Mardi 21 mars 2006
- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.Nomination de rapporteur
La commission a tout d'abord nommé M. Jean-Jacques Hyest rapporteur sur le projet de loi n° 2293 (AN, XIIe lég.) ratifiant l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur et le consommateur (sous réserve de son adoption et de sa transmission par l'Assemblée nationale).
Ville et logement - Droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble - Examen du rapport en deuxième lecture
Elle a ensuite procédé à l'examen du rapport en deuxième lecture de M. Laurent Béteille sur la proposition de loi n° 137 (2005-2006), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale, relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble.
M. Laurent Béteille, rapporteur, a rappelé qu'en première lecture le Sénat avait considérablement enrichi le texte de la proposition de loi et que l'Assemblée nationale n'avait, en deuxième lecture, modifié ce texte que sur deux points essentiels :
- d'une part, en prévoyant que le droit de préemption du locataire en cas de vente en bloc de l'immeuble s'appliquait dès que ce dernier comporte plus de cinq logements si la vente concerne l'immeuble lui-même, mais qu'en revanche, il ne s'appliquait qu'aux immeubles de plus de dix logements lorsque la vente portait sur des actions ou parts de la société propriétaire de cet immeuble ;
- d'autre part, en excluant, du dispositif permettant aux communes et aux départements de réduire le taux de la taxe additionnelle aux droits d'enregistrement ou à la taxe de publicité foncière, l'acquisition d'un logement non préempté par son locataire, lors de la vente en bloc de l'immeuble.
Il a regretté que ces deux modifications ne lui permettent pas de proposer à la commission une adoption conforme du texte de l'Assemblée nationale, alors qu'un vote définitif rapide de cette proposition de loi aurait été profitable aux locataires. Il a annoncé qu'il proposerait à la commission d'harmoniser le seuil de déclenchement du droit de préemption en le fixant à plus de dix logements et d'étendre l'incitation fiscale à l'achat des lots non préemptés lors de la vente en bloc de l'immeuble.
M. Pierre-Yves Collombat a indiqué son opposition au relèvement du seuil, M. Jacques Mahéas annonçant qu'un amendement serait déposé pour l'harmoniser à plus de cinq logements.
Puis la commission a examiné les amendements présentés par le rapporteur.
A l'article 1er (droit de préemption du locataire ou de l'occupant de bonne foi en cas de vente en bloc d'un immeuble), la commission a adopté un amendement tendant à harmoniser le seuil de déclenchement du droit de préemption en le fixant à plus de dix logements.
M. Laurent Béteille, rapporteur, ayant présenté un amendement au même article tendant à supprimer une précision inutile relative à l'application du droit de préemption aux sociétés civiles immobilières, M. Jacques Mahéas s'est interrogé sur la signification de la notion de société civile immobilière « ordinaire ». M. Marcel-Pierre Cléach a indiqué que cette forme de société permettait d'individualiser, grâce aux parts sociales, les lots de l'immeuble dont la société était propriétaire, par opposition aux sociétés civiles immobilières, dites « transparentes ». Après que M. Laurent Béteille, rapporteur, eut précisé que le qualificatif « ordinaire » ne se rencontrait pas dans les textes juridiques, mais était seulement employé en pratique et que l'amendement proposé ne modifiait en rien le champ d'application du droit de préemption, la commission a adopté cet amendement.
A l'article 1er bis (réduction du taux communal et du taux départemental de la taxe additionnelle aux droits d'enregistrement ou à la taxe de publicité foncière en cas de maintien du statut locatif), la commission a adopté deux amendements tendant à permettre la réduction du taux communal et du taux départemental de la taxe additionnelle aux droits d'enregistrement ou à la taxe de publicité foncière, lorsque l'acquéreur d'un logement occupé non préempté au stade de la vente en bloc par son locataire s'engage à le maintenir sous statut locatif pour une durée de six ans.
Au même article, elle a adopté, outre un amendement rédactionnel, deux amendements tendant à supprimer une précision inutile concernant la sanction de l'acquéreur qui manquerait à son obligation de maintien du logement sous statut locatif.
La commission a ensuite adopté la proposition de loi relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble, ainsi modifiée.
Mercredi 22 mars 2006
- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.Famille - Droit de la famille - Audition de Mme Sylvie Cadolle, sociologue
La commission a procédé à des auditions publiques sur l'actualité du droit de la famille, plus particulièrement consacrées aux nouveaux modes de filiation et aux familles recomposées.
Après avoir rappelé que la mission d'information de l'Assemblée nationale consacrée à l'évolution du droit de la famille avait récemment rendu ses conclusions, M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué que la commission des lois avait souhaité consacrer une matinée d'auditions publiques aux débats en matière de droit de la famille, ainsi qu'elle l'avait déjà fait en 1998, quelques mois avant l'adoption du PACS, et en 2000, sur le thème du divorce.
Il a indiqué que seraient abordées plus précisément les questions de filiation et d'autorité parentale, et observé qu'elles faisaient l'objet de revendications souvent très opposées au nom de l'intérêt de l'enfant et du droit à l'égalité.
En matière de filiation, M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé qu'une réforme importante était intervenue, avec l'ordonnance du 4 juillet 2005, prise en application de la loi du 9 décembre 2004 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit par ordonnance. Il a toutefois précisé , s'agissant d'un domaine relevant éminemment du législateur, qu'elle s'était abstenue d'aborder les sujets les plus polémiques. Il a donc souhaité mettre en lumière les débats suscités par les demandes d'ouverture aux célibataires et aux homosexuels de nouveaux modes de filiation (procréation médicalement assistée, adoption, éventuelle évolution de la législation concernant les mères porteuses) et leurs conséquences pour les enfants.
En matière d'autorité parentale, il a rappelé que si des évolutions avaient certes été amorcées par la loi relative à l'autorité parentale de 2002, notamment en matière de partage de l'autorité parentale, la question de l'opportunité d'un statut du beau-parent demeurait un véritable serpent de mer. Il a donc souhaité que la commission soit éclairée sur le degré d'adaptation du droit aux familles recomposées, au cas de l'enfant élevé au sein d'une famille homoparentale et aux différentes formes de parentalité.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a conclu en souhaitant que ces auditions puissent actualiser l'information de ceux qui auront, le cas échéant, à se prononcer.
La commission a tout d'abord entendu Mme Sylvie Cadolle, sociologue.
Mme Sylvie Cadolle a relevé que la filiation conférait à la personne son identité et sa place au sein de l'ordre généalogique de succession des générations. Elle a ajouté que notre système de filiation reposait historiquement sur un modèle d'exclusivité, selon lequel chaque individu était issu de deux autres, d'une génération ascendante et de sexes différents.
Mme Sylvie Cadolle a observé que la conquête par les femmes de l'égalité des droits avait bouleversé le fondement de la filiation, qui reposait sur la présomption de paternité du mariage et la domination du mari. Elle a indiqué que la fragilisation de la relation conjugale avait également eu des conséquences sur la paternité, en précisant que le nombre de divorces était passé de 30.000 au milieu des années 1960 à plus de 125.000 en 2003, soit un taux de divortialité de 42,5 %.
Elle a rappelé que la loi du 3 juillet 1972, puis l'ordonnance du 4 juillet 2005, avaient supprimé les inégalités de filiations entre enfants « légitimes et naturels » afin de tirer les conséquences de la désinstitutionnalisation des relations d'alliance et de préserver l'intérêt des enfants et l'égalité de leurs droits.
Mme Sylvie Cadolle a souligné les difficultés à promouvoir la pluriparentalité et à donner une place au beau-parent en raison de la persistance de la norme traditionnelle d'exclusivité de la filiation, alors même que de nombreux enfants ne réunissaient pas les dimensions biologiques, sociales et électives de la filiation. Elle a précisé que 45 % des premières naissances intervenaient hors mariage, contre 6 % en 1972, et que 18,6 % des familles avec enfant constituaient des familles monoparentales (2,7 millions d'enfants vivant dans un foyer monoparental). Mme Sylvie Cadolle a ajouté que, seuls, 9 % des enfants de parents séparés vivaient avec leur père, même si ces données évoluaient du fait de la progression de la résidence alternée, et qu'un enfant sur trois résidant avec sa mère n'avait plus de contact avec son père. Elle a relevé que l'effacement des pères était souvent rendu responsable de difficultés sociales et du mal-être des enfants.
Elle a souligné que l'indissolubilité du lien de filiation s'était substituée à l'indissolubilité du couple, la société posant pour principe que l'enfant avait besoin de ses deux parents et que le couple parental devait survivre au couple conjugal. Elle a rappelé que la loi de mars 2002 avait ainsi cherché à conforter la coparentalité et consacré la possibilité de résidence alternée. Elle a toutefois précisé que ce dispositif, exigeant sur le plan psychique et financier, n'était viable qu'à la condition que les parents acceptent de demeurer un couple parental. Elle a en outre observé que les enfants de parents séparés qui avaient gardé contact avec leur père avaient aujourd'hui davantage de contact avec lui qu'il y a 20 ans, et que cette situation était désormais souhaitée par une majorité de femmes.
Mme Sylvie Cadolle s'est alors interrogée sur le rôle que les beaux-parents étaient appelés à jouer. Elle a noté que si 8,6 % des enfants entre 15 et 19 ans résidaient avec un beau-parent, il n'existait aujourd'hui aucune obligation juridique du beau-parent à l'égard de son bel-enfant, même s'il était marié avec le parent et devait donc participer aux charges du ménage.
Elle a estimé néanmoins que l'institution d'un statut de beau-parent apparaîtrait paradoxale dès lors que l'évolution du droit de la famille tendait à protéger les droits du parent extérieur au foyer où résidait habituellement l'enfant. Elle a relevé le risque que ce parent -le père le plus souvent- se sentant supplanté par le beau-parent, n'assume plus ses responsabilités éducatives et financières à l'égard de ses enfants. Par ailleurs, elle a souligné qu'il n'existait pas, dans certains cas, de réel lien affectif entre l'enfant et le beau-parent et que compte tenu de la recomposition fréquente des couples, il convenait de s'interroger sur la pérennité des droits et des devoirs qui seraient institués entre l'enfant et le beau-parent. Cependant, elle a admis que dans une minorité de foyers recomposés, notamment les plus modestes, où l'enfant avait perdu le contact avec le parent extérieur, le beau-père subvenait aux besoins de ses beaux-enfants et acquérait à leurs yeux une réelle légitimité.
Elle a toutefois considéré que le modèle de substitution était en déclin et que l'idéal de pérennité du couple parental avait affaibli la position du beau-parent, celui-ci se trouvant cantonné dans un rôle plus conjugal et les mères exerçant une sorte de monoparentalité éducative.
Mme Sylvie Cadolle a rappelé que l'adoption plénière de l'enfant du conjoint avait été interdite par la loi du 8 janvier 1993 et que seule subsistait l'adoption simple, qui préservait les droits et les devoirs par rapport à la famille d'origine, tout en créant des obligations alimentaires et des prohibitions à mariage entre l'adoptant et l'adopté. Elle a relevé que cette formule était utilisée dans la perspective de transmission de biens, au terme d'une longue histoire partagée, et lorsque le bel-enfant était devenu majeur. Elle a cependant rappelé que cette adoption nécessitait l'accord des deux parents et appelait un changement de nom, ce qui pouvait susciter un certain malaise de la part des enfants, dès lors que le nom constitue un élément fondamental de la construction identitaire. Elle a finalement considéré que la solidarité entre le beau-parent et le bel-enfant était un choix individuel.
Par ailleurs, Mme Sylvie Cadolle a estimé que la perception de la filiation était partagée entre, d'une part, une représentation naturaliste fondée sur l'engendrement et le lien du sang et, d'autre part, une valorisation des liens librement choisis. Elle a indiqué que la dimension biologique, affermie par la loi de 1972 qui facilite la recherche de la paternité naturelle, avait été remise en cause par les pratiques d'insémination artificielle avec donneur, qui requièrent l'anonymat du donneur, et le maintien de l'adoption plénière et de l'accouchement sous X. Elle a souligné que la filiation constituait non pas une donnée biologique, mais une institution sociale fondée aujourd'hui en Occident sur le principe d'exclusivité et la valorisation des liens du sang. Elle a donc préconisé d'atténuer l'anonymat du donneur et d'autoriser la connaissance des origines en cas d'adoption plénière, en s'interrogeant sur la pertinence pour la loi d'organiser le droit de priver un enfant de connaître son père ou sa mère.
Abordant alors la question de l'homoparentalité, Mme Sylvie Cadolle a observé que l'hétérosexualité des parents ne constituait pas une garantie du bien-être des enfants. Elle a constaté qu'il n'existait pas actuellement d'étude portant sur des échantillons représentatifs d'enfants élevés par des couples homosexuels, faute en particulier de connaissances sur leur nombre. Elle a estimé que la sexualité était sans lien avec les compétences éducatives et que, seule, l'homophobie de l'entourage pouvait constituer un problème pour ces enfants. Elle s'est en revanche montrée plus réservée sur la situation des couples homosexuels demandant à bénéficier d'une adoption ou d'une insémination artificielle avec donneur. Elle a observé que les revendications dans ce domaine reposaient sur une contestation de la domination hétérosexuelle et des catégories traditionnelles du masculin et du féminin, avant de souligner que ces positions remettaient totalement en cause notre système de parenté.
Mme Sylvie Cadolle a conclu en observant que les attentes sociales à l'égard du droit n'avaient jamais été aussi importantes et que l'intérêt de l'enfant conduisait à fixer des normes exigeantes dans le domaine de la vie familiale. Elle a enfin souligné le contraste entre les spectaculaires progrès de la procréation médicale assistée et la difficile modification des règles concernant la filiation.
En réponse à M. Pierre-Yves Collombat, qui souhaitait connaître ses éventuelles propositions d'évolution du droit de la famille, Mme Sylvie Cadolle a estimé que l'institution d'un statut du beau-parent ne paraissait pas s'imposer, la délégation de l'autorité parentale constituant une formule souple et adaptée pour répondre aux besoins des familles, tandis qu'un tel statut pourrait exacerber les rivalités entre les familles, alors même qu'il convenait d'éviter tout dispositif conduisant les parents à se détourner des enfants de leur première union au profit de ceux issus de la nouvelle union.
M. Louis Souvet a souligné le problème de société soulevé par la remise en cause du lien parental dans un contexte marqué par la fréquence des divorces et les revendications liées à l'homoparentalité. Estimant que certains enfants pouvaient se trouver livrés à eux-mêmes, il s'est inquiété des conséquences sociales de cette situation. Enfin, il s'est interrogé sur les bouleversements biologiques que pouvaient porter en germe les évolutions actuelles.
Mme Sylvie Cadolle a souligné que le fondement biologique de la filiation demeurait une représentation culturelle qui était loin d'avoir prévalu dans d'autres cultures ou à d'autres époques. Ainsi, elle a rappelé que dans l'Ancien Régime, la filiation reposait avant tout sur le mariage, le lien généalogique ne recouvrant pas nécessairement le lien biologique. Elle a distingué la parentalité, néologisme visant le lien paternel et le lien maternel, de la parenté, qui vise l'ensemble de la lignée.
En réponse à M. Jean-Claude Peyronnet, qui se demandait s'il était possible de dresser un premier bilan de la situation des enfants élevés par des couples homosexuels, Mme Sylvie Cadolle a relevé qu'on ne disposait pas d'enquêtes de bien-être fiables, les enquêtes existantes reposant sur des déclarations et pouvant être sujettes à caution. Elle a toutefois répété que le type de sexualité ne déterminait pas un comportement éducatif particulier, tout en notant que les enfants de couples homosexuels pouvaient être exposés à des malveillances de la part de leur entourage. Elle a réitéré ses réserves s'agissant des revendications concernant l'adoption ou l'insémination artificielle avec donneur qui, l'une comme l'autre, pouvaient susciter un déni des origines.
M. Charles Gautier s'est étonné que la participation du beau-père aux charges du ménage n'inclue pas nécessairement l'entretien du bel-enfant. Mme Sylvie Cadolle a indiqué que le droit restait ambigu, en notant que les juges tendaient à réduire la pension alimentaire due aux enfants du premier lit lorsque celui qui l'acquittait avait à charge une deuxième famille. Elle a indiqué que si en règle générale le beau-père contribuait généreusement à l'entretien des enfants, la belle-mère n'encourageait pas toujours le père à contribuer financièrement à l'entretien de l'enfant de la première union.
Elle a également indiqué que la garde alternée, lorsqu'elle était mise en oeuvre dans de bonnes conditions, assurait effectivement la coparentalité. Cependant, elle a souligné ses contraintes : une proximité géographique parfois difficile à maintenir à moyen terme ; des coûts importants, chacun des parents devant être en mesure de satisfaire aux besoins matériels des enfants (notamment par la mise à disposition d'une chambre) ; ainsi qu'une certaine réticence des adolescents. Elle a observé que les enfants choisissaient généralement de résider chez l'un des parents (généralement la mère) lorsque la situation entre les parents s'apaisait.
Mme Catherine Troendle a observé, à propos du statut du beau-parent, qu'il convenait de prendre en compte le risque de recompositions successives du couple. Elle a estimé également que l'exercice de la coparentalité pouvait se révéler difficile lors des séparations liées à des violences conjugales. Elle s'est demandé si dans ces situations le père pouvait être un modèle pour l'enfant. Elle a également fait part de ses interrogations, partagées par Mme Sylvie Cadolle, sur les conditions dans lesquelles l'enfant pouvait forger son identité et disposer des références nécessaires lorsque ses deux parents étaient du même sexe.
Famille - Droit de la famille - Table ronde sur l'évolution des modes de filiation
La commission a ensuite entendu, au cours d'une première table ronde consacrée à l'évolution des modes de filiation, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, doyen de la faculté de droit Lille-II, Mme Martine Gross, sociologue, présidente d'honneur de l'association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), M. Xavier Lacroix, professeur d'éthique familiale des facultés de philosophie et de théologie de l'université catholique de Lyon, M. Daniel Borrillo, juriste à l'université Paris-X Nanterre, M. Christian Flavigny, pédopsychiatre et psychanalyste, Mme Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, et Mme Hélène Gaumont-Prat, professeur à l'université de Picardie, membre du Comité consultatif national d'éthique.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, doyen de la faculté de droit Lille-II, indiquant tout d'abord qu'elle souscrivait aux propos de Mme Sylvie Cadolle, a souligné que si, en matière d'autorité parentale, le principe structurant était l'intérêt de l'enfant, jugé supérieur à celui des adultes par la Cour de cassation dans sa décision du 8 novembre 2005, la filiation était, quant à elle, structurée par d'autres principes, tels que la vérité biologique, mise en avant depuis 1972.
Elle a estimé que si l'autorité parentale pouvait être appréciée in concreto par rapport à l'intérêt de l'enfant, la filiation relevait d'une appréciation in abstracto, déterminant de façon générale s'il était préférable pour l'enfant d'avoir un père biologique ou une filiation stable. Elle a déclaré que la filiation était donc définie sous l'emprise de l'ordre public, certaines filiations étant dès lors refusées, telles que les filiations incestueuses ou issues de conventions de mères porteuses.
Considérant que le système de filiation était organisé à partir du lien biologique et non de l'intérêt de l'enfant, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a souligné le rôle déstabilisateur de la médecine et des analyses génétiques, alors même que la médecine organise également le secret dans le cas des enfants issus d'une insémination avec donneur. Elle a jugé que l'organisation de la naissance d'enfants à qui l'on interdit ensuite de connaître l'origine de la moitié de leur patrimoine génétique devrait aboutir un jour à ce que les enfants concernés demandent des comptes, faisant surgir des problèmes similaires à ceux rencontrés avec l'accouchement sous X et l'accès aux origines personnelles.
S'agissant de l'homoparentalité, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a estimé que le système juridique devait assurer de bonnes conditions d'éducation aux enfants élevés dans un tel cadre. Elle s'est prononcée, en revanche, contre l'ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples homosexuels. Rappelant que le doyen Jean Carbonnier estimait que le droit de la famille était aujourd'hui « le droit au bonheur garanti par l'Etat », elle a jugé que si le droit de la famille se donnait en effet aujourd'hui cet objectif, le bonheur ne signifiait pas l'anomie.
Mme Martine Gross, sociologue, présidente d'honneur de l'association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), a d'abord estimé qu'il existait aujourd'hui de nombreuses situations où les trois aspects de la filiation -donner la vie, disposer du statut légal de parent et élever au quotidien les enfants- ne coïncidaient pas dans la même personne. Elle a estimé que le droit de la famille tentait, au prix de fictions parfois alambiquées, de ramener ces trois aspects de la filiation au seul critère biologique, les parents ne pouvant être que ceux dont la sexualité est susceptible d'être procréatrice.
Déclarant que l'APGL souhaitait que la filiation soit fondée sur une éthique de la responsabilité, où l'engagement parental irrévocable primerait sur la vérité biologique, elle a considéré que dans ce cadre, l'enfant pourrait accéder à la connaissance de ses origines, bénéficier d'une filiation sûre que ne pourrait remettre en cause l'avis des adultes et être protégé par les liens tissés avec les personnes qui l'élèvent.
Evoquant l'assistance médicalisée à la procréation, elle a rappelé que celle-ci était réservée depuis la loi relative à la bioéthique de 1994 aux couples hétérosexuels en âge de procréer pouvant justifier de deux ans de vie commune et souffrant d'une pathologie de fertilité, alors que son accès était beaucoup plus ouvert dans d'autres pays de l'Union européenne, tels que la Belgique, les Pays-Bas, l'Espagne, l'Italie et le Royaume-Uni. Elle a ajouté que le Québec prévoyait même des règles de filiation spécifiques pour les enfants ainsi conçus.
Elle a contesté la justification par le législateur de l'exclusion des célibataires et des couples homosexuels par la conviction que les chances d'épanouissement de l'enfant étaient plus grandes au sein d'une famille constituée par un couple hétérosexuel, en considérant qu'il n'existait pas de travaux scientifiques l'étayant. Elle a au contraire indiqué que plusieurs centaines d'études montraient, d'une part, que les enfants élevés dans un tel cadre ne présentaient pas de différences notables avec les autres et, d'autre part, que les parents homosexuels apportaient les mêmes soins aux enfants.
Mme Martine Gross a souligné que de nombreux couples de femmes se rendaient ainsi à l'étranger, où l'accès à l'insémination artificielle avec donneur était souvent accordé par les établissements médicaux en fonction de la cohérence et du sérieux du projet parental. Elle a dénoncé les effets discriminatoires de la position française, et déploré que seuls les couples de femmes les plus aisés puissent recourir à ces techniques en se rendant à l'étranger.
Elle s'est prononcée en faveur de l'ouverture des techniques de procréation aujourd'hui réservées aux seuls couples de sexes différents à tous les couples et à toute personne en âge de procréer pouvant justifier d'un projet parental cohérent.
Déplorant le principe de l'anonymat du don actuellement inscrit dans le code civil et dans le code de santé publique, Mme Martine Gross a estimé qu'il était motivé par une confusion entre les aspects biologiques et juridiques de la filiation. Elle a souhaité l'ouverture de l'accès aux origines à toute personne qui le souhaite, sans qu'elle emporte des conséquences sur la dimension juridique de la filiation. Elle a considéré qu'une filiation fondée sur l'engagement parental plutôt que sur la vérité biologique ôterait toute difficulté pour l'accès aux origines, la connaissance des origines étant alors sans risque pour la filiation juridique. Elle a déclaré que l'APGL préconisait par conséquent la levée de l'anonymat.
M. Xavier Lacroix, professeur d'éthique familiale des facultés de philosophie et de théologie de l'université catholique de Lyon, s'inquiétant du risque que le désir des parents ne l'emporte sur l'intérêt de l'enfant, a rappelé que l'enfant était un sujet de droit et qu'il n'existait pas de « droit à l'enfant ». Il a souligné que l'article 7 de la Convention des droits de l'enfant donnait à celui-ci le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. Estimant que l'attribution d'une double autorité parentale aux couples homosexuels aboutirait à valider le choix social de certaines personnes, il a jugé que cette hypothèse mettait en cause la définition de la parenté, un enfant ne pouvant avoir deux pères ou deux mères.
Il a estimé qu'en instituant une parenté monosexuée pour lutter contre les discriminations à l'encontre d'adultes, serait instituée une discrimination entre les enfants, privés de repères élémentaires tels que l'identification aux père et mère, l'analogie entre le couple éducateur et le couple biologique et une généalogie claire et cohérente.
Considérant qu'il était nécessaire de préserver la lisibilité de la filiation, il a jugé que depuis 20 ans, la parenté et la parentalité tendaient à être dissociées, conformément à une volonté de distinguer procréation et sexualité. Il a souligné que cette dissociation impliquait une négation de l'importance du corps dans la procréation et correspondait au courant de pensée constructiviste, selon lequel tout serait construit et culturel. Rappelant que la filiation homosexuée, comme la procréation médicalement assistée, ne concernait qu'une minorité de personnes, et ne rendait pas caduque la procréation sexuée, il a estimé que la loi devait avant tout viser le plus grand nombre.
M. Daniel Borrillo, juriste à l'université Paris-X Nanterre, a tout d'abord rappelé que le Doyen Cornu estimait que « le droit de la filiation n'est pas seulement un droit de la vérité. C'est aussi un droit de la vie, de l'intérêt de l'enfant, de la paix des familles, des affections, des sentiments moraux, du temps qui passe ». Il a souligné que les sociétés contemporaines étaient marquées par un pluralisme familial se manifestant dans la croissance du nombre de concubinages, la banalisation du divorce, la multiplication des couples pacsés (190.000), des familles recomposées, des familles monoparentales, de l'adoption par les célibataires et des enfants élevés par les couples de même sexe. Il a estimé que cette réalité pouvait être perçue aussi bien comme un déclin de la famille que comme le résultat d'une plus grande liberté individuelle et d'une égalité accrue entre les membres du couple et de la famille.
Il a toutefois estimé que cette évolution sociale, reflétant une plus grande autonomie, n'avait pas été accompagnée en France d'une adaptation législative adéquate. Considérant qu'une loi n'était juste que si elle était universelle, M. Daniel Borrillo a estimé que le régime juridique français en matière de filiation était injuste et inégalitaire, le droit de la famille continuant à fonctionner à partir du modèle classique Père/Mère/Enfant (PME). Il a souligné que l'amalgame entre reproduction et filiation témoignait d'une vision biologisante de la filiation.
Estimant que tous les enfants devraient bénéficier de la même protection, il a déclaré que les enfants des familles monoparentales se trouvaient dans une plus grande précarité juridique. Il a ainsi souligné que si la décision de la Cour de cassation du 24 février 2006 autorisait une délégation de l'exercice de l'autorité parentale à une femme avec laquelle la mère de l'enfant vivait en union stable et continue, elle n'entraînait pas la création d'un lien de filiation entre le parent social et l'enfant.
M. Daniel Borrillo a par ailleurs relevé l'inégalité devant la loi des personnes aspirant à devenir parents, les personnes seules et les couples homosexuels ne pouvant accéder aux techniques de procréation médicalement assistée. Il a en outre rappelé que la mission d'information de l'Assemblée nationale n'avait pas jugé opportun de proposer une modification de la loi afin de mettre un terme à l'admission par le Conseil d'Etat du refus d'agrément fondé sur l'orientation sexuelle du candidat à l'adoption. Il a enfin évoqué le refus du tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes du 20 mars 2006 d'accorder un congé de paternité à la compagne d'une accouchée.
Se référant à la tradition civiliste, issue du droit romain, il s'est prononcé pour une conception pragmatique de la filiation, consistant à la dissocier de la reproduction biologique afin de permettre la création de liens de filiation culturels. Il a estimé que l'accouchement sous X, l'adoption plénière, ou encore l'assistance médicale à la procréation montraient déjà que le lien entre l'adulte et l'enfant pouvait procéder d'une manifestation de la volonté. Il a considéré qu'il n'était par conséquent pas justifié d'opposer la dimension biologique de la filiation aux couples et aux personnes homosexuels demandant la reconnaissance d'un droit. Il a jugé que le législateur devait par conséquent soit modifier les règles de filiation afin de permettre aux seuls couples hétérosexuels de devenir parents, soit, dans une logique plus pragmatique, ouvrir la filiation aux individus et aux couples homosexuels, en assumant la dissociation entre reproduction et filiation.
Soulignant qu'il existait aujourd'hui en France une forme de procréation assistée artisanale susceptible de poser des problèmes de santé publique, M. Daniel Borrillo a considéré qu'il était urgent de mieux encadrer l'assistance médicale à la procréation.
Relevant que depuis 1972, les réformes du droit de la famille avaient visé l'égalité de toutes les formes de filiation (légitime, naturelle, adultérine, adoptive ou monoparentale), il a déploré la situation inégalitaire des enfants issus de familles homoparentales par rapport à ceux issus de couples hétérosexuels. Il a souhaité que le législateur, afin de mettre un terme à ces inégalités, accorde le droit au mariage à l'ensemble des couples indépendamment du sexe des partenaires, autorise l'adoption conjointe aux couples de concubins et aux partenaires d'un PACS, permette l'agrément des personnes homosexuelles souhaitant adopter un pupille de l'Etat et ouvre l'accès à la procréation médicalement assistée à tous les couples indépendamment de leur sexe.
Enfin, rappelant qu'un rapport de l'UNICEF et de l'ONUSIDA publié en 2004 montrait que près de 11 millions d'enfants étaient aujourd'hui orphelins de père et de mère, il a jugé que cette situation devait inciter le législateur à mettre en place les mécanismes juridiques permettant de donner une famille aux enfants qui en sont privés.
M. Christian Flavigny, pédopsychiatre et psychanalyste, a tout d'abord rappelé que les personnes homosexuelles, en appui à leurs revendications, soutenaient qu'il existait des discriminations dans l'accès à la parentalité, occultant ainsi le fait que l'homosexualité ne pouvait avoir pour objet l'enfantement. Il a souligné que la tradition juridique anglo-saxonne ne prenait en compte que la demande de filiation, alors que le droit français intégrait des données psychiques relatives à l'enfant.
Il a indiqué que les personnes opposées à la reconnaissance de la filiation pour les personnes homosexuelles posaient le problème de la relation de la sexualité et de l'éducation, alors que rien n'établissait qu'une différence des sexes soit nécessaire pour élever l'enfant, comme l'illustrait la décision de la Cour de cassation de février 2006. Il a cependant considéré que cette décision ne devait pas être interprétée comme une reconnaissance de l'homoparentalité, terme qu'il a récusé comme contradictoire, en rappelant que la parenté procédait de l'enfantement.
Soulignant que l'identité de l'enfant ne s'établissait pas à partir de la filiation juridique, mais se fondait sur un lien établi dès sa conception, M. Christian Flavigny a estimé qu'il serait donc problématique que la loi reconnaisse la possibilité à des personnes de même sexe d'avoir un enfant, sauf à adopter le modèle juridique anglo-saxon. Il a rappelé l'importance pour l'enfant de fonder son « originaire », c'est-à-dire dans le cas d'une adoption d'avoir une explication de son abandon qui le décharge de sa propre responsabilité. Il a toutefois souligné que la biologie ne permettait de déterminer que la provenance des gamètes et non l'origine de l'enfant, alors que ce dernier souhaitait avant tout connaître les raisons de son abandon.
Il a enfin déclaré que le droit pour les personnes homosexuelles de se marier ne constituerait pas seulement une extension du droit existant, mais instituerait entre deux adultes un lien étranger à l'objectif de protection de l'enfant.
Mme Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, a d'abord indiqué que son activité de clinicienne l'avait surtout amenée à accompagner, en tant que thérapeute ou en tant qu'expert dans certains procès, des couples souhaitant recourir ou ayant recouru à une procréation médicalement assistée ou à une adoption.
Elle a observé que les dispositifs juridiques de la loi relative à la bioéthique, de la loi relative à l'adoption et de la loi relative au PACS comportaient de multiples contradictions. Elle a ainsi relevé que la loi autorisait l'adoption par une personne seule, mais pas par un couple non marié et que, dans le cas d'un don d'ovocytes, seule, la mère utérine et sociale était reconnue en droit, alors que la loi autorisait parallèlement l'accouchement sous X, constitutif d'un déni de la maternité. Elle a par ailleurs souligné l'incohérence du droit autorisant une femme à recevoir un don d'ovocytes ou d'embryons, mais interdisant la gestation pour autrui. Elle a considéré qu'il serait dès lors souhaitable de rattacher la filiation issue d'une procréation médicalement assistée à la filiation adoptive.
S'agissant de l'anonymat du don, Mme Geneviève Delaisi de Parseval a considéré qu'il entraînait la négation de la place du donneur de gamètes dans le cadre d'une procréation médicalement assistée et incitait les parents à pérenniser l'illusion d'être les géniteurs. Expliquant que ce secret était une violence faite à l'enfant qui, pressentant une énigme liée à sa naissance, pouvait alors concevoir un sentiment de culpabilité ou de honte, et qu'il comportait une contradiction inhérente, en donnant une importance démesurée à ce qu'il rendait inaccessible, elle a estimé que la France devrait en la matière procéder à une évolution semblable à celle suivie par le Royaume-Uni depuis un an.
Mme Geneviève Delaisi de Parseval a par ailleurs relevé que si le mariage était nécessaire pour procéder à une adoption conjointe, la procréation médicalement assistée n'était soumise qu'à une condition de vie en concubinage depuis au moins deux ans, et que des célibataires pouvaient recourir à l'adoption. Elle a donc souhaité que le législateur procède à une harmonisation. Considérant que le mariage offrait les meilleures conditions de stabilité à l'enfant, elle a préconisé d'ouvrir l'adoption et l'insémination artificielle avec donneur aux seuls couples mariés, en ouvrant le mariage aux couples homosexuels, en soulignant que le mariage n'avait plus pour seul but la reproduction.
Relevant enfin que notre droit répondait seulement aux problèmes d'infertilité féminins liés à une déficience de la fonction ovocytaire, elle s'est prononcée pour l'autorisation de la maternité pour autrui gestationnelle (dans laquelle la mère porteuse porte l'embryon du couple destinataire), afin de pallier les difficultés liées à une absence d'utérus ou à une malformation utérine.
Mme Hélène Gaumont-Prat, professeur à l'université de Picardie, membre du Comité consultatif national d'éthique, a tout d'abord rappelé que les maternités pour autrui étaient interdites en France, mais que le tourisme procréatif se développait.
Elle a distingué la gestation pour autrui, qui consiste en un prêt d'utérus, l'embryon étant issu du couple destinataire, de la conception pour autrui, suivie de gestation pour autrui, dans laquelle le père et/ou la mère commanditaires ne sont pas les parents génétiques de l'enfant, le sperme et/ou les ovocytes étant issus de tiers ou de la mère porteuse. Elle a souligné que cette situation, qui pouvait faire intervenir jusqu'à cinq personnes, induisait une fragmentation de la parenté.
Mme Hélène Gaumont-Prat a indiqué que le Comité consultatif national d'éthique avait à deux reprises condamné ces pratiques, en octobre 1984 et tout récemment dans un rapport consacré à l'anonymat et au droit de la filiation, en considérant qu'il s'agissait de cessions d'enfant et d'une exploitation matérielle et psychologique de femmes souvent en grande précarité. Soulignant les risques de marchandisation de ces grossesses, elle a cité l'exemple de la vente d'un bébé aux enchères sur internet par une mère porteuse.
Mme Hélène Gaumont-Prat a ensuite déploré l'absence d'études consacrées au devenir de ces enfants et a préconisé un renforcement de leur filiation, en rappelant que s'ils pouvaient être reconnus par leur père, leur mère sociale ne pouvait voir établi un lien de filiation à son égard, même lorsqu'elle était également la mère génétique. Elle s'est donc interrogée sur l'opportunité au regard de l'intérêt de l'enfant d'autoriser la délégation d'autorité parentale ou l'adoption par cette femme, tout en reconnaissant que cela reviendrait à mettre à néant la politique dissuasive de la Cour de cassation.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a souligné que la composition de la table ronde avait permis d'entendre tous les points de vue.
En réponse à Mme Marie-Thérèse Hermange qui l'interrogeait sur les conséquences à tirer des études pédopsychiatriques montrant que l'enfant se construisait à partir de la différenciation, M. Christian Flavigny a estimé que la construction de l'enfant ne se limitait pas à la grossesse et aux premiers mois, comme le prouvait l'établissement du lien d'identification entre les parents adoptants et leur enfant, avant d'insister sur le rôle de ce lien pour le développement de l'enfant. Il a enfin estimé que la loi devait le renforcer, sans s'y substituer.
M. Pierre-Yves Collombat a réfuté l'idée selon laquelle tout ce qui est possible devrait être légal, en estimant qu'elle conduirait à l'acceptation de la fabrication d'enfants à la demande par ectogenèse, et s'est élevé contre l'idée d'un droit à l'enfant.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a rappelé qu'un tel droit n'était reconnu ni par le droit français, ni par les conventions internationales, qui se réfèrent aux droits de l'enfant, même si la Convention européenne des droits de l'homme reconnaît la liberté de procréer et s'oppose à toute immixtion des Etats dans ce domaine. Elle a poursuivi en soulignant que l'adoption visait à donner une famille à un enfant et que l'insémination artificielle avec donneur ne poursuivait qu'un but thérapeutique afin de remédier à une stérilité.
Mme Martine Gross a regretté que ce refus de reconnaître un droit à l'enfant puisse paradoxalement conduire à ne pas protéger les enfants déjà élevés par des couples homosexuels en les privant d'une filiation conforme à leur environnement et en la limitant à une seule branche en matière de nom, d'autorité parentale, mais aussi de succession et d'obligations.
Tout en reconnaissant que les enfants étaient parfois victimes des irrégularités commises par leurs parents, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a rappelé qu'une telle situation avait été subie pendant des siècles par les enfants adultérins, et souligné que l'abolition des discriminations à leur égard avait parallèlement modifié la vision de la société sur le mariage. Elle a estimé que ces considérations d'ordre politique justifiaient le refus de la reconnaissance de la filiation incestueuse et des conventions de mères porteuses.
M. Daniel Borrillo a pour sa part déploré l'hypocrisie du droit français, en soulignant qu'en dépit de l'absence de droit à l'enfant, il autorisait l'insémination artificielle avec donneur en cas de stérilité du couple, alors même que cette stérilité ne concernait qu'une seule personne. Il a donc préconisé d'appliquer la même fiction juridique au couple homosexuel, en le considérant comme stérile.
Il a en outre rappelé l'hermaphroditisation du droit de la famille mise en évidence par le doyen Carbonnier, la référence aux mari et femme ayant été remplacée par le terme d'époux, tandis que les père et mère étaient désormais qualifiés de parents. Il a estimé que cette évolution traduisait la volonté de promouvoir l'égalité entre les sexes et d'abolir l'assignation de fonctions à un sexe en particulier.
Après que M. Jean-Jacques Hyest, président, eut observé que les parents restaient le père et la mère, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a indiqué que les dispositions en matière de la filiation faisaient encore référence aux père et mère, et que l'article 371 du code civil prévoyait encore que l'enfant doit respect à ses père et mère.
M. Xavier Lacroix a refusé la reconnaissance d'une filiation fictive d'un enfant envers deux personnes homosexuelles et préféré la vacance d'une branche de la filiation, en estimant que le compagnon du parent pouvait toutefois avoir une fonction de co-éducateur.
Par ailleurs, il a déploré le manque de rigueur scientifique des études concernant le devenir d'enfants élevés par des couples homosexuels, en soulignant notamment qu'étaient interrogés les parents et non les enfants, et que les comparaisons étaient faites par rapport à des enfants élevés par des femmes célibataires, et non des couples hétérosexuels.
M. Xavier Lacroix a ensuite indiqué que de nombreuses études reconnues mettaient en avant les difficultés des enfants ayant manqué de référent féminin ou masculin. Il a ainsi précisé que M. Stéphane Nadaud, pourtant favorable à l'homoparentalité, indiquait que 41 % des enfants interrogés étaient suivis psychologiquement, tout en précisant que la compétence éducative des personnes homosexuelles n'était pas en cause.
M. Christian Flavigny a appelé le législateur à la vigilance afin d'éviter la reconnaissance d'un droit à l'enfant, mais s'est prononcé en faveur de dispositifs pour les enfants déjà nés.
Mme Geneviève Delaisi de Parseval a regretté que la virulence du débat concernant les enfants élevés par des homosexuels occulte la question pourtant numériquement beaucoup plus importante du devenir des enfants adoptés ou nés de procréations médicales assistées avec don de gamètes, d'ovocytes ou d'embryons.
Mme Marie-Thérèse Hermange a également appelé à la levée de l'anonymat des donneurs de sperme et d'ovocytes et s'est inquiétée du devenir des enfants issus de ces techniques.
Famille - Droit de la famille - Table ronde consacrée à l'adaptation du droit aux familles recomposées
La commission a enfin entendu, au cours d'une seconde table ronde consacrée à l'adaptation du droit aux familles recomposées, Mme Florence Millet, maître de conférences en droit à l'université de Cergy-Pontoise, Me Hélène Poivey-Leclercq, avocate, Mme Valérie Goudet, vice-présidente, responsable du service des affaires au tribunal de grande instance de Bobigny, M. Benoît Renaud, notaire, M. Arnaud Rozan, sous-directeur des prestations familiales à la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), Mme Chantal Lebatard, administratrice de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), et M. Stéphane Ditchev, secrétaire général de la Fédération des mouvements de la condition paternelle.
Mme Florence Millet, maître de conférences en droit à l'université de Cergy-Pontoise, s'est interrogée sur l'opportunité d'octroyer un statut juridique au beau-parent en raison du rôle parental que la recomposition familiale l'amène de facto à tenir, alors même que l'enfant est susceptible d'être déjà pourvu d'un double lien de filiation.
Elle a estimé que l'intérêt de l'enfant devait s'apprécier in concreto, et ne pouvait justifier une reconnaissance du statut juridique du beau-parent, mais pouvait en revanche en constituer une limite ou une condition. Elle a souligné le risque de placer l'enfant au centre d'un nouveau contentieux.
Mme Florence Millet a en effet rappelé que le législateur avait cherché, lors de la réforme du divorce et de l'autorité parentale, à distinguer les relations au sein du couple parental de celles entretenues par chaque parent avec l'enfant et avait posé comme principe l'exercice conjoint de l'autorité parentale, afin de protéger les liens entre enfants et parents.
Elle a par conséquent jugé incohérent d'attribuer de nouveaux droits au beau-parent au risque de fragiliser le parent extérieur, alors même que la situation du beau-parent est précaire, car liée à la pérennité de son couple, et que son arrivée est souvent mal vécue par le parent extérieur et l'enfant.
Mme Florence Millet a toutefois examiné les moyens de doter le beau-parent de certaines prérogatives au sein de la famille recomposée.
Soulignant que l'adoption plénière de l'enfant du conjoint opèrerait une substitution de filiation et supposerait donc que l'autre parent se soit vu retirer l'autorité parentale, elle a considéré l'adoption simple plus adaptée, car préservant les liens de filiation préexistants. Elle a toutefois indiqué que les deux parents devaient consentir à l'adoption et qu'il conviendrait de réformer l'adoption sur un plan de politique juridique, puisqu'elle ne vise aujourd'hui qu'à donner une famille à un enfant qui en est dépourvu.
Mme Florence Millet a estimé une réforme de l'adoption inopportune, le lien de filiation créé par l'adoption étant appelé à subsister au-delà d'une éventuelle rupture, qu'il s'agisse d'autorité parentale, d'obligation alimentaire ou de vocation successorale, alors même que, dans la très grande majorité des cas, les relations entre le beau-parent et l'enfant cessent.
Elle a en outre souligné le risque de se trouver face à une multiplication du nombre des adoptions portant sur un même enfant, chaque nouveau compagnon devenant un adoptant potentiel, avec pour conséquence une perte de sens de la filiation et des difficultés pratiques à exercer une autorité parentale morcelée.
Mme Florence Millet a considéré que l'attribution au beau-parent de l'autorité parentale sans le support de la filiation conduirait aux mêmes difficultés et aboutirait de plus à dissocier la filiation de ses effets.
Elle a rappelé que le juge pouvait déjà, dans l'intérêt de l'enfant, fixer ses relations avec un tiers, parent ou non, ce qui inclut le beau-parent, et prévoir un droit de visite et d'hébergement après une séparation ou le décès du parent.
S'agissant d'enfants mineurs, Me Hélène Poivey-Leclercq, avocate, a rappelé que l'exercice de l'autorité parentale par deux parents donnait déjà lieu à de nombreux conflits et estimé que l'attribution de droits à de nouvelles personnes conduirait à une « vampirisation » de l'enfant par des adultes. Indiquant que le statut de beau-parent entraînerait également des devoirs comme l'obligation alimentaire, elle a souligné la précarité de nombreuses relations de couples et rappelé que les reconnaissances de complaisance d'enfants par le nouveau compagnon d'un parent étaient souvent remises en cause après la rupture du couple. Elle a toutefois admis la possibilité d'assouplir les modalités des délégations de l'exercice de l'autorité parentale avec le consentement des deux parents.
S'agissant d'enfants majeurs, Me Hélène Poivey-Leclercq s'est prononcée en faveur de l'adoption simple pour consacrer une filiation élective et a préconisé un assouplissement des transmissions successorales entre beaux-parents et enfants, notamment par une réforme fiscale.
Après avoir rappelé que le juge aux affaires familiales était compétent en matière de dévolution et de modalités d'exercice de l'autorité parentale, Mme Valérie Goudet, vice-présidente, responsable du service des affaires au tribunal de grande instance de Bobigny, a indiqué que la majorité du contentieux tenait au droit de visite et d'hébergement et au non-respect de l'obligation alimentaire, et que les juges ne connaissaient qu'indirectement du beau-parent, au titre des demandes de révision des pensions alimentaires à la suite de recompositions familiales ou du refus de certains adolescents de se rendre dans la nouvelle famille de leur parent extérieur.
Mme Valérie Goudet a observé que la loi du 4 mars 2002 avait pourtant reconnu la place de beau-parent en prévoyant une possibilité de délégation d'autorité parentale (article 377-1 du code civil) impliquant l'accord des deux parents. Elle a souligné qu'il ne s'agissait pas d'un transfert d'autorité, mais d'un partage, contrairement à l'adoption simple, et que cette délégation pouvait porter sur des actes usuels ou plus graves.
Mme Valérie Goudet a en outre indiqué que l'article 371-4 du code civil permettait à un tiers, parent ou non, de solliciter du juge aux affaires familiales le droit d'entretenir des relations avec un enfant qu'il aurait élevé, et que l'article 373-3 du code civil prévoyait qu'en cas de décès d'un parent, le juge aux affaires familiales pouvait être saisi afin de reconnaître à un beau-parent l'exercice de l'autorité parentale conjointement avec l'autre parent.
En réponse à M. Jean-Jacques Hyest, président, qui s'interrogeait sur la signification du faible nombre de saisines du juge au titre de ces dispositifs, Mme Valérie Goudet a souligné que cette saisine étant indispensable, elle traduisait une sous-utilisation de ces dispositifs, tandis que Me Hélène Poivey-Leclercq faisait observer que cette délégation avait été récemment demandée et obtenue par un couple de femmes.
M. Benoît Renaud, notaire, a ensuite indiqué que le rapport du congrès des notaires de Marseille de 1999 s'était intéressé aux familles recomposées et avait notamment préconisé de mieux protéger le conjoint survivant. Il s'est donc félicité que la loi du 3 décembre 2001 ait prévu un droit viager au logement, tout en déplorant l'absence d'obligation alimentaire en faveur d'un beau-parent ayant élevé les enfants d'un premier lit.
Soulignant que les rapports de Mmes Françoise Dekeuwer-Défossez et Irène Thery avaient renoncé à prévoir un statut du beau-parent et que la loi du 4 mars 2002, tout en reconnaissant la possibilité pour des tiers d'entretenir des relations avec l'enfant, n'avait pas visé spécifiquement le beau-parent, M. Benoît Renaud a toutefois observé que le beau-parent pourvoyait souvent pécuniairement à l'éducation de l'enfant et pouvait tisser des liens affectifs très forts avec ce dernier. Sans préconiser de statut du beau-parent, il a donc souhaité permettre au parent de partager avec son conjoint sa responsabilité parentale.
M. Benoît Renaud a relevé que l'adoption demeurait jusqu'à présent le dispositif le plus adapté pour avantager un enfant non commun. Il s'est cependant félicité des apports du projet de loi de réforme des successions et des libéralités en matière de libéralités graduelles et résiduelles et de donations-partages au profit d'enfants de différents lits, tout en jugeant un accompagnement fiscal indispensable.
En revanche, il a déploré la proposition de réforme de la quotité disponible spéciale entre époux limitant à la moitié de l'usufruit la part pouvant être accordée au conjoint survivant en présence d'enfants non communs. M. Benoît Renaud a craint que cette disposition, qui vise à prévenir le cas particulier d'une spoliation de fait des beaux-enfants en présence d'un conjoint survivant plus jeune qu'eux, n'aboutisse en pratique à créer une inégalité successorale entre les enfants, communs ou non, et ne provoque des difficultés inextricables lors du partage. Par ailleurs, il s'est interrogé sur l'articulation de cette réforme avec la persistance du droit viager au logement et a préconisé de laisser au conjoint plus de liberté pour organiser sa succession.
M. Arnaud Rozan, sous-directeur des prestations familiales à la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), a tout d'abord précisé que les familles recomposées disposaient des mêmes aides que les familles dites classiques, les critères étant la prise en charge de l'enfant et la situation financière.
S'agissant de la question du partage des droits aux prestations familiales en cas de résidence alternée, il a rappelé que les dispositions actuelles du code de la sécurité sociale s'y opposaient en prévoyant un seul allocataire assumant la charge effective et permanente de l'enfant.
Il a indiqué qu'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales de 2001, et plus récemment le rapport de la mission d'information « famille et droit de l'enfant » de l'Assemblée nationale, avaient conclu à ce qu'un partage avantagerait les familles séparées par rapport aux autres.
M. Arnaud Rozan a souhaité qu'en cas de désaccord entre les ex-conjoints ou concubins, les caisses d'allocations familiales puissent s'appuyer sur un jugement désignant le parent attributaire des prestations, qui pourrait être celui dont les ressources sont les plus faibles, le juge compensant l'absence de prestation pour l'autre parent en minorant par exemple le montant de la pension alimentaire.
Il a enfin indiqué qu'il pourrait être envisagé de verser sous condition de ressources une prestation spécifique au parent non gardien pour lui assurer les moyens d'exercer sa responsabilité parentale et de supporter les dépenses liées à l'exercice du droit de visite et d'hébergement.
Mme Chantal Lebatard, administratrice de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), a souscrit aux propos de Mme Florence Millet, puis rappelé que l'UNAF représentait notamment les familles recomposées.
Elle a ensuite observé que les enfants étaient aujourd'hui pour la plupart désirés par leurs parents et que les recompositions résultaient désormais majoritairement de séparations et non plus du décès d'un des conjoints. Elle a estimé que ces recompositions étaient conjugales avant d'être familiales.
Après avoir souligné que l'autorité parentale emportait également des devoirs, elle s'est félicitée de la mise en place de dispositifs tels que la résidence alternée et la délégation de l'autorité parentale, tout en s'interrogeant sur l'opportunité pour le législateur d'intervenir dans le quotidien des familles. Mme Chantal Lebatard a ainsi estimé que si le beau-parent pouvait avoir une légitimité en tant qu'adulte ou contributeur aux charges du ménage, il n'appartenait pas à la loi de la consacrer.
Elle a souligné que la délégation de l'autorité parentale devait émaner du parent extérieur et qu'il n'était pas opportun de l'officialiser dans une convention, celle-ci apparaissant inadaptée à l'évolution des besoins et des désirs de l'enfant.
En outre, Mme Chantal Lebatard a estimé que les liens affectifs conjugaux ne devaient pas créer de responsabilité de l'adulte vis-à-vis de l'enfant avec lequel il vit, tout en se félicitant des dispositions prévues par le projet de loi de réforme des successions et des libéralités.
Elle a enfin appelé à mieux prendre en compte les fratries et à maintenir les liens entre demi-frères et soeurs et quasi-frères et soeurs.
M. Stéphane Ditchev, secrétaire général de la Fédération des mouvements de la condition paternelle, a souligné le caractère artificiel de l'expression « famille recomposée » et lui a préféré celle de « foyer recomposé », en considérant qu'elle aboutissait à cacher l'autre parent. Il a estimé que l'enfant n'avait pas une famille monoparentale ou recomposée, mais un père, une mère et éventuellement des frères et soeurs et d'autres personnes.
Il s'est ému de la persistance d'une large proportion de décisions confiant la garde des enfants aux mères en cas de divorce ou de séparation et a regretté les freins au développement de la résidence alternée, tant en matière fiscale que sociale. Il a préconisé de renforcer la coparentalité en rappelant que sa fédération avait été à l'origine de la mise en avant de ce terme.
M. Stéphane Ditchev a souligné que le statut du beau-parent n'était demandé par aucune association et était difficilement compatible avec la précarité des relations de couple. Il a considéré que la relation avec un enfant ne dépendait pas d'un statut, mais se construisait jour après jour. Il a enfin estimé que le beau-parent ne devait pas empiéter sur la relation avec le parent extérieur et qu'à défaut de garder des liens avec leurs deux parents, les enfants pourraient ensuite connaître de graves perturbations psychologiques et relationnelles.
Après avoir observé que les points de vue exprimés au cours de cette table ronde était beaucoup moins contradictoires que ceux de la précédente, M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que la question des familles recomposées n'était pas nouvelle, même si elles découlaient dorénavant plus de séparations que de décès. Une réforme législative lui est apparue inutile, le juge pouvant apparemment régler les cas particuliers.
M. Charles Guené ayant observé que des problèmes subsistaient en matière de successions et de libéralités, M. Benoît Renaud a indiqué que le projet de loi de réforme des successions et des libéralités permettrait d'y répondre en partie.
M. Jean-René Lecerf s'est néanmoins fait l'écho des inquiétudes suscitées par la proposition de réforme de la quotité disponible spéciale entre époux. Tout en reconnaissant les difficultés en présence d'une belle-mère plus jeune que les enfants du défunt, il a déploré que le conjoint, ayant parfois élevé l'enfant du premier lit, puisse être contraint de quitter son logement s'il constitue l'unique bien de la succession, et s'est interrogé sur la possibilité d'intégrer des notions de durée de l'union et d'âge des conjoints dans le code civil.
M. Benoît Renaud l'a alors assuré que le droit viager au logement du conjoint survivant n'était pas affecté par le projet de réforme.
Me Hélène Poivey-Leclercq a toutefois souligné que ce droit n'était pas réservataire et qu'il était donc possible d'en priver par testament son conjoint. Elle a estimé que si la liberté du futur défunt devait être respectée dans ce cas, elle devait aussi lui permettre de faire bénéficier son conjoint, le cas échéant, de la totalité de l'usufruit, soutenue en ce sens par M. Benoît Renaud. Elle a à cet égard déploré la diabolisation du deuxième conjoint.
Jeudi 23 mars 2006
- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président, puis de M. Hugues Portelli.Elections - Elections du Président de la République - Examen du rapport
La commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Hugues Portelli sur le projet de loi organique n° 271 (2005-2006), modifié par l'Assemblée nationale, relatif à l'élection du Président de la République.
M. Hugues Portelli, rapporteur, a indiqué que le projet de loi organique était un texte technique tendant à modifier la loi du 6 novembre 1962 qui fixe les modalités de l'élection présidentielle, et ce, conformément aux observations du Conseil constitutionnel émises en novembre 2002 et en juillet 2005 sur le régime électoral présidentiel.
Il a rappelé que depuis 1974, avant et après chaque scrutin présidentiel, le Conseil constitutionnel, en tant que gardien de la régularité de l'élection, rendait publiques de telles observations sur l'état du droit et en préconisait des adaptations.
Il a souligné que de nombreuses réformes avaient été inspirées par les remarques du Conseil constitutionnel, à l'exemple de l'augmentation du nombre de présentations nécessaires à un candidat par la loi organique du 18 juin 1976 ou de la modification de l'article 7 de la Constitution par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 en vue d'autoriser le vote de certains électeurs le samedi.
Constatant que la loi du 6 novembre 1962 n'avait pas été adaptée en conséquence sur ce point, sauf pour la Polynésie française, il a précisé que le projet de loi organique étendait donc le vote le samedi en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Saint-Pierre-et-Miquelon ainsi que dans les ambassades et postes consulaires situés sur le continent américain. Il a insisté sur le rétablissement par une telle mesure de l'égalité du suffrage entre tous les électeurs français.
M. Hugues Portelli, rapporteur, a noté que le projet de loi organique effectuait l'actualisation des articles du code électoral applicables par renvoi à l'élection présidentielle, indispensable pour que les réformes électorales intervenues depuis 2001 soient appliquées lors du scrutin de 2007.
Il a noté que le texte mettait à jour la liste des citoyens habilités à présenter un candidat et prévoyait d'anticiper le recueil des présentations au Conseil constitutionnel afin de laisser à ce dernier plus de temps pour vérifier leur validité et celle des candidatures.
Il a constaté que le projet de loi organique tendait à transférer l'examen des comptes de campagne des candidats à l'élection présidentielle du Conseil constitutionnel vers la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, tout en instituant un recours de pleine juridiction à l'encontre des décisions de cette dernière devant le Conseil.
Il a souligné que la Commission ou, en cas de recours, le Conseil, se verrait reconnaître un pouvoir d'appréciation sur le montant du remboursement forfaitaire des candidats sur les comptes desquels des irrégularités ont été relevées, sans que cela entraîne le rejet de ces comptes.
Il a indiqué que l'Assemblée nationale avait adopté plusieurs amendements rédactionnels et deux amendements de fond tendant respectivement à réparer une omission en permettant à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de saisir le parquet en cas d'irrégularité, comme le Conseil en a le pouvoir à l'heure actuelle, et à mentionner l'adresse électronique des électeurs votant à l'étranger sur les listes électorales consulaires, pour faciliter la diffusion des informations électorales.
M. Hugues Portelli, rapporteur, a indiqué que certaines observations pertinentes du Conseil constitutionnel n'étaient pas reprises par le projet de loi organique, comme la publicité intégrale de la liste des présentateurs sur le site Internet du Conseil ou l'interdiction des prêts avec intérêts des partis politiques aux candidats.
Déplorant le caractère tardif du dépôt du texte au Parlement, il a estimé que cela empêchait d'insérer par amendement de telles dispositions dans le projet de loi organique à quelques jours du début de la période prise en considération pour le plafonnement des dépenses électorales des candidats à l'élection présidentielle de 2007.
Il a proposé d'adopter le projet de loi organique issu de l'Assemblée nationale sans modification afin de préserver la sécurité juridique des opérations électorales de 2007 et de respecter l'usage républicain, selon lequel les règles d'une élection ne sont pas modifiées dans l'année qui la précède.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a regretté l'absence de mesure permettant la publicité intégrale de la liste des présentateurs dans le texte et a annoncé que le groupe communiste, républicain et citoyen s'abstenait sur le vote du texte.
La commission a adopté le projet de loi organique sans modification.
Consommation et concurrence - Ratification de l'ordonnance n°2005-136 - Conformité du bien au contrat - Examen du rapport
La commission a ensuite examiné le rapport de M. Jean-Jacques Hyest sur le projet de loi n° 276 (2005-2006) relatif à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur et à la responsabilité du fait des produits défectueux.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, a indiqué que le projet de loi tendait à ratifier l'ordonnance du 17 février 2005 relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur, qui transposait la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999 ayant cet objet, et pour laquelle la France avait été condamnée pour manquement par la Cour de justice des Communautés européennes le 1er juillet 2004. Il a souligné l'intérêt que présentait la ratification expresse des ordonnances, puisqu'elle permettait de donner à ces actes, jusqu'alors de nature réglementaire, une valeur législative incontestable.
Il a précisé que, conformément à la directive, l'ordonnance du 17 février 2005 créait une obligation, pour le vendeur professionnel d'un bien meuble corporel, de délivrer au consommateur un bien conforme au contrat et précisait les modalités permettant au consommateur d'agir pour obtenir le remplacement, la réparation ou la réduction du prix du bien ou, le cas échéant, la résolution du contrat de vente. Il a indiqué que la notion de conformité retenue par l'ordonnance englobait les notions actuelles du droit français concernant les vices rédhibitoires et l'obligation de délivrance du vendeur.
Il a souligné que cette nouvelle action en conformité ne se substituait pas aux actions en garantie des vices cachés et à l'action en responsabilité pour manquement du vendeur à son obligation de délivrance qui pouvaient toujours être exercées par le consommateur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, a indiqué que l'Assemblée nationale avait modifié marginalement les dispositions de l'ordonnance en ce qui concerne l'encadrement de la garantie commerciale offerte par le vendeur et étendu le projet de loi à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Il a expliqué que l'Assemblée nationale avait en effet modifié une disposition du code civil relative aux possibilités d'exonération de la responsabilité du fournisseur d'un produit défectueux afin d'exécuter un arrêt en manquement de la Cour de justice des Communautés européennes du 14 mars 2006 qui avait par ailleurs condamné la France à modifier sa législation sous une astreinte de 31.650 euros par jour de retard. Il a rappelé que la France avait, en cette matière, déjà fait l'objet de deux condamnations antérieures par la juridiction communautaire.
Il a considéré que le projet de loi permettait ainsi de satisfaire pleinement aux obligations communautaires et qu'il pouvait être adopté sans modification par le Sénat.
La commission a adopté le projet de loi sans modification.