- Mercredi 27 mai 2009
- Conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense - Audition de M. Jacques Mistral, directeur des études économiques à l'Institut français des relations internationales (IFRI)
- Conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense - Audition de M. Charles Edelstenne, président de Dassault Aviation et président du Groupement des Industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS)
- Jeudi 28 mai 2009
Mercredi 27 mai 2009
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense - Audition de M. Jacques Mistral, directeur des études économiques à l'Institut français des relations internationales (IFRI)
La commission a d'abord procédé à l'audition de M. Jacques Mistral, directeur des études économiques à l'Institut français des relations internationales (IFRI), sur les conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense.
Accueillant M. Jacques Mistral, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que cette audition s'inscrivait dans le cadre du cycle d'auditions organisé par la commission et consacré aux conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense. Après avoir rappelé les grandes étapes de la carrière universitaire et professionnelle de M. Jacques Mistral, il a souhaité que celui-ci apporte un éclairage sur les mécanismes de la crise économique et financière.
M. Jacques Mistral, directeur des études économiques à l'Institut français des relations internationales, a indiqué en préambule qu'il avait le sentiment que la crise économique actuelle était plus profonde qu'une simple crise du système financier en raison de la coïncidence de trois facteurs qui pesaient sur l'économie réelle :
- le premier facteur, qui s'inscrit dans un cycle de long terme, a été celui de la croissance rapide de l'après Seconde Guerre mondiale caractérisée en France par la période des « 30 glorieuses » et qui s'est terminée à la fin des années 70 avec les chocs pétroliers ouvrant une période d'incertitude pour l'économie mondiale ;
- le deuxième facteur, qui résulte d'un cycle de moyen terme, tient à l'éclatement de la « bulle Internet » à la fin des années 2000, qui a mis un terme à une période de croissance économique liée à l'irruption de la nouvelle économie dans la décennie des années 1990, c'est-à-dire aux industries de communication et de transports, dont les Etats-Unis d'Amérique et les pays émergents ont tiré profit, mais non les pays européens, en raison de l'impact de la réunification allemande ;
- enfin, le troisième et dernier facteur, qui s'inscrit dans le cadre d'un cycle de court terme engagé au début des années 2000, est de nature politique, avec notamment les attentats terroristes du 11 septembre ou l'intervention en Iraq qui, avec une politique budgétaire expansionniste et une politique monétaire et fiscale agressives des Etats-Unis, ont donné lieu au retournement de la fin de l'année 2006, marquée par la hausse du taux d'endettement des ménages et le creusement du déficit extérieur.
M. Jacques Mistral a estimé que la conjonction de ces trois facteurs expliquait l'ampleur et la profondeur de la crise économique actuelle, qui frappait l'économie réelle, au-delà de la crise du système financier.
Il a ensuite indiqué que, si l'ensemble des pays étaient confrontés à cette crise, les défis n'étaient pas identiques aux Etats-Unis, en Asie et en Europe.
S'agissant de l'Asie, qui a été pendant longtemps présentée comme le principal moteur de la croissance économique mondiale, M. Jacques Mistral a considéré que les difficultés économiques rencontrées par les pays de ce continent étaient la résultante de la situation de l'économie nord-américaine, la croissance économique en Asie n'ayant été rendue possible que par le moteur de la demande des Etats-Unis.
Il a estimé que le principal enjeu tenait à la forte dépendance de ces pays aux exportations, à l'image du Japon, de la Corée du Sud, de Taïwan, des « tigres asiatiques » ou de la Chine, qui, depuis un demi-siècle, ont tous fondé leur croissance économique sur ce modèle.
Il a toutefois indiqué qu'il n'était pas aisé de changer de modèle et de substituer la demande interne aux exportations, car cela nécessite de modifier en profondeur les structures de production, l'exemple du Japon montrant que la structure productive de ce pays ne s'était pas adaptée à une croissance autocentrée.
Concernant les Etats-Unis, qui sont les plus touchés par cette crise, M. Jacques Mistral s'est déclaré optimiste sur les capacités de ce pays à rebondir, compte tenu des nombreux atouts dont il dispose, avec des ressources immenses, un grand potentiel humain, des talents, des universités et des centres de recherches performants et des institutions stables.
S'agissant de l'Europe, M. Jacques Mistral a estimé que, sans disposer des mêmes avantages comparatifs que les Etats-Unis, les pays européens n'étaient pas aussi dépendants des exportations que les pays asiatiques et il s'est donc déclaré relativement optimiste sur les capacités de l'Europe à sortir de la crise actuelle.
En conclusion, M. Jacques Mistral a souligné que le principal motif d'inquiétude pour l'avenir tenait à la permanence de déséquilibres globaux, avec le déficit des Etats-Unis et l'excédent de la Chine. Il a indiqué qu'il avait été frappé que ce sujet n'ait pas été évoqué lors des réunions récentes du G20, de même que les fortes variations du taux de change du dollar américain, en dépit des préoccupations exprimées sur ce point par le Premier ministre chinois. Il a rappelé que le taux de change entre l'euro et le dollar avait connu de fortes variations ces dernières années, allant jusqu'à un taux de change de 1 euro pour 1,60 dollar, et que ces variations semblaient s'amplifier de plus en plus, ce qui risquait de devenir un facteur de tension entre les Etats-Unis et l'Europe.
M. Josselin de Rohan, président, s'est interrogé au sujet des conséquences de la crise économique et financière sur les questions de défense et de sécurité, et notamment sur les industries de défense.
En réponse, M. Jacques Mistral a indiqué que, lors de son séjour aux Etats-Unis, en qualité de conseiller économique à l'ambassade de France, puis de professeur à l'université Harvard, il avait été frappé par le peu d'intérêt manifesté par les personnels du Pentagone ou les industriels de la défense à l'égard de la situation financière. Le Trésor américain a eu jusqu'à présent de grandes facilités pour financer la défense. La crise économique n'a pas eu pour l'instant de conséquences sur le niveau du budget de la défense américain, mais on peut s'interroger sur la capacité des Etats-Unis à financer dans la durée les investissements et les opérations extérieures. La nouvelle administration américaine entend du reste procéder à une revue systématique des budgets de défense afin d'en diminuer le poids. Par ailleurs, il peut sembler contradictoire de vouloir renforcer les relations économiques avec la Chine, comme le souhaite le secrétaire d'Etat au Trésor, alors que le ministère de la défense publie régulièrement des rapports qui présentent la Chine comme la principale menace pour la sécurité des Etats-Unis.
De manière plus générale, M. Jacques Mistral a estimé que la crise économique actuelle entraînait une redistribution des cartes au niveau international.
Ainsi, en ce qui concerne la Russie, et alors que ce pays était considéré encore récemment comme un eldorado, M. Jacques Mistral s'est déclaré très pessimiste sur son avenir économique, compte tenu de la forte dépendance de ce pays aux matières premières.
Il a considéré que les succès économiques récents de la Russie étaient fondés sur le prix élevé du pétrole et sur son augmentation rapide et régulière, qui avait engendré des excédents importants, mais que cette situation s'était retournée brutalement avec la crise économique. Il a mentionné le risque que les difficultés économiques de la Russie aient des conséquences en matière de défense et de sécurité, ramenant les ambitions de ce pays à des niveaux compatibles avec ses moyens.
M. Jean François-Poncet a souhaité évoquer le problème du dollar. Il a estimé que le déficit budgétaire abyssal, le niveau d'endettement et le déficit de la balance commerciale des Etats-Unis devraient contribuer à affaiblir le cours du dollar. Il s'est inquiété d'une éventuelle chute rapide de ce cours et de ses conséquences, et il s'est enquis d'une possible réaction de l'Europe, et notamment de la Banque centrale européenne, face à une crise du dollar.
M. Jacques Mistral a déclaré partager l'analyse de M. Jean François-Poncet, tout en soulignant le caractère imprévisible de la variation du cours du dollar et la difficulté d'établir des pronostics.
Il a indiqué que la crise économique et financière avait introduit un facteur supplémentaire de fragilisation du dollar, en jetant un doute sur la fiabilité de la valeur des actifs américains.
Il a considéré que les fortes fluctuations du dollar sur le marché des taux de change ne tenaient pas seulement à des raisons conjoncturelles mais également à des facteurs structurels.
Il a fait référence aux inquiétudes, qu'il partage, exprimées récemment par le Premier ministre chinois au sujet de la politique économique des Etats-Unis, avec une succession de plans de relance et un déficit budgétaire de près de 1 500 milliards de dollars, et ce en dépit des déclarations rassurantes du secrétaire d'Etat au Trésor sur une sortie de crise relativement rapide.
Il a également estimé que la question de la notation des dettes souveraines serait une question centrale dans les prochaines années. A cet égard, il a rappelé qu'il y a quelques jours, une agence de notation avait mis sous surveillance négative l'économie du Royaume-Uni. Il a également mentionné la publication récente d'une étude d'une agence de notation selon laquelle la multiplication par deux ou trois du déficit budgétaire des Etats-Unis n'avait pas eu de conséquence sur son appréciation à l'égard de la politique suivie par le secrétaire au Trésor américain. Il a considéré que la publication d'une telle étude constituait par elle-même une indication puisque l'on peut penser que si la situation se dégradait davantage, le jugement de cette agence sur l'économie américaine pourrait changer. Il a estimé, à titre personnel, qu'il était probable qu'une agence de notation décide un jour de placer l'économie américaine sous surveillance négative.
Il a rappelé à cet égard que le krach boursier de 1987 avait été provoqué par une controverse entre le secrétaire d'Etat américain au Trésor et le ministre allemand des finances à propos de la politique monétaire des Etats-Unis.
Il a indiqué qu'il existait un certain scepticisme sur l'euro, véhiculé notamment par les milieux anglo-saxons, exprimé par exemple par le « Financial Times », lié à l'incapacité supposée de l'Union européenne et de l'euro à gérer les conséquences de la crise économique sur les pays d'Europe centrale et orientale. Il a estimé que ce point de vue était largement infondé, compte tenu du fait que les institutions européennes et internationales disposent de ressources suffisantes pour faire face aux conséquences de la crise en Europe centrale et orientale.
Il a rappelé que, en 2004, le rythme de la dépréciation du dollar avait été très rapide, de l'ordre d'un centime par jour, passant en trois semaines d'un taux de change de 1 euro pour 1,25 dollar à 1 euro pour 1,40 dollar, que seule la réaction de la Banque centrale européenne, dirigée par M. Jean-Claude Trichet, avait réussi à arrêter.
En évoquant ses entretiens aux Etats-Unis, il a indiqué que la faiblesse du cours du dollar n'était pas problématique aux yeux des responsables américains, qui y voyaient même un avantage.
Il a indiqué que, face à la dépréciation du dollar et au risque d'un retour à la pratique des dévaluations compétitives, une réaction de l'Union européenne était souhaitable mais qu'elle nécessitait non seulement l'accord des banques centrales européennes mais aussi un large consensus politique au niveau européen.
M. Jean-Pierre Chevènement s'est interrogé sur la capacité des Etats-Unis et du gouvernement américain à sortir de la crise économique actuelle. Il a fait valoir qu'il existait une alliance objective entre les grandes sociétés multinationales et la Chine, avec des délocalisations d'entreprises américaines et européennes en Chine et une « invasion » de produits chinois importés aux Etats-Unis et en Europe. Il a estimé que cette alliance était responsable de la désindustrialisation de l'ancien et du nouveau continent, qui se caractérisaient par des économies ouvertes face à des pays où les coûts de production sont très bas, ce qui a pu entraîner les difficultés actuelles de l'industrie automobile américaine. Il a fait référence aux théories développées par l'économiste Paul Kennedy sur la sur-expansion impériale. Enfin, il s'est demandé si la monnaie européenne pourrait résister à une forte dépréciation du dollar.
En réponse, M. Jacques Mistral a indiqué qu'il faisait partie des économistes qui ne croyaient pas que la mondialisation conduisait à l'effacement des Etats-Nations au profit des multinationales. Il a indiqué que, si de nombreuses sociétés américaines avaient délocalisé entièrement leur production en Chine, à l'image de « Wal-Mart » ou de « Fedex », les Etats avaient un rôle majeur à jouer pour « canaliser » les échanges économiques. Il a fait part de son expérience personnelle de directeur Asie du groupe des Assurances Axa pour faire remarquer que les autorités chinoises gardaient un contrôle national étroit sur l'économie, alors même que la Chine est un pays économiquement ouvert.
Il a estimé que les Etats-Unis disposaient de véritables avantages comparatifs qui expliquaient la capacité de ce pays à sortir de la crise économique, avec un vaste marché domestique, des institutions stables et surtout un exceptionnel esprit d'entreprise. Il a cité l'exemple du « capitalisme vert », en faisant valoir que si cela était perçu comme une contrainte en Europe, cette idée était au contraire vue comme une opportunité, une source de « business » et de profits outre-atlantique, notamment pour les entreprises ou les centres de recherches.
S'agissant de l'euro, il a considéré que, compte tenu des intérêts communs qui lient les pays de la zone euro, une réaction commune face à un choc extérieur serait nécessaire et il a estimé qu'une telle réaction ne pourrait venir que du couple franco-allemand.
M. Robert del Picchia a souhaité avoir des précisions au sujet des conséquences de la crise économique sur les pays émergents et les pays en développement.
En réponse, M. Jacques Mistral a estimé que, au sein des BRIC, l'Inde était dans une situation très particulière, ce pays n'ayant jamais été intégré totalement à la mondialisation dispose d'une capacité à suivre sa propre trajectoire.
Il s'est également déclaré plutôt optimiste sur les capacités de pays comme le Brésil ou la Corée du Sud à tirer profit de leurs atouts.
En revanche, il s'est montré très pessimiste sur la situation des pays en développement, notamment au regard de l'augmentation du prix des produits agricoles qu'il a comparée à une « bombe à retardement ». L'équilibre alimentaire mondial est en effet d'une grande précarité, celle-ci pouvant entraîner des conséquences humaines et sécuritaires tragiques.
Il a également indiqué qu'il considérait que, pour un pays, l'existence de matières premières sur son sol n'était pas nécessairement un atout, car elle entraînait souvent une « malédiction des ressources » et des risques de déstabilisation politique.
Interrogé par M. Robert Badinter au sujet du risque d'inflation ou de déflation, M. Jacques Mistral a répondu que, contrairement aux théories de Friedman, il ne croyait pas que l'inflation provienne exclusivement de la masse monétaire.
Il a estimé que, en matière de politique monétaire, la Banque centrale européenne avait été plus habile que la Réserve fédérale américaine, puisque si cette dernière avait choisi très tôt de baisser les taux d'intérêts pour alimenter sa politique monétaire, la première avait conservé ses marges de manoeuvre en la matière, étant assurée de toute manière de récupérer les liquidités émises de manière automatique.
M. Jacques Mistral a estimé qu'une relance de l'inflation était possible mais qu'elle n'apparaissait pas souhaitable.
Il a estimé qu'elle serait possible par une action coordonnée des gouvernements, des banques centrales, des entreprises et des syndicats, mais que la principale difficulté était de savoir si on pouvait arrêter ce mécanisme une fois enclenché et il a émis des doutes sur ce point.
Il a indiqué qu'une solution alternative, afin d'alléger le poids de la dette, serait d'instaurer un « moratoire », ce que Keynes appelait l'« euthanasie des rentiers ».
Il a toutefois jugé que le principal risque, aujourd'hui, restait la déflation. L'élément le plus inquiétant est la détérioration du marché du travail. Dans ce contexte nouveau, la flexibilité du marché, fonctionnant à la baisse, entraîne une forte hausse du chômage, une diminution des salaires, comme le montre, par exemple, la diminution récente des salaires des journalistes du « New York Times », et une baisse des prix.
A M. Josselin de Rohan, président, qui s'interrogeait sur le risque de protectionnisme, notamment de la part des Etats-Unis, M. Jacques Mistral a répondu que cette tentation existait, comme l'avait montré la forte réaction du Congrès américain à la tentative récente de rachat par une société chinoise d'une entreprise américaine ; bien que cette tentation ne semble pas partagée par l'administration actuelle, elle pourrait s'accentuer dans le contexte électoral pour la réélection du Congrès en 2010.
Il a rappelé que, s'il existait des exemples de réussites économiques temporaires fondées non pas sur l'ouverture des marchés mais sur des mesures protectionnistes, à l'image du développement industriel de l'Allemagne ou des Etats-Unis au XIXe siècle ou encore du Japon, le protectionnisme se caractérisait, selon la « théorie des jeux », par une logique « perdant-perdant » : l'histoire nous apprend que la création d'une barrière par un pays est immédiatement suivie par des mesures de rétorsion dans un autre pays et on aboutit, au bout du compte, à une spirale de régression puis d'assèchement des échanges de richesses.
M. Jean-Pierre Chevènement a contesté l'idée selon laquelle le protectionnisme serait à l'origine de la guerre en rappelant que Paul Bairoch avait montré que le développement économique des Etats-Unis, de l'Allemagne ou du Japon s'était réalisé grâce à des mesures protectionnistes, l'ouverture des marchés étant un phénomène assez récent dans l'histoire économique. Il s'est demandé si une concurrence équitable, fondée sur l'équivalence des coûts de production, ne serait pas souhaitable.
Tout en reconnaissant le rôle joué par le protectionnisme dans le développement de certains pays, comme le Japon ou la Corée du Sud, M. Jacques Mistral a rappelé qu'une telle idée, dans l'Europe d'aujourd'hui, supposerait un large accord au niveau européen, en particulier entre la France et l'Allemagne, ce qui, pour l'instant, ne semblait pas être le cas.
Conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense - Audition de M. Charles Edelstenne, président de Dassault Aviation et président du Groupement des Industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS)
La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Charles Edelstenne, président de Dassault Aviation et président du Groupement des Industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), sur les conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense.
M. Josselin de Rohan, président, a interrogé M. Charles Edelstenne, président-directeur général de Dassault Aviation, sur l'impact du ralentissement considérable de la croissance mondiale et, en particulier, européenne, sur l'industrie française de défense, à travers la baisse des exportations ou la diminution des commandes nationales. Il a précisé que cette évolution n'est pas certaine, puisque la défense peut également jouer au niveau national, comme au niveau international, un rôle contracyclique et a souhaité recueillir les analyses de M. Charles Edelstenne sur ces évolutions.
M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que, dans la présentation du bilan pour 2008 de l'industrie aéronautique, spatiale, d'électronique de défense et de sécurité française faite le 2 avril dernier, M. Charles Edelstenne avait constaté que, depuis l'été 2008, la crise financière, puis la crise économique, avaient bouleversé la situation antérieure, et il a souligné que sa prolongation accentuerait les risques de défection de clients, qui ne seraient plus en mesure de transformer leurs commandes en livraisons ; le niveau élevé des carnets de commandes ne garantissait donc plus l'activité du secteur. Il a également remarqué que M. Charles Edelstenne avait estimé que « les fondamentaux de l'industrie du transport aérien étaient bons et que le besoin redécollerait avec la croissance mondiale ».
M. Josselin de Rohan, président, a donc souhaité que cette analyse soit précisée et que soit indiquée la nature des attentes envers l'Etat pour soutenir une industrie vitale pour la sécurité du pays, en particulier face aux risques de défaillance de sociétés, notamment dans les entreprises de sous-traitance.
M. Charles Edelstenne a tout d'abord précisé qu'il s'était exprimé le 2 avril dernier en tant que président du GIFAS et que c'était aujourd'hui en qualité de président de Dassault Aviation qu'il le faisait. Il a indiqué que la crise économique avait commencé à faire sentir ses effets durant le dernier trimestre 2008, et s'était fortement accrue durant le premier trimestre 2009 pour aboutir aujourd'hui à un marché « plat », marqué par un faible nombre de clients tant pour les avions neufs que d'occasion, de faibles commandes, des résiliations de commandes à la hauteur de vingt-sept appareils à la fin du premier trimestre 2009, et, enfin, des reports de commandes. Il a souligné que la reprise se marquerait d'abord par les ventes d'avions d'occasion car les futurs clients d'avions neufs veulent d'abord pouvoir vendre leurs appareils plus anciens. Si la crise s'estompe, l'existence d'un carnet de commandes de plus de 480 Falcon, passées à la fin 2008, constitue un facteur d'amortissement et garantit le plan de charges, à condition que la crise ne dure pas trop longtemps.
Il a déploré que ces difficultés économiques surviennent alors que le marché aéronautique bénéficiait d'une forte demande, qui avait conduit au triplement des cadences de fabrication. L'arrêt brutal des commandes, alors que le cycle de production est d'environ vingt-quatre mois dans l'aéronautique, se traduit par un blocage de cette production puisque les usines d'amont anticipent de deux ans les demandes. Il a fait état des quelque 20 000 licenciements intervenus dans les sociétés aéronautiques américaines, et a décrit les mesures décidées par sa société pour faire face à cette soudaine baisse d'activité : les salariés ont été incités à utiliser de façon anticipée leurs RTT, et trois jours et demi de chômage partiel en moyenne par mois ont été décidés à la rentrée 2009. Les embauches ont été bloquées, les intérimaires renvoyés, les salaires des cadres supérieurs gelés, les frais généraux réduits, et le dividende versé aux actionnaires diminué de moitié. Dassault Aviation s'efforce, dans le même temps, de maintenir les investissements affectés à la recherche et au développement, et de soutenir les entreprises sous-traitantes, qui bénéficient par ailleurs de mesures étatiques comme le report de certaines charges. Ces entreprises constituent en effet le maillage industriel sur lequel s'appuiera la reprise lorsqu'elle se fera sentir.
M. Charles Edelstenne a rappelé que Dassault Aviation consacrait près des trois-quarts de ses activités à l'aéronautique civile et un quart à l'aéronautique militaire.
Evoquant ce dernier secteur, il a rappelé que 92 Rafale devaient être initialement produits entre 2009 et 2014, mais que le projet de loi de programmation militaire (LPM) couvrant cette période avait réduit ce nombre à 52 pour le marché national, si des exportations étaient prévues, et à 69 s'il en constituait le seul débouché. Il a constaté que cette fourchette conduirait à une production annuelle variant de six à onze Rafale, soit un niveau très faible. Il s'est donc félicité que le plan de relance du Gouvernement français prévoie la production, anticipée sur la future LPM, de deux Rafale, la transformation de deux Falcon 50 de l'ETEC (Escadron de transport, d'entraînement et de calibration) en avions de surveillance maritime, la qualification du centre de simulation à la conduite du Rafale, de façon anticipée, au standard F3, l'élaboration d'un PEA (plan d'études amont) consacré à l'aérodynamique active, et une accélération du renouvellement des pièces de rechange, qui constitue un bon soutien aux PME du secteur.
Abordant les perspectives d'exportation du Rafale, fondamentales pour Dassault Aviation, il a rappelé que des discussions portant sur la livraison de 60 avions étaient en cours avec les Emirats Arabes Unis, et que le Rafale était en compétition pour des marchés en Libye, en Grèce, en Suisse et au Brésil, avec l'appui très efficace de l'Etat, notamment du Président de la République. Il a précisé que Dassault Aviation prospectait également le Koweit, le Qatar, Oman et Bahreïn. Il a également évoqué les tractations en cours en Inde, soulignant la longueur des processus de décision dans ce pays.
Puis un débat s'est ouvert au sein de la commission.
M. Josselin de Rohan, président, a souhaité savoir si les transferts de technologie exigés par un certain nombre de pays, comme le Brésil, en cas d'achat du Rafale, ne seraient pas à terme nuisibles aux intérêts de Dassault Aviation, car pouvant conduire à la fabrication d'avions de combat concurrents.
En réponse, M. Charles Edelstenne a précisé que :
- le Brésil a, construit une industrie aéronautique efficace dans le domaine civil, il cherche à renforcer ses compétences nationales dans le domaine militaire et la France et ses industriels se sont engagés à l'aider ;
- on peut estimer que, à l'heure actuelle, seuls trois pays, les Etats-Unis d'Amérique, la Russie et la France, sont en mesure de fabriquer un avion de combat de cinquième génération.
M. Didier Boulaud s'est étonné de l'absence de mention du GRIPEN suédois dans les propos de M. Charles Edelstenne.
M. Jean-Pierre Chevènement a souhaité savoir où en était le programme américain JSF (Joint Strike Fighter).
Mme Joëlle Garriaud-Maylam a mentionné le besoin notoire qu'avait la Mauritanie d'avions de surveillance maritime, a souhaité savoir si la société Dassault était en discussion avec ce pays pour lui en fournir.
En réponse, M. Charles Edelstenne a précisé que :
- le GRIPEN est effectivement en concurrence à l'exportation avec le Rafale, mais son moteur, ses commandes de vol et son radar sont fabriqués sous licence américaine : on ne peut donc considérer qu'il s'agisse d'une fabrication purement suédoise. Sa société productrice a livré tous ses avions militaires, et n'a que des activités civiles restreintes. Elle a donc un besoin vital de succès à l'exportation. La Suède s'est jointe au programme NEURON, prévoyant la réalisation conjointe, par six pays européens, d'un démonstrateur de drone armé, pour l'instant sans finalité opérationnelle, ce qui souligne le besoin suédois de s'associer pour conserver une activité aéronautique militaire et c'est une bonne chose qu'elle ait rejoint avec son savoir-faire le projet NEURON ;
- le JSF est un programme lancé il y a une dizaine d'années en réponse à un rapport de prospective remis au Pentagone, qui soulignait le caractère intenable de la croissance continue des coûts des avions de combat, à l'horizon 2050. Le JSF visait donc à équiper l'armée de l'air, la marine et le corps des Marines américains de 2 800 avions à coût réduit. Durant les cinq dernières années, ce coût a crû de près de 50 % et les autorités américaines ont déjà réduit le nombre d'avions commandés de plus de 400. Les Etats-Unis ont fait financer les coûts de recherche et de développement de ce programme à hauteur de 5 milliards d'euros, par les pays européens partenaires, et ce programme devrait aboutir à son terme sans concession majeur des Etats-Unis envers ces derniers en termes de transferts de technologies. Aujourd'hui, au stade du prototype, cet avion accuse deux à trois ans de retard, ses premières livraisons étant prévues vers 2014 aux Etats-Unis, et ultérieurement en Europe ;
- la Mauritanie n'a formulé aucune demande en matière d'avion de surveillance maritime. Le marché constitué par ces avions est très étroit, en dépit d'indéniables besoins.
M. Jean-Louis Carrère a souhaité connaître la nature des soutiens apportés par Dassault, en matière de recherche et de développement, aux entreprises sous-traitantes présentes en Aquitaine.
M. Charles Edelstenne a souligné que Dassault s'efforçait de maintenir ce tissu industriel en achetant la production des sous-traitants, même si ses besoins n'étaient pas immédiats. Cela conduit à la constitution de stocks, et donc à une charge financière pour sa société, mais l'objectif est de maintenir les compétences jusqu'à la reprise économique.
M. André Vantomme a estimé que les missiles balistiques, par leur prolifération, pouvaient constituer une sorte « d'aviation du pauvre » qui pourrait nuire à la pérennité des compétences aéronautiques militaires.
M. Charles Edelstenne a fait valoir que le développement du nombre de ces missiles depuis une dizaine d'années n'avait pas d'effet marqué sur les besoins en matière d'avions de combat. L'utilisation particulière qui en est faite n'est en effet pas de nature à constituer une menace frontale pour ces avions. En revanche, la mise au point de drones de reconnaissance, pouvant surveiller une zone pendant 24 heures ou plus, ou de drones de combat, constitue une substitution possible aux avions pilotés dans certaines circonstances opérationnelles, car ils peuvent être utilisés au-dessus de zones très dangereuses, que ce soit pour les surveiller ou les attaquer, supprimant le risque de capture des pilotes.
M. Robert del Picchia a souhaité connaître les conséquences de l'érosion du dollar par rapport à l'euro sur les industries européennes.
M. Charles Edelstenne a précisé que Dassault Aviation envisageait, avant la crise, une délocalisation partielle de ses fabrications pour équilibrer ses coûts globaux, pour mieux maintenir l'activité des usines françaises. Aujourd'hui, le maintien de la production française constitue la priorité. Cependant, avec un taux moyen d'1,4 dollar pour un euro, l'aéronautique tant civile que militaire européenne est handicapée vis-à-vis de la production américaine. Ainsi, le dernier coût unitaire prévu pour le JSF est de 90 millions de dollars, à comparer aux 90 millions d'euros que coûte un Rafale.
M. Josselin de Rohan, président, a évoqué la possibilité pour les industriels américains de la défense de compenser la baisse annoncée du budget de la défense par une politique très agressive sur les prix à l'exportation.
M. Charles Edelstenne a récusé une telle perspective faisant valoir la marge d'environ 15 % que le Gouvernement américain s'efforçait de maintenir en faveur de ses industries aéronautiques militaires pour leur permettre de réaliser du profit et qu'il ne semblait pas d'actualité de remettre en cause.
M. Jacques Gautier a évoqué l'évolution souhaitée par les clients que les appareils proposés à l'exportation soient rehaussés notamment quant à certains de leurs équipements.
M. Charles Edelstenne a fait valoir que de multiples potentialités pouvaient être développées sur le Rafale qui ne l'ont pas été pour l'instant du fait des contraintes budgétaires mais pour lesquelles Dassault possède pleinement la compétence requise.
M. Jacques Berthou a souhaité connaître les points sur lesquels la technologie pouvait être améliorée.
M. Charles Edelstenne a précisé que la miniaturisation conjuguée à l'évolution des logiciels constituait un potentiel de progression considérable.
M. Jean-Louis Carrère, citant son expérience en Afghanistan en 2008, s'est étonné que le Rafale ne soit pas doté d'une nacelle de désignation laser lui garantissant des frappes autonomes. Il a par ailleurs souhaité savoir si le plan de relance gouvernemental avait ou non orienté l'évolution de Dassault Aviation vers les productions civiles.
M. Charles Edelstenne a précisé que le Rafale n'avait pas été doté des armements guidés par laser du fait d'une contrainte budgétaire française, mais qu'un financement adapté permettrait d'y remédier facilement. Sa société est parfaitement duale, ce qui lui permet de répondre immédiatement à la demande en matière d'aéronautique, qu'elle soit civile ou militaire.
Puis, M. Josselin de Rohan, président, a souhaité voir retracer par M. Charles Edelstenne les circonstances dans lesquelles la société Dassault Aviation avait été amenée à acquérir 26,5 % du capital de Thalès, dont le chiffre d'affaires est trois fois supérieur au sien. Il s'est interrogé sur les synergies que ce rapprochement pouvait permettre, ainsi que sur le maintien des capacités de Thalès à travailler pour d'autres sociétés que Dassault.
En réponse, M. Charles Edelstenne a précisé que :
- lorsqu'est apparue sur le marché l'opportunité d'acheter une partie du capital de Thalès, recouvrant de surcroît une ancienne capacité de Dassault en matière d'électronique, comme les radars, les contremesures et les calculateurs embarqués, dans lesquels Dassault avait accumulé une trentaine d'années d'expérience, la décision d'achat s'était vite imposée ;
- les composants de Thalès représentant environ 25 % de la composition des avions vendus par Dassault Aviation, cette prise de participation est un atout à l'exportation. Le groupe Dassault comporte également Dassault Systèmes qui participera également à définir les outils informatiques du futur. Avec cette prise de participation la France pose les bases d'un grand ensemble européen dans les hautes technologies analogue à ceux qui existent en Suède, en Italie ou au Royaume-Uni ;
- Dassault, en rachetant le capital vendu par Alcatel, se trouve dans le cadre d'un pacte d'actionnaires avec l'Etat. Cet achat lui confère donc une capacité d'influence à la hauteur de ses compétences, l'Etat ayant fait porter son choix sur un partenaire industriel. Sa priorité porte sur l'établissement d'un inventaire des différentes activités de Thalès, pour proposer des modifications éventuelles si nécessaire ;
- l'Etat garde son rôle d'arbitre en matière de concurrence, du fait du caractère stratégique des compétences de Thalès.
M. Josselin de Rohan, président, a souhaité savoir si un partenariat était envisagé avec DCNS.
M. Robert del Picchia s'est interrogé sur l'apport qu'un tel achat constituait pour Thalès.
En réponse, M. Charles Edelstenne a précisé que :
- le partenariat évoqué devait être expertisé ; le nouveau président devra présenter sa stratégie au conseil d'administration ;
- la participation prise par Dassault, groupe industriel solide, apporte une stabilité et des moyens à l'actionnariat de Thalès.
Jeudi 28 mai 2009
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes
La commission a procédé à l'audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.
Accueillant M. Bernard Kouchner, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que la commission souhaitait recueillir ses analyses sur la Corée du Nord, l'évolution de la situation au Proche-Orient à la suite du changement de la position américaine et le Pakistan.
M. Bernard Kouchner a souligné que l'essai nucléaire nord-coréen avait suscité une rupture de l'équilibre et un regain de tensions dans la région. Dans ce dossier, la France a travaillé à l'adoption d'une résolution plus contraignante du Conseil de sécurité des Nations unies et recherché à cette fin un changement d'attitude de la Chine. S'interrogeant sur les objectifs du président nord-coréen, il a estimé que cet essai était davantage à usage de politique intérieure que de politique étrangère.
Mme Gisèle Gautier s'est interrogée sur les objectifs poursuivis par le régime nord-coréen et sur l'efficacité d'une nouvelle résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle a souhaité connaître l'analyse du ministre sur la décision de la Corée du Sud d'adhérer à l'initiative de sécurité contre la prolifération (PSI).
M. Bernard Kouchner a considéré que cette adhésion à un dispositif défensif regroupant près de cent Etats était une réaction naturelle. Il était bien plus provocateur de nier l'existence d'une ligne d'armistice ou de cet armistice lui-même. Dans cette situation, il a souligné la nécessité de renforcer le multilatéralisme. Même si la puissance de l'essai était limitée, elle doit susciter l'inquiétude. Il a exprimé sa conviction que le dictateur nord-coréen ne recherchait que la réaffirmation de son propre pouvoir, au mépris des conditions de vie du peuple nord-coréen.
M. Christian Cambon, observant que les sanctions suscitaient, à l'exemple de ce qui se passe en Iran et dans la bande de Gaza, un raidissement des autorités et une dégradation des conditions de vie des populations, a souhaité que les sanctions puissent distinguer le peuple de ses dirigeants.
M. Bernard Kouchner a rappelé qu'il avait été très longtemps hostile aux sanctions qui affectent les populations tout en soulignant que ces sanctions permettaient, le plus souvent, de repousser la perspective d'une guerre. Il a indiqué qu'il était possible d'adopter des sanctions ciblées et que, dans le dossier nord-coréen, la Chine serait la clé pour y parvenir.
M. Josselin de Rohan, président, a interrogé le ministre sur l'évolution de la situation en Palestine.
M. Bernard Kouchner a souligné le caractère très dégradé de la situation sur le terrain mais aussi les signaux encourageants issus de récents contacts avec les Egyptiens. Du côté israélien, il semble que la fermeté du Président américain Obama ait porté ses fruits. Le report de la visite à Paris du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s'explique par l'évolution de la situation intérieure israélienne.
Il a indiqué que le discours du président américain, prévu le 4 juin au Caire ne porterait pas sur le processus de paix, mais sur les relations entre les Etats-Unis d'Amérique et le monde musulman.
Dans un contexte où tout donne le sentiment que personne ne croit à l'Etat palestinien, la stratégie est de demander le gel de la colonisation en attendant la reprise des négociations. Le premier danger pour Israël serait de ne pas permettre la constitution d'un Etat palestinien. Après son discours du Caire, le président américain devrait déterminer une position très ferme et les premières déclarations de l'administration américaine sur la colonisation ont été très claires.
Le conseil de la France dans ce dossier a été de ne pas imposer une feuille de route trop stricte et de soutenir la mise en oeuvre du texte proposé par le parti travailliste sur l'évacuation des colonies et l'indemnisation. Alors que l'environnement est en train de changer, il faut impliquer les Etats membres de l'Union européenne et ne pas se contenter d'attendre la levée du blocus de Gaza.
M. Bernard Kouchner a estimé que, dans la région, la ligne de partage décisive, beaucoup plus profonde que les rivalités nationales, était l'opposition entre sunnisme et chiisme.
Les élections libanaises détermineront peut-être une position nouvelle, l'ambassadeur syrien a récemment gagné le Liban, ce qui constitue un progrès important. Mais rien ne pourra progresser dans la région, sans la constitution d'un Etat palestinien, qui ne peut se faire qu'avec le Président Mahmoud Abbas en l'absence d'autres interlocuteurs. Les positions israéliennes devront certainement évoluer.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'est interrogée sur la cohérence entre les positions prises par le ministre sur la colonisation et l'Etat palestinien et l'engagement de la France en faveur du processus de rehaussement de la relation entre l'Union européenne et Israël. Alors que le Gouvernement israélien affiche clairement son opposition à la solution des deux Etats et au processus de paix, le moment est certainement venu pour la France de clarifier ses positions et de faire savoir si elle continue à soutenir le processus de rehaussement en le dissociant de l'attitude des Israéliens dans le processus de paix et en se privant ainsi d'un levier important.
M. Bernard Kouchner a rappelé que le rehaussement des relations entre l'Union européenne et Israël devait se situer dans le cadre du processus de paix et qu'une proposition identique avait été faite aux Palestiniens qui l'ont acceptée. En l'absence d'accord du Parlement européen sur l'accès d'Israël aux programmes communautaires, ce processus se borne à l'organisation de réunions politiques. S'il n'y a plus de processus de paix, le rehaussement sera réexaminé. Aucune décision n'a au demeurant été prise pour le moment. Un conseil d'association Union européenne-Israël se tiendra à la suite du conseil affaires générales-relations extérieures du 15 juin 2009. M. Bernard Kouchner a estimé que, si le rehaussement avait pu constituer un moyen de pression positif, son interruption ne représenterait pas un moyen de pression considérable. Il semblait préférable de s'impliquer dans la construction et l'existence d'un Etat palestinien.
M. Jean François-Poncet a souligné que le développement des colonies de peuplement israéliennes en territoire palestinien conduisait à s'interroger sur la possibilité d'y établir un Etat. Devant cette situation, il a estimé que l'hypothèse selon laquelle le démantèlement des colonies devait être un préalable à la constitution d'un Etat pourrait laisser place à une séquence qui verrait le tracé des frontières placer ces colonies sous souveraineté palestinienne.
M. Bernard Kouchner n'a pas jugé cette solution satisfaisante. Il a estimé que le Premier ministre israélien devrait certainement modifier la position sur laquelle il avait été élu. En toute hypothèse, la proportion des territoires échangée devrait rester faible. La visite de M. Ehoud Barak aux Etats-Unis devrait contribuer à éclaircir la situation. Les meilleurs interlocuteurs du côté palestinien restent MM. Mahmoud Abbas et Salam Fayyad, même s'ils sont affaiblis par la politique du Gouvernement israélien.
M. Josselin de Rohan, président, a réaffirmé que le moment de vérité était venu dans ce dossier. D'un côté, la nouvelle administration américaine a mis un terme à sa politique de soutien inconditionnel à Israël et s'engage en faveur de la création d'un Etat palestinien, tandis que, de l'autre côté, le Premier ministre israélien prend des positions très raides. Entre l'administration américaine, qui a les moyens de se faire entendre, et le Gouvernement israélien, qui reste figé, on devrait assister à une confrontation.
M. Bernard Kouchner a exprimé sa conviction que l'Etat palestinien était le principal garant de la sécurité d'Israël.
M. Pierre Mauroy a considéré que le régime nord-coréen méritait des sanctions. Il a invité le ministre à la fermeté face à Israël qui manifeste son indifférence face aux positions françaises et européennes. Face à une politique israélienne détestable et à un changement de l'administration américaine qui a pris des positions courageuses, il est nécessaire de s'exprimer clairement.
M. Bernard Kouchner a estimé qu'il fallait soutenir en Israël les forces qui croient dans la paix.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a considéré que le message des autorités françaises devait être plus clair et que, si l'on en croyait certains articles de presse, le soutien à la création d'un Etat palestinien pourrait être plus ferme.
M. Bernard Kouchner a réaffirmé que la position constante du ministère des affaires étrangères et européennes était bien le soutien à la création de cet Etat.
M. Josselin de Rohan, président, a considéré que le ministre avait clarifié la position française et qu'il était regrettable que, dans ce dossier, l'Europe ne soit pas en mesure de parler d'une seule voix.
M. Jacques Blanc a souhaité savoir dans quelle mesure le conflit israélo-palestinien affectait le processus d'Union pour la Méditerranée.
M. Bernard Kouchner a indiqué que la situation politique n'était pas favorable au processus d'Union pour la Méditerranée, mais que les efforts de la diplomatie française et les rencontres techniques se poursuivaient, une réunion étant prévue à Paris le 25 juin 2009 sur les questions d'environnement.
M. Josselin de Rohan, président, a ensuite interrogé le ministre des affaires étrangères et européennes sur l'évolution de la situation au Pakistan et en Afghanistan.
M. Bernard Kouchner a salué la détermination des autorités pakistanaises à combattre les taliban et à les repousser des régions du pays récemment passées sous leur contrôle. Il a évoqué les opérations en cours dans la vallée de Swat et la perspective d'une reprise prochaine, par l'armée pakistanaise, de la ville de Mingora qui en est la capitale. Il a souligné la nécessité de venir en aide aux personnes déplacées, au nombre de 2 400 000, tout en observant qu'il ne s'agissait pas à proprement parler de réfugiés aux termes du droit international. Il a également observé que, en dépit de cette situation humanitaire difficile, l'opération militaire actuelle semblait plutôt bien comprise par la population pakistanaise. Il a insisté sur le nécessaire soutien au Président Zardari.
M. Bernard Kouchner a estimé qu'il était essentiel d'obtenir l'appui des populations dans la lutte contre les taliban. À cet égard, le mode d'action des forces françaises engagées en Afghanistan auxquelles il venait de rendre visite lui a paru exemplaire. Il a également souligné l'impact très important, aux yeux des populations, des améliorations concrètes que pouvaient apporter les projets d'assistance en matière d'éducation, de santé ou d'agriculture, ces projets devant, autant que faire se peut, être pris en charge par des responsables locaux.
Enfin, il a considéré que le bon déroulement du processus électoral du mois d'août 2009 serait un facteur crucial pour la réussite de l'engagement international en Afghanistan.
M. Jacques Gautier a fait état des réticences de certaines organisations non gouvernementales (ONG) à voir les forces internationales s'engager sur le terrain humanitaire.
M. Bernard Kouchner a répondu qu'un clivage existait de longue date à ce sujet parmi les ONG. Il a néanmoins estimé que l'intérêt des actions civilo-militaires était aujourd'hui beaucoup plus largement reconnu par les ONG et que les militaires ne devaient aucunement être exclus du champ humanitaire, même s'ils ne peuvent bien entendu en avoir l'exclusivité.