Mardi 20 janvier 2009
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 - Audition de M. Philippe Josse, directeur du budget
La commission a procédé à l'audition de M. Philippe Josse, directeur du budget, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009-2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.
M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que, comme toutes les lois de programmation, cette future loi constituerait un déterminant important pour l'évolution des finances publiques au cours des six prochaines années. C'est pourquoi il est très souhaitable de recueillir les éclairages du directeur du budget.
Il a précisé que M. Philippe Josse, membre de la Commission du Livre blanc, avait participé, très en amont, aux réflexions et à la préparation des arbitrages sur la base desquels ce projet de loi a été élaboré. De même, il participera au comité financier, dont la création est prévue par le Livre blanc, et qui sera chargé de procéder « à un examen contradictoire de la soutenabilité financière de la programmation et au suivi régulier de la politique d'engagements du ministère en matière d'investissements ».
Cette loi de programmation innove en institutionnalisant le dialogue entre le ministère de la défense et celui du budget, avec l'objectif de l'améliorer et de limiter les sources de blocage nuisibles à la mise en oeuvre de la loi.
Il a observé que, comme les précédentes, la LPM couvrirait une période de six ans, mais qu'un point d'étape d'ensemble doit être réalisé dès 2010, à l'occasion de l'élaboration du prochain budget triennal, et qu'une révision de la loi sera opérée au bout de quatre ans, avec l'adoption d'une nouvelle loi de programmation couvrant la période 2013-2018.
Il a souhaité des éclairages sur le cadrage financier retenu, qui doit permettre d'augmenter très sensiblement les crédits d'équipement, ainsi que sur les incidences du plan de relance, qui vient modifier le profil des annuités de la LPM.
Procédant tout d'abord à un bref bilan de la loi de programmation militaire (LPM) 2003-2008, M. Philippe Josse a porté les appréciations suivantes :
- la loi de programmation a été globalement satisfaisante sur le plan financier. Les crédits de la mission « Défense », qui atteignaient 25 milliards d'euros en 2002, ont été portés à 30 milliards d'euros en 2008, hors gendarmerie et hors pensions, soit une progression de quelque cinq milliards d'euros, permettant d'injecter chaque d'année dans la défense une somme presque équivalente au budget de la justice. La loi a été globalement respectée en construction et en exécution budgétaire (à l'exception de l'année 2004) ;
- la LPM 2003-2008 a été une loi de recapitalisation de l'outil de défense. Sur les cinq milliards d'augmentation, 3,5 ont ainsi été consacrés à l'équipement ;
- la période de programmation a permis le traitement de l'essentiel de la question du financement des surcoûts liés aux opérations extérieures dont le provisionnement en loi de finances initiale est passé de 24 millions d'euros en 2002 à 510 millions d'euros en 2009 ;
- le point noir de l'exécution de la loi est la mise à mal de la cohérence « physico-financière » par la dérive du coût des programmes et par des difficultés industrielles.
M. Philippe Josse a considéré que les leçons du bilan de la précédente LPM avaient été tirées pour l'élaboration de la programmation 2009-2014, à la fois pour la méthode utilisée et les résultats obtenus.
La méthode a tout d'abord été marquée par une transparence accrue à l'égard de l'ensemble des acteurs. Un vrai travail d'équipe a été réalisé sur le bouclage « physico-financier » de la loi. Le choix de raisonner sur l'ensemble de la mission « Défense » au sens de la LOLF permet d'éviter les difficultés de périmètre et incite à réaliser des économies sur les dépenses courantes qui sont recyclées au profit des programmes d'équipement. Une concordance parfaite est ainsi organisée entre le périmètre de la loi de programmation militaire et celui des budgets qui lui succéderont. Cette articulation est également assurée entre la LPM et le budget triennal. Le ministère du budget est généralement considéré comme hostile aux lois de programmation au motif qu'elles sont sectorielles et trop ambitieuses, sans cadrage programmatique de l'ensemble du budget. Ce n'est plus le cas grâce au budget triennal. Dans le cas de la LPM, la concordance avec le budget triennal est ainsi une garantie de bonne exécution et elle est bénéfique pour la gestion publique en prenant mieux en compte le temps de mise en oeuvre de réformes qui excèdent l'annualité budgétaire, telles que la mise sur pied des bases de défense ou l'exécution des programmes d'armement.
En termes de résultats, le Livre blanc prévoit une enveloppe de 377 milliards d'euros sur douze ans, dont 185 milliards sur la période 2009-2014, qui est celle de l'actuelle LPM. Le principe de « zéro volume » s'applique en 2009, 2010 et 2011, le volume de crédits étant ainsi stabilisé au niveau élevé atteint en 2008. A partir de 2012, la progression des ressources est de 1 % par an en volume.
Évoquant la « bosse » de la programmation, M. Philippe Josse a indiqué qu'une telle augmentation des besoins en crédits de paiement pouvait s'analyser soit comme un écart entre les ressources disponibles et les crédits nécessaires pour atteindre le modèle de programmation, soit comme la nécessité d'honorer un volume important d'engagements juridiques passés. En l'occurrence la « bosse » de 6 milliards d'euros était surtout une bosse programmatique liée à un écart entre les ressources et le modèle.
Cet écart est résorbé selon quatre modalités :
- 2015 n'est plus l'échéance pour la réalisation du modèle, la programmation du Livre blanc allant jusqu'à 2020 ;
- le modèle a été révisé, avec des économies sur les programmes ;
- les économies réalisées sur les titres 2 et 3 sont recyclées sur l'effort d'équipement ;
- des ressources exceptionnelles tirées de cessions d'actifs viennent abonder les années 2009-2010-2011.
Evoquant les questions posées pour l'avenir, M. Philippe Josse a estimé qu'un effort substantiel avait été accompli sur le financement des opérations extérieures. Cet effort sera poursuivi, la provision étant portée à 630 millions d'euros en 2011. C'est un bon niveau de provisions. Les montants atteints en 2008 sont certes supérieurs mais, outre qu'il s'agit de surcoûts bruts, hors remboursement des Nations unies, ces montants sont liés au choix européen de financer, via le mécanisme Athéna, les coûts de structure de l'opération EUFOR au prorata des hommes déployés sur le terrain, ce qui désavantage la France mais n'a pas vocation à durer.
Pour ce qui concerne les ressources exceptionnelles issues de cessions d'actifs, le mécanisme est vertueux tant du point de vue de l'effort de défense que du point de vue budgétaire puisque les cessions de l'immobilier parisien du ministère de la défense lui permettront de se doter d'installations plus modernes et plus efficaces. Le régime du compte d'affectation spéciale permet de sécuriser les ressources et si le régime juridique retenu permet à une société d'acheter en bloc les différents immeubles, la cession de gré à gré de certains lots reste possible. Le dispositif est opérationnel.
En matière de cohérence physico-financière, les objectifs sont de rendre plus sincère l'évaluation du coût des programmes d'armement, d'éviter la surspécification des programmes, de fiabiliser l'information financière des différents acteurs et de savoir mettre l'industrie sous tension. A cet effet, différents comités ont été installés ; le comité financier s'assurant de la soutenabilité des programmes et de la bonne cohérence entre le physique et le financier.
M. Philippe Josse a ensuite évoqué le plan de relance, rappelant que ce plan faisait une place très importante à l'équipement militaire selon quatre modalités :
- 1,425 milliard d'euros est ouvert en autorisations d'engagement par la loi de finances rectificative pour 2009 pour l'équipement militaire stricto sensu. Les crédits de paiement correspondants seront ouverts en deux tranches ; la première, pour 2009, est de 725 millions d'euros ;
- 110 millions d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement sont ouverts pour le financement d'études amont de technologie de défense ;
- 220 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 150 millions d'euros de crédits de paiement sont inscrits au titre de l'immobilier de la défense.
Au total, ce sont 1,755 milliard d'euros d'autorisations d'engagement et 985 millions d'euros de crédits de paiement qui sont mobilisés en 2009.
Au-delà des crédits budgétaires nouveaux, le ministère de la défense a été autorisé à consommer 500 millions d'euros de crédits issus de reports des gestions précédentes. Pour 2009, il s'agit bien d'une augmentation nette qui permet d'accélérer des investissements.
Les crédits anticipés seront soustraits des annuités à venir sur l'ensemble de la période de programmation jusqu'en 2020. En net, la programmation 2009-2014 sera donc majorée dans la mesure où les augmentations de 2009-2010 ne seront pas intégralement compensées d'ici 2014.
A court terme, c'est une majoration nette de l'effort de défense même si la programmation reste identique sur douze années, à 377 millions d'euros.
M. Josselin de Rohan, président, a souligné que si la provision en loi de finances initiale pour le financement des opérations extérieures était portée à 630 millions d'euros, le surcoût à financer en 2008 avait atteint le milliard d'euros, ce qui laissait persister une impasse à financer. Il s'est interrogé sur le fonctionnement de la société de portage immobilier et sur les 600 millions d'euros inscrits au budget 2009 au titre de la vente de fréquences. Évoquant l'avenir de l'A400M, il s'est interrogé sur la capacité de l'entreprise à supporter l'ensemble des pertes liées à ce programme et sur leur impact éventuel sur le budget de la défense. Il a enfin souhaité savoir si les crédits prévus par la loi de programmation permettaient de répondre aux défis du maintien des capacités technologiques et industrielles françaises.
M. Philippe Josse a apporté les précisions suivantes :
- le montant atteint par les surcoûts OPEX en 2008 est de 833 millions d'euros et constitue un pic historique. La tendance moyenne des années précédentes se situe plutôt autour des 630 millions d'euros atteints en 2007. En outre, ces 833 millions d'euros en 2008 constituent le surcoût brut, ramené à 770 millions d'euros après remboursement par les Nations unies et l'OTAN. Il est évident que si l'on reste à ce niveau en 2009, un besoin de financement demeure qui n'est pas insurmontable par rapport à la masse financière du ministère. Ces efforts ne dispensent pas d'une revue des différentes opérations pour bien optimiser l'effort de défense ;
- en matière immobilière, l'Etat s'est donné les moyens juridiques de constituer une société commune à la SOVAFIM et à la Caisse des dépôts. Cette formule n'est qu'une option, l'essentiel étant d'optimiser l'immobilier de l'État. Il est vrai que le contexte est moins favorable mais les investisseurs restent demandeurs de cessions occupées, ce qui est le cas pour les immeubles de la défense ;
- sans se prononcer sur le fond du dossier de l'A400M, on peut affirmer qu'il n'y a pas de porosité entre le capital social d'EADS et le budget d'équipement militaire ;
- sur les études amont de défense, il est compréhensible que les bureaux d'études aient demandé plus qu'ils n'ont obtenu. Aux 700 millions d'euros prévus par la LPM, soit un peu plus que la reconduction de l'existant, s'ajoutent 110 millions d'euros du plan de relance (hors nanotechnologies). Il faut veiller à ne pas développer des rentes de situation sur longue période.
Mme Dominique Voynet s'est interrogée sur la crédibilité des hypothèses de cessions d'actifs et sur leur contribution à la résorption de la « bosse ».
M. André Dulait s'est interrogé sur les modalités d'apurement de la dette des Nations unies et de l'Union européenne sur les OPEX. Évoquant l'évolution du titre 2, il a souhaité connaître les marges attendues de la réduction des effectifs alors que les dernières années ont été marquées par la consommation intégrale des crédits du titre 2 et que persistaient d'importants sous-effectifs.
M. François Trucy a souhaité des précisions sur la vente de fréquences et sur les crédits du plan de relance.
M. Robert del Picchia a souhaité connaître les sociétés concernées par le plan de relance.
M. Daniel Reiner a considéré que l'histoire des lois de programmation militaire incitait à beaucoup de modestie. Il a souhaité connaître le montant des crédits reportés et ce qu'il adviendrait de ceux qui ne s'intégraient pas dans le plan de relance. Il s'est interrogé sur la possibilité de mobiliser les ressources exceptionnelles dès l'année 2009.
M. Jean-Pierre Chevènement s'est interrogé sur le financement des opérations extérieures et sur les systèmes d'armes concernés par le plan de relance. Il a souhaité être éclairé sur la cohérence entre les besoins opérationnels et les chaînes de montage prêtes à tourner.
M. Didier Boulaud a souhaité des précisions sur le projet de Pentagone à la française et sur le recours à un partenariat public-privé. Il s'est étonné que des travaux d'amélioration soient réalisés dans des établissements dont la fermeture a été annoncée. Il a souhaité connaître les conditions d'accueil par les collectivités locales des personnels de la défense et l'existence éventuelle d'aides spécifiques.
M. Philippe Josse a apporté les précisions suivantes :
- s'il ne devait pas y avoir de réorganisations à l'appui des diminutions d'effectifs, ce serait dommageable mais du fait de ces réorganisations, les suppressions de postes ne sont pas des coupes, elles ne portent pas atteinte à la capacité opérationnelle des armées et concernent la fonction soutien pour près de 80 %. Elles résultent de la modification des contrats opérationnels, de la mise en place des bases de défense et de nouvelles applications informatiques qui permettront des gains de productivité ;
- l'évolution du titre 2 dépend d'un grand nombre de paramètres comme l'évolution de la valeur du point d'indice, le plan d'amélioration de la condition du personnel, le glissement vieillesse technicité qui joue en négatif du fait du renouvellement rapide des effectifs de la défense. Une clause de rendez-vous est néanmoins prévue et indispensable pour surveiller cette évolution globale. Dans l'immédiat, la dynamique implicite et sous-jacente du titre 2 paraît parfaitement soutenable ;
- le support juridique pour la réutilisation du produit de la cession de fréquences existe. Felin, la première fréquence cédée, devra l'être en même temps que les fréquences analogiques de télévision, dénommées dividende numérique. Il n'est pas nécessaire que les opérateurs soient effectivement en mesure d'utiliser les fréquences pour réaliser les opérations de cessions et, par suite, que l'Etat encaisse une recette. Le dossier est confié à l'ARCEP, dont le président est M. Jean-Claude Mallet. Même si le calendrier est extrêmement tendu, il n'y a pas de raison de ne pas le tenir. Les crédits d'un compte d'affectation spéciale peuvent être librement reportés ; l'important est de garantir l'équilibre emplois-ressources sur la période de programmation ;
- le calcul des coûts bruts des OPEX -et non pas des surcoûts- est particulièrement complexe dans la mesure où, lorsque les militaires perçoivent l'indemnité pour service à l'étranger, d'autres indemnités ne sont plus servies ;
- l'ONU rembourse un forfait de 1 100 dollars par homme et par mois (soit un peu moins de 900 euros), ce qui représente environ un quart du coût total. Elle verse aussi un forfait pour l'utilisation des matériels. Pour les chars Leclerc, ce forfait est de 6 000 euros, pour un coût réel de près de 300 000 euros. 52 millions d'euros de remboursement devraient être perçus au titre de l'année 2008 ;
- le coût des installations de Balard n'est pas encore précisément connu. Il ne concerne pas majoritairement l'actuelle LPM ;
- le plan de relance ne comprend pas uniquement l'autorisation de consommer des crédits de reports, il ouvre également des crédits nouveaux. Les 500 millions d'euros de crédits de reports proviennent des exercices précédents et ne sont pas dans le modèle des 377 milliards sur douze ans ; ils sont additionnels. La consommation des crédits de reports, au demeurant très anciens, n'est pas un droit ;
- la cohérence militaire de la relance existe à travers l'accélération de certains programmes d'armement mais l'objectif prioritaire est la relance économique. Les crédits anticipés seront repris par la suite mais, sur l'ensemble des douze années de programmation, la première loi de programmation bénéficiera donc de davantage de crédits qu'initialement prévu tandis que ce sera l'inverse pour la seconde.
Mission au Tchad - Communication
La commission a ensuite entendu une communication de M. Josselin de Rohan, président, et de MM. André Vantomme et François Trucy, rapporteur spécial de la commission des finances, relative à leur déplacement au Tchad du 4 au 6 janvier 2009.
M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que ce déplacement s'inscrivait dans un ensemble de missions entreprises par la commission sur les principaux théâtres d'opérations où des forces françaises sont déployées. L'objectif poursuivi par la mission était de procéder à une estimation du dispositif Epervier et d'établir un bilan de l'opération Eufor-Tchad-République Centrafricaine dont le mandat arrive à échéance le 15 mars 2009.
Cette mission a permis d'avoir des entretiens politiques de haut niveau, en particulier avec le Premier ministre tchadien et le Président de l'Assemblée nationale. Ces entretiens ont notamment permis de constater l'importance que les autorités tchadiennes attachent à la présence française dans leur pays.
Le président a rappelé que la France avait un intérêt stratégique à la stabilité du Tchad situé en plein coeur de l'arc de crise, défini par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui s'étend de la Mauritanie au Pakistan. Il se situe également au sein d'une autre zone de crise : l'Afrique subsaharienne et, en particulier, aux frontières du Niger et de la zone sahélienne où des organisations islamistes proches d'Al-Qaïda s'installent. Par ailleurs, à l'est du Tchad, la République Centrafricaine et, bien évidemment, le Darfour constituent des zones d'instabilité majeures.
Dans ce contexte d'instabilité, M. Josselin de Rohan, président, a souligné que le président Idriss Deby Itno, au pouvoir depuis 1990, avait été réélu en 1996, 2001 et 2006. L'Assemblée nationale est, quant à elle, en place depuis 2002.
Le rétablissement de la paix intérieure grâce au dialogue politique inter-tchadien a considérablement progressé depuis l'accord du 13 août 2007. Cet accord, dont le président Deby s'est porté personnellement garant, et qui a été signé par 91 partis politiques, prévoit un recensement complet, démographique et électoral, en vue d'élections générales qui devraient se tenir, sous contrôle international, au cours du premier semestre 2010. Cet accord prévoit la création d'un comité de suivi qui fixe le cadre du dialogue politique interne et qui permet, via l'accord de Syrte d'octobre 2007 sur les négociations sur le Darfour, la réintégration des diverses rebellions dans le jeu politique.
Le vote, le 5 décembre 2008, de la loi instituant la Commission nationale électorale indépendante (CENI) est d'autant plus positif que sa présidence a été confiée à M. Lol Mahamat Choua, qui est l'un des principaux opposants au gouvernement. Outre la loi portant statut de l'opposition, les prochaines étapes seront la mise en place de cette commission et l'adoption du code électoral.
M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que la France devait bien évidemment encourager cette évolution démocratique, qui ne pourrait néanmoins se consolider que par le développement économique. De ce point de vue, les ressources pétrolières découvertes depuis 2000 ont permis d'augmenter, d'environ un milliard de dollars par an, les ressources de l'un des pays les plus pauvres du monde. Une loi, unique en son genre en Afrique, prévoit d'affecter 65 % de ces ressources aux secteurs sociaux ou prioritaires en matière de développement durable.
Abordant la crise du Darfour, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué qu'elle avait considérablement affaibli le Tchad, tant par l'existence d'une rébellion soutenue par Khartoum que par l'afflux de 300 000 réfugiés et de 200 000 déplacés dans l'Est du pays auxquels il faut ajouter les 45 000 déplacés et réfugiés de la République Centrafricaine. Trois processus de médiation sont en cours pour tenter de normaliser les relations entre les deux pays. L'accord de Dakar du 13 mars 2007 a pour but d'organiser un processus de dialogue au travers de réunions régulières d'un « groupe de contact ». Le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, favorisé par la Libye, facilite ce processus. Il est en particulier question d'organiser une « force de défense et de sécurité » régionale, comportant 1 000 soldats tchadiens et 1 000 soldats soudanais, répartis en dix postes d'observation, qui aurait pour but de sécuriser la frontière entre les deux pays.
Un second processus dit « de Doha » est promu par le Qatar en liaison avec le médiateur burkinabé, M. Djibril Bassolé, qui est mandaté conjointement par l'ONU et par l'Union africaine. Enfin, l'Union africaine a confié un mandat de médiation à la Libye et au Congo Brazzaville. Forte de ce mandat, la Libye, qui joue un rôle stabilisateur dans la région, essaye d'organiser une réunion entre les deux présidents.
Ces différentes tentatives de médiation, dont il faut se féliciter, n'ont pas, jusqu'à présent, empêché les attaques régulières des rebelles tchadiens soutenus par le Soudan. M. Josselin de Rohan, président, s'est interrogé sur la volonté du gouvernement soudanais de continuer à financer, à armer et à fédérer les différents mouvements de rébellion qu'il héberge sur son sol. La récente unification d'une majorité des rebelles au sein d'une « Union des forces pour la résistance » est inquiétante mais ne deviendrait dangereuse que si elle parvenait à se choisir un nouveau chef pour remplacer M. Nouri, chef du mouvement UFCD, qui reste soutenu par Khartoum mais dont l'autorité est contestée depuis l'échec de l'offensive de février 2008.
De son côté, le Tchad héberge le Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE) installé au nord de la zone de l'opération Eufor.
Depuis l'offensive de février 2008, qui a conduit les rebelles jusqu'à N'Djamena, et celle de juin dernier dans la région d'Abéché, chaque partie au conflit réarme en vue d'un prochain affrontement. L'armée tchadienne, forte d'environ 49 000 hommes, dont 20 à 25 000 sont déployés dans l'Est du pays, a acquis de nouveaux matériels : blindés, canons, chars, hélicoptères, avions de combat Sukoï, et a entrepris une indiscutable professionnalisation qui se traduit par l'utilisation de méthodes coordonnées d'action sur le champ de bataille dans la profondeur. L'objectif du gouvernement est d'arrêter les colonnes d'assaillants, dans l'Est, en sécurisant les voies d'accès peu nombreuses qui permettent de pénétrer le territoire. La coopération militaire française joue un rôle important, conformément aux accords, pour former les forces tchadiennes. Le président a souligné que cette formation était naturellement un atout fondamental pour l'armée tchadienne face à une rébellion capable d'organiser des raids dans la tradition des rezzous, mais qui ne dispose ni de l'entraînement ni de la logistique d'une armée.
Les indications disponibles sur les forces de la rébellion sont moins précises, mais on estime qu'elles disposent de 6 000 à 10 000 hommes. Leur armement pourrait être fourni par le gouvernement soudanais qui a lui aussi acquis, en 2008, des matériels comparables à ceux dont dispose l'armée régulière tchadienne.
M. Josselin de Rohan, président, a souligné qu'il ne pouvait y avoir d'évolution de la situation sans que les deux gouvernements mettent fin au soutien que chacun apporte aux rébellions. Cette décision ouvrirait la voie à une normalisation des relations entre les deux pays. Il est également nécessaire que des négociations directes aient lieu entre le gouvernement soudanais et le MJE.
Dans ce contexte très fragile, il a indiqué que la mise en accusation du président Al Béchir par la cour pénale internationale introduisait de lourdes incertitudes jusqu'au verdict de la cour attendu à la mi-février. Le remplacement du président Al Béchir par M. Salva Kiir, premier vice-président, permettrait vraisemblablement d'entamer des pourparlers avec la rébellion soudanaise.
Par ailleurs, le risque de partition du Soudan en trois entités -au Sud, qui se déterminera vraisemblablement dans ce sens par référendum, au Darfour et au Nord- serait le premier exemple de remise en cause des frontières issues de la colonisation en Afrique. Cet éclatement possible du Soudan ne manquerait pas d'entraîner une profonde déstabilisation remettant en cause les différents efforts de paix dans la région.
Abordant ensuite le volet plus spécifiquement militaire de la mission, M. Josselin de Rohan, président, a entrepris de décrire le dispositif Epervier et celui de l'opération Eufor-Tchad-RCA.
Il a rappelé que les Eléments français au Tchad (EFT) sont présents sans interruption sur le territoire tchadien depuis le 10 février 1986, date du début de l'opération Epervier, déclenchée sur la base de l'article 51 de la charte des Nations unies dans le cadre du conflit tchado-libyen de la bande d'Aouzou.
La base juridique de la présence militaire française est constituée par l'accord de coopération militaire du 6 mars 1976 et son protocole additionnel du 7 avril 1990 modifié le 10 juin 1998 qui prévoit l'accord des deux gouvernements sur le stationnement des forces pour une durée indéterminée.
Les Eléments français au Tchad ont principalement pour vocation :
- d'assurer la sécurité des ressortissants français. Pour cette mission, les EFT ont montré leur efficacité lors de l'opération d'évacuation en février 2008 ;
- d'apporter un soutien à l'armée nationale tchadienne en contribuant à l'instruction et en apportant une aide matérielle aux différentes armées (logistique et renseignement, santé) ainsi que le maintien d'une capacité d'intervention extérieure (appui aérien et renseignement) ;
- de venir en aide à la population civile, sans se substituer aux administrations ou organisations gouvernementales compétentes, en apportant notamment une aide médicale gratuite à tous ceux qui en expriment le besoin ;
- de fournir un soutien logistique aux organisations internationales (ONU et Union européenne) impliquées dans la gestion de la crise humanitaire dans l'Est du pays et au Darfour (MINURCAT 1 et Eufor-Tchad-RCA).
L'opération Epervier met en oeuvre un détachement de 1 150 personnes dont 751 pour le groupement terre et 392 pour le groupement air. Les EFT sont articulés autour d'un état-major interarmées directement subordonné à l'état-major des armées à Paris.
Les Eléments français au Tchad sont implantés sur trois sites : à N'Djamena, la base « sergent-chef Adji Kosseï », à Abéché le camp Croci et à Faya Largeau.
S'agissant de l'opération Eufor Tchad RCA, le président a rappelé que la commission avait préparé cette mission lors d'un déplacement effectué le 19 février 2008 auprès de l'état-major de la force installé au Mont Valérien sous le commandement du général irlandais Nash.
M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que le Conseil de sécurité des Nations unies avait adopté, le 25 septembre 2007, la résolution 1778, qui approuve le lancement de la mission des Nations unies en République Centrafricaine et au Tchad (MINURCAT) et autorise le déploiement d'une force multidimensionnelle dans l'est du Tchad et le nord-est de la République Centrafricaine (EUFOR-Tchad-RCA). Cette résolution s'inscrit sous le chapitre VII de la charte des Nations unies qui autorise l'usage de la force.
La MINURCAT a pour mission de sélectionner et de former des policiers tchadiens afin d'assurer la protection humanitaire, la surveillance et la protection des droits de l'homme dans les zones considérées. Cette police tchadienne, le détachement intégré de sécurité (DIS), sera en charge du maintien de l'ordre et du respect de la loi dans les camps de réfugiés.
Par ailleurs, le Conseil du 28 janvier 2008 a approuvé le plan d'opération et les règles d'engagement de l'opération Eufor-Tchad-RCA qui s'inscrit dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Les objectifs qui lui sont assignés consistent à faciliter la fourniture de l'assistance humanitaire, à améliorer la sécurité des populations réfugiées et déplacées et à créer les conditions d'un retour volontaire dans leur région d'origine de ces populations. Ces différentes actions doivent s'accompagner d'un effort de reconstruction et de développement dans l'est du Tchad et le nord-est de la République Centrafricaine.
Cette opération a été autorisée pour une durée d'une année à compter de la déclaration de capacité opérationnelle initiale, le 15 mars 2008. Elle doit donc s'achever le 15 mars prochain et être relevée par une force de l'ONU, la MINURCAT 2. La résolution 1834, adoptée par le Conseil de sécurité le 24 septembre 2008, demande au département des opérations de maintien de la paix de l'ONU (DOMP) d'initier la génération de force de la « Follow on force » (FoF) onusienne.
L'opération Eufor-Tchad-RCA est le cinquième déploiement militaire de l'Union européenne en cinq ans, après Artémis au Congo (2003), Concordia en Macédoine (2003), Althea en Bosnie-Herzégovine (2004) et Eufor RD Congo (2006). M. Josselin de Rohan, président, a toutefois précisé que cette opération était sans doute la plus complexe que l'Union européenne ait entreprise et qu'elle constituait indiscutablement un test de crédibilité réussi pour la PESD.
Ce résultat positif a été obtenu en dépit de difficultés extrêmes :
- en premier lieu, l'opération a été confrontée aux problèmes habituels de génération de forces, tant au niveau des contributions nationales en hommes qu'en matériels. C'est, en effet, en mai 2007 que le COPS a pris sa décision initiale et ce n'est qu'en novembre suivant qu'a eu lieu la première réunion de génération de forces. Cette situation a conduit la France à prendre une part prépondérante dans l'opération alors qu'elle ne le souhaitait pas compte tenu de notre engagement bilatéral. Du fait de ces difficultés, le contingent français de l'Eufor représente 51 % des effectifs totaux. Par ailleurs, le dispositif Epervier intervient en soutien. S'agissant des matériels, le manque le plus flagrant se situe, comme pour d'autres opérations, au niveau de la mobilité et des moyens aéroportés, notamment des hélicoptères. Cela explique que la pleine capacité opérationnelle n'ait été déclarée que le 15 septembre 2008 ;
- par ailleurs, l'activation de l'état-major d'opération au Mont Valérien a connu un certain nombre de vicissitudes et une trop lente montée en puissance avant la nomination du général Nash en octobre 2007. De plus, lors de l'entretien avec le Premier ministre tchadien, des interrogations sur les difficultés de commandement du fait de son absence d'unification sont apparues ;
- sur place, le déploiement des troupes s'est ressenti de ces différents retards, aggravés par l'interruption rendue nécessaire par l'offensive rebelle de février, alors même que la décision de déploiement avait été prise le 28 janvier 2008.
Ces différents éléments soulignent la difficulté, en matière de défense, des prises de décision à l'unanimité :
- en matière de logistique, l'UEO a constaté qu'il y avait eu « un grand vide logistique avant la prise en charge française sur le terrain » ;
- enfin, le président a souligné les limites du mécanisme Athéna, qui limite la contribution de l'Union européenne aux coûts communs et qui renvoie aux différents Etats nationaux le soin de financer la participation de leur contingent. La contribution européenne a été de 119 millions d'euros pour un an. Sur ce total, la France prend en charge 15,57 %, soit 18,5 millions, auxquels s'ajoutent, pour l'année 2008, 130 millions d'euros imputés sur le budget national. Ces coûts s'alourdiront encore jusqu'à la fin de l'opération, en 2009. M. Josselin de Rohan, président, a relevé que, les décisions concernant la PESD étant prises à l'unanimité, l'on pouvait légitimement s'interroger sur le fait de faire porter sur les seuls Etats participants la majeure partie des coûts. Une mutualisation à 27, selon une clé de répartition à déterminer qui tienne compte de l'importance relative de chaque pays mais aussi de l'importance de l'effort consenti en matière militaire, devrait être envisagée.
Certes, cette opération a également été exceptionnelle en raison des difficultés qu'elle a rencontrées. Il s'agissait de déployer 3 403 hommes appartenant à 26 nations différentes. La France fournissait 1 758 soldats, l'Irlande 447, la Pologne 421, l'Autriche 169, l'Espagne 112 et l'Italie 104. Le reste des contingents était de nature plus anecdotique. Il convient toutefois de remarquer qu'à ces forces vient de se joindre un contingent russe composé de 120 personnes et surtout de quatre hélicoptères MI8.
Mais c'est surtout la géographie qui explique la complexité de l'opération. Le Tchad est un pays enclavé en plein coeur de l'Afrique. Quelques éléments permettent d'illustrer les difficultés logistiques auxquelles cette opération a été confrontée :
- le transport de containers par bateau entre Le Havre et le port de Douala au Cameroun prend deux semaines ;
- la liaison ferroviaire n'existe qu'au Cameroun. Le transport en camion du port de Douala à N'Djamena prend environ 15 jours pour parcourir les 1 900 km. Il faut compter quatre jours supplémentaires pour parcourir les 770 km jusqu'à Abéché, sur des pistes, et trois jours de plus pour acheminer les matériels jusqu'à Iriba, au nord de la zone de responsabilité de l'Eufor ;
- à partir d'Abéché, la desserte de Birao, en République Centrafricaine ne peut se faire qu'en avion ;
- au total, le temps de transport d'un container d'Europe à Abéché est égal ou supérieur à un mois et demi et un camion met trois à quatre semaines, en fonction des conditions climatiques, de Douala à Iriba.
- par ailleurs, les différents camps (« Europa » à N'Djamena, « Les étoiles » à Abéché, et les implantations d'Iriba, de Forchana, de Goz-Beida et de Birao) ont dû être érigés en un temps très court.
Enfin, la zone de contrôle confiée à l'Eufor correspond à une surface de 1 000 km² sur 450 km. Dans ces conditions, les 25 sections dont dispose l'Eufor ont chacune un terrain d'action de plus de 18 000 km².
Le président a ensuite souligné qu'en dépit de ces obstacles l'opération menée par l'Union européenne au Tchad et en République Centrafricaine avait atteint les objectifs qui lui avaient été fixés. L'insécurité a nettement diminué et cette amélioration a, du reste, été saluée par des O.N.G. comme Oxfam. Le récent rapport du Secrétaire général des Nations unies indique que l'Eufor a « facilité les conditions dans lesquelles l'aide humanitaire est distribuée ». S'agissant de la formation et du déploiement du détachement intégré de sécurité, le DIS, 418 policiers tchadiens ont été formés et déployés dans quatre villes de l'est du pays et l'objectif de 850 policiers formés devrait être atteint prochainement. De plus, l'Eufor a su respecter le principe de neutralité qui s'imposait à une opération de ce type.
M. Josselin de Rohan, président, a souligné que les difficultés rencontrées sur la génération de forces et sur la mise en place des structures de planification et de commandement justifiaient pleinement que l'Europe se dote d'une structure de commandement intégrée permanente, aujourd'hui bloquée par le Royaume-Uni.
Toutefois, il est évident que cette opération n'aurait pu connaître le succès sans la pleine implication française, tant au niveau européen qu'à celui du support apporté par Epervier. Si l'on doit saluer la performance technique et humaine qu'a constituée l'organisation logistique de l'opération, il est vraisemblable que les objectifs fixés n'auraient pas été atteints en cas d'incidents sérieux.
La délégation de la commission a pu également constater un niveau de MCO (maintien en condition opérationnelle) des matériels extrêmement préoccupant, qui ne s'explique qu'en partie par la dureté des conditions de terrain.
Enfin, le président a abordé la question de la relève de l'opération Eufor-Tchad-RCA par la MINURCAT. Cette relève devrait avoir juridiquement lieu le 15 mars prochain, mais il est évident qu'un calendrier glissant sera adopté pour permettre à la force de l'ONU de se substituer progressivement aux troupes européennes. La pleine capacité opérationnelle de l'opération sous pavillon ONU ne sera pas atteinte avant octobre 2009 et certains des 16 Etats qui envisagent d'y participer ont subordonné leur offre à la disponibilité de certaines capacités critiques, notamment en matière de mobilité.
La résolution 1834 du 24 septembre 2008 prévoit une force de 4 900 hommes et un contingent en République Centrafricaine dont le nombre est encore soumis à discussion. M. Josselin de Rohan, président, a souligné l'importance de maintenir une présence permanente et significative en République Centrafricaine, c'est-à-dire entre 300 et 500 hommes. Faute de quoi cette zone redeviendra, dans des délais très brefs, une zone d'insécurité, laquelle se répercutera à la fois sur le Tchad mais aussi en Centrafrique elle-même.
L'augmentation des effectifs devrait permettre un déploiement sur six sites au lieu de trois actuellement et de disposer d'une réserve de théâtre du volume d'un bataillon.
Il est prévu une absence de caveats des pays contributeurs en troupes, mais un « engagement de soutien in extremis » devrait être pris par un Etat membre sur une base bilatérale, en vue d'assurer la sécurité du personnel et des biens des Nations unies en cas de débordement de la force onusienne. C'est bien évidemment la France à laquelle tout le monde pense pour cet engagement.
En l'état actuel des choses et compte tenu de l'importance des engagements de la France en matière d'opérations extérieures et de son implication au Tchad au travers de l'opération Epervier, les réticences initiales à participer à une opération internationale de grande ampleur en parallèle à une opération bilatérale demeurent toujours valables.
M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que la solution la plus convenable pourrait être un maintien temporaire de la fonction logistique pour une durée la plus courte possible au-delà du 15 mars 2009. Par ailleurs, les engagements en matière de renseignement et d'observation à l'aide de nos moyens aériens pourraient également perdurer. Il s'est interrogé par ailleurs sur le point de savoir s'il était souhaitable d'envisager une participation importante de troupes françaises à cette opération de l'ONU. Il s'est plutôt prononcé pour un renforcement en hommes et en matériels de la force Epervier, qui joue un rôle majeur dans la stabilisation de la région et de l'arc de crise dans son ensemble.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, le 14 janvier 2009, la résolution 1861 présentée par la France. Cette résolution décide de proroger, pour une période de douze mois, « la présence multidimensionnelle au Tchad et la présence militaire en République Centrafricaine destinées à aider à créer les conditions favorables au retour volontaire, sécurisé et durable des réfugiés et des personnes déplacées, y compris en contribuant à la protection des réfugiés, des personnes déplacées et des populations civiles en danger, en facilitant la fourniture de l'assistance humanitaire dans l'est du Tchad et le nord-est de la République Centrafricaine, et en créant les conditions en faveur d'un effort de reconstruction et de développement économique et social de ces zones ».
Cette décision signifie que le mandat de la MINURCAT est prolongé jusqu'au 15 mars 2010. Elle autorise le déploiement d'une composante militaire qui succédera à l'Eufor.
La MINURCAT comprendra au maximum 300 policiers, 25 officiers de liaison, 5 200 militaires, ainsi qu'un effectif approprié de personnel civil. Cette décision donne satisfaction à la France puisqu'elle prévoit le déploiement de 4 900 militaires au Tchad et de 300 en République Centrafricaine.
La résolution 1861 rappelle les objectifs relatifs à la montée en puissance du détachement intégré de sécurité (DIS). Le mandat de la MINURCAT 2 reprend celui qui avait été confié à l'Eufor. Il concerne la sécurité et la protection des civils, les droits de l'homme et l'État de droit et le soutien de la paix au niveau régional. Il réitère le fait que la MINURCAT est placée sous l'autorité du chapitre VII de la charte des Nations unies qui autorise l'emploi de la force.
À la suite de cette présentation, M. André Vantomme est intervenu pour remarquer que la brièveté du séjour de la délégation de la commission n'avait pas permis de prendre des contacts politiques en dehors des autorités officielles. Il a par ailleurs souligné l'intérêt de suivre attentivement l'évolution du Soudan, pays dont l'unité est menacée, mais aussi pour le rôle qu'il joue en soutien du mouvement d'unification de la rébellion tchadienne. Aux facteurs de fragilité propres au Soudan s'ajoute l'extrême déliquescence de l'Etat en République centrafricaine. Il s'est également inquiété de la persistance des atteintes aux droits de l'homme au Tchad, comme en témoigne un récent rapport d'Amnesty international.
M. André Vantomme a souligné que le rapatriement en France des matériels, suite à l'arrêt de l'opération Eufor, allait poser d'énormes problèmes de logistique et de coûts. Il s'est interrogé sur le point de savoir s'il ne serait pas plus efficace de laisser ces matériels au Tchad dans le cadre d'un renforcement de la force Epervier.
En conclusion, il a salué la qualité et la disponibilité de l'ensemble des responsables militaires et diplomatiques qui ont accueilli la délégation de la commission au Tchad.
M. François Trucy a fait remarquer que l'opération Eufor-Tchad-RCA était indispensable d'un point de vue humanitaire, mais qu'elle n'aurait sans doute pas connu le succès sans l'engagement considérable de la France. Toutefois, la question du retour des réfugiés dans leur village pose de nombreux problèmes. Ainsi que le faisait remarquer le Premier ministre tchadien, les services qu'ils reçoivent dans les camps, en matière de santé et d'éducation notamment, sont très supérieurs à ceux qu'ils pourront connaître dans leur environnement initial.
Comme M. Josselin de Rohan, président, il a constaté que l'ensemble des autorités tchadiennes souhaitaient le maintien de la France dans toutes ses dimensions d'aide au développement, de défense ou de culture. Il a enfin fait remarquer que les Tchadiens sont un peuple de guerriers pour lesquels la rébellion est un fait culturel et que si la manne pétrolière permettait un meilleur partage des richesses au profit du développement, elle était également une incitation supplémentaire à la prise du pouvoir. Il a souligné le rôle extrêmement important des antennes médicales très largement mises au service de la santé de la population locale.
M. Robert del Picchia a souligné l'importance, pour les Français établis dans ce pays, de la présence des forces françaises rassemblées au sein des Eléments français au Tchad (EFT), sans la protection desquelles ils ne resteraient sans doute pas au Tchad.
M. Daniel Reiner s'est interrogé sur la nature des rapports que l'opération Eufor avait eus avec les O.N.G..
M. Josselin de Rohan, président, a souligné le caractère ambigu de ce rapport qui conduit les O.N.G., en particulier les plus petites d'entre elles, à dénoncer les risques de confusion d'image entre les militaires et les humanitaires et à se satisfaire cependant de la protection des troupes quand les dangers se rapprochent.
Mme Michèle Demessine a rappelé que le Sénat allait prochainement débattre, le 28 janvier prochain, des opérations extérieures françaises et de leur prolongation, notamment au Tchad. Elle a fait remarquer que la question de la rébellion était au coeur de beaucoup de ces opérations de maintien de la paix. Elle s'est interrogée sur les circuits qui permettaient l'acquisition d'armes.
A M. André Trillard qui s'interrogeait sur les séquelles de l'affaire de l'Arche de Zoé, M. François Trucy a indiqué que ce scandale, initialement très médiatisé, avait complètement disparu de l'actualité tchadienne.
A M. Jacques Berthou, le président a indiqué qu'il n'y avait pas, à sa connaissance, d'opérations de coopération décentralisée au Tchad, mais qu'il avait proposé à M. Robert Hue de travailler sur cette question au nom de la commission.
A M. Jean-Pierre Chevènement, qui s'interrogeait sur le bilan politique de l'opération Eufor, M. Josselin de Rohan, président, a fait remarquer que les objectifs fixés étaient de sécuriser l'est du Tchad, dans un but humanitaire, en protégeant les O.N.G. afin qu'elles puissent secourir les populations réfugiées et déplacées. Par rapport à ces objectifs, l'Union européenne a atteint ses buts. Cette opération permet de constater l'intérêt qu'il y a à multinationaliser les opérations de maintien de la paix. Cela étant, la présence française reste fondamentale car, sans elle, le Tchad, qui présente un intérêt stratégique pour notre pays, serait soit dépecé, soit satellisé.
M. André Vantomme a abondé dans le même sens en faisant remarquer que la sécurisation apportée par les opérations Epervier et Eufor permettait au Tchad de maîtriser sa sécurité au nord, vers le Sahel, où s'installent des milices djihadistes qui se réclament d'Al-Qaïda.
Nomination d'un rapporteur
La commission a décidé de confier à M. Jean-Pierre Chevènement la préparation d'un rapport d'information sur le thème « prolifération, désarmement et sécurité de la France ».
Mercredi 21 janvier 2009
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Loi de programmation militaire 2009-2014 - Audition du général Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées
La commission a procédé à l'audition du général d'armée Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009-2014.
Le général d'armée Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées, a estimé que le projet de loi de programmation militaire 2009-2014 marquait le lancement d'une réforme délicate appelant de la part des armées beaucoup de constance et un travail considérable d'adaptation. Partant des acquis de la précédente loi, le projet prend en compte les orientations capacitaires découlant du Livre blanc, les réformes liées à la révision générale des politiques publiques et les retours d'expérience des engagements opérationnels récents. La future loi accompagnera une transformation de l'outil de défense au moment même où les armées sont engagées dans des missions difficiles marquées par le retour des opérations de guerre. En permanence, 13 000 soldats français sont engagés en missions extérieures, 35 000 participent aux missions de présence et de souveraineté et près de 2 000 sont engagés dans les missions quotidiennes de sûreté sur le territoire national. Il est essentiel de conserver à l'esprit que l'unique raison d'être du ministère de la défense demeure le maintien d'une armée opérationnelle.
Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a souligné que le projet de loi de programmation militaire traduisait en termes physiques et financiers la volonté forte exprimée par le Président de la République en matière de défense. Il permettra à la France de rester parmi les puissances, peu nombreuses, capables d'assurer leur sécurité et d'appuyer leur diplomatie sur des capacités militaires crédibles, et il prolongera de façon très significative l'effort de recapitalisation de l'outil de défense entamé lors de la précédente loi de programmation.
Première étape de la mise en oeuvre de la nouvelle stratégie de sécurité nationale, la loi de programmation organisera la transformation des forces, sous-tendue par de nouveaux contrats opérationnels, tout en garantissant en permanence l'efficacité de l'outil militaire.
La priorité donnée à la fonction connaissance et anticipation se traduira, à terme, par un doublement des budgets alloués au domaine spatial. Au-delà de la poursuite des programmes en cours de réalisation, plusieurs opérations lourdes, dont les premiers effets sont attendus à partir de 2015, seront lancées, notamment le futur système d'observation spatiale Musis et le satellite d'écoute électromagnétique Ceres. Le renforcement des effectifs et la rationalisation de la chaîne de renseignement sont également programmés.
Le rôle dévolu à la fonction dissuasion est conforté. Maintenue à un niveau de stricte suffisance, la dissuasion demeure un fondement essentiel de la stratégie française. Au cours de la période 2009-2014, l'effort portera sur la modernisation des deux composantes, avec la mise en service d'un quatrième sous-marin lanceur d'engins de nouvelle génération et la livraison des missiles M51 et ASMPA. Cet effort portera également sur la préparation de l'avenir avec la poursuite du développement du programme de simulation.
Pour la fonction intervention, l'effort sera porté sur la modernisation de l'outil de combat aéro-terrestre, la modernisation progressive de l'outil de combat aérien, la projection et la mobilité, les appuis et la frappe dans la profondeur, ainsi que les structures de commandement et le renseignement. Il s'agira également de renforcer la protection des combattants et des zones de stationnement. Les études de définition des équipements à venir ont pris en compte les nouveaux besoins liés à la mobilité sur les théâtres, aux engagements dans les zones urbaines ou d'accès difficile et ceux liés à la maîtrise des effets à travers l'acquisition de munitions de précision.
Pour les deux autres fonctions stratégiques, il s'agira essentiellement de recentrer le dispositif de prévention et de développer les capacités de protection de la population et du territoire national.
Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a estimé que, à la fin de la période de programmation, la capacité d'appréciation autonome des situations serait nettement renforcée, cinq brigades terrestres seraient entièrement numérisées et la proportion d'armes concourant à la frappe de précision serait doublée tout en étant diversifiée, grâce aux missiles de croisière équipant les frégates multi-missions puis les sous-marins d'attaque Barracuda, et à la mise en oeuvre de l'armement air-sol modulaire (AASM) sur le Rafale.
Il a ajouté qu'au cours de la période 2015-2020, l'accent serait porté sur la poursuite de la modernisation des forces terrestres, avec la livraison des blindés multirôles et de reconnaissance destinés à remplacer l'AMX 10RC et les véhicules de l'avant blindés (VAB), sur la modernisation des capacités des avions de combat, sur la poursuite du renouvellement de la flotte de surface, notamment pour les capacités amphibies et de projection maritime, et sur l'acquisition des premiers moyens dédiés à l'alerte avancée.
Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a estimé qu'avec 185 milliards d'euros de crédits de paiement consacrés à la mission défense, hors charges de pensions, le projet de loi de programmation respectait un bon équilibre entre les effectifs, le fonctionnement, l'entraînement, les équipements et les munitions.
Il a précisé que les crédits consacrés à l'activité et au fonctionnement des armées, fixés à 11,2 milliards d'euros, seraient en diminution par rapport à la période précédente compte tenu de la réduction des effectifs et des gains attendus de la réforme en cours, mais qu'ils permettraient de maintenir les objectifs annuels d'activité en cohérence avec les standards d'entraînement de l'OTAN.
Les crédits de masse salariale, hors pensions, s'élèveront à 63 milliards d'euros, en cohérence avec la diminution attendue des effectifs. Ils permettront en particulier de poursuivre le plan d'amélioration de la condition du personnel.
Les crédits d'équipement atteindront 101 milliards d'euros sur la période, passant de 16,6 milliards d'euros en 2009 à 18 milliards d'euros en 2014, soit une augmentation de 9% au-delà de l'inflation théorique. Cette croissance se poursuivra chaque année pour atteindre 20,2 milliards d'euros en 2020.
Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a précisé que la mobilisation de recettes exceptionnelles représenterait 3,7 milliards d'euros sur la durée prévue par la loi, près de 90% de ce montant devant être attribués au cours des trois premières années.
Il a souligné que l'ensemble des économies dégagées par la mise en oeuvre de la réforme serait entièrement réutilisé au profit de la défense, au travers des mesures d'amélioration de la condition du personnel et d'une majoration globale de 6 milliards d'euros des crédits d'équipement pour l'ensemble de la période.
Il a évoqué l'impact positif du plan de relance économique, avec notamment l'acquisition d'hélicoptères EC 725 Caracal et d'un troisième bâtiment de projection et de commandement, ainsi que la livraison plus rapide qu'initialement envisagée des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), des Rafale et des petits véhicules protégés (PVP). Il a précisé que ce plan constituait une avance sur les crédits des deux prochaines lois de programmation, à l'exception de 2 Caracal et de 15 véhicules blindés Aravis. Ces derniers relèvent d'acquisitions en urgence opérationnelle, tout comme certaines munitions destinées à l'artillerie, à l'hélicoptère Tigre et à l'aviation de combat. Par ailleurs, le plan de relance permet l'achat de pièces de rechange, en particulier pour les matériels aéronautiques.
Le général d'armée Jean-Louis Georgelin s'est félicité de l'effort important prévu au profit des équipements et du maintien en condition opérationnelle, en augmentation de 8% en moyenne sur 2009-2014 par rapport à 2008, et des mesures sociales d'accompagnement de la réorganisation des armées.
Il a considéré que le projet de loi permettrait de remplir les objectifs fixés à condition de réussir la « manoeuvre » des effectifs qui se déroulera au cours des sept prochaines années.
Il a ajouté que les contraintes financières conduisaient à devoir accepter des réductions temporaires de capacités dans des domaines tels que le transport aérien, le combat aéroterrestre, avec le nécessaire maintien en service d'une partie des VAB et la diminution de la capacité à tirer des missiles à longue portée à partir d'hélicoptères, la composante navale, qui sera durablement en deçà de l'objectif en termes de frégates, d'hélicoptères embarqués et de missiles anti-navires, et enfin le combat aérien, où la polyvalence des Mirage 2000D ne sera pas réalisée avant 2018/2019.
Dans ces conditions, l'intégralité de la cible finale des objectifs du Livre blanc ne pourra être atteinte qu'à l'horizon 2023-2025.
En conclusion, le général d'armée Jean-Louis Georgelin a fait part de certains sujets de préoccupation.
Il a constaté que le solde de gestion 2008 se traduisait par une encoche de 700 millions d'euros pénalisant l'entrée dans la nouvelle programmation.
Il a estimé que la réalisation de la loi de programmation reposerait en partie sur la capacité des industriels à maîtriser les coûts de production et de maintien en condition opérationnelle.
Il a souligné l'ampleur inégalée des mesures à mettre en oeuvre en matière de ressources humaines. Au cours des six prochaines années, le format des armées sera réduit de 17%, passant en 2014-2015 à 225 000 hommes et femmes, dont 192 600 militaires, soit l'équivalent des effectifs du Marine Corps américain. L'effort de déflation sera trois fois supérieur à celui de la période de professionnalisation. Sur la base d'un ratio de 75% de militaires pour 25% de civils, les effectifs diminueront de 4 000 officiers, 18 000 sous-officiers, 18 200 militaires du rang et 13 500 civils. L'effort portera essentiellement sur les soutiens qui devront représenter 75% de ces déflations.
Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a indiqué que, pour ne pas tarir la source de recrutement des militaires, les mesures de reclassement dans la fonction publique devraient être mises en oeuvre dans des conditions optimales et les mesures d'accompagnement au départ devraient être attractives. Il faudra également que les engagements en matière de masse salariale soient effectivement respectés.
Le général d'armée Jean-Louis Georgelin a également mentionné, parmi les sources de préoccupation, la concrétisation effective des ressources planifiées, les recettes exceptionnelles, les incertitudes lourdes pesant sur certains programmes d'armement, en tout premier lieu l'avion A400M dont le retard risque de prolonger de façon inquiétante le déficit en capacité de transport aérien, et enfin les conditions de remboursement des sommes avancées dans le cadre du plan de relance économique, afin de ne pas fragiliser la cohérence capacitaire établie sur l'ensemble des deux lois de programmation. Il a observé que les facteurs de succès ne dépendaient pas uniquement du seul volontarisme du ministère de la défense mais exigeaient une véritable mobilisation entre les ministères et au sein de la fonction publique, ainsi que le soutien de la représentation nationale.
A l'issue de cet exposé, un débat s'est ouvert au sein de la commission.
M. Josselin de Rohan, président, a indiqué qu'au cours des déplacements réalisés sur les théâtres d'opérations, les membres de la commission avaient constaté le vieillissement de certains matériels, notamment les hélicoptères et avions de transport. Il s'est demandé ce qu'était, dans ces conditions, la capacité de la France à participer à d'éventuelles nouvelles opérations. Abordant le coût de ces opérations, il a relevé que la future LPM assurerait leur couverture à hauteur de 630 millions d'euros jusqu'en 2011, et que cette somme était inférieure au coût constaté en 2008. Il a souhaité savoir dans quelle mesure pouvait être escomptée une réduction du surcoût des opérations extérieures au cours des prochaines années. Il s'est enfin interrogé sur les conséquences, pour les capacités opérationnelles, de l'étalement envisagé de certains programmes, comme les hélicoptères, les frégates et les véhicules blindés, et a souhaité savoir si des solutions palliatives telles que des locations de matériel, des achats sur étagère ou des mutualisations entre pays européens étaient envisagées.
En réponse, le général d'armée Jean-Louis Georgelin a apporté les précisions suivantes :
- les effectifs militaires des trois armées, qui passeront de 245 000 hommes, aujourd'hui, à 192 000 à la fin de la prochaine LPM, permettent clairement à la France de réaliser dans de bonnes conditions les déploiements extérieurs qui s'élèvent actuellement à 13 000 hommes en moyenne ;
- ces personnels disposent d'équipements adaptés, même s'il existe certaines difficultés, particulièrement dans les capacités de transport stratégique, de transport inter-théâtres et de recueil du renseignement. Ces difficultés peuvent être compensées par les moyens fournis par d'autres pays au sein des coalitions multinationales auxquelles la France participe ;
- notre pays doit cependant s'interroger sur la pertinence du niveau actuel de ses effectifs dans certaines opérations, voire sur le maintien de ces opérations elles-mêmes. Des allègements semblent possibles en Côte d'Ivoire, au Kosovo et au Liban. La mission de l'Union européenne au Tchad va être relevée en avril prochain par les troupes de la MINURCAT, sous l'égide des Nations unies, et celle déployée en Bosnie pourrait s'achever rapidement ;
- le conseil de défense réuni en 2002 avait décidé que le surcoût des OPEX serait intégralement financé par des crédits supplémentaires qui leur seraient spécifiquement affectés, suivant l'exemple des Etats-Unis d'Amérique ou du Royaume-Uni ; cette décision n'a malheureusement pas été suivie d'effet, puisque ces surcoûts sont financés, au sein du ministère de la défense, par des apports de crédits au demeurant inférieurs aux besoins. Ces crédits sont ainsi comptabilisés comme effort de défense. En 2008, le surcoût des OPEX devrait s'élever à 833 millions d'euros, alors que 460 millions seulement ont été provisionnés à cet effet, auxquels s'ajoutent 60 millions au titre de la réserve interministérielle. En dépit de ces insuffisances, la situation actuelle est un progrès considérable par rapport à celle qui prévalait avant 2002, époque à laquelle le surcoût des OPEX était financé par les crédits d'équipements ;
- le taux de disponibilité des matériels déployés sur les théâtres extérieurs avoisine les 95 % pour les matériels terrestres, et est un peu inférieur pour les matériels aéronautiques. Certains dysfonctionnements sont apparus sur le théâtre tchadien ; il conviendra d'en rechercher les causes. En revanche, en Afghanistan, la disponibilité des matériels militaires français est la meilleure parmi toutes les nations déployées sur ce théâtre : cette disponibilité est à la mesure des risques encourus par les militaires présents dans cette région. De plus, 104 millions d'euros ont été dégagés en 2008 pour financer, en urgence opérationnelle, les programmes nécessaires à un renforcement de la protection de nos soldats. Ainsi la disponibilité globale des équipements sur les théâtres extérieurs est-elle satisfaisante, même si certains, comme les hélicoptères, y sont exposés à une usure rapide. Le plan de relance va permettre, de surcroît, l'achat de pièces de rechange supplémentaires à hauteur de 186 millions d'euros.
M. Didier Boulaud a souligné que toutes les lois de programmation militaire qui se sont succédé ont été sous-exécutées, et que la LPM 2003-2008 n'échappait pas à cette constatation, comme semble l'indiquer un rapport de la Cour des comptes dont la commission n'a cependant pas été destinataire. Il s'est ensuite interrogé sur les conséquences, en termes de personnels et de financement, de la réintégration de la France dans l'OTAN, soulignant que cette organisation est caractérisée par une lourde technocratie, que notre pays devrait s'attacher à alléger. Evoquant ensuite le programme de simulation nucléaire, il s'est interrogé sur les raisons du décalage de sa réalisation. Il s'est enfin enquis des mesures prévues pour inciter les collectivités territoriales, comme la fonction publique d'Etat, à recruter certains des personnels civils et militaires qui devront quitter le ministère de la défense dans le cadre de la suppression des 54 000 emplois prévue par la RGPP (révision générale des politiques publiques).
En réponse, le général d'armée Jean-Louis Georgelin a précisé que :
- la LPM 2003-2008 est certainement celle dont l'exécution financière a été la plus satisfaisante ;
- la France n'a pas à réintégrer l'OTAN, puisqu'elle ne l'a jamais quittée : en 1966, le Général de Gaulle a décidé de retirer nos forces du dispositif militaire intégré mis en place pour faire face aux troupes du pacte de Varsovie, mais ce dispositif n'existe plus aujourd'hui où ne subsistent que des états-majors. Avec la fin de la guerre froide, l'OTAN s'est déjà fortement restructurée, avec la création d'un commandement spécifiquement dévolu à la « transformation » et la suppression de nombreux états-majors. Par ailleurs, la France compte parmi les premiers contributeurs tant financièrement qu'en participation aux interventions qui se sont succédé depuis la crise des Balkans. Un rapprochement s'est déjà opéré en 1995, avec la décision de la France de participer au comité militaire, puis avec l'insertion de personnels dans les états-majors. La situation actuelle est donc paradoxale, la France consacrant d'importants moyens aux opérations de l'OTAN, sans disposer de représentants dans les structures de commandement où s'opère la maturation des décisions. Une plus grande place dévolue à la France au sein de l'OTAN s'accompagne, ainsi que l'a exprimé le Président de la République lors de ses récents voeux aux armées, d'une réelle consolidation de la politique de défense européenne. Par ailleurs, la présence pleine et entière de notre pays au sein de l'OTAN lui permettra de contribuer à mieux réformer cette organisation.
M. François Trucy, rapporteur spécial de la mission « défense » pour la commission des finances, a souhaité savoir combien de régiments seraient supprimés dans l'armée de terre, du fait des futures réductions d'effectifs. Il s'est également interrogé sur le périmètre géographique des futures bases de défense.
M. Jean-Pierre Chevènement s'est interrogé sur les buts de guerre poursuivis par la coalition présente en Afghanistan, et les moyens les plus adéquats à mettre en oeuvre pour espérer remporter une victoire. Il a fait état de l'ardeur des populations animées par l'esprit du djihadisme, qu'on peut estimer à 1,2 milliard de personnes, et a exprimé le doute qu'une force d'une telle ampleur puisse être caractérisée comme « faible », par opposition à la force qui serait représentée par l'Occident. Il s'est étonné que le chef d'état-major des armées se déclare satisfait de l'état des matériels déployés en opération tout en admettant la réduction de certaines capacités comme la possibilité de délivrer des missiles à longue portée depuis les hélicoptères. Il a déploré que les capacités de frappe dans la profondeur soient réduites depuis l'abandon du lance-roquettes multiple, ainsi que l'insuffisance des blindés, ce qui constitue d'importantes défaillances dans les actions de guerre que nous avons à mener en Afghanistan, ces lacunes n'étant pas comblées par les indéniables qualités de matériels tels que le VAB ou le Caracal. Enfin, M. Jean-Pierre Chevènement a souhaité avoir confirmation que la réalisation du modèle d'armée esquissé dans la LPM 2009-2014 serait effective à l'horizon 2023-2025.
M. Daniel Reiner a souligné l'importance et la difficulté présentées par la réduction d'effectifs de 54 000 personnes requise par la RGPP, et s'est interrogé sur sa faisabilité. Il a également évoqué la création des bases de défense, dont onze mises en place en 2009 à titre expérimental, déplorant la diversité des problèmes à régler pour leur bon fonctionnement, comme l'unification des systèmes de comptabilité. Il s'est également interrogé sur une prise en compte réaliste des coûts de MCO (maintien en condition opérationnelle) des matériels par la LPM 2009-2014, coûts qui ont été notablement sous-évalués par la LPM 2003-2008.
En réponse, le général d'armée Jean-Louis Georgelin a apporté les précisions suivantes :
- la réduction de 54 000 postes au sein du ministère de la défense impliquera de doubler le recrutement d'anciens militaires par chacune des trois fonctions publiques ; ces recrutements pourront se faire sous le régime de l'article 70-2, ou sous celui, nouveau, du détachement-intégration. Seules des solutions locales, appuyées par la délégation aux reconversions, seront pertinentes. L'ampleur d'une telle réduction d'effectifs requiert indéniablement une réflexion interministérielle ;
- la simulation constitue un volet important de l'effort de dissuasion, effort qui représente 20 % des crédits d'investissement de la défense, soit au total 10 % des crédits affectés à cette mission : dans le cadre de la doctrine de stricte suffisance, les crédits affectés à cette fonction stratégique sont d'une ampleur limitée. Les programmes de simulation en cours suivent le calendrier prévu ;
- le redéploiement de l'armée de terre se traduira globalement par la dissolution en métropole de 18 régiments, de 30 détachements et de 6 états-majors ; la création des bases de défense est une mesure complexe à mettre en oeuvre : elle consiste à mutualiser l'ensemble des soutiens des différents organismes de la défense stationnés sur une aire géographique donnée, d'un rayon moyen d'une trentaine de kilomètres. Cette mutualisation portera sur le règlement de soldes, la gestion des effectifs ; il s'agit d'un schéma simple mais qui ne doit pas méconnaître les spécificités de la condition militaire ; en effet, la menace majeure pesant aujourd'hui sur notre armée réside dans une banalisation du métier militaire, qui ferait obstacle à l'accomplissement des missions assignées à l'armée. Par exemple, les travaux de soutien à effectuer en opérations, qu'il s'agisse de soutien des hommes ou des matériels, ne peuvent être correctement effectués que par des militaires, et cette évidence ne doit pas être occultée. Onze bases de défense expérimentales sont mises en place à compter de janvier 2009 : cette expérience requerra une durée suffisante pour pouvoir en tirer toutes les conclusions opérationnelles ;
- la décision d'intervenir sur le théâtre afghan relève de la responsabilité des hautes autorités de l'Etat. Celle du chef d'état-major des armées consiste à assurer sa mise en oeuvre dans de bonnes conditions. Il faut souligner que les unités envoyées en juillet 2008 dans la zone estimée fort dangereuse de Kapisa viennent de rentrer en France sans aucun blessé majeur, et en ayant contribué à une notable amélioration de la sécurité locale, ce qui témoigne de la qualité de la préparation des troupes françaises. La situation sécuritaire en Afghanistan peut être qualifiée de tendue, avec l'utilisation d'engins explosifs improvisés et le recours aux attentats suicide ; les talibans ne constituent pas pour autant une armée cohérente capable de conduire de réelles opérations militaires, à l'image de celles qui ont caractérisé les combats en Indochine ou en Algérie. Les deux bataillons français présents en Afghanistan bénéficient de moyens de renseignements, nationaux ou provenant de la coalition. Ils peuvent s'appuyer sur les hélicoptères Gazelle et Caracal, qui ont un bon taux de disponibilité. Il est donc impossible de dire que les troupes françaises sont insuffisamment dotées d'appuis de précisions, puisqu'elles disposent de ceux de la coalition, ainsi que de leur matériel propre ;
- le modèle d'armée résultant du Livre blanc pourrait en effet être réalisé à l'horizon 2023-2025.
Nomination de rapporteurs
La commission a ensuite nommé rapporteurs :
- Mme Joëlle Garriaud-Maylam sur le projet de loi n° 142 (2008-2009) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération transfrontalière en matière judiciaire, policière et douanière ;
- M. Jean Milhau sur le projet de loi n° 159 (2008-2009) autorisant la ratification du traité de Singapour sur le droit des marques ;
- M. Rachel Mazuir sur le projet de loi n° 160 (2008-2009) autorisant la ratification du traité sur le droit des brevets ;
- M. Xavier Pintat sur le projet de loi n° 1272 (AN - XIIIe législature) autorisant la ratification des protocoles au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la République d'Albanie et de la République de Croatie.
Déplacement en Turquie - Communication
Puis la commission a entendu une communication de M. Josselin de Rohan, président, et de Mme Catherine Tasca relative à leur déplacement en Turquie du 13 au 16 octobre 2008.
M. Josselin de Rohan, président, a rappelé qu'à l'invitation de M. Murat Mercan, président de la commission des affaires étrangères de la Grande assemblée nationale turque, une délégation de la commission s'était rendue en Turquie.
Les relations entre la France et la Turquie s'étaient en effet profondément dégradées sous l'influence de plusieurs facteurs :
- la reconnaissance législative du génocide arménien ;
- la proposition de loi pénalisant la négation de ce génocide votée par l'Assemblée nationale ;
- l'infléchissement de la position française sur le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne qui est revenue sur l'accord unanime de 2004 du Conseil européen et qui conteste la vocation européenne de ce pays ;
- et, enfin, le débat que le Sénat a eu avec l'Assemblée nationale sur la rédaction de l'article 88-5 de la Constitution sur les conditions de ratification des traités d'adhésion à venir.
Ces différents événements ont créé un climat délétère dans les relations franco-turques, que la commission avait rappelé lors du débat sur la révision constitutionnelle, s'agissant d'un pays ami et allié de la France. L'amendement présenté par l'Assemblée nationale avait alors été jugé inacceptable par le Sénat parce qu'il différenciait spécifiquement un pays candidat auquel il prétendait interdire la poursuite impartiale des négociations d'adhésion.
Les conséquences de cette situation ont été très importantes. En matière politique, la France, avec laquelle la Turquie entretient des relations historiques et affectives, est devenue, dans l'opinion publique turque et chez les élites, le « meilleur ennemi ». On estime à 5 milliards d'euros le montant des contrats qui ont échappé aux entreprises françaises systématiquement écartées des grands appels d'offres. Dans le domaine militaire, les relations ont été totalement gelées alors même que les troupes des deux pays sont engagées conjointement sur plusieurs théâtres d'opérations, au Liban, au Kosovo ou en Afghanistan. En outre, la Turquie considère avec réserve la volonté de la France de reprendre toute sa place au sein de l'OTAN.
Les positions que la commission des affaires étrangères du Sénat avait prises à ce moment-là et, d'une manière générale, la position modérée du Sénat, ont fait de notre assemblée un interlocuteur crédible et sincère vis-à-vis de nos homologues turcs.
Le premier objectif de la mission conduite avec Mme Catherine Tasca visait à conforter cette position et à contribuer, au niveau qui est le nôtre, à un certain apaisement des relations bilatérales.
Cet objectif a été atteint par la mission qui a pu lier des relations personnelles avec nos interlocuteurs turcs dans un climat de respect mutuel, qui a permis d'atténuer les oppositions et de mieux prendre en compte les préoccupations exprimées de part et d'autre.
Beaucoup de choses restent encore à faire mais la relation de confiance qui a été établie à cette occasion doit être entretenue et développée avec ce partenaire majeur de l'Europe et de la France.
M. Josselin de Rohan, président, a indiqué qu'il avait invité M. Murat Mercan au Sénat, conformément à sa demande de tenir des réunions régulières entre nos assemblées. Sous réserve de la confirmation de date, cette délégation de la commission des affaires étrangères de la Grande assemblée devrait se rendre en France au mois d'avril 2009.
Il a ensuite indiqué que cette visite en Turquie avait permis de rencontrer le Président de la République, M. Abduluh Gül, le ministre de la défense, M. Vecdi Gonül, le vice-président du groupe d'amitié Turquie-France, M. Sukru Elerdag, le président de la Grande assemblée nationale turque M. Koksal Tpotan, et bien évidemment, M. Murat Mercan. Il a tenu à préciser qu'au cours de cette dernière réunion les membres de l'opposition, en particulier des représentants de l'opposition kurde, étaient présents. Malheureusement, le projet de rencontre avec le Premier ministre, M. Erdogan, avait dû être annulé en raison d'une réunion de crise sur la gestion du terrorisme. Des réunions avaient également été organisées en matière économique et culturelle à Istanbul.
Le président a indiqué avoir prononcé une intervention à l'université Galatasaray, haut lieu de la francophonie turque, sur le thème « la France, l'Union européenne, l'OTAN et la gestion des crises internationales ». La délégation avait également organisé une réunion avec les représentants des milieux économiques turcs au travers de leur organisation patronale, équivalente du MEDEF, la TUSIAD.
Enfin, pour clôturer cette visite très dense, un dîner avait été organisé par M. Jak Kamhi, grand ami de la France, qui nous a permis d'approfondir les contacts, en particulier avec le ministre de la défense.
Tous ces entretiens se sont déroulés dans un climat de grande franchise et ont permis des échanges particulièrement directs permettant la manifestation de l'incompréhension turque face à la position française.
M. Josselin de Rohan, président, a ensuite décrit l'état des relations avec la Turquie, que ce soit dans un cadre bilatéral ou dans le cadre européen. Il a rappelé un certain nombre de faits essentiels :
- la Turquie est un partenaire politique majeur, et donc incontournable, pour la France et pour l'Europe, que ce soit à l'ONU, dans les différentes instances européennes (Conseil de l'Europe, OCDE etc.), dans les instances régionales comme celles qui concernent la mer Noire, ou bien encore évidemment à l'OTAN. Nos relations avec ce pays ne peuvent être négligées et ne devraient pas être affectées par des considérations de politique intérieure ;
- la Turquie est un partenaire économique majeur puisqu'il est le cinquième partenaire commercial de la France, avant même le Japon. Les échanges portent sur plus de 10 milliards d'euros. La position de nos entreprises, avec 290 implantations locales offrant près de 70 000 emplois, et le niveau de nos investissements directs dans ce pays (13 milliards de dollars en stock), nous placent dans une situation exceptionnelle ;
- la Turquie est un partenaire diplomatique que l'on ne peut ignorer. Sa proximité géographique avec l'Iran, l'Irak et la Syrie, ses relations particulières avec Israël, sa proximité structurelle avec les Etats-Unis d'Amérique, son influence dans le Caucase et dans les pays turcophones, son implication évidente dans les relations européennes, que ce soit avec la Grèce ou, bien évidemment, avec Chypre, en font un interlocuteur évident ;
- la Turquie est un interlocuteur militaire fondamental pour la politique extérieure française. Sa participation au sein de l'OTAN lors de la guerre froide a montré qu'elle disposait d'une force armée bien équipée, bien entraînée et efficace, et lui fait jouer naturellement un rôle stabilisateur dans l'ensemble des conflits actifs ou latents de la zone. Sa place de membre majeur de l'OTAN lui confère naturellement une fonction d'arbitre, ou tout au moins une position de pression précieuse, dans la question, fondamentale pour notre diplomatie, du rapprochement entre la PESD et l'OTAN ;
- enfin, les correspondances culturelles entre les deux pays sont évidentes. L'influence de la culture française dans les élites turques, comme en témoigne le travail exceptionnel réalisé par notre pays et par les autorités turques en matière éducative, dont l'université et le lycée Galatasaray apparaissent comme le navire amiral, mais aussi en matière de droit, doit impérativement être maintenue et préservée.
Le président a souhaité insister particulièrement sur la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne en tenant à souligner son caractère fondamental tant en matière de politique intérieure que de politique étrangère.
L'arrivée au pouvoir, en 2002, du Parti de la justice et du développement (AKP), le nouveau parti conservateur, qui avait décidé d'abandonner la rhétorique religieuse et refusait même d'être qualifié de parti religieux, a profondément modifié les équilibres politiques internes de la Turquie kémaliste.
Ce parti, que dirigent M. Erdogan, Premier ministre, et M. Abduluh Gül, Président de la République, a entamé et mis en oeuvre un ensemble de réformes économiques et politiques, qui ont permis de sortir de la crise financière de 2001 et de connaître un taux de croissance remarquable tout en ayant jugulé l'inflation.
Dans ce contexte, le gouvernement a également obtenu, en décembre 2004, l'ouverture de négociations en vue de l'adhésion à l'Union européenne. Il est important de comprendre que la perspective européenne constitue le grand dessein de la Turquie, non pas depuis les années 2000, mais depuis une période beaucoup plus longue. Il n'y a pas, aujourd'hui, de « grand dessein » de rechange en matière politique ou en matière économique pour le gouvernement turc. C'est dans ce sens que le Président Gul a rappelé, lors de l'entretien avec la délégation, la volonté de son pays de continuer de manière résolue dans la voie des réformes en vue de l'adhésion.
Le Premier ministre, M. Erdogan, a également souligné, le 19 janvier 2009, lors de sa visite auprès des institutions européennes, « qu'il n'y a pas d'alternative » à une adhésion pleine et entière à l'Union européenne, qui reste la « priorité numéro un » et « l'objectif stratégique » de la Turquie.
La « panne européenne » de la Turquie s'explique par la conjugaison de deux séries d'événements : si l'année 2004 a été marquée par l'acceptation à l'unanimité de la candidature turque par le Conseil européen, elle correspond également à la montée en puissance de l'euroscepticisme dans les opinions européennes, traduite ultérieurement notamment par les « non » français et néerlandais, puis irlandais respectivement au projet de constitution européenne et au traité de Lisbonne. Ce doute des opinions s'explique en partie par des sentiments irrationnels du type « plombier polonais » qu'accentuent les incertitudes économiques. Ces sentiments et ces incertitudes ont du reste été largement exploités dans le débat politique intérieur de chacun des pays européens. Plus fondamentalement, et plus rationnellement, le débat porte, en fait, sur l'équilibre entre l'élargissement et l'approfondissement.
En Turquie, après une période de réformes accélérées qui avaient permis au Conseil européen de reconnaître que les critères de Copenhague étaient « suffisamment » remplis pour que la négociation puisse commencer, avec pour « objectif commun l'adhésion », le pays est rentré, en 2007, dans une série de crises politiques qui ont conduit à l'arrêt quasi total des réformes. Ces différentes crises tournent toutes autour de la question fondamentale de la laïcité turque.
La crise initiale a eu lieu en 2007 à l'occasion de l'élection du Président de la République à laquelle l'AKP présentait la candidature de M. Abduluh Gül. Jusqu'à cette date, il existait un compromis qui réservait la présidence à la mouvance kémaliste. Cette situation pouvait s'expliquer par les pouvoirs très importants du Président de la République dans la Constitution de 1982 laquelle, il faut le souligner, avait été rédigée par le régime militaire de l'époque.
Le blocage parlementaire de l'opposition kémaliste, soutenue par l'armée, lors des différents tours de scrutin de cette élection pour la présidence, a conduit le gouvernement de M. Erdogan à provoquer des élections législatives anticipées que l'AKP a remportées à nouveau, améliorant même son score de 2002 en passant de 34 % des suffrages à 47 %.
Le parti dispose de la majorité absolue à la Grande assemblée sans pour autant atteindre la majorité des deux tiers qui lui permettrait une modification autonome de la Constitution.
La Grande assemblée, avec cette nouvelle majorité, a donc porté à la présidence de la République le principal lieutenant de M. Erdogan, M. Abduluh Gül dont le caractère modéré des opinions et la grande expérience politique (ancien Premier ministre, ancien ministre des affaires étrangères) offre des garanties sérieuses à l'opposition, même si son épouse porte le petit voile lors des cérémonies officielles.
Fort de ce succès, l'AKP s'est lancé, sans doute imprudemment, dans un second combat qui posait une nouvelle fois la question de la laïcité au travers d'un amendement constitutionnel autorisant le port du « petit voile » à l'université, qui s'est terminé par un recul du gouvernement puisque cette disposition a été annulée par la Cour constitutionnelle. Les milieux juridiques sont en Turquie l'autre bastion du kémalisme avec l'armée.
La troisième crise, encore plus grave, est la procédure lancée le 14 mars 2008 par le Procureur général pour demander à la Cour constitutionnelle la dissolution de l'AKP, considéré comme parti religieux, dont les principes et l'action seraient contraires à la Constitution de 1982, et l'interdiction de toute activité politique pour 71 hommes politiques, dont le Premier ministre et le Président de la République. Cette crise majeure, engagée par le pouvoir judiciaire, l'un des bastions du kémalisme, et soutenue par l'armée, s'est heureusement terminée puisque six juges sur 11 se sont déclarés en faveur de l'interdiction alors que celle-ci ne peut être prononcée que par 7 voix. Pourtant, 10 juges sur 11 ont accepté de condamner le parti à des sanctions financières qui vont le priver de la moitié de son financement public. Il s'agit donc d'un compromis de sagesse, sans lequel le pays aurait pu s'engager dans une voie beaucoup plus dangereuse, mais aussi d'un avertissement très sérieux donné au gouvernement et à l'AKP. De plus, le début de l'année 2009 sera consacré à la bataille pour les élections municipales qui pourraient consacrer une progression supplémentaire de l'AKP. Au total, le mouvement de réformes a été totalement bloqué depuis plus de deux ans.
La conjugaison de ces deux mouvements d'euroscepticisme européen et de crise politique intérieure en Turquie ont conduit une partie de l'opinion turque à s'éloigner du projet européen puisque le pourcentage d'opinions favorables a chuté de 70 % à moins de 40 %. Ce mouvement pourrait être accentué par l'impact de la crise économique mondiale sur la Turquie dont l'économie est principalement tournée vers l'Europe. Le ralentissement économique et la vraisemblable montée du chômage résultant de la baisse des exportations ne manqueront pas, en effet, d'influencer l'opinion publique.
De plus, l'année 2009 sera très difficile pour les négociations entre l'Union européenne et la Turquie. La réserve de chapitres ouvrables est, en effet, prématurément épuisée, en raison du gel de nombreux chapitres (huit par le Conseil européen de décembre 2006 suite au refus du gouvernement turc de mettre en oeuvre le protocole additionnel à l'accord d'Ankara ; cinq par la France qui considère que l'opposition nouvelle qu'elle a manifestée à l'adhésion de la Turquie ne permet pas d'ouvrir la discussion sur ces chapitres directement liés à cette perspective ; au moins deux par Chypre sans compter les nombreux rapports de criblage bloqués par certaines délégations, comme celui sur la libre circulation des travailleurs. Dans son intervention à Bruxelles, le 19 janvier 2009, M. Erdogan a réclamé la levée des « obstacles politiques » dans les pourparlers d'adhésion. En réponse, M. Barroso l'a assuré que la Commission soutiendra les efforts visant à dégeler tous les chapitres.
Néanmoins, le risque existe, de manière très sérieuse, que la présidence tchèque ne réussisse pas à ouvrir de nouveaux chapitres, alors même que le gouvernement turc a reconnu que la présidence française avait été impartiale et objective et en a souligné le bilan positif.
En dépit de cela, la France est toujours considérée comme le principal obstacle à la poursuite du processus d'adhésion. Nos partenaires turcs condamnent de manière extrêmement ferme le retournement de la position française et rejettent unanimement l'hypothèse d'un partenariat privilégié, comme ils avaient rejeté la proposition initiale d'Union pour la Méditerranée qu'ils considéraient comme une manoeuvre et un succédané destiné à se substituer à la perspective de l'adhésion.
S'agissant de l'argument géographique, M. Josselin de Rohan, président, a fait remarquer que les contours géographiques de l'Europe n'ont jamais été clairement définis. La question n'est donc pas de savoir si la Turquie appartient à l'Europe ou à l'Asie Mineure. Le fait est que le Conseil européen de 2004, en acceptant à l'unanimité la candidature de la Turquie, a pleinement reconnu sa vocation européenne.
Plus profondément, les parlementaires de la Grande assemblée ont clairement posé la question de savoir si le refus de la candidature de leur pays n'était pas en fait justifié par l'appartenance de plus de 99 % de sa population à la religion musulmane.
A cette question délicate, mais bien réelle, un certain nombre d'éléments de réponse peuvent être apportés. Le premier est de constater que, par contraste avec la politique violemment anticléricale de Mustapha Kemal, l'islam à progressivement retrouvé droit de cité dans la société turque depuis environ une cinquantaine d'années. Même s'il s'en défend, l'AKP ressemble à un parti religieux. Mais les événements de 2007 et 2008 ont montré la puissance du courant laïque. Même si l'armée et les kémalistes ont connu de facto des revers, ils ont clairement indiqué où se situaient les lignes rouges que le gouvernement en place ne pourrait franchir sans déclencher une réaction forte, en particulier de l'armée, dont la tradition d'intervention directe dans la vie politique est bien connue. Il faut également souligner que l'islam turc connaît une grande diversité, mais aussi que la pratique religieuse réelle de la population ne correspond en rien à ce que l'on peut constater dans d'autres pays limitrophes de la Turquie. Cela est d'ailleurs naturel dans un pays qui connaît une croissance économique forte, où l'éducation s'est puissamment développée et où les phénomènes d'urbanisation rapide et de stabilisation démographique ne vont pas dans le sens d'une radicalisation religieuse. Il est par ailleurs évident que l'AKP, qui représente 47 % des suffrages exprimés, n'est pas idéologiquement monolithique. Dans ces conditions, il est très probable qu'il n'y a pas « d'agenda caché » qui viserait à établir la charia en Turquie. Si cette tentation existait, elle conduirait très vraisemblablement à l'éclatement du parti et à la guerre civile, déclenchant une intervention de l'armée. On peut donc comprendre l'agacement de nos interlocuteurs qui nous renvoient comme argument, au travers du débat sur les valeurs, que certains, en Europe, souhaitent établir un « club chrétien ».
Pour autant, l'inquiétude devant la montée en puissance de l'AKP, qui tend à monopoliser les différents leviers du pouvoir -gouvernement, majorité absolue à la Grande assemblée, Présidence de la République, nomination à venir pour le renouvellement des juges de la Cour constitutionnelle, vraisemblable poussée aux élections municipales- est très réelle dans la société turque.
La Turquie a indiscutablement, au-delà des simples aspects juridiques, une vocation européenne. Face à la cristallisation de grands blocs régionaux au sein de la mondialisation, on peut se demander si l'Europe peut faire l'économie de l'intégration de la Turquie.
Il est pourtant évident aujourd'hui que les opinions européennes ne sont pas prêtes à un nouvel élargissement et que le fonctionnement interne de l'Union européenne, déjà extrêmement difficile, s'accommode mal de cette perspective.
Il convient, en conclusion, d'établir le dialogue avec la Turquie dans la durée. L'année 2009 risque d'être celle d'un blocage ou d'une stagnation des négociations avec la Turquie. Du côté turc il importe, comme le rappelait le président Abduluh Gül, que la Turquie poursuive de manière déterminée son processus de réforme dans le cadre des négociations avec l'Union européenne. Processus qui, même en l'absence de perspective claire d'adhésion, est nécessaire en lui-même. Il est également nécessaire que des avancées soient faites sur la question chypriote. De ce point de vue, il importe de rappeler que la Grèce comme la République de Chypre sont favorables à l'adhésion turque à l'Union européenne. Un geste de la Turquie sur la mise en oeuvre du protocole additionnel à l'accord d'Ankara permettrait immédiatement le déblocage d'un grand nombre de chapitres.
A l'inverse, tout doit être fait pour poursuivre les négociations dans un climat dépassionné et positif, notamment en ce qui concerne la PESD à laquelle il faut associer plus complètement la Turquie. Ce pays souhaite participer à la PESD dans le cadre agréé à Nice. Il convient de faire des progrès dans ce sens, même si la France désire bien évidemment dépasser le cadre de Nice, c'est-à-dire celui des accords de Berlin, que nos partenaires souhaitent voir appliqués dans tout leur potentiel avant d'envisager d'aller au-delà. De même, la Turquie se considère, à juste titre, discriminée dans sa demande de participation à l'Agence européenne de défense.
Dans un contexte de relatif blocage du processus de négociation en 2009, des progrès pourraient être fait dans ces domaines, facilitant ainsi la question des rapports entre la PESD et l'OTAN dont la Turquie peut bloquer les progrès. Il en va ainsi pour l'instant du refus turc d'accepter la proposition française d'un groupe de contact informel sur les relations OTAN-PESD. Au-delà de cela et du blocage de la candidature de Chypre à l'OTAN, on peut également lire dans cette position la crainte de la Turquie de se voir marginalisée dans une OTAN dont le pilier européen serait reconnu et opérationnel.
Enfin, M. Josselin de Rohan, président, a souhaité profiter de la saison de la Turquie en France, qui doit commencer au mois de juillet prochain pour travailler activement à mieux faire connaître ce pays et à contribuer, à notre niveau, à en changer l'image en France.
A la suite de cette présentation, Mme Catherine Tasca est intervenue pour souligner l'accueil très positif qui avait été réservé à la délégation de la commission en raison des positions prises par le Sénat lors du débat sur la révision de la Constitution.
La société turque est aujourd'hui divisée entre un courant laïc francophone et francophile qui regroupe les milieux de l'armée et de la grande bourgeoisie cultivée, dont les membres se situent dans une tranche d'âge plus élevée, et un courant islamique plus jeune, majoritairement anglophone, pragmatique, et qui regroupe les milieux entrepreneuriaux. Face à l'attitude de la France, qui est unanimement incomprise, le premier courant exprime sa déception et sa nostalgie tandis que le second courant exprime plutôt un sentiment d'incompréhension et de colère. Elle a affirmé sa conviction que l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne est la seule voie qui permette la conciliation de ces deux Turquie.
S'agissant de l'université et du lycée Galatasaray, elle a fait part de son inquiétude devant les décisions du ministère des affaires étrangères issues de la RGPP (Révision générale des politiques publiques), qui diminuent sans distinction les crédits de l'ensemble des établissements culturels français à l'étranger. Elle a souhaité que la commission des affaires étrangères saisisse officiellement le ministre afin de conforter la coopération française avec cette institution.
M. Jacques Blanc, président du groupe d'amitiés France-Turquie, a indiqué qu'en dépit des moments très difficiles de la relation entre les deux pays, le Sénat avait toujours été un instrument de meilleure compréhension entre les deux Parlements. Il a souligné l'importance que revêtirait la réussite de la « saison de la Turquie en France » prévue de juillet 2009 à mars 2010. Il a par ailleurs indiqué que le Comité des régions d'Europe avait proposé d'établir des liens entre les élus européens et les maires turcs. Il a regretté que, pour l'instant, le gouvernement turc ne facilite pas la mise en place d'un groupe de contacts pourtant prévu sur cette question.
M. Robert Badinter a apporté son appui à la demande de Mme Catherine Tasca en faveur de Galatasaray, faute de quoi la France disparaîtrait au profit des Etats-Unis d'Amérique et des anglophones.
S'agissant de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, il a dénoncé l'incohérence de la politique française dont le changement d'orientation vis-à-vis de ce pays avait été décidé par le Président de la République sans consultation du Parlement ou de l'opinion. Cette question ne pourra toutefois pas être réglée sans qu'une décision soit prise au préalable sur la question des frontières de l'Europe. La France et l'Europe ont-elles un intérêt réel à repousser leurs frontières jusqu'au Moyen-Orient, zone de conflits majeurs ?
M. Michel Guerry, tout en soutenant la coopération et l'assistance française à l'université et au lycée Galatasaray, a rappelé qu'il existait également six lycées, émanations des écoles chrétiennes, qui regroupent plus d'un millier d'élèves et qui ne bénéficient d'aucun soutien français.
En réponse à M. Robert Badinter, le président Josselin de Rohan a indiqué que le Comité des sages européens n'avait pas retenu la question des frontières de l'Europe comme l'un des objectifs de sa réflexion. Cette décision montrait clairement que les partenaires européens de la France ne souhaitaient pas que cette question fut abordée. Il a rappelé que, en France, le parti majoritaire et le Président de la République avaient pris position contre l'adhésion de la Turquie.
Il a rappelé la vivacité des discussions, notamment avec les kémalistes dont la déception par rapport aux positions françaises est d'autant plus vive que la France a joué un rôle important en matière de laïcité et de droit dans l'établissement de la République turque. Ce dépit profond explique l'accord unanime pour approuver les mesures de rétorsion qui ont été retenues en matière politique, économique et militaire.
M. Robert Badinter a souligné l'extrême qualité et le haut niveau de technicité des juristes turcs, en particulier en ce qui concerne les membres de la cour constitutionnelle. Il a dénoncé l'absurdité et l'anti-constitutionnalité des lois mémorielles, puisque rien n'autorise le Parlement français à légiférer dans ce domaine.
Mme Catherine Tasca et M. Josselin de Rohan, président, ont néanmoins souligné que les autorités turques auraient intérêt à faire un pas dans le sens de la reconnaissance des événements de 1905 en Arménie. La proposition turque d'établir une commission indépendante d'historiens, l'appel d'un certain nombre d'intellectuels à reconnaître les massacres qui ont eu lieu, l'action du Président de la République, M. Abduluh Gül, vont dans ce sens. Il appartient néanmoins aux seules autorités et au peuple turc de faire ce chemin.
S'agissant de la « saison de la Turquie en France », Mme Catherine Tasca en a souligné l'importance puisque ces événements sont de nature à faire avancer la relation bilatérale. Il convenait que le Sénat s'implique pour soutenir un certain nombre d'événements.
M. Jean-Pierre Chevènement a constaté que la cristallisation du monde en grands blocs politiques ou économiques était encore floue et que l'Europe, comme l'ONU, en son temps, devenait de plus en plus un « machin ». Dans ce contexte, il s'est interrogé sur le point de savoir s'il ne fallait pas d'abord dissoudre l'Europe pour arriver à dissoudre la Turquie dans l'Europe.