ÉLUS LOCAUX ET ASSOCIATIONS : UN DIALOGUE RÉPUBLICAIN
PALAIS DU LUXEMBOURG, 28 JUIN 2001
Documents - le Sénat sauve la liberté d'association en 1971 -1 ( * )
La saisine historique du conseil constitutionnel par Alain Poher, président du Sénat
Dans le courant du mois de juin 1971, le Gouvernement et l'Assemblée nationale proposent de revenir sur un des fondements libéraux de la loi de 1901 : désormais, dans certains cas, la création d'une association pourrait être soumise à un contrôle judiciaire préalable.
Conscients de la menace, plusieurs Sénateurs montent au créneau. En séance publique, Pierre Marcilhacy, Sénateur de la Charente et éminent constitutionnaliste, défend une « question préalable » 2 ( * ) établissant que ce dispositif serait contraire à la Constitution. Mais pour faire prévaloir définitivement cette thèse, il fallait que le Conseil constitutionnel fût saisi, étape très difficile avant la révision constitutionnelle de 1974 car le droit de saisine n'avait pas encore été étendu à 60 députés ou 60 Sénateurs.
L'initiative décisive reviendra à Alain Poher, alors Président du Sénat 3 ( * )
il défère le projet de loi à la Haute juridiction le 1 er juillet 1971, le jour même du 70 ème anniversaire de la loi de 1901. Le 16 juillet, le Conseil constitutionnel lui donne raison : en s'appuyant sur le préambule de la Constitution, qui réaffirme les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », il détermine le caractère constitutionnel de la liberté d'association et annule le système proposé par la nouvelle loi :
«... Considérant qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe de la liberté d'association ; que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1 er juillet 1901 relative au contrat d'association ... » .
Usant - pour la première fois sous la Vème République - de son droit
La portée de cette décision historique va bien au-delà du droit d'association proprement dit, car elle marque le point de départ d'une abondante jurisprudence, qui étendra le contrôle de constitutionnalité des lois au regard d'un ensemble progressivement élargi de règles, de principes et d'objectifs à valeur constitutionnelle.
Tout en sauvegardant la loi de 1901, le Sénat, par l'action de son Président, a ainsi apporté une nouvelle fois une contribution décisive à la défense des libertés.
La question préalable du Sénateur Pierre Marcilhacy
Lors de sa séance du 28 juin 1971, le Sénat a adopté cette question préalable au scrutin public par 127 voix contre 106, rejetant du même coup la modification de la loi de 1901 proposée par le Gouvernement.
Le texte ayant finalement été adopté, contre l'avis du Sénat, par l'Assemblée nationale statuant en « dernier mot », la saisine du Conseil constitutionnel restait la procédure ultime pour s'opposer à sa mise en vigueur.
La décision du Conseil constitutionnel
Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971 - Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association Vu la Constitution et notamment son préambule ; Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ; Vu la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, modifiée : Vu la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et milices privées ; 1. Considérant que la loi déférée à l'examen du Conseil constitutionnel a été soumise au vote des deux assemblées, dans le respect d'une des procédures prévues par la Constitution, au cours de la session du Parlement ouverte le 2 avril 1971 ; |
2. Considérant qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe de la liberté d'association ; que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ; qu'en vertu de ce principe les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable : qu'ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire ; |
3. Considérant que, si rien n'est changé en ce qui concerne la constitution même des associations non déclarées, les dispositions de l'article 3 de la loi dont le texte est, avant sa promulgation, soumis au Conseil constitutionnel pour examen de sa conformité à la Constitution, ont pour objet d'instituer une procédure d'après laquelle l'acquisition de la capacité juridique des associations déclarées pourra être subordonnée à un contrôle préalable par l'autorité judiciaire de leur conformité à la loi ; |
4. Considérant, dès lors, qu'il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901, ainsi, par voie de conséquence, que la disposition de la dernière phrase de l'alinéa 2 de l'article 1er de la loi soumise au Conseil constitutionnel leur faisant référence ; |
5. Considérant qu'il ne résulte ni du texte dont il s'agit, tel qu'il a été rédigé et adopté, ni des débats auxquels la discussion du projet de loi a donné lieu devant le Parlement, que les dispositions précitées soient inséparables de l'ensemble du texte de la loi soumise au Conseil ; |
6. Considérant, enfin, que les autres dispositions de ce texte ne sont contraires à aucune disposition de la Constitution ; Décide : Article premier - Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant les dispositions de l'article 7 de la loi du 1" juillet 1901 ainsi que les dispositions de l'article 1er de la loi soumise au Conseil leur faisant référence. Article 2 - Les autres dispositions dudit texte de loi sont déclarées conformes à la Constitution. Article 3 - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française. |
* 1 Extrait du catalogue de l'exposition réalisée, Foyer Clemenceau au Sénat, par le service de la Bibliothèque du Sénat
* 2 La question préalable est la procédure par laquelle une assemblée décide qu'il n'y a pas lieu d'engager la discussion du texte soumis à son examen, du fait d'un motif d'opposition qui rendrait inutile toute délibération au fond. L'adoption de la question préalable équivaut au rejet de l'ensemble du texte en discussion.
* 3 Cf. notamment les réflexions que le Président Alain Poher a consacrées à cet épisode dans ses Mémoires, p. 213 et s. (« Trois fois président ». Pion. Paris, 1983).