Mercredi 12 mai 2010
- Présidence de M. Jean Arthuis, président -Abrogation du bouclier fiscal - Examen du rapport
Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission procède à l'examen du rapport de M. Albéric de Montgolfier sur la proposition de loi n° 381 (2009-2010) tendant à abroger le bouclier fiscal.
M. Jean Arthuis, président. - Nous allons examiner la proposition de loi présentée par M. Foucaud et le groupe CRC-SPG et tendant à abroger le bouclier fiscal.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Je crains que M. Foucaud ne soit déçu par mon rapport. Le groupe CRC-SPG a déjà proposé cette abrogation dans des amendements à toutes les lois de finances, ainsi que dans une proposition de loi l'an dernier. Je salue sa constance, qui n'a d'égale que celle de la commission des finances et du Sénat, qui ont chaque fois repoussé cette idée. Je suggère de persévérer dans cette voie.
Sur le fond, le bouclier fiscal est un rempart indispensable compte tenu de l'architecture actuelle de la fiscalité des personnes. Le plafonnement a du reste été introduit par le gouvernement Rocard, jugeant que l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et l'impôt sur le revenu (IR) cumulés ne devaient pas excéder 70 % du revenu. Ce plafond a été porté à 85 % deux ans plus tard. Mais, par la suite, le plafonnement de l'ISF a lui-même été limité, à la moitié de l'ISF normalement dû. Dès lors, avant l'instauration du bouclier fiscal, certains contribuables étaient obligés de consacrer l'ensemble de leurs revenus au paiement de leurs impôts, ce qui n'est pas acceptable. La position du Conseil constitutionnel est très claire. Il a estimé que l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne serait pas respecté si l'impôt atteignait un niveau confiscatoire ou représentait une charge excessive par rapport à la capacité contributive. Le bouclier fiscal ne constitue pas une rupture de l'égalité devant l'impôt, il évite au contraire la rupture d'égalité. On met toujours en avant les restitutions, en oubliant de préciser que la moitié des bénéficiaires du bouclier ne sont pas des redevables de l'impôt sur la fortune. Le président de la République et le Premier Ministre ont indiqué que les hauts revenus devront contribuer au financement de la réforme des retraites. La question de l'inclusion de la CSG dans le bouclier se posera, par exemple ; mais ne traitons pas du bouclier isolément. MM. Arthuis, Marini, Fourcade ont ouvert une piste intéressante avec le triptyque : abrogation de l'ISF, création d'une tranche supplémentaire de l'impôt sur le revenu, réforme de la fiscalité des plus-values, en plus de la suppression du bouclier fiscal.
Sur la forme, une telle réforme fiscale relève de la loi de finances, comme toutes les mesures qui affectent significativement le solde budgétaire. Je songe aux décisions prises en loi de modernisation de l'agriculture, ou à d'autres d'ampleur égale, qui devraient elles aussi être traitées en loi de finances.
Je ne suis donc pas favorable à votre proposition de loi. Je propose à la commission de ne pas élaborer de texte et de discuter en séance publique sur la rédaction de nos collègues.
M. Jean Arthuis, président. - Le véhicule législatif approprié évoqué par le rapporteur risque de passer souvent : nous avons adopté il y a peu une deuxième loi de finances rectificative, il en faudra une troisième dans les prochains jours pour tirer les conséquences des engagements de solidarité européenne.
M. Thierry Foucaud. - Vous savez que 67 % des Français souhaitent l'abrogation du bouclier fiscal : toute la gauche mais aussi une partie de la droite. Il ne se passe pas de jour sans qu'un représentant de votre camp ne fasse une déclaration à ce propos, un ministre en exercice par exemple, comme M. Lellouche...
M. Jean Arthuis, président. - On s'est mépris sur ses propos. Il a publié un démenti...
M. Thierry Foucaud. - MM. Méhaignerie, Balladur, Juppé en ont-ils publié un ? Le rapporteur parle de « rempart ». Oui, un rempart pour les plus riches, mais une ruine pour les plus pauvres ! On supprime 150 euros alloués jusqu'à présent à 3 millions de personnes, pour économiser 450 millions d'euros. Mais le maintien du bouclier fiscal en coûte 600. Les comptes publics sont depuis plusieurs années dans une situation critique. Le déficit budgétaire a explosé depuis 2007. Et le président de la République comme le Premier Ministre ont fait des déclarations qui orientent déjà le contenu de la prochaine loi de finances. La rigueur budgétaire se traduira par une croissance zéro des dépenses, une hausse de la pression fiscale et une remise en cause de certaines niches. Les mesures marqueront surtout la volonté du Gouvernement d'apporter un soutien forcené à un euro fort.
Nous estimons pour notre part nécessaire de diminuer le déficit public, en supprimant le bouclier fiscal qui apporte si peu à la collectivité. La moitié de ses bénéficiaires ne paient pas l'ISF. Certes. Mais l'essentiel des sommes reversées va aux redevables de l'impôt sur la fortune. Le bouclier concerne 16 000 personnes, sur 36 millions de contribuables et 550 000 redevables de l'ISF : c'est dire son efficacité. Nous proposons une mesure de justice fiscale et sociale.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Je suis d'accord pour réduire le déficit. De plus, les chiffres, comme le coût du bouclier fiscal pour l'Etat ou le montant des restitutions figurent dans mon rapport. Nous ne sommes pas, à la commission des finances, des fanatiques du bouclier fiscal. Mais vous ne traitez qu'une partie du problème. Le bouclier n'est pas la réponse ultime, unique, mais il faut se pencher aussi sur la fiscalité du patrimoine. La France est le seul pays en Europe à avoir maintenu l'ISF.
M. François Marc. - D'autres vont le rétablir.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Le barème de l'imposition est dissuasif, au regard de taux de placement, qui ont considérablement diminué : voyez ce que rapportent les obligations... Je rejoins l'idée de triptyque, réaliste en économie ouverte. La France ne doit pas maintenir l'ISF, dont le rendement n'a rien de spectaculaire...
M. Jean Arthuis, président. - Les concepteurs de l'ISF étaient bien conscients du risque de délocalisation, puisqu'ils ont retiré de son assiette les oeuvres d'art. Je souligne qu'un consensus nous réunit au moins sur la nécessaire disparition du bouclier. Mais M. Foucaud ne va pas assez loin.
M. Edmond Hervé. - Je rends hommage à l'objectivité du rapporteur. Il a indiqué que la moitié des bénéficiaires ne payaient pas l'ISF ; mais il a oublié de préciser que l'économie d'impôt, pour cette catégorie, représente 1 % des 580 millions d'euros du bouclier ! Je suis plein de compassion à l'égard du président Arthuis que j'ai entendu dans le passé estimer que « le bouclier fiscal est une extrême injustice sociale ». Cessons de torturer notre président, mettons fin à cette mesure. Du reste, a-t-elle fait revenir les émigrés fiscaux ?
M. Jean Arthuis, président. - Non.
M. Roland du Luart. - Mais elle a sans doute évité que d'autres s'en aillent.
Mme Nicole Bricq. - Lors du débat sur la loi TEPA, j'ai présenté un amendement tendant à prévoir un rapport sur l'impact du bouclier : l'amendement a été adopté mais nous attendons toujours le rapport...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Nous ne disposons pas du chiffre des retours. Mais s'ils sont peu nombreux, c'est sans doute aussi par manque de confiance en la stabilité de notre système fiscal. Vos propositions récurrentes de suppression ne sont pas pour les rassurer ! L'incertitude est dissuasive.
M. Edmond Hervé. - C'est un argument que les élus locaux comprennent eux aussi parfaitement...
Mme Nicole Bricq. - Je sais les difficultés de la majorité parlementaire à l'égard de ce qui est un totem ou un tabou, selon le point d'où on le considère. La trilogie du président Arthuis est partielle et partiale. Elle mêle imposition du patrimoine et imposition du revenu, ce qui, pour paraître séduisant, n'a en fait pas de sens. La question de fond est celle-ci : quel type de fiscalité voulons-nous ? Le bouclier fiscal et les niches ont, ensemble, des effets plus que pervers ! Je trouve dans le fascicule Voies et moyens annexé au projet de loi de finances pour 2010 le chiffre de 74 milliards d'euros pour l'ensemble des niches fiscales... Depuis 2002, 30 milliards d'euros ont ainsi été gaspillés injustement, parmi lesquels 20 milliards ont été redistribués aux 5 % de contribuables les plus riches. Il y a en France un problème d'architecture fiscale : le bouclier fiscal en est le symbole. Le débat s'est ouvert ce matin sur le financement des retraites. Qu'importent les discours, alors qu'il faut trouver, dès maintenant, 30 milliards d'euros ! D'autre part, c'est tous les ans qu'il faudrait investir les 35 milliards du grand emprunt afin de répondre au problème du sous-investissement chronique de l'Etat. Vous vous en tenez à une autre solution : pressurer la dépense. Remettons plutôt à l'endroit notre système fiscal. Et pourquoi ne pas commencer par la suppression du bouclier ? Le reste suivra ! Refusez la fuite en avant. Je signale que le groupe socialiste présente aujourd'hui même à l'Assemblée nationale une proposition similaire.
M. Jean Arthuis, président. - Pour faire sens, la fiscalité doit être lisible. Notre système est devenu abscons ! Et les niches fiscales heurtent le principe républicain.
Mme Nicole Bricq. - Les réduire de 6 milliards d'euros est une plaisanterie.
M. Jean Arthuis, président. - Nous avons tous contribué à les créer, l'une après l'autre. Il en résulte des possibilités d'optimisation, des montages fiscaux, outre-mer par exemple, dont l'efficacité économique est sujette à caution !
M. François Marc. - M. le rapporteur est à court d'arguments. Il s'abrite derrière le Conseil constitutionnel. Il faut conserver le bouclier pour éviter une injustice fiscale... Mais les arguments invoqués lors de la création du bouclier étaient bien différents ! A la lumière de l'expérience, peut-on estimer qu'ils étaient pertinents ? Il s'agissait à l'époque de protéger les revenus qui sont le fruit du travail - « de l'argent honnêtement gagné », vous a-t-on entendu dire alors. Les contribuables devaient en conserver au moins 50 %, pour que soit préservée la capacité d'initiative, source de croissance. Toute l'argumentation reposait sur le souci de restaurer la confiance et donc la croissance. Peut-on dire a posteriori que le dispositif a stimulé la croissance ? Je n'en suis pas certain.
Il s'agissait aussi d'éviter l'émigration fiscale : il ne semble pas que les émigrés soient revenus. A-t-on perçu plus de recettes fiscales ? La richesse produite a-t-elle été accrue ? Cela n'a pas été mesuré. Enfin, on invoquait le nombre de gens modestes qui bénéficieraient du bouclier, simulations à l'appui. J'apprécierais que le rapporteur s'exprime aujourd'hui sur ces points-là.
M. Thierry Foucaud. - Les réponses du rapporteur sont effectivement de moins en moins pertinentes et objectives. Et tandis que l'on maintient le bouclier, on taxe les accidentés du travail, on supprime la demi-part du conjoint survivant. Une femme qui, avec son mari, payait 85 euros en 2006 paye maintenant, veuve, 140 euros. Une récente étude de l'Insee indique que le nombre de ceux qui gagnent plus de 100 000 euros par an a augmenté de 20 % entre 2004 et 2007, et le nombre de ceux qui gagnent plus de 500 000 euros, de 70 %. Les inégalités sociales ont donc augmenté : car 8 millions de personnes perçoivent moins de 908 euros par mois. Le nombre des chômeurs s'accroît, le pouvoir d'achat baisse. Abrogeons le bouclier fiscal.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Il est normal, à l'époque de la mondialisation, de plafonner l'impôt direct à 50 % du revenu. Le contraire ne serait pas adapté aux temps actuels. Mais le bouclier doit s'appliquer au revenu brut, non au revenu après les déductions correspondant aux niches et abattements. Et dans une période de déficit budgétaire aussi accusé, l'Etat ne devrait pas reverser les sommes mais conserver des créances jusqu'à retour à un déficit inférieur à 3 % du PIB.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Si le plafonnement de l'ISF a été instauré en 1989 par le gouvernement Rocard, c'est que la fiscalité sur le revenu est progressive, alors que l'ISF est décorrélé du niveau de revenu, donc confiscatoire pour certains. Il serait plus simple de supprimer l'ISF...
Mme Nicole Bricq. - Supprimer l'ISF, alors que vous avez déjà arasé les droits de succession et fixé à 18 %, « flat », sans progressivité, l'impôt sur le patrimoine ? Il n'est pas exact que l'ISF soit une exception mondiale, car l'Allemagne ou les Etats-Unis ont une fiscalité immobilière très lourde, qui tient lieu d'impôt sur la fortune. En invoquant l'exemple de l'Ile de Ré, vous diffusez des idées fausses qui abusent les plus pauvres. Et votre raisonnement autour de la trilogie est faux.
M. Jean Arthuis, président. - Votre raisonnement est faux également, pourrais-je vous rétorquer. Ou peut-être avons-nous besoin d'un spécialiste pour nous aider à nous comprendre... M. Foucaud souligne que le nombre de contribuables qui perçoivent plus de 100 000 euros a beaucoup augmenté : précisément, nous voulons créer une tranche d'impôt sur le revenu à 45 % ; et revoir à la hausse le barème d'imposition des plus-values. Par courtoisie, nous vous proposons que la proposition du groupe CRC-SPG soit soumise à la discussion en séance publique, mais le rapporteur suggérera alors de la repousser.
La commission décide de ne pas adopter de texte afin que la discussion en séance publique porte sur le texte de la proposition de loi. Elle décide également de demander au Sénat de ne pas adopter les articles de la proposition de loi et de rejeter celle-ci.
Mme Nicole Bricq. - Quid de votre trilogie, Monsieur le Président ?
M. Jean Arthuis, président. - Il s'agit pour être plus précis d'une tétralogie : deux abrogations, le bouclier fiscal et l'ISF, et deux impositions nouvelles, tranche supplémentaire de l'impôt sur le revenu et révision à la hausse de l'imposition des plus-values immobilières et mobilières.
M. Gérard Longuet. - On ne peut tout de même pas interdire aux gens d'être intelligents dans leurs placements.
M. Jean Arthuis, président. - Mais ils doivent contribuer au financement des charges publiques.
- Présidence conjointe de M. Jean Arthuis, président, et de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères et de la défense -
Table ronde sur les orientations de la politique française en faveur du développement
Lors d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission des finances, conjointement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, tient une table ronde, ouverte à la presse, sur les orientations de la politique française en faveur du développement, à l'occasion de la présentation par le Gouvernement d'un document cadre de coopération au développement. Cette table ronde met en présence :
- M. François Bourguignon, directeur de Paris School of Economics, ancien chef économiste de la Banque mondiale ;
- M. Serge Michaïlof, consultant international, enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris, ancien directeur régional à la Banque mondiale ;
- M. Jean-Michel Severino, inspecteur général des finances, ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD) ;
- M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Le Gouvernement a entamé, il y a plusieurs mois, la rédaction du document cadre de coopération au développement qui doit fixer la stratégie de la France en matière de coopération pour la décennie à venir. L'absence d'une doctrine des pouvoirs publics français dans ce domaine a été soulignée à de nombreuses reprises. La préparation de ce document sera d'autant plus utile qu'elle est concomitante avec de nombreuses échéances telles que la préparation du prochain triennum budgétaire, la Conférence des Nations unies sur les objectifs du millénaire pour le développement, en septembre prochain, ou encore la préparation de la présidence française du G20 en 2011.
La rédaction de ce document se situe dans un contexte international qui contribue autant à renforcer la légitimité de l'aide au développement qu'à la remettre en cause.
Renforcer, parce que, depuis le début du siècle, de nombreuses crises ont montré combien le sous-développement du Sud, dans un monde de plus en plus interdépendant, pouvait être une menace pour le Nord. Le terrorisme comme la piraterie naissent dans des États en crises et des zones abandonnées du développement. Les grandes pandémies apparaissent dans les maillons faibles des systèmes de santé humaine et animale. Dans ce contexte, l'aide au développement est, avec notre diplomatie et notre défense, une dimension essentielle de la contribution de la France à un monde plus sûr.
Remise en cause, parce que, d'une part, l'essor de nouvelles puissances comme la Chine ou le Brésil remet en cause la catégorie même de pays en voie de développement et que, d'autre part, l'augmentation des risques liés au réchauffement climatique remet en cause le modèle de développement sur lequel s'était fondé, depuis un demi-siècle, ce type de politique.
Le ministre des affaires étrangères et européennes a souhaité consulter nos deux commissions sur un avant-projet qui vous a été communiqué. Nous avons voulu, avant de nous prononcer sur ce document, recueillir l'avis de quatre personnalités particulièrement qualifiées.
Cette table ronde sera suivie, le 26 mai prochain, par l'audition du ministre des affaires étrangères et européennes, qui viendra présenter le projet de document cadre devant nos deux commissions.
Pour nous éclairer sur les enjeux, les points forts ou les lacunes de ce document, quatre experts ont donc bien voulu répondre à notre invitation : M. François Bourguignon, ancien chef économiste de la Banque mondiale et directeur de la Paris School of economics ; M. Serge Michaïlof, consultant international, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, ancien directeur régional à la Banque mondiale, et auteur, le mois dernier, d'une somme sur ce sujet intitulée « Notre maison brûle au Sud» ; M. Jean-Michel Severino, qui était, il y a encore un mois, le directeur général de l'Agence française pour le développement (AFD), et dont le dernier ouvrage, « Le temps de l'Afrique » fera date ; enfin, M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud, qui fédère l'ensemble des organisations non gouvernementales spécialisées dans l'aide au développement.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Comme vient de le rappeler le président de la commission des affaires étrangères, le Gouvernement a souhaité associer le Parlement à la consultation menée en vue de l'élaboration d'un document cadre pour notre politique de coopération au développement, document appelé à servir de référence pour l'ensemble des acteurs de cette politique. C'est une initiative dont les parlementaires ne peuvent évidemment que se féliciter. Je me réjouis, en outre, qu'elle soit l'occasion de deux réunions communes avec la commission des affaires étrangères : d'abord, aujourd'hui, cette table ronde, ouverte à la presse, qui va nous permettre d'entendre le point de vue d'experts de l'aide publique au développement ; puis, le 26 mai prochain, l'audition du ministre des affaires étrangères et européennes, pour la présentation de son projet de document cadre.
La commission des finances, en la matière, sera naturellement attentive aux enjeux qui la concernent le plus directement, c'est-à-dire les questions de financement. Il s'agit pour nous de faire le point, schématiquement, sur deux grands aspects, et sur la manière dont le futur document cadre peut en rendre compte.
En premier lieu, il nous faut considérer les masses financières à mobiliser en faveur de la coopération au développement, dans le contexte de ressources publiques que chacun sait fortement contraintes. Quelles priorités budgétaires doivent-elles être retenues en ce domaine ?
Pour mémoire, l'effort public français global en faveur du développement, tel que le calcule le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE, a représenté 7,6 milliards d'euros en 2008 et est évalué à hauteur de 8,5 milliards d'euros en 2009. Au seul plan budgétaire, la loi de finances initiale pour 2010 a prévu 6,2 milliards d'euros de crédits pour l'aide au développement, répartis sur onze missions.
Cet effort important fait de la France le deuxième contributeur parmi les membres du G7, après le Royaume-Uni, par rapport au revenu national brut (RNB). Peut-il être maintenu ? Dans quelle mesure doit-il être réorienté ?
En 2008, nous avons consacré 0,39 % de notre RNB à l'aide publique au développement ; l'estimation est de 0,44 % pour 2009. Or la France s'est engagée à consacrer à cette aide, à l'horizon 2015, quelque 0,7 % du RNB. Un tel engagement est-il tenable ?
En second lieu, il s'agit de s'intéresser à l'éventail des outils de financement disponibles, et d'envisager comment les optimiser. En particulier, l'aide publique française au développement s'exerce de plus en plus par le canal multilatéral et européen. Ainsi, en 2008, si l'on retient seulement l'aide dite « programmable » (c'est-à-dire hors dépenses constatées ex post), la part bilatérale, qui ne représente que 40 %, a été minoritaire. Quel serait, à cet égard, le bon équilibre ?
Un autre sujet important tient à l'essor des financements dits « innovants », pour la promotion desquels la France joue un rôle moteur. Ainsi, la contribution de solidarité sur les billets d'avion, instaurée par notre pays en 2006, a rapporté 160 millions d'euros en 2009 ; ce produit permet de financer l'accès aux vaccins et médicaments dans les pays en développement. Quel est le potentiel de semblables mécanismes de taxation d'activités économiques internationales ?
Sur l'ensemble de ces aspects, le rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement », notre collègue Yvon Collin, qui vient de « succéder » à notre ancien collègue Michel Charasse, aura certainement matière à questions. Mais nous pouvons commencer par entendre les premières réflexions que suscite, parmi les quatre experts ici présents, l'élaboration du document cadre de coopération au développement.
M. Jean-Michel Severino, inspecteur général des finances, ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD). C'est pour moi un honneur et un plaisir de participer à cette table ronde. Je tiens d'abord à signaler que mon point de vue sur le document cadre est nécessairement un peu « biaisé » car, dans l'exercice de mes anciennes fonctions de directeur général de l'AFD, j'ai participé, aux côtés d'autres acteurs de l'aide publique au développement, à son élaboration. Sous cette réserve, je formulerai pour commencer deux observations d'ordre général.
Tout d'abord, ce document est fondé sur l'idée que l'aide au développement ne s'inscrit plus désormais dans une démarche caritative, ou compassionnelle ; elle consiste en une véritable politique publique, que justifient les interdépendances mondiales apparues dans les dernières décennies. En effet, on a bien pris conscience, aujourd'hui, que l'échec économique des pays d'Afrique ou d'Asie comme leur réussite, d'ailleurs est susceptible d'engendrer des conséquences déstabilisantes pour les pays d'Europe. Des enjeux migratoires, économiques, environnementaux, voire de sécurité, pour l'Occident, résultent directement de la situation des autres régions du monde.
Ensuite, l'aide au développement n'apparaît plus comme une aide en faveur de pays pauvres indifférenciés : elle est désormais consacrée à des thèmes prioritaires, distincts selon les zones du globe et tenant compte des intérêts de la France dans chacune. Cette situation justifie les objectifs spécifiques retenus pour le document cadre.
Au stade où il se trouve de son processus de rédaction, ce document appelle de ma part quatre commentaires plus précis.
En premier lieu, il conviendrait d'étendre le champ des actions couvertes, car le projet de document se concentre sur une notion étroite de l'aide publique au développement (APD), en ne visant que des instruments de financement. Ainsi, les aspects culturels et de recherche sont ignorés, bien qu'ils représentent un aspect substantiel de l'APD entendue au sens large.
En deuxième lieu, la question de la « soutenabilité » budgétaire de l'aide publique au développement n'est pas abordée dans le projet de document. Elle est pourtant essentielle, tant il est certain que l'ambition relative aux moyens conditionnera celle des objectifs. En outre, les opérateurs de l'APD aspirent à une meilleure prévisibilité, au moins sur une période de trois ans, des moyens mis à leur disposition. Cet aspect doit donc être amélioré, en associant une prévision quantitative aux objectifs présentés, tout en conservant au document cadre la dimension opérationnelle nécessaire. Par ailleurs, l'élaboration de ce document doit être l'occasion de faire progresser la recherche en matière de financements innovants.
En troisième lieu, ce document devrait, je pense, prévoir une stratégie plus « offensive » à l'égard de l'APD assurée par le canal multilatéral et européen. Durant les dernières années, en effet, on a assisté à un recours important à l'aide multilatérale, au détriment de l'aide bilatérale, dont la part relative est devenue minoritaire en ce qui concerne les subventions. Cette intervention multilatérale de la France, indispensable, se trouve fortement contrainte par nos engagements internationaux, sauf pour notre pays à accepter de quitter le rang qui est le sien dans un certain nombre d'enceintes. Mais il est très difficile de peser sur la programmation des organisations internationales ; c'est d'ailleurs plus difficile encore au niveau européen qu'au niveau international à proprement parler. Il me paraît donc opportun de définir un objectif d'influence en la matière.
En dernier lieu, il me semble que l'élaboration d'un document cadre de coopération au développement devrait être l'occasion de réfléchir à deux enjeux connexes :
- d'une part, la communication de la France sur sa politique d'aide au développement, envers sa propre opinion publique. En effet, la société civile s'avère très favorable à cet effort de solidarité, comme en témoigne le soutien important qu'elle apporte aux organisations non gouvernementales. En revanche, elle se montre sceptique à l'égard de la mise en oeuvre de l'aide au développement par des moyens publics. Pour conserver à cette politique sa crédibilité, un travail d'explication est donc à fournir en direction du citoyen et du contribuable ;
- d'autre part, la valorisation de la recherche sur cette politique, car force est de constater que, malgré d'éminents spécialistes dont certains sont ici présents aujourd'hui, la production académique, sur le sujet, est relativement faible. Par nature, il s'agit d'un domaine où les financements ne sont pas aisés à trouver. Pourtant, cette recherche est nécessaire en vue de structurer une politique publique d'aide au développement qui puisse prétendre à une influence mondiale.
M. Serge Michaïlof, consultant international, enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris, ancien directeur régional à la Banque mondiale. Ce document cadre est un bon document de synthèse des enjeux actuels de l'aide au développement. Son défaut principal - mais on ne peut le reprocher à ses auteurs, qui appartiennent à l'administration - est qu'il ne procède pas assez clairement à la forte analyse critique, indispensable, des faiblesses de la politique actuelle de coopération française. Il ne répond pas suffisamment non plus aux interrogations que l'opinion publique et les responsables politiques sont en droit de se poser. La France se targue d'être parmi les tout premiers donateurs mondiaux en termes d'aide publique au développement, le 2ème en 2009, avec près de 9 milliards d'euros. Mais, en même temps, il est pour le moins surprenant de constater que, malgré ces chiffres flatteurs, la France n'est plus un acteur significatif sur de nombreux terrains qui sont importants, soit pour des raisons d'éthique ou historiques, tels les pays les plus pauvres d'Afrique, en particulier le Sahel francophone, soit pour des raisons relevant de notre politique étrangère, tels les pays très fragiles ou sortant de conflits d'importance géopolitique reconnue. L'aide bilatérale effective sur le terrain a pratiquement disparu et représente 2 centièmes de l'APD globale, soit environ 175 millions d'euros sur 9 milliards. L'influence de la France sur la politique conduite par les grands multilatéraux, qui sont les grands bénéficiaires de notre aide effective (Banque mondiale, Banque pour la reconstruction et le développement, et Union européenne), est finalement négligeable.
Alors que la France est absente sur des terrains essentiels comme les pays les plus pauvres d'Afrique, on se demande ce qu'elle fait en Chine qui est le 6ème bénéficiaire de notre aide, en Inde et au Brésil, qui deviennent des puissances économiques mondiales et des concurrents. Où se trouve donc finalement la cohérence de tout ceci ?
Derrière cette critique et cette interrogation, en fait, deux principaux problèmes se font jour de longue date:
- premièrement, le concept d'aide publique au développement est un fourre-tout statistique : on y trouve nombre de dépenses qui n'ont aucun rapport avec une aide de terrain effective, telles que les annulations de dettes, la prise en charge du coût des étudiants étrangers, des frais administratifs, des dépenses pour Mayotte, Wallis et Futuna. En même temps, il ne prend pas en compte nombre d'efforts qui relèvent clairement d'une aide au développement, comme les garanties apportées par l'Agence française de développement, les prises de participation de Proparco, le montant des dotations privées des organisations non gouvernementales (ONG) bénéficiant de déductions fiscales. C'est un indicateur daté et qui ne reflète plus l'effort effectif en matière d'aide au développement. Ainsi, le volume d'activité du groupe AFD doit s'élever à environ 6 milliards d'euros, mais ne relève de l'APD qu'un montant de l'ordre de 1,5 milliard ;
- deuxièmement, lorsqu'on soustrait, des montants officiels d'APD, les opérations qui ne relèvent pas, en réalité, de cette aide, il reste quand même des sommes considérables, consacrées à la conduite effective de projets et programmes de terrain. Cette aide réelle représente environ la moitié de l'effort officiel d'APD évalué, pour 2009, à 9 milliards d'euros. Toutefois, une bonne part correspond à des prêts concessionnels de l'AFD, qui en fait certes un bon usage, mais qui semble inverser les priorités dans la mesure où c'est la nature des instruments d'aide, et non l'objectif politique, qui détermine le choix des pays et la nature de l'action de coopération. Ainsi, lorsque l'on privilégie le prêt au détriment des subventions, on s'interdit d'intervenir dans les pays les plus pauvres, en particulier sur les thématiques sans rentabilité financière avérée. Mais, surtout, l'essentiel des ressources correspondant à des subventions qui permettent d'intervenir dans les pays les plus pauvres ou sur des thématiques sans rentabilité directe, est géré par les institutions multilatérales, soit environ 2,8 milliards sur 3 milliards d'euros, ceci sans que nous nous soyons donné les moyens de guider ou d'influencer sérieusement leur action et leur politique.
Le solde résiduel de nos ressources en subvention pour notre aide bilatérale a fondu depuis 15 ans. Il reste environ 200 millions d'euros par an pour servir plusieurs dizaines de pays, sans compter les urgences telles que Haïti ou les Territoires palestiniens. Face à cette situation, nous sommes sans moyens d'action effectifs pour répondre à nos préoccupations propres, qu'il s'agisse d'intervenir dans des pays pauvres où nous avons des enjeux géopolitiques, comme ceux du Sahel, ou sur des thématiques importantes, comme le développement rural pour lequel nous avons une expertise ancienne avérée.
Cette situation s'explique par un faisceau de raisons : tout d'abord une absence de définition claire des objectifs de notre politique de coopération, critique à laquelle répond intelligemment ce document cadre. Ensuite, une confusion entre coopération et charité publique qui conduit à deux erreurs graves : en premier lieu, à se fixer des objectifs essentiellement comptables au lieu d'ambitions d'efficacité en fonction d'objectifs politiques clairs. En second lieu, cette vision caritative de notre coopération conduit à sous-traiter la gestion de l'essentiel de notre aide aux multilatéraux mais sans se donner les moyens de guider ou au moins d'influencer effectivement leur action. Enfin, les régulations budgétaires portent systématiquement sur l'aide bilatérale car les aides multilatérale font l'objet d'engagements pluriannuels et leurs bénéficiaires ont des capacités de pression ou d'agitation médiatique qui amènent à préférer couper dans l'aide bilatérale qu'aucun lobby dangereux ne va défendre. J'ajoute que la présentation des budgets de la coopération est d'une opacité exceptionnelle, à tel point que les experts eux-mêmes ne s'y retrouvent pas.
Il importe, dans ce contexte, de repartir d'une définition claire des objectifs de notre politique de coopération, et ici je partage largement l'analyse à laquelle procède le document cadre.
Comme le souligne ce document, dans un monde globalisé, interdépendant et soumis à de très fortes tensions, et dans lequel le Sud va connaître des graves crises sociales, environnementales et sécuritaires, qui auront nécessairement des répercussions sur notre pays et sur l'Europe, il faut se fixer quatre grands objectifs de nature politique, qui doivent permettre de décliner nos priorités géographiques, la nature des instruments que l'on utilisera, et enfin nos priorités sectorielles. J'observe que ce dernier sujet n'est pas traité dans ce document, car ces objectifs portent, pour l'essentiel, sur des zones géographiques différentes et exigent le recours à d'autres instruments.
Il me semble que le premier objectif sur lequel porte le consensus doit être de faciliter le rattrapage économique des pays du Sud. Cela concerne principalement, pour la France, bon nombre de pays du Bassin méditerranéen, les pays stables bien gérés de l'Afrique subsaharienne et les pays de la péninsule indochinoise. Notre aide doit ici jouer un rôle de catalyseur vis-à-vis des ressources financières internes et internationales. Les instruments doivent prendre la forme de prêts plus ou moins concessionnels et recourir à la gamme des divers instruments financiers innovants pour favoriser notamment l'essor du secteur privé. Un grand enjeu sera l'Afrique où il convient de faciliter la diversification de ses économies qui sont restées très liées à des activités de rente. En ce domaine, l'AFD fait du très bon travail. Il faut essentiellement poursuivre l'effort engagé.
Le deuxième objectif doit être de lutter contre les déséquilibres économiques et sociaux les plus criants, dans la logique des objectifs du millénaire, en contribuant à la mise en place d'un filet social minimal au plan mondial, mais aussi en contribuant à la constitution d'agricultures performantes et durables. En ce domaine, pour la France, la cible géographique doit être, en priorité, les pays les plus pauvres de son champ historique, en particulier le Sahel francophone. In fine, l'objectif est de réduire les trop graves inégalités au plan social, de stabiliser les populations, d'aider à construire des Etats viables et des institutions modernes, dans un souci qui, sur le long terme, recoupe les préoccupations sécuritaires et de contrôle des flux migratoires qui nous sont propres. La coopération française doit servir de « poisson pilote » aux grands multilatéraux. Pour cela, elle doit disposer de ressources significatives en subventions, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, et mettre en place une politique de réelle influence auprès des agences multilatérales comme savent le faire les Britanniques. Il s'agirait de revoir la répartition bilatérale/multilatérale au profit de l'aide bilatérale. Mais c'est une tâche qui va être extrêmement difficile.
Le troisième objectif doit être de faciliter le renforcement des Etats particulièrement fragiles et la stabilisation des Etats tel que l'Afghanistan, la République démocratique du Congo ou Haïti, susceptibles de devenir des maux publics régionaux et potentiellement mondiaux. Il s'agit ici d'une action qui doit être complémentaire d'éventuelles actions militaires ou sécuritaires conduites par la communauté internationale. L'objectif est ici aussi que la France puisse faire entendre sa voix dans les enceintes internationales et influencer les mécanismes de gouvernance concrète d'une aide internationale, qui, dans ces situations, s'est pour l'instant révélée particulièrement inefficace, lourde et pratiquement autiste. La réalisation de cet objectif suppose, là aussi, un minimum de ressources distribuées sous forme de subventions bilatérales. La France, faute de ressources en subventions bilatérales a été totalement absente en ce domaine pourtant critique. Alors qu'elle n'a pas hésité à mobiliser des moyens militaires, elle n'a jamais pu mobiliser les ressources financières en subventions qui lui auraient permis d'influer sur les politiques d'aide de la communauté internationale. Nous organisons les grandes conférences internationales mais nous ne sommes pas aux réunions clés ou se décident concrètement la nature et les objectifs des programmes d'aide. En Afghanistan, qui restera comme un cas d'école en matière d'inorganisation de l'aide internationale, les chiffres sont accablants : les chiffres de décaissement de l'aide publique du CAD de l'OCDE sont, pour l'année 2007, les suivants : aide française : 2 millions de dollars, Canada : 240 millions de dollars, Grande Bretagne : 171 millions de dollars, Pays Bas : 55 millions de dollars.
Le quatrième objectif est de participer, dans les grands pays émergents, à la redéfinition des politiques publiques portant sur la gestion d'un certain nombre de biens publics mondiaux dont la destruction en cours pose un problème existentiel à l'humanité. Les instruments à utiliser sont le prêt, peu concessionnel, ainsi que les transferts intellectuels. Ici, la construction de partenariats se substitue à une politique d'aide et préfigure de futures politiques publiques globales. L'AFD a fait, dans ce domaine, un travail remarquable au cours des dernières années. Il lui faut poursuivre son action et Jean-Michel Severino en parlera mieux que moi.
En conclusion, trois mesures fortes sont maintenant indispensables pour réorienter et réintroduire une réelle cohérence dans notre politique de coopération :
- premièrement, définir clairement les objectifs de cette politique, sachant que ceux-ci ne sont pas exclusivement caritatifs. Ils doivent se situer au confluent des intérêts des pays concernés et de nos propres intérêts. Ils relèvent donc aussi de notre politique étrangère et doivent refléter nos préoccupations propres comme la gestion de la mondialisation, le contrôle des flux migratoires à long terme et la stabilisation des zones sensibles où nous avons des intérêts à long terme comme le Sahel ;
- deuxièmement, redéfinir la répartition de notre aide. Le problème sera de revenir sur des arbitrages anciens, effectués sans consultation du politique, mais qui nous engagent sur une base pluriannuelle. Il est en particulier indispensable de revenir sur cette ancienne décision, jamais explicitée, qui a sacrifié l'aide programmable bilatérale en subventions au profit des grands multilatéraux (Banques régionales de développement, Banque mondiale), des canaux européens, et des fonds des Nations unies. Pourquoi devrions nous chercher à tout prix à rester le deuxième contributeur du Fonds européen de développement (FED) si la bureaucratie de Bruxelles ne nous écoute pas ? Pourquoi vouloir garder un rang à la Banque mondiale qui ne correspond pas à nos moyens si nous ne pouvons orienter son action ni par notre présence dans des cofinancements ni par une forte présence humaine à des postes de management ? Il faut également réexaminer le dosage de nos ressources entre ces subventions bilatérales programmables réduites aujourd'hui à néant et les autres usages de nos ressources que sont les bonifications de prêts AFD et la prise en charge sans limites du coût des étudiants étrangers dans la plus grande anarchie. Ces décisions sont éminemment politiques sachant que les nécessaires arbitrages pour modifier la position du curseur seront très difficiles. En effet, dans un contexte budgétaire dramatique, toute modification de l'équilibre actuel se heurtera à des lobbys actifs. Il serait enfin souhaitable de réaffecter à l'aide bilatérale programmable en subventions les mesures d'économies qui sont envisageables, telles que la réduction significative de notre dispositif diplomatique actuellement surdimensionné ou une plus grande sélectivité dans la prise en charge du coût des étudiants étrangers. Un grand travail reste à faire, en particulier en réduisant notre contribution aux instances européennes et en procédant à un ménage approfondi de nos contributions à une myriade de fonds des Nations unies, dont certains n'ont aucune efficacité sur le terrain ;
- troisièmement, sécuriser les budgets affectés sous forme de subventions pour notre aide bilatérale qui, ne faisant pas l'objet d'actions de lobbying, sont les proies naturelles de réduction de crédits plus faciles à effectuer qu'au niveau des budgets multilatéraux faisant l'objet d'engagements pluriannuels. Diverses pistes sont possibles : la constitution de fonds spécialisés sécurisés tels qu'un fonds post conflit, un fonds Sahel, etc., et l'affectation à ces fonds d'une partie des ressources provenant d'une future fiscalité internationale.
M. François Bourguignon, directeur de Paris School of Economics, ancien chef économiste de la Banque mondiale. En premier lieu, je tiens à féliciter les auteurs du rapport sur l'avancée des travaux concernant le document cadre de la coopération française au développement, qui nous a été confié. N'ayant pas participé aux réunions de travail, j'ai un regard neuf à apporter pour proposer des améliorations à ce document.
Le document cadre présente une analyse excellente et très fine du problème de la coopération pour le développement dans le monde d'aujourd'hui, car il intègre à la fois la réalité, les enjeux et le phénomène de la globalisation.
Il s'agit toutefois d'un document trop général. C'est un document cadre, il est normal qu'il commence par une analyse contextuelle. Cependant, il faut sans doute mieux distinguer les objectifs de l'aide au développement en général, de ceux que la France souhaite poursuivre dans ce domaine compte tenu de ses intérêts et de ses moyens. S'agissant, par exemple, de l'aide bilatérale et de l'aide multilatérale pour le développement, il faut avoir à l'esprit que la position des instances multilatérales n'est pas forcément la même que celle des pouvoirs publics français.
En outre, l'APD désigne seulement une petite partie des flux de financement du Nord vers le Sud. L'APD française s'élève à environ 9 milliards d'euros, mais il faut opposer ce montant aux 600 milliards d'euros que représente le total.
Le document évoque, par exemple, la répartition des «clients» de l'aide en zones géographiques essentielles aux «intérêts français et européens» de la France. Il conviendrait de mieux définir ces intérêts. De même, la question du partage des tâches et des financements entre les pays du Nord selon les secteurs ou les pays mériterait d'être approfondie.
Je vais donc me concentrer sur des éléments de détail. Il faut bien distinguer les politiques d'aide publique au développement susceptibles d'être poursuivies dans les pays émergents de celles pratiquées dans les pays en développement et en particulier en Afrique subsaharienne.
En Afrique subsaharienne, il faut distinguer les pays stables pourvus d'une gouvernance satisfaisante des pays les plus vulnérables. Dans la première catégorie, on constate une modification des modalités de l'aide, avec les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et la Conférence de Monterrey en 2002. Depuis cette date, les gouvernements des pays aidés sont mieux impliqués dans la définition de la stratégie de développement poursuivie par les bailleurs de fonds. Le recours au soutien budgétaire a progressé dans les pays qui bénéficient d'une bonne gouvernance. Le modèle de politique de coopération soutenu par les organisations multilatérales, qui s'est ainsi imposée depuis les conférences de Monterrey et de Paris, donne globalement satisfaction.
En revanche, dans le cas des Etats dits fragiles, la différenciation entre aide bilatérale et aide multilatérale devient capitale. En effet, lorsque l'aide consiste à favoriser la reconstruction d'institutions, l'aide publique au développement dépasse la dimension strictement financière et monétaire et concerne des questions d'assistance technique et d'aide au maintien de l'ordre public et de la sécurité. Le document cadre doit rappeler que dans ces situations l'aide bilatérale doit être mobilisée car elle est plus appropriée.
Lorsqu'on considère les OMD, on constate qu'ils couvrent de nombreux domaines, comme la réduction de la pauvreté, l'amélioration de la santé, l'accès à l'eau potable, l'éducation. Mais les OMD n'insistent pas assez sur le rôle des dépenses d'infrastructures. Ces dernières ont un impact direct sur la croissance économique et expliquent, par exemple, la sympathie à l'égard des Chinois, dans les pays d'Afrique où ils construisent des infrastructures, même s'ils le font avec des ouvriers venus de Chine. Cependant, le financement des politiques d'infrastructures lourdes est plus difficile à justifier en raison des fuites potentielles de l'APD via la corruption.
Le rapport pose le problème de savoir en quoi consiste le développement africain. On observe, depuis plusieurs années, une croissance forte. Ce résultat est-il dû à un changement dans la gouvernance et les politiques économiques ? Est-il lié aux effets des politiques de formation et de consolidation des institutions ? Le développement africain a-t-il, à l'inverse, simplement bénéficié d'une conjoncture favorable des prix des matières premières ?
On peut se demander si les pays africains sont seulement des pays rentiers de ressources naturelles ou s'ils peuvent se diriger vers une réelle industrialisation, ce qui supposerait d'accorder à l'Afrique de réelles préférences commerciales, qui ne sont pas encore assez développées.
Du côté des pays émergents, la France peut jouer un rôle important, non pas en accordant des moyens de financement supplémentaires mais plutôt en termes de coopération technique, d'apport intellectuel en matière de coopération et de reconstruction institutionnelle.
M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud. Je souhaite d'abord remercier la commission des affaires étrangères et la commission des finances du Sénat pour leur invitation. Je me réjouis de cette heureuse initiative, qui en prolonge deux autres :
- d'une part, celle du comité interministériel de la coopération internationale et du développement du 5 juin 2009 (CICID) qui, sous l'impulsion du comité d'aide au développement de l'OCDE, a décidé l'élaboration d'un document cadre pour la politique de coopération au développement ;
- d'autre part, celle du ministère chargé des affaires étrangères, qui dans cette perspective a organisé une importante consultation, à laquelle ont participé, notamment, les organisations non gouvernementales et les collectivités territoriales.
Le projet de document cadre, au stade où il se trouve, me paraît globalement très satisfaisant. Cependant, je suis réservé sur l'approche de l'aide publique au développement qui a été retenue en termes de risques : risque climatique, risque financier, risque alimentaire, trafics, terrorisme... C'est une justification de notre politique d'aide au développement, par des impératifs de sécurité, qui me semble très anxiogène ! Il serait préférable de faire passer à l'opinion publique, dont le soutien à cette politique est nécessaire, le message selon lequel, dans un monde devenu interdépendant, la France doit assumer sa part de responsabilité face à un risque de nature globale.
Au-delà de cette remarque d'ordre général, je formulerai plusieurs remarques ponctuelles :
- sur les objectifs du millénaire pour le développement, d'abord. Il est entendu qu'il reste beaucoup à faire pour que ces objectifs puissent être atteints. Toutefois, l'effort en la matière ne doit pas s'en tenir à une dimension caritative ou compassionnelle ; il est aussi nécessaire de l'inscrire dans la promotion des droits économiques et sociaux, en cherchant à pérenniser l'accès des populations aux services essentiels ;
- sur la préservation des biens publics mondiaux, ensuite. Dans la mesure où cet enjeu ne relève pas seulement de l'aide au développement, il conviendrait qu'un périmètre clair soit tracé, en ce qui concerne ces biens, dans le futur document cadre ;
- sur l'aide apportée aux pays fragiles. Coordination Sud est naturellement favorable à cette aide, mais nous souhaitons que soit évitée, en ce domaine, la confusion entre l'aide humanitaire, en principe limitée dans le temps, et la véritable aide au développement, qui a vocation à être durable ;
- sur la mise en oeuvre des priorités retenues. Le projet de document cadre met l'accent, de façon pertinente, sur la nécessaire appropriation des politiques publiques par la population des pays aidés. Cette approche par la gouvernance démocratique est préférable à celle qui a pu être menée, naguère, en termes de « bonne gouvernance ». Le souci marqué pour la recherche d'une cohérence entre l'APD française et les autres politiques de développement constitue également un progrès ;
- sur le financement, enfin. Chaque année, en décortiquant le projet de loi de finances initiale, Coordination Sud met au jour qu'environ 25 % des crédits officiellement inscrits en faveur de l'APD ne correspondent pas, en réalité, à de l'aide au développement. Ce sont les frais d'écolage d'étudiants étrangers, les transferts à Wallis-et-Futuna, des annulations de dette qui restent sans effet réel... Il est certain qu'il sera difficile d'atteindre l'objectif de 0,7 % du RNB consacré à l'APD. Une partie de la solution serait peut-être de comptabiliser à la fois les flux publics et les flux privés, notamment les investissements des entreprises à l'étranger.
Par ailleurs, il est nécessaire de poursuivre la réflexion sur la mise en place de financements innovants, en vue d'assurer des ressources pérennes à l'aide publique au développement, ainsi que la Gouvernement s'y est engagé. Il est également indispensable d'améliorer la prévisibilité des ressources disponibles en la matière, comme M. Jean-Michel Severino l'a indiqué. J'ajoute qu'il faudrait en finir avec les effets d'annonce lesquels, la plupart du temps, se bornent à présenter de manière nouvelle des crédits déjà ouverts antérieurement.
Pour le reste, il est certain que la crédibilité du document cadre sera fonction des estimations financières qui pourront lui être associées.
En outre, je forme un rêve : plusieurs Etats européens ont mis en place un débat parlementaire régulier sur leur politique publique d'aide au développement, et ont recours à des lois de programmation en ce domaine. Pourquoi la France ne se doterait-elle pas d'un même dispositif ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Merci, Messieurs, pour ces réflexions très éclairantes. J'observe d'ores et déjà que la poursuite de notre aide publique au développement devra s'inscrire, en tout état de cause, dans un débat budgétaire pour l'exercice 2011 qui sera soumis à une forte exigence de rigueur. L'effort d'explication en direction de nos concitoyens n'en sera que plus nécessaire. Quel est le point de vue du rapporteur spécial ?
M. Yvon Collin, rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission « Aide publique au développement ». Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, je ne suis en charge de la mission « Aide publique au développement » que depuis peu de temps. Aussi, j'avoue mon humilité devant des enjeux importants et une matière très dense. Je n'en tiens pas moins à complimenter les intervenants de cette table ronde pour la qualité de leurs propos. Leurs exposés ont largement répondu aux questions que je m'apprêtais à poser au début de cette réunion, et je les en remercie.
Il est certain que l'aide publique au développement constitue une politique essentielle pour le rayonnement de la France dans le monde, en même temps qu'un sujet sensible pour l'opinion publique. Aussi, je serai particulièrement attentif au contenu du document cadre qui nous sera soumis par le Gouvernement, avec une préoccupation toute particulière, comme il est naturel, pour les aspects financiers et budgétaires. Comme le Président Arthuis vient de le suggérer, ce sont des questions sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir dans les prochains mois.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour la mission « Aide publique au développement ». Je voudrais d'abord féliciter les intervenants pour la clarté de leurs propos. L'aide au développement est un sujet complexe. Je le mesure au fur et à mesure des très nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé cette année avec mon collègue et co-rapporteur André Vantomme qui regrette de ne pas pouvoir être ici avec nous aujourd'hui. Ils ont su mettre en lumière de façon particulièrement limpide les principaux enjeux auxquels nous devons faire face.
Je suis heureux que nous ayons ce débat aujourd'hui. J'avais demandé lors de l'examen du budget que ce document cadre fasse l'objet d'un débat au Parlement. Je me félicite que le ministre des affaires étrangères ait pris cette initiative. Je crois que le Parlement français, comme les Parlements espagnol ou anglais, doit se saisir de ces questions. Je crois, avec M. Vielajus, qu'il faut rêver et que ce type de document pourrait, à terme, faire l'objet d'une adoption par le Parlement au même titre que d'autres lois d'orientation.
Je me félicite que, pour la première fois, un document définisse les objectifs et les instruments de notre politique de coopération à l'issue d'une analyse stratégique des enjeux actuels. Je suis d'accord avec les intervenants. Le contexte a changé et le document a le mérite de bien identifier les enjeux nouveaux et notamment ceux liés à la préservation des biens publics mondiaux. Je crois également que l'instauration de mécanismes de solidarité internationale au profit des populations les plus pauvres, à l'instar de ce qui a été fait à travers les objectifs du millénaire pour le développement, sont au coeur de notre politique en faveur du développement. Je pense aussi qu'il nous faudra aider les pays émergents à orienter leur modèle de croissance dans le sens d'une plus grande préservation de l'environnement. On l'a vu lors de la conférence de Copenhague : sans un effort de notre part, ces pays ont beau jeu de nous dire que les préoccupations environnementales sont secondaires par rapport à l'objectif de rattrapage économique.
La préoccupation de la représentation nationale en matière d'aide au développement, comme dans d'autres domaines, est la bonne utilisation des deniers publics. De ce point de vue, on peut regretter que le document cadre ne contienne ni évaluation des politiques passées, ni chiffrage des actions à venir. Si on peut comprendre qu'il est difficile, dans le contexte actuel, d'établir une stratégie budgétaire pour les dix années à venir, il aurait été sans doute souhaitable que ce document donne des indications en termes de pourcentages, en fonction des priorités. Sans aucune donnée chiffrée, il prend le risque de n'être qu'un document d'intention.
Au-delà des 14 pays prioritaires, des «partenariats différenciés» cités dans le document, la politique de coopération française ne semble s'interdire aucune géographie : nous allons en Tanzanie, au Mali, mais aussi en Argentine, en Indonésie ou en Chine. La politique française de coopération ne s'interdit aucun instrument : aide technique, prêt, garantie, don, aide projet, aide budgétaire. La politique française ne s'interdit aucun objectif : la lutte contre la pauvreté bien sûr, le rattrapage économique des pays les plus pauvres évidemment, mais aussi la biodiversité, la lutte contre le réchauffement climatique, autant d'objectifs louables. J'observe cependant qu'à l'inverse, les Anglais, par exemple, concentrent leur aide bilatérale sur les dons laissant aux banques multilatérales le soin de faire des prêts, que les Allemands mettent un plafonnement aux crédits consacrés aux financements multilatéraux, que les Pays-Bas ont considérablement concentré leur coopération sur quelques pays. Je me demande si, dans le contexte actuel, nous sommes capables de poursuivre tous ces objectifs et si on ne gagnerait pas à définir une stratégie plus réaliste qui prenne en compte la réalité budgétaire et fasse preuve d'une plus grande sélectivité.
Je veux également évoquer le lancinant problème du bon équilibre entre aide bilatérale et aide multilatérale. Je rejoins l'appréciation des intervenants selon laquelle il conviendrait de redresser notre aide bilatérale. Je constate, sur le terrain, dans le cadre de la coopération décentralisée, combien cette aide qui venait souvent compléter le financement de petits projets a diminué. Je souhaite que les marges de manoeuvre dont la France pourrait bénéficier, grâce à la diminution de sa contribution au FED, soient affectées à l'aide bilatérale. Je me demande s'il ne serait pas souhaitable également qu'une plus grande partie de l'aide multilatérale soit utilisée par des opérateurs nationaux, et notamment français. Nous avons une expérience et une expertise qui nous permettraient d'utiliser ces fonds de façon efficace. Le recours à des opérateurs nationaux aurait pu favoriser, par exemple, l'accélération des décaissements du fonds Sida, qui ont longtemps été très lents du fait de l'absence d'opérateurs sur le terrain. Je m'interroge également sur les moyens dont nous disposons en France pour évaluer l'efficacité de la politique d'aide au développement. Il est essentiel de pouvoir mesurer les résultats des différents instruments mis en oeuvre et d'en tirer des leçons pour l'avenir. La conférence de Paris sur l'efficacité de l'aide décrit un catalogue de procédures administratives et de bonnes pratiques, mais elle ne garantit pas véritablement l'efficacité de notre coopération. Je vous pose donc la question : sommes-nous capables en France de mesurer l'efficacité de notre politique d'aide au développement ?
Je crois aussi qu'il faut assurer une plus grande cohérence entre nos politiques de coopération et les autres politiques nationales et communautaires, qui ont un impact fort sur le développement des pays du Sud. Pour traduire cela de manière plus concrète, on nous demande d'assurer une plus grande cohérence entre le fait de soutenir le secteur cotonnier au Mali et de maintenir les subventions à la production cotonnière de la Grèce ou de l'Espagne. Le document cadre dit que la France met en oeuvre un dispositif institutionnel pour la mise en oeuvre et le suivi de la cohérence de ces politiques nationales et européennes avec les objectifs de développement. Ce dispositif existe-t-il aujourd'hui ? La France assure-t-elle réellement une cohérence de ces politiques ? Je me demande si nous devons nous inscrire dans une perspective où il y aura toujours une aide au développement ou si on ne peut pas imaginer un scénario où, grâce à des accords commerciaux plus favorables, dans le cadre notamment de la conférence de Doha, ces pays puissent s'en sortir eux-mêmes grâce à un développement endogène.
Je regrette enfin que la formation professionnelle ne soit pas mise au coeur de la politique de l'aide au développement car elle a un rôle essentiel dans la création du tissu économique de ces pays.
Je souhaite enfin que le rôle de la coopération décentralisée soit bien identifié dans ce document cadre car elle joue un rôle important dans le financement de microprojets mais aussi dans l'association de la population française aux objectifs du développement.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. J'observe que si l'Etat n'arrivait pas à atteindre les objectifs quantitatifs que la France s'est fixée dans ce domaine, il faudra s'interroger sur la capacité des collectivités territoriales à contribuer à ces objectifs.
Mme Fabienne Keller. Je tiens à remercier les différents orateurs qui se sont exprimés, pour la clarté et l'intérêt de leur propos. Je voudrais intervenir, brièvement, sur quatre points.
Premièrement, je relève qu'il n'est pas pensable de s'abstenir de fournir un effort d'aide publique au développement, quelle que soient les contraintes budgétaires actuelles, eu égard à l'importance des enjeux en cause pour l'avenir.
Deuxièmement, je me demande si la question du changement climatique, sujet essentiel pour les pays de l'Afrique subsaharienne, ne fait pas, actuellement, l'objet d'une sous-estimation.
Troisièmement, je constate la présence massive des investisseurs chinois dans certains pays d'Afrique, par exemple le Cameroun, et je m'interroge sur l'existence d'une bonne coordination entre l'aide que la France apporte au développement et le développement économique effectif dans les pays soutenus.
Enfin, on sait que la « fuite des cerveaux » est un problème crucial pour les pays pauvres. Quelle est la stratégie de la France sur ce point ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je me félicite à la fois de la qualité du diagnostic établi par le document cadre et de celui des intervenants. Je crois que le document cadre gagnerait à se fonder sur la notion de vulnérabilité commune des pays du Nord et du Sud. Des sujets majeurs, comme le réchauffement climatique ou la sécurité sanitaire, sont, en effet, des éléments de vulnérabilité commune. S'agissant d'objectifs, il me semble que le but poursuivi par notre coopération doit être de renforcer les compétences au sein des pays en développement, aussi bien à la base de la société qu'au niveau de son élite, mais aussi de renforcer les droits des citoyens. Car, si la démocratie n'est pas une condition nécessaire du développement, on ne peut que le constater, le développement des droits doit constituer un objectif de la politique d'aide au développement. Le document gagnerait à être plus clair sur ce point.
Je souhaite, par ailleurs, qu'il soit mentionné, dans le document cadre, que la France s'engage à restaurer sa capacité de dons sans laquelle la crédibilité de la politique française sera limitée. J'appelle de mes voeux un véritable débat en séance publique sur ce document cadre et j'estimerais souhaitable qu'une véritable loi de programmation soit soumise au Parlement et puisse faire l'objet d'un débat approfondi.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il conviendrait que l'ensemble des lois de programmation soit ainsi agrégé et que l'on puisse évaluer le caractère soutenable des dépenses ainsi engagées.
M. André Trillard. Ce qui me gène dans la formulation de la politique d'aide au développement, c'est qu'elle se fonde, comme la politique culturelle, plus sur une logique d'instruments que d'objectifs et qu'on souhaite atteindre un pourcentage du budget sans avoir précisément défini ces objectifs. La définition d'une politique passe par des objectifs clairs et leur contrôle.
Mme Catherine Tasca. Je souscris à la critique selon laquelle le document cadre reste trop général et n'est pas assez un guide d'action pour le Gouvernement, définissant concrètement ce que doivent être, dans nos contextes budgétaire et international actuels, les objectifs à atteindre. Je regrette, par ailleurs, que ce document ne s'appuie pas sur une évaluation de l'efficacité respective des différents instruments de l'aide au développement française. Une évaluation des politiques passées est indispensable pour déterminer les instruments et les objectifs souhaitables dans tel ou tel contexte. S'agissant du rééquilibrage entre les objectifs sociaux, tels qu'ils figurent dans les OMD, et les objectifs économiques en matière d'infrastructures, il me semble que la construction de grandes infrastructures a été au coeur des politiques de coopération qui ont suivi la décolonisation. Or, il n'est pas certain que cela ait produit des résultats très satisfaisants. Cette expérience passée n'est-elle pas de nature à réfréner toute volonté de rééquilibrage ?
M. Adrien Gouteyron. Je pense que le document cadre doit insister sur les relations entre l'aide bilatérale et l'aide multilatérale. Il est par ailleurs nécessaire d'insister sur les modalités d'évaluation des politiques publiques dans ce domaine. Enfin, il faut insister sur le lien entre l'aide au développement au niveau macro-économique et le financement de microprojets soutenus aussi bien par les collectivités territoriales que par les ONG.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La parole est aux intervenants, pour des éléments de réponse aux questions qui viennent d'être soulevées les plus concis possibles, dans la mesure où le temps nous est compté pour conclure cette réunion, au demeurant très intéressante.
M. Jean-Michel Severino. De nombreux sujets ont été abordés. Je m'en tiendrai à quelques observations.
En premier lieu, la France devrait pouvoir se doter, un jour, d'un document cadre de stratégie visant le développement, et pas seulement l'aide publique au développement. Toutefois, pour le moment, nous ne somme pas mûrs pour l'exercice, d'un point de vue intellectuel mais aussi, sans doute, en termes politiques. Par exemple, l'élaboration d'un tel document supposerait une mise au clair des rapports entre la politique agricole commune et la notion de développement. C'est un débat à ouvrir.
En deuxième lieu, chacun a souligné le caractère limité des possibilités budgétaires, mais il faut avoir présent à l'esprit que l'aide publique au développement, comme toute politique publique, se trouve en compétition, pour l'accès aux crédits, avec les autres politiques publiques. Or cette compétition est plus difficile à mener pour l'APD que dans d'autres domaines d'intervention, car elle ne dispose pratiquement pas de lobby qui intervienne en sa faveur au niveau interne. La visibilité de l'APD dans le débat public national n'en est que plus nécessaire. Il revient aux acteurs de cette politique d'en expliquer les enjeux.
En troisième lieu et sur ce point, pour être bref je devrai peut-être forcer un peu mon expression , il est en pratique quasiment impossible, pour les opérateurs de l'aide publique au développement, de se tenir à une politique de sélectivité de leurs financements. En effet, les pressions politiques en faveur de telle ou telle cause, toutes légitimes au demeurant, y font obstacle. Il me semble donc préférable de renoncer à cet objectif, inatteignable.
Enfin, je relèverai que la contribution française en faveur de l'aide publique au développement, en valeur, a été divisée par deux depuis les années 1990. Or la France est aujourd'hui beaucoup plus riche. C'est un aspect que la discussion budgétaire devrait prendre en compte. J'ajoute qu'il revient aux décideurs politiques de tenir le bon discours, en se gardant des annonces non suivies d'effets auxquelles on a assisté, souvent, en matière d'APD, contraignant les acteurs de terrain à devoir expliquer ce décalage.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La France est également plus endettée, aujourd'hui ! Mais vos propos sonnent évidemment justes.
M. Serge Michaïlof. Je ferai une remarque concernant les objectifs de l'aide publique au développement. Les pays sahéliens Burkina Faso, Mali, Niger représentent aujourd'hui 44 millions d'habitants ; les projections démographiques à l'horizon 2050 font état de 120 à 130 millions d'habitants. Les agricultures de ces pays, telles qu'elles sont organisées aujourd'hui, se trouvent dans l'incapacité de subvenir aux besoins alimentaires correspondants. Mais il est possible de doubler voire tripler l'activité agricole de cette région, à condition que l'on procède aux investissements fonciers adéquats et que la politique de production menée soit cohérente.
La France ne peut, à elle seule, conduire ce changement ; en revanche, elle doit « amorcer la pompe », c'est-à-dire mettre en place les projets pilotes et poursuivre les recherches en cours. Ce faisant, il s'agit de trouver les moyens d'influencer les bailleurs multilatéraux, notamment européens, en leur montrant la possibilité d'agir dans cette direction.
M. François Bourguignon. L'évaluation est l'une des préoccupations majeures que le document cadre doit prendre en compte. Dans l'établissement que je dirige, Paris School of Economics, un master « Politiques publiques et développement » a été créé. Y sont enseignées les méthodes existantes pour évaluer les politiques publiques. Il est possible d'évaluer clairement l'aide projet, en observant concrètement les résultats. Souvent au niveau agrégé, l'évaluation de l'impact de l'aide sur les politiques publiques et sur la réalité du sous-développement est difficile. En outre, dans le cas de plus en plus fréquent de cofinancement, déterminer la part et le rôle de chacun n'est pas chose aisée. Par ailleurs, je tiens à ajouter qu'il faudra toujours une aide au développement dans la mesure où il y aura toujours des inégalités à combattre.
M. Jean-Louis Vielajus. Je crois qu'il faut considérer trois niveaux dans l'aide au développement : le niveau global, le niveau national et le niveau local. L'ambition, c'est de trouver la bonne combinaison entre les trois niveaux. Les ONG et les collectivités territoriales sont nécessaires pour initier les projets. Cette question est bien identifiée dans le document cadre à travers la notion de partenariats. Je crois qu'elle est essentielle. Je suis enfin heureux de constater que je ne suis pas le seul à rêver d'un débat parlementaire sur l'aide au développement et d'une loi de programmation dans ce domaine.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Merci, Messieurs, pour ces précisions. Cette table ronde a été extrêmement riche. L'audition du ministre des affaires étrangères et européenne, le 26 mai prochain, pour la présentation du document cadre, nous permettra de prolonger ce débat.
Compte tenu du temps qu'il nous reste, nous n'avons pas la possibilité d'épuiser notre ordre du jour et je vous propose, avec l'accord des rapporteurs, de reporter au mercredi 26 mai à 15 h 15 la présentation des conclusions des rapports de MM. Didier Boulaud, rapporteur pour avis, et François Trucy, rapporteur spécial, sur la politique immobilière du ministère de la défense et de MM. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis et M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, sur les implantations communes du réseau diplomatique gérées avec d'autres pays de l'Union européenne.