes les composantes de la population que permet l'existence de deux assemblées dans un même pays ;
« - que le système bicaméral permet de prendre en compte de manière plus satisfaisante le processus de décentralisation engagé dans la plupart des États du monde et de régler de façon efficace la question des rapports entre les collectivités territoriales, quel que soit leur statut administratif ou institutionnel, et le niveau central;
« - que le système bicaméral est un facteur puissant de stabilisation des normes juridiques et d'approfondissement de l'État de droit en même temps que la forme moderne d'application du principe de la séparation des pouvoirs dans des États fréquemment régis par la logique du système majoritaire ;
« - que le système bicaméral, quels que soient les pouvoirs respectifs des deux Chambres, garantit la publicité du débat législatif et politique, et l'information de l'opinion publique et du citoyen souverain, publicité et information sans lesquelles il n'est point de démocratie;
« Déclarent :
« - leur volonté commune, en liaison avec l'Union interparlementaire (UIP), d'approfondir la réflexion sur le rôle et les fonctions des Sénats et Secondes chambres, dans les respect de la diversité inhérente à ces assemblées et dans le souci de contribuer à la diffusion, l'enracinement et l'approfondissement des valeurs démocratiques ;
« - leur volonté commune de développer les échanges entre les Sénats et Secondes chambres du monde et de renforcer la dimension parlementaire de la coopération internationale;
« - leur volonté commune de participer à la conférence des Présidents des Parlements nationaux au siège de l'ONU du 30 août au 1 er septembre 2000;
« - leur volonté commune d'attirer l'attention des organisations et institutions internationales gestionnaires de programmes d'assistance institutionnelle sur la nécessité de ne pas réserver le bénéfice de ces programmes aux structures de l'exécutif au sens large mais d'en faire bénéficier également les assemblées parlementaires et les collectivités territoriales de façon que le renforcement de l'exécutif soit équilibré par le renforcement du législatif, conformément aux principes universellement admis et prônés. » (Applaudissements,)
Je pense que ces applaudissements valent approbation à l'unanimité, et je vous en remercie. (Nouveaux applaudissements.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion.
M. Song Chhang, membre de la commission des Affaires étrangères, de la coopération intérieure, de l'information et des médias du Sénat du Cambodge
Je souhaite simplement attirer l'attention sur le dernier alinéa de la motion, en particulier sur l'expression « au sens large », qui figure à la quatrième ligne. J'aurais aimé avoir le temps d'examiner cette disposition car il semble que nous essayions ici d'imposer quelque chose à l'exécutif. Pour ma part, j'aurais souhaité modifier le texte sur ce point.
M. le président. Je remercie M. Chhang de son intervention. Je voudrais le rassurer. Le texte n'impose rien, il recommande et, par conséquent, il laisse la libre initiative. Mais nous exprimons le voeu qu'il soit bien sûr tenu compte des assemblées s'agissant du bénéfice des programmes d'assistance institutionnelle.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion.
(La motion est adoptée.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité. (Applaudissements.)
Avant de clore le Forum des Sénats du monde, je voudrais adresser le salut du Sénat français à toutes les délégations des Parlements du monde qui nous ont fait l'honneur et le plaisir de répondre à notre invitation et de participer activement à nos travaux.
Qu'ils en soient sincèrement et chaleureusement remerciés, en espérant que ce premier Forum aura les prolongements qu'il mérite.
Du fond du coeur et très simplement, je dirai à toutes et à tous : merci. (Mmes et MM. les représentants des Sénats du monde se lèvent et applaudissement longuement).
* (* ) Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.