Mercredi 8 avril 2009
- Présidence de M. Nicolas About, sénateur, vice-président -Présentation de l'étude scientifique réalisée par le centre national de l'expertise hospitalière sur la prise en charge psychiatrique en France
L'office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, réuni à l'Assemblée nationale sous la présidence de M. Nicolas About, sénateur, vice-président, a tout d'abord entendu la présentation de l'étude scientifique conduite par le centre national de l'expertise hospitalière (CNEH).
M. Gilles Poutout, directeur délégué du centre national de l'expertise hospitalière (CNEH), a fait valoir que l'on parle aujourd'hui plus de santé mentale que de psychiatrie au niveau international. L'organisation mondiale de la santé (OMS) a choisi cette terminologie dans un rapport de 2001 qui fait de la psychiatrie un sous-ensemble de la santé mentale afin de privilégier les alternatives à l'enfermement et les soins de premier recours. Un livre vert de l'Union européenne a indiqué, en 2005, que la première cause de morbidité en Europe en 2020 serait la dépression. Le plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008 a pris en compte ces rapports et cherché à décloisonner les soins. D'autres plans se combinent avec ce plan, notamment sur la maladie d'Alzheimer et sur l'autisme.
Pour ce qui concerne la prévalence des troubles psychiatriques en France, la schizophrénie toucherait 635 000 personnes, ce qui placerait le pays dans la moyenne, le Canada étant le pays le moins atteint et la Finlande le plus touché. 26 000 jeunes de quinze à vingt-cinq ans seraient concernés. On estime à 3 000 le nombre de suicides de schizophrènes par an et un tiers des malades sont placés en institution. La dépression affecterait cinq millions de personnes et serait la première cause de suicide, soit six mille à sept mille cas par an. On estime à 44 % le nombre de dépressifs qui n'ont pas accès aux soins. Les troubles bipolaires toucheraient 750 000 personnes, avec des conséquences en matière de désocialisation et d'abus de substance. Enfin, 6 % des personnes auraient été victimes d'un épisode de troubles anxieux. L'abus d'alcool - la France est au troisième rang mondial pour la consommation, derrière le Luxembourg et l'Islande - est particulièrement préoccupant, surtout chez les jeunes, la consommation de drogues étant relativement stable - une centaine de morts par an - tout en se « démocratisant ».
S'agissant des populations les plus fragiles, on compte 650 000 handicapés mentaux en France, dont près de 10 % sont pris en charge à temps plein. La démence touche 860 000 personnes et pourrait en concerner 2,1 millions en 2040 avec l'allongement de la vie. Au-delà de l'âge de quatre-vingt-cinq ans, 15 % de la population seraient touchés par la maladie d'Alzheimer. Les adolescents sont une population particulièrement à risque : on constate parmi eux 40 000 tentatives de suicides par an et une prévalence plus forte des troubles du comportement alimentaire. Par ailleurs, on dénombre 350 000 à 600 000 autistes - trois ou quatre garçons pour une fille - tandis que 25 % des détenus présenteraient des troubles mentaux et 80 % auraient souffert d'un trouble psychiatrique pendant leur détention. Enfin, il ne faut pas négliger les nombreuses pathologies émergentes, dont les cyberaddictions, et rappeler que 8 % de la population française a fait une tentative de suicide au cours de sa vie.
Du côté de l'offre de soins, il existe 817 secteurs en psychiatrie générale publique en 2003, et un peu moins de 130 000 lits et places dont la majorité se trouve dans le secteur public. Ils prennent en charge 1,2 million de personnes par an. On relève que 25 % des lits sont occupés par des patients dont le séjour est supérieur à un an. On compte près de 2 000 centres médico-psychologiques en France ; pivots de la prise en charge, ils sont toutefois très inégaux en moyens et en accessibilité. Le secteur privé, composé de 160 cliniques, assure le suivi des pathologies moins lourdes. Au total, près de 80 % des patients sont pris en charge en soins ambulatoires.
Il y a près de 14 000 psychiatres en France dont un peu moins de la moitié exerce à titre libéral. Leur répartition territoriale est très inégale : elle va de 1,8 psychiatre pour 100 000 habitants dans le Pas-de-Calais à 59 pour 100 000 à Paris. L'articulation avec les médecins généralistes est mal assurée : 50 % seulement des prescriptions en psychiatrie faites par les médecins généralistes sont estimées être adaptées aux besoins ; ce sont pourtant eux qui, souvent, jouissent plus spontanément de la confiance des patients en matière de soins psychiatriques.
En termes de coût des pathologies mentales, la dépression occuperait, selon l'OMS, la troisième place au monde en nombre d'années de vie perdues, avant l'alcool et la maladie d'Alzheimer ; toutes ces maladies se placent, de ce point de vue, avant le cancer du poumon mais 30 % à 40 % des patients ne sont pas diagnostiqués.
Le coût direct médical des pathologies est d'au moins 26 milliards d'euros et on estime que ce chiffre représente 36 % des dépenses totales liées à la maladie mentale ; 15 milliards d'euros sont consacrés chaque année au financement des soins psychiatriques.
Il est particulièrement difficile d'évaluer le coût des soins psychiatriques car l'idée d'une tarification à l'activité psychiatrique a été abandonnée. On envisage désormais d'adopter une validation des activités en psychiatrie.
S'agissant de l'usage des médicaments psychotropes, le phénomène, très français, de surconsommation a été étudié dans un rapport récent de l'Opeps qui a dénoncé le morcellement de l'action des acteurs publics en ce domaine. La recherche est également très dispersée et se fait essentiellement en CHU.
En conclusion, M. Gilles Poutout a souligné l'intérêt de plusieurs propositions du rapport remis par Edouard Couty à la ministre de la santé et a présenté douze propositions tendant à favoriser le diagnostic précoce et l'information sur la base de données épidémiologiques validées, à mobiliser les acteurs, notamment par la nomination d'un délégué interministériel et la tenue d'états généraux, et à améliorer la formation en matière de psychiatrie.
M. Alain Milon, sénateur, rapporteur, a considéré que le rapport, essentiellement descriptif, permettait de réduire l'ampleur des incertitudes dans un domaine où les enjeux financiers sont considérables. Il a souhaité connaître les conséquences de la suppression des infirmiers en psychiatrie sur la qualité des soins dispensés et l'importance que peut avoir le développement des réseaux pour la prise en charge des patients. Il a demandé aux experts leur opinion sur les préconisations du rapport d'Edouard Couty. Il s'est interrogé sur l'absence de campagne d'information conduite par l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) en matière de santé mentale depuis celle, contestée, de 2007 sur la dépression. Il s'est enfin enquis des moyens d'assurer une meilleure coordination entre médecins généralistes et psychiatres.
M. Guy Gozlan, psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne et responsable du réseau Prépsy, a fait valoir que les patients ne semblent pas être moins bien soignés depuis qu'ils le sont par des infirmiers ayant reçu une formation généraliste qui permet la prise en charge des comorbidités et des pathologies associées aux troubles mentaux. Il est néanmoins important d'assurer la transmission du corpus de savoir spécialisé concernant les soins infirmiers en psychiatrie, sans doute après le tronc commun d'enseignement.
Concernant la campagne d'information organisée par l'Inpes sur la dépression chez l'adulte, la contestation est moins venue des spécialistes que de différents groupes d'influence. Il est regrettable que leur action ait pu freiner le développement de l'information du public en matière de psychiatrie.
Les médecins généralistes effectuent la moitié des diagnostics des troubles psychiatriques. Mais il ne s'agit que de la partie émergée de l'iceberg : sur dix cas de dépression, on estime que seuls deux seront identifiés puis traités de manière efficace. Il est important de procéder à une déstigmatisation des troubles psychiatriques afin de favoriser l'accès au traitement. On pourra dès lors espérer que des traitements avec des hospitalisations de courte durée pourront être mis en place, puis un suivi organisé qui ne sera pas nécessairement assuré par un psychiatre.
M. Gilles Poutout a précisé qu'il paraît nécessaire de compléter la formation des infirmiers diplômés d'Etat par la possibilité d'une spécialisation dans les soins psychiatriques, mais pas de substituer une formation à une autre. La délégation des tâches aux infirmiers doit également être développée.
Le rapport d'Edouard Couty a pour axe central l'intégration de la santé mentale dans la santé publique et le décloisonnement de la psychiatrie et des différents types de soins conformément aux préconisations des organisations internationales et européennes et à l'évolution de la recherche.
Il est particulièrement difficile de savoir combien de réseaux sont actuellement organisés dans le domaine de la psychiatrie. On peut en dénombrer quatre-vingts disséminés sous seize identifications différentes et sans possibilité d'avoir des informations sur de nombreuses régions françaises et sur l'outre-mer. C'est face à cette incertitude que le rapport Couty a préconisé d'imposer la création de groupements locaux pour la santé mentale. De nombreuses critiques ont été adressées à cette idée mais les contre-propositions manquent de caractère opérationnel.
D'importants réseaux existent déjà en matière de santé mentale, notamment le réseau Prépsy à Paris et le réseau santé mentale Yvelines-Sud, qui pourraient servir d'exemple.
Il est essentiel de continuer à parler des troubles mentaux pour parvenir à la déstigmatisation de la maladie et à l'information des populations. L'exemple du cancer est illustratif puisqu'il a fallu vingt ans pour parvenir à généraliser le dépistage du cancer du sein.
M. Guy Gozlan a expliqué que le réseau Prépsy dont il a la charge est plus précisément destiné à favoriser le dépistage précoce de la maladie mentale chez les jeunes de quinze à vingt-cinq ans. Il agit comme interface entre l'hôpital, la médecine générale et l'ensemble des acteurs, y compris les familles et l'éducation nationale. Il faut savoir que le système est extrêmement complexe et qu'il est très difficile de trouver rapidement la personne susceptible de prendre en charge le traitement d'un trouble psychiatrique chez un jeune. Prépsy a pour mission de recenser et d'orienter les malades et leurs proches dans une offre de soins qui est particulièrement dispersée. Il est regrettable que ce type de réseau n'existe pas sur l'ensemble du territoire.
D'une façon générale, les réseaux peuvent constituer une réponse, partielle, à la désertification médicale ou au problème d'implantation des centres experts.
M. Gilbert Barbier, sénateur, a regretté qu'une place plus importante n'ait pas été faite dans l'étude scientifique à la gérontopsychiatrie. Il a souhaité savoir comment peut être évalué le rôle des psychothérapeutes, notamment leur impact en matière de santé publique et en matière économique, et connaître les réflexions en cours sur les « ordonnances vertes » connues dans certains pays.
M. Philippe Cléry-Melin, membre du conseil d'experts de l'Opeps, a insisté sur le rôle des infirmiers en psychiatrie, qui sont porteurs d'un savoir-faire technique qui n'a pas trouvé de relais dans la formation des infirmiers diplômés d'Etat. Par ailleurs, les infirmiers en psychiatrie n'ont pas de reconnaissance à l'heure actuelle au niveau européen. L'absence de formation ne suscite pas de vocation chez les jeunes infirmiers pour les postes en hôpitaux et en cliniques psychiatriques, où la charge de travail est importante et moins valorisée que les actes techniques nécessaires au sein d'autres services. Une spécialisation dans le cursus de formation aurait en plus l'intérêt, par le jeu des passerelles, de faciliter la reconversion de personnels qui ne restent plus infirmiers tout au long de leur vie professionnelle, et d'ouvrir leur formation aux sciences humaines.
Il est impératif de développer l'information en matière de troubles mentaux. L'inscription de la santé mentale comme grande cause nationale pour 2010 a été demandée au Président de la République. Il est à noter que, malgré les critiques dont elle a fait l'objet, la campagne de l'Inpes sur la dépression chez l'adulte était bien faite.
Le rapport Couty, en proposant la création de groupements locaux pour la santé mentale, adopte une démarche descendante peu adaptée à l'organisation des soins, et ce d'autant plus que l'existence des réseaux prouve que les professionnels sont volontaires pour s'organiser et adopter une démarche ascendante susceptible d'améliorer sur le terrain la prise en charge psychiatrique.
La gérontopsychiatrie n'a pas été traitée par le rapport alors qu'elle se développe à l'heure actuelle en tant que discipline nouvelle qui n'intègre pas seulement une dimension psychiatrique, mais plusieurs formes de soins.
Il est dommage que le rapport n'aborde pas le handicap psychique qui se distingue du handicap mental, car il n'est pas fixé, et demande un suivi et une prise en charge sanitaires continus. La France est particulièrement en retard en matière de réhabilitation psychosociale et socioprofessionnelle des personnes atteintes de ce handicap. Un problème particulier est celui des personnes handicapées à la charge de leurs parents lorsque ceux-ci vieillissent ou ne peuvent plus assumer leur rôle.
M. Nicolas About, sénateur, président, a souhaité connaître les conséquences de l'absence de prise en charge de la dépression chez de nombreux malades.
M. Guy Gozlan a précisé que toutes les formes de dépression ne relèvent pas de la médecine, mais seulement les dépressions sévères qui nécessitent diagnostic, traitement et suivi. Le problème est moins la dépression en elle-même que le fait qu'elle peut être le symptôme d'une pathologie plus profonde du type schizophrénie ou trouble bipolaire. Les comorbidités sont également particulièrement importantes puisqu'elles comprennent le suicide et la surconsommation de médicaments ou de substances addictives.
M. Gilles Poutout a déclaré que la gérontopsychiatrie relève principalement de la prévention. Il existe d'ailleurs des réseaux organisés sur ce sujet.
Il est particulièrement difficile d'évaluer l'impact des psychothérapies. On sait qu'elles se substituent à des pratiques médicamenteuses mais le cadre de leur action demeure flou et n'est pas remboursé par l'assurance maladie. Il y a déjà eu de nombreux débats sur cette question et il est important que les études ouvrant droit au titre de psychothérapeute répondent à des normes.
M. Nicolas About, sénateur, président, a indiqué que, dans le cadre de la discussion du projet de loi réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, il faudra revenir sur la durée des formations des psychothérapeutes.
M. Guy Gozlan a souligné qu'il n'existe à l'heure actuelle aucun modèle de prise en charge efficace pour les maladies chroniques et qu'il est nécessaire de repenser ceux qui existent mais proviennent d'autres disciplines médicales.
Il faut replacer la psychothérapie dans le cadre de la hiérarchisation des recours aux soins. Dès lors, la psychothérapie est l'une des possibilités de traitement dans un éventail de soins. On sait que l'association de la psychothérapie et d'un traitement médicamenteux est plus efficace que la seule prise de médicaments. Il est en revanche difficile de mesurer l'impact thérapeutique d'une simple psychothérapie.
Concernant les ordonnances dites « vertes », comprenant notamment des médicaments homéopathiques ou phytothérapiques, celles-ci peuvent avoir un rôle en matière de prévention mais n'ont pas de résultat probant quand il s'agit de maladies graves.
Mme Maryvonne Blondin, sénatrice, s'est interrogée sur l'avenir des unités de soins de longue durée (USLD). Par ailleurs, le discours du Président de la République du 2 décembre 2008 à Antony est apparu comme une réaction face à des drames qui ont choqué l'opinion publique. Certains professionnels l'ont ressenti comme un retour aux pratiques asilaires et à l'enfermement. On peut craindre que les hôpitaux ne deviennent des prisons. Néanmoins, il existe des malades dangereux - trois pour huit cents patients dans un établissement de son département - et ceux-ci nécessitent des moyens particulièrement importants en matière de locaux et de prise en charge.
M. Philippe Cléry-Melin a signalé que le décret destiné à réglementer l'usage du titre de psychothérapeute n'est pas encore paru. La psychothérapie est une part nécessaire des soins en santé mentale et l'université assure chaque année la formation de praticiens nombreux. On estime qu'il y a environ 35 000 personnes qui ne sont ni psychiatres, ni psychologues, mais ont reçu une formation dans des écoles de psychothérapie plus ou moins bien identifiées. C'est pour eux que se pose le problème de reconnaissance.
M. Nicolas About, sénateur, président, a indiqué que, chez les psychothérapeutes, l'auto-proclamation des compétences est fréquente.
M. Philippe Cléry-Melin a précisé que la gérontopsychiatrie ne peut pas être réduite uniquement à la question de la prévention. Trois grands types de population sont touchés : les malades chroniques vieillissants que l'âge rend encore plus fragiles et sujets à la dépression, les personnes saines mais âgées victimes d'une décompensation et les personnes atteintes de troubles psychocomportementaux dans le cadre de maladies neurodégénératives.
M. Gilles Poutout a estimé qu'une évolution est nécessaire même si elle doit être progressive pour les USLD. Concernant les malades dangereux, il ne faut pas que l'arbre cache la forêt et les schizophrènes, par exemple, subissent plus de violences qu'ils n'en créent.
Le plus important, pour faire progresser la prise en charge psychiatrique en France, est de travailler sur des pistes concrètes et donc opérationnelles.
Présentation du rapport de M. Alain Milon, rapporteur, sur la prise en charge psychiatrique en France
L'office a ensuite entendu la présentation du rapport de M. Alain Milon, rapporteur, sur la prise en charge psychiatrique en France.
M. Alain Milon, sénateur, rapporteur, a indiqué que l'étude scientifique, malgré quelques défauts, présente une double qualité. D'une part, elle fait ressortir l'ampleur des incertitudes en matière de santé mentale : on ignore le nombre exact de malades et les frontières même des différentes pathologies et des troubles psychiatriques sont un objet de débat. D'autre part, elle met en évidence le coût croissant de la maladie mentale en termes de finances sociales mais également, et peut-être surtout, son coût humain. On constate également que, si le diagnostic des dysfonctionnements a été établi depuis longtemps par les pouvoirs publics, aucune réforme d'ampleur de l'offre de soins psychiatriques n'a été conduite en France depuis la circulaire du 15 mars 1960 qui a créé le secteur psychiatrique comme mode d'organisation territoriale.
La santé mentale devrait être une priorité de la santé publique. Pourtant la psychiatrie, qui devrait être le pivot de la politique de santé mentale, est incapable d'assurer la prise en charge des patients en raison de la faiblesse des politiques de prévention et d'information, du caractère tardif de la détection compromettant la mise en oeuvre de soins efficaces, de l'insuffisance des moyens hospitaliers et de leur mauvaise articulation avec les soins de ville et parce que les traitements actuels agissent plus sur les symptômes que sur leurs causes. La psychiatrie ne peut actuellement faire face aux besoins de soins de la population. Il s'agit donc de déterminer si elle pourrait répondre aux besoins et à quelles conditions.
Il faut d'abord mettre fin à un double abandon : celui des malades et celui des soignants. Cela suppose de réintégrer la psychiatrie dans le mouvement général de la médecine, qui fait du malade un acteur des soins, et de favoriser les éléments les plus dynamiques de la recherche en psychiatrie. Ceci implique de déstigmatiser la maladie mentale et de relancer les politiques d'information du grand public de l'Inpes, interrompues depuis 2007.
Le pendant de l'information du grand public est l'information des médecins, c'est-à-dire leur formation initiale et continue. Plutôt que d'accéder directement à un psychiatre, les malades ou leur entourage se tournent vers le médecin généraliste. Or les médecins généralistes ne sont pas suffisamment formés à la détection des troubles psychiatriques.
L'action en faveur de l'accompagnement est indissociable de celle en faveur de l'information. Comme l'indique le rapport du CNEH, on a supprimé en France, entre 1985 et 2005, près de trente mille lits et places en psychiatrie afin de permettre aux malades de conserver autant que possible une vie sociale. Mais ce faisant, on a transféré la charge de l'accompagnement des structures hospitalières vers les proches. Or peu de moyens sont mis à la disposition des proches pour les aider dans leur tâche.
La solution passe par le développement de l'exercice groupé et des coordinations entre professionnels de santé. L'exemple des cabinets infirmiers qui, tous les jours, se rendent chez les malades atteints de troubles et prennent le temps de s'assurer qu'ils suivent leur traitement est à développer car la rencontre quotidienne, ou au moins régulière, permet le maintien du lien social, prévient l'isolement voire l'enfermement et offre l'occasion de rappeler au malade pourquoi il doit se soigner.
Pour permettre le développement de tels services de soins, il faut créer, après le diplôme d'infirmier, une spécialisation de niveau master pour former des infirmiers en psychiatrie. En effet la suppression du diplôme d'infirmier en psychiatrie a entraîné une perte de savoir-faire qui pénalise les soins. De plus, il faut permettre aux titulaires du diplôme d'infirmier en psychiatrie qui n'ont pas suivi le tronc commun de s'établir dans des cabinets d'exercice libéraux pour la pratique des soins d'accompagnement psychiatrique.
Plus largement, il est nécessaire de favoriser le développement des réseaux de soins consacrés à la prise en charge d'une pathologie ou centrés sur un territoire. Ces réseaux ont le mérite de faire travailler en commun la médecine de ville et les structures hospitalières, voire d'inclure une dimension de suivi social. Enfin, les coopérations doivent être encouragées pour trouver de nouveaux protocoles de soins incluant des délégations de tâches entre médecins, psychothérapeutes cliniciens et infirmiers.
L'évolution de la démographie en matière de médecins psychiatres est moins défavorable qu'on pouvait le craindre mais, comme pour les autres professions médicales, la difficulté est de veiller à la bonne répartition territoriale des spécialistes.
Le rapport Couty, remis à la ministre de la santé en janvier, préconise de rénover le secteur psychiatrique en créant des groupements locaux pour la santé mentale qui réunissent l'ensemble des acteurs, publics, privés, médicaux et sociaux de la santé mentale. Cette proposition inquiète beaucoup les professionnels de la psychiatrie qui y voient une remise en cause de leurs pratiques. Dans un contexte de relations tendues entre les pouvoirs publics et la profession, il semble impossible d'imposer une telle réforme. Une expérimentation dans des départements pilotes pourrait néanmoins être un moyen de mesurer l'intérêt pratique de la réorganisation des soins proposée.
Un effort particulier doit être conduit en faveur des patients les plus fragiles : personnes en situation de grande précarité, populations migrantes et détenus. Les liens entre maladie mentale et travail doivent également être approfondis.
A la nécessité de réformer l'organisation des soins s'ajoute celle de faire progresser les traitements. On constate que les choix thérapeutiques varient fortement d'un médecin à l'autre en fonction de visions différentes des causes de la maladie et de l'expérience du praticien. Toutefois, si les querelles entre écoles de psychiatrie n'ont pas totalement disparu, elles ont tendance à s'atténuer. On peut donc espérer que les fondements empiriques des traitements psychiatriques vont progressivement laisser la place à des pratiques de plus en plus uniformes appuyées sur des connaissances scientifiques. La direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins travaille depuis plusieurs années à un référentiel des soins psychiatriques qui offre la perspective d'arriver un jour à l'élaboration de protocoles de prise en charge des différentes pathologies.
Améliorer les traitements passe aussi par un effort en faveur de la recherche. D'après le CNEH, la France est mal classée, au niveau international, dans le domaine général de la psychiatrie puisqu'elle ne figure pas parmi les cinq premiers pays en nombre d'articles cités. La recherche française est néanmoins en pointe sur certaines pathologies comme l'autisme, pour lequel elle est troisième au niveau mondial, et un certain nombre de chercheurs se consacrent aux problèmes cruciaux de la psychiatrie. On peut donc espérer créer un véritable réseau national en matière de recherche psychiatrique.
Malgré des rapports nombreux, ce n'est qu'avec le plan santé mentale 2005-2008 que l'on a commencé à agir pour améliorer la prise en charge psychiatrique en France. Or il n'est pas acceptable que demeurent les incertitudes sur le nombre de malades, l'absence de prévention et de diagnostic renforcée par l'inégalité dans l'accès aux soins, la variété des traitements et la faiblesse du suivi médical et médico-social. La psychiatrie, si l'on accompagne sa réorganisation territoriale, si l'on forme des infirmiers d'Etat en psychiatrie et si l'on encourage la recherche, peut assurer le rôle de pivot de la politique de santé mentale, partie prenante de la politique de santé publique.
Pour ces motifs, M. Alain Milon, sénateur, rapporteur, a proposé à l'Opeps l'adoption de quinze recommandations tendant à l'organisation d'états généraux de la santé mentale devant servir de base au dépôt d'un projet de loi au Parlement, à la mise en oeuvre dans le cadre d'expérimentations départementales de groupements locaux pour la santé mentale, à l'instauration d'une spécialisation en soins psychiatriques pour les infirmiers, à la promotion des coopérations entre professionnels et du bon usage des médicaments psychotropes, au développement de la formation initiale et continue des médecins et au soutien à la recherche par la création d'un réseau national.
M. Gérard Bapt, député, a indiqué partager les préconisations du rapporteur, spécialement en ce qui concerne la possibilité de mettre en oeuvre, à titre expérimental, les groupements locaux pour la santé mentale proposés par le rapport Couty, qui ont fait l'objet de critiques sans doute excessives. Il a estimé important de prévoir la participation des familles et des associations de patients aux états généraux de la santé mentale et s'est déclaré favorable à la mise en place d'un délégué chargé de la santé mentale au niveau des agences régionales de santé (ARS). La formation d'infirmiers spécialisés est particulièrement importante et participe d'une offre de soins efficace au niveau territorial qui doit être renforcée par les coopérations avec l'aide des futures ARS.
La question de l'hospitalisation d'office doit également être traitée. Elle pose notamment d'importants problèmes pour les maires.
Enfin, un suivi de cohortes a déjà été mis en place par les établissements de son département mais cette initiative doit être développée au niveau national.
M. Gilbert Barbier, sénateur, s'est inquiété du fait que l'expression « santé mentale » ne soit trop englobante et ne recouvre des pathologies très diverses. Une autre expression ne devrait-elle pas être utilisée ?
Mme Maryvonne Blondin, sénatrice, a signalé que les centres médico-psychologiques assurent déjà un accompagnement à domicile des patients et une vérification du suivi des traitements prescrits. Le développement d'une activité d'infirmiers libéraux ne doit donc pas s'y substituer.
Mme Isabelle Durand-Zaleski, membre du conseil d'experts de l'Opeps, a souligné une difficulté à laquelle font face les centres experts : ils doivent permettre un accès plus rapide aux soins spécialisés mais sont obligés, faute de ressources, de se concentrer sur certains types de pathologies. Les généralistes sont confrontés à d'importantes difficultés lorsqu'il s'agit d'orienter des patients vers des psychiatres ; il faut parfois six mois pour obtenir un rendez-vous.
Mme Jacqueline Fraysse, députée, a souligné l'intérêt du travail mené et le besoin de réévaluer et d'adapter les pratiques en matière de prise en charge psychiatrique dans une société en mouvement. Il paraît important, comme le préconise le rapporteur, d'assurer une meilleure formation du personnel soignant et de clarifier le rôle des psychologues et des psychothérapeutes. Certains professionnels se trouvent démunis face à la complexité d'organisation d'un parcours de soins pour un patient atteint de troubles psychiatriques. Les patients eux-mêmes et leur famille sont d'autant plus désarmés.
Il est également important de permettre l'accès aux soins des populations fragiles.
Les centres de santé, qui regroupent des spécialistes en un même lieu, jouent un rôle très important en matière de prise en charge de proximité et leur rôle, en matière de dépistage et d'orientation, doit être développé.
M. Nicolas About, sénateur, président, a confirmé l'importance du rôle des centres de santé mais a considéré qu'il serait nécessaire d'assurer leur plus grande efficacité en dégageant le plus possible de temps médical. Une évaluation de leur activité s'impose et probablement aussi une amélioration de leur rentabilité.
M. Alain Milon, sénateur, rapporteur, s'est félicité de ce que ses propositions pour une meilleure prise en charge psychiatrique en France paraissent consensuelles. L'essentiel est de garantir la proximité en matière de prise en charge, comme pour toutes les formes de médecine. Les praticiens, quel que soit leur type d'exercice, doivent travailler ensemble avec comme seul objectif les soins donnés aux patients.
A l'issue du débat, l'Opeps a adopté les conclusions présentées par son rapporteur et a autorisé la publication du présent rapport d'information.