I. UN ÉTAT DES DISCRIMINATIONS EN FRANCE
La discrimination est une notion qui s'est élargie au cours des décennies au point de recouvrir des réalités variées selon qu'elle est volontaire ou non, directe ou indirecte.
La discrimination coexiste également avec des notions avoisinantes telles que l'inégalité ou la stigmatisation. Pourtant, elle en diffère dans son principe.
En effet, toute inégalité n'est pas une discrimination car une inégalité de traitement peut avoir un fondement légitime. Aristote n'écrivait-il pas déjà que la plus grande injustice serait de traiter également les choses inégales ?
De même, la discrimination ne va pas nécessairement de pair avec la stigmatisation. M. François Dubet, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l'illustrait ainsi : une femme, ne se sentant aucunement stigmatisée, dans sa vie quotidienne peut subir une discrimination au travail tandis qu'à l'inverse, une personne homosexuelle qui pourrait faire face à des injures stigmatisantes dans la rue peut ne pas connaître de discrimination professionnelle.
A. LA DÉFINITION DES DISCRIMINATIONS
1. La notion de discrimination
Au-delà de son sens courant, « le concept de discrimination relève du domaine juridique », comme le soulevait lors de son audition Mme Magali Bessone, maître de conférences en philosophie morale et politique à l'université Rennes 1.
Traditionnellement, une discrimination consiste à traiter de manière défavorable une personne ou un groupe de personnes en raison de critères prohibés, déterminés par la loi. Si ces critères peuvent varier d'une législation à une autre, ceux liés à la race, à l'ethnie ou à l'origine ainsi qu'à la religion restent interdits dans l'ensemble de la législation relative aux discriminations.
Par ailleurs, la discrimination est juridiquement reconnue, que l'appartenance de la victime à un groupe racial, ethnique ou religieux soit supposée ou réelle. Historiquement, le droit français sanctionne la volonté de discriminer ; le simple fait que la personne discriminée ne présente pas réellement la caractéristique qui sert de prétexte à sa discrimination n'exonère pas l'auteur du comportement discriminatoire.
Le refus de la discrimination repose sur l'affirmation d'un principe d'égalité entre plusieurs individus, qui devrait rendre impossible l'application d'un traitement différent. Lors de son audition, M. Jean-Marie Delarue, alors Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le résumait ainsi : « la discrimination est, pour le juge français, le versant antagoniste de l'égalité ».
Sous l'influence du droit européen et international, l'expression de « principe de non-discrimination » a pu paraître proche du principe d'égalité. Lors de leur audition, les représentants du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) ont cependant souligné que ces deux expressions n'étaient pas complètement assimilables, l'affirmation du principe d'égalité leur paraissant préférable à celui de non-discrimination. Outre que le principe d'égalité affirme une exigence de manière positive et non en creux - comme l'interdiction de discriminer -, le principe d'égalité est plus favorable, selon eux, aux personnes discriminées. Prenant l'exemple de l'égalité entre les hommes et les femmes en droit du travail, les représentants du MRAP ont indiqué que si le principe retenu était celui de la non-discrimination, il appartiendrait alors à la victime de déceler et de distinguer les critères, parfois cumulatifs, sur lesquels s'est fondée la discrimination. À l'inverse, l'inégalité se constate plus facilement dès lors que des personnes ne sont pas traitées de la même manière alors que rien ne peut objectivement justifier une telle différence de situation.
2. Les catégories de discrimination
a) Les discriminations directes et indirectes
Sous l'influence du droit de l'Union européenne, les discriminations sont désormais réparties entre discriminations directes et indirectes. Si la discrimination directe est désormais familière au droit français, la discrimination indirecte a été consacrée plus récemment avec la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Cette loi assurait en droit français la transposition de cinq directives relatives à la lutte contre les discriminations, dont celle mettant en oeuvre le « principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique » 2 ( * ) .
La définition juridique des notions de discrimination directe et indirecte L'article 1 er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations définit ainsi ces deux notions : « Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation ou identité sexuelle, son sexe ou son lieu de résidence, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. « Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. » |
La notion de discrimination indirecte a été développée en droit américain dès 1971 avec la décision de la Cour suprême Griggs v. Duke Power Company puis reprise en droit français dans le cadre de la transposition de directives européennes . Cette définition a permis de débusquer derrière une « apparence neutre » des comportements réellement discriminatoires. Pour ce type de discrimination, la mesure statistique est primordiale pour mettre à jour les obstacles à un traitement égal des personnes ou des groupes de personnes.
La discrimination indirecte se rapproche de la discrimination systémique, provenant du système, c'est-à-dire de pratiques volontaires ou non, neutres en apparence, mais qui aboutissent à une discrimination. Dans les deux cas, le lien entre le comportement ou la norme en cause et la discrimination n'est pas immédiatement apparent. La multiplicité de facteurs et de comportements à l'origine de la discrimination, parfois non coordonnés entre eux, rend malaisée la répression des actes discriminants. Le législateur doit prendre en compte cette particularité dans sa réponse juridique aux discriminations car, comme le soulignait Mme Gwenaële Calvès, professeur de droit public à l'université de Cergy-Pontoise, lors de son audition, « la discrimination systémique n'a pas d'auteur donc le droit pénal n'est pas utilisable ».
b) Les discriminations volontaires et involontaires
Lors de son audition, Mme Magali Bessone insistait sur la distinction entre discrimination volontaire et involontaire, qui ne recoupe pas nécessairement celle entre discrimination directe et indirecte.
Aussi surprenant que puisse paraître cette affirmation de prime abord, toute discrimination n'est pas volontaire. S'appuyant sur les travaux de la psychologie sociale, Mme Magali Bessone précisait que « les stéréotypes ne sont pas forcément des convictions consciemment assumées, mais ils peuvent aussi être des « structures implicites de la connaissance » ou « schémas » que notre environnement social a implantés en nous ». Un individu peut donc créer des catégories sociales que son expérience tendra à conforter ; ainsi, confronté à une personne présentant certaines caractéristiques, il sera tenté de la « catégoriser » en fonction de ces schémas. Aussi, « cette forme de discrimination peut[-elle] se rencontrer chez des acteurs sociaux parfaitement bien intentionnés qui, en toute bonne conscience, refusent toute légitimité aux catégories raciales et rejettent explicitement et de bonne foi toute idéologie raciste ».
M. François Dubet estimait également, lors de son audition, que les personnes discriminées se considèrent généralement comme les victimes d'un processus volontaire alors que le « tri » entre eux et le groupe non discriminé peut être involontaire. Il illustrait cette situation avec le cas de l'orientation scolaire au cours de laquelle pouvait se faire jour un choix discriminant par une orientation moins valorisante quasi-systématique pour les enfants de minorités. Or, comme M. Dubet le soulignait, cette accusation de racisme qui peut être portée à l'encontre des enseignants les flétrit profondément puisqu'ils sont dénués de toute intention de cette nature. Cette analyse rejoint celle exposée par Mme Françoise Lorcerie, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), lors de son audition.
La mise en lumière de cette situation n'est pas sans effet sur l'arsenal répressif que le législateur élabore à l'encontre des actes discriminatoires. Elle l'incite en particulier à ne pas se centrer uniquement sur une réponse pénale. En effet, toute infraction pénale suppose, pour être constituée, de prouver l'intentionnalité de l'acte ou de l'omission, l'article 121-3 du code pénal énonçant ainsi qu'« il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». Or, l'absence de caractère volontaire du comportement incriminé rend délicate la mise en oeuvre de poursuites pénales.
* 2 Directive 2000/43 du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, directive 2002/73 du 23 septembre 2002 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, directive 2004/113 du 13 décembre 2004 mettant en oeuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l'accès à des biens et services et la fourniture de biens et services, et directive 2006/54 du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.