Jeudi 2 août 2007
- Présidence de M. Serge Vinçon, président.Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes
La commission a procédé à l'audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.
Accueillant M. Bernard Kouchner, M. Serge Vinçon, président, a rappelé que la Commission avait souhaité l'entendre sur les conditions de la récente libération des infirmières et du médecin bulgares retenus depuis huit ans en Libye, ainsi que sur le futur déploiement d'une force hybride ONU-UA au Darfour. Il a également souhaité que le ministre commente l'évolution des relations entre la France et le Rwanda.
Sur ce dernier point, le ministre a souhaité qu'une amélioration intervienne, et a relevé que l'Etat rwandais s'était manifesté dans ce sens en souhaitant sa visite.
Abordant ensuite les relations avec la Libye, M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, a démenti les récentes déclarations du fils du colonel Kadhafi. L'accord de coopération dans le domaine de la défense signé à Tripoli a un caractère très général et le contrat portant sur la livraison de missiles Milan, sur lequel des négociations sont en cours depuis plusieurs années, n'a absolument pas servi de contrepartie à la libération des infirmières bulgares. Il a rappelé que l'embargo sur les armes à destination de la Libye avait été levé en 2004. Rien de précis n'a cependant été évoqué sur ce point durant les discussions. L'éventuelle fourniture d'un réacteur nucléaire destiné à la désalinisation de l'eau de mer n'est qu'une perspective ouverte par le memorandum d'entente sur le nucléaire civil. L'annonce de la construction d'une manufacture d'armes par notre pays est infondée, et aucune garantie de défense n'a été promise par la France à la Libye.
Le ministre a rappelé que sa présence en Libye visait à se concerter avec le colonel Kadhafi sur le projet d'une opération d'assistance aux personnes déplacées au Tchad.
Un débat a suivi les propos liminaires du ministre.
M. Pierre Mauroy a souligné qu'un manque de transparence avait été reproché à l'exécutif dans cette affaire, et que les déclarations récentes du fils du colonel Kadhafi constituaient un fait nouveau. Il a considéré que le contenu de ces déclarations, ajouté à la signature effective de différents accords de coopération avec la Libye, notamment en matière de défense et d'applications pacifiques de l'énergie nucléaire, témoignaient de perspectives ouvertes pour l'avenir. Il a estimé que les discussions avaient certainement été beaucoup plus détaillées que ne le reconnaissait le gouvernement, et a donc considéré qu'elles justifiaient des explications.
Mme Catherine Tasca, tout en prenant acte du démenti apporté par le ministre, a déclaré partager les doutes et les interrogations de M. Mauroy. Elle s'est interrogée sur les perspectives désormais ouvertes à la relation diplomatique franco-libyenne, sur la politique de la France à l'égard des prises d'otages, ainsi que sur le rôle des proches du président de la République dans la conduite de la diplomatie française. Prenant note de l'absence de garanties apportées par la France à la Libye en matière de défense, elle a jugé positif le souhait de la Libye de réintégrer la communauté internationale, tout en soulignant que ce pays n'en avait, pour l'instant, pas donné beaucoup de gages. Elle s'est enfin interrogée sur le degré de concertation de la France avec ses partenaires européens sur le dossier des infirmières bulgares.
Mme Hélène Luc a déclaré ne pas se satisfaire des déclarations du président de la République et du gouvernement sur la question libyenne et a estimé que la France semblait faire peu de cas de la coopération avec ses partenaires européens sur ce délicat dossier.
M. André Rouvière a considéré que le ministère français des affaires étrangères sortait très affaibli de cette négociation menée sans son concours et que sa crédibilité et son autorité risquaient d'en être durablement affectées sur la scène internationale.
M. Philippe Nogrix a souligné les réactions négatives de nos partenaires européens face à l'interventionnisme du président de la République.
M. Robert del Picchia a appelé au réalisme et au pragmatisme, considérant que l'Union de la Méditerranée ne pourrait se mettre en place sans la Libye.
M. Charles Pasqua a estimé que, depuis l'instauration du quinquennat, la France évoluait vers un régime présidentiel et que l'intervention de l'épouse d'un président de la République dans la sphère diplomatique n'était pas inédite. Tout en se félicitant que le colonel Kadhafi se soit décidé à réintégrer le concert des nations, il s'est dit convaincu que la France ne remporterait pas les contrats les plus importants avec ce pays, qui seraient sans doute conclus au profit des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne.
En réponse, M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, a tout d'abord souligné que la diplomatie française n'avait pas été affaiblie par les négociations de Tripoli, et qu'au contraire, la libération des infirmières bulgares avait été un succès. Il a rappelé que leur emprisonnement, faisant suite à une décision judiciaire, ne pouvait être assimilé à une prise d'otages. Il a rappelé que le fils du colonel Kadhafi avait fait des déclarations sur l'innocence des infirmières au titre de sa fonction de président d'une fondation libyenne.
Il a donc estimé que les perspectives étaient favorables pour la diplomatie française, rappelant que la résolution du Conseil de sécurité sur le Darfour, votée à l'unanimité, devait beaucoup aux initiatives de la France, qui a réuni le groupe de contact élargi à Paris le 25 juin dernier.
Rappelant que des épouses de présidents de la République avaient déjà joué un rôle en matière diplomatique, le ministre a estimé qu'il incombait au Parlement de délibérer de l'opportunité de les doter d'un statut spécifique.
Reconnaissant que le passage au quinquennat avait eu pour effet de renforcer les aspects présidentiels de la Ve République, il a rappelé que le président de la République avait toujours joué un rôle diplomatique important et que la libération des infirmières bulgares constituait un engagement de campagne pris par l'actuel président.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, a indiqué que Mme Benita Ferrero-Waldner, commissaire chargée des relations extérieures de l'Union européenne, avait toujours été associée aux négociations pour la libération des infirmières bulgares, et qu'une très étroite concertation avait été maintenue avec le président de la Commission européenne, dans la dernière phase de la négociation. L'implication déterminante de Mme Cécilia Sarkozy a permis de faciliter l'aboutissement de négociations engagées de longue date.
Le ministre a souligné que les liens diplomatiques entre la France et la Libye avaient été renoués bien avant la libération de ces personnels médicaux.
A M. Philippe Nogrix, qui s'interrogeait sur l'opportunité de doter la Libye, pays riche en ressources énergétiques, de l'énergie nucléaire, même à usage civil, le ministre a précisé que ce point relèverait d'une éventuelle négociation entre l'Etat libyen et la société prestataire, sous le contrôle des instruments internationaux pertinents, et notamment des inspections de l'Agence internationale pour l'énergie atomique.
Il a confirmé la nécessité d'intégrer la Libye dans le projet d'Union de la Méditerranée, estimant que ce processus ne pouvait se passer d'un partenaire aussi influent. Ce point avait d'ailleurs été évoqué avec la Libye.
Evoquant ensuite la situation prévalant au Liban, M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, a souligné que la diplomatie française y jouait un rôle particulièrement actif, dont témoignaient la réunion de La Celle Saint-Cloud et son récent déplacement à Beyrouth, qui ont permis de renouer le contact entre les communautés libanaises. Il travaillait de concert avec le Ministre des affaires étrangères espagnol, M. Miguel Angel Moratinos, et avec d'autres pays. Il a confirmé que le récent déplacement de l'ambassadeur Jean-Claude Cousseran en Syrie constituait la première visite française dans ce pays, depuis l'assassinat du Premier ministre libanais, Rafik Hariri. Insistant sur l'urgence d'une réconciliation nationale libanaise dans la perspective des élections présidentielles prévues à partir du 24 septembre prochain, il n'a pas caché que l'évolution de ce pays dépendait également de son environnement régional, citant notamment la Syrie et l'Iran.
M. Pierre Mauroy a souligné combien les pays que le ministre venait de citer pesaient sur le destin du Liban.
M. André Trillard a noté la vulnérabilité croissante aux coups de main des Talibans, en Afghanistan, des employés de diverses O.N.G. Il s'est donc interrogé sur le degré de préparation de ces employés à la difficulté de la situation qui les attendait.
En réponse, le ministre des affaires étrangères et européennes a confirmé que certains de ces organismes non gouvernementaux mesuraient mal le danger auquel ils exposaient leurs employés en les envoyant en Afghanistan. Il a souligné la grande réussite de la coopération franco-afghane et de l'action de l'Aga Khan que constituait la construction de l'hôpital de Kaboul, dévolu aux soins à donner aux mères et aux enfants, et a souhaité que cette réalisation puisse essaimer dans les différentes provinces dépourvues de tout réseau de santé. Seules, des actions de ce type permettraient d'améliorer les conditions de vie des populations civiles afghanes. Il a rappelé que la France avait consacré un million d'euros à cet hôpital, dont le fonctionnement courant est financé par l'Aga Khan, très actif en Afghanistan.
Mme Catherine Tasca a rejoint le ministre, en estimant prioritaire l'amélioration des conditions de vie de la population afghane.
Mme Hélène Luc a estimé que le Parlement devait être consulté sur un éventuel renforcement des troupes françaises présentes en Afghanistan. Elle a également souhaité recueillir les appréciations du ministre sur l'actuelle tournée au Moyen-Orient de la Secrétaire d'Etat américaine, Mme Condoleeza Rice.
En réponse, M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, a rappelé les récentes propositions du président Bush en faveur de la prochaine réunion d'une conférence internationale sur le Moyen-Orient. Il a précisé que lui-même se rendrait prochainement en Israël et dans les Territoires palestiniens.
M. Philippe Nogrix a souhaité que, lors d'une future audition par la commission, le ministre puisse faire le point sur la situation créée par l'embargo, toujours en vigueur, sur les ventes d'armes à la Chine.
Le ministre a répondu qu'il se tenait à la disposition de la commission, sur ce point comme sur les autres.
Puis le ministre a décrit l'opération européenne, également discutée aux Nations unies, qui va se déployer au Tchad, pour sécuriser notamment les sites occupés par les personnes déplacées et pour faire reconstruire par celles-ci les villages qui ont été détruits.
Nomination de rapporteurs
Puis la commission a procédé à la nomination de rapporteurs.
Elle a désigné :
- M. Joseph Kergueris, rapporteur, sur le Protocole sur la modification de l'accord instituant une Commission internationale pour le Service international de Recherches, signé à Berlin le 26 juillet 2006 (sous réserve du dépôt du projet de loi) ;
- M. Jacques Peyrat, rapporteur, sur l'Accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République italienne relatif à la mise en place d'une gestion unifiée du tunnel de Tende et la construction d'un nouveau tunnel, signé à Paris le 12 mars 2007 (sous réserve du dépôt du projet de loi).